c) La multiplication des disciplines : une fuite en avant
L'histoire de la Villa Médicis est marquée par une constante tendance à la multiplication des disciplines qu'on y accueille.
Au départ, l'Académie ne concernait que les peintres et les sculpteurs, qui y étaient envoyés pour y copier des oeuvres d'art et, notamment, les statues antiques. Sous le règne de Louis XV, elle fut, dans la même perspective, ouverte aux architectes.
C'est le Consulat qui permit d'y admettre graveurs et compositeurs, distendant ainsi le lien fondateur de la fréquentation des modèles italiens.
La réforme de 1971 a procédé à des changements importants. A côté des artistes relevant de l'Académie des Beaux-Arts, elle a admis écrivains, photographes et cinéastes, tandis qu'elle accueillait désormais également des historiens d'art et des restaurateurs.
S'y sont progressivement ajoutés au cours du temps, des designers et des scénographes et même, tout récemment, des cuisiniers dont on a d'ailleurs considéré qu'ils pouvaient être accueillis sans modification des textes !
Votre rapporteur spécial ne peut pas s'empêcher de penser que cet élargissement des disciplines reflète plus un état de crise qu'une vraie dynamique de l'institution.
C'est notamment l'avis de M. Jean-Paul Goux dont le témoignage a déjà été cité : « l'élargissement dans les années récentes de l'éventail des disciplines accueillies à la Villa paraît symptomatique d'un malaise, d'une incertitude sur ses fonctions ».
On peut, même pour certaines disciplines traditionnelles comme l'architecture, se demander ce que la présence à Rome peut apporter à tous ces créateurs, lorsqu'ils ne sont pas avant tout des historiens de leur art.
L'architecture actuelle, même post-moderne, le cinéma, en dépit de la gloire des grands réalisateurs italiens de l'après-guerre, ont peu de chances de trouver leur inspiration à Rome.
On peut même se poser des questions sur l'intérêt d'envoyer à Rome des créateurs dans des disciplines qui sont le fruit d'un travail d'équipe ou supposent une organisation collective. Même un scénario de cinéma n'est plus une oeuvre individuelle mais un travail collectif. Que peut faire un scénographe loin du plateau de théâtre et sans la possibilité d'expérimenter en vraie grandeur ses idées ?
d) Saint-Louis, Médicis et Farnèse : des vies parallèles
Les relations culturelles franco-italiennes se développent dans un contexte qu'on se plaît à croire favorable. Toutefois, bien que cette action puisse s'appuyer sur un réseau très dense d'institutions à vocation éducative ou culturelle - rappelé en annexe -, on ne peut manquer d'être frappé par la fragilité des liens culturels privilégiés entre les deux pays.
La fermeture du centre culturel de l'Ambassade qui était situé place Campitelli à Rome, intervient à un moment où l'on ne peut manquer d'être préoccupé par le recul sans doute inexorable de la langue française.
(1) Le recul de la langue française en Italie
Les services culturels de l'Ambassade de France ne dissimulent pas ce fait majeur. La progression de l'anglais au détriment du français est un phénomène mondial. En Italie, il est particulièrement visible et douloureux dans la mesure où, jusqu'à une date récente, les élites parlaient notre langue de façon élégante et précise.
Les services culturels précisent qu'il est « difficile d'évaluer l'étendue de cette transformation car beaucoup parmi nos interlocuteurs appartiennent encore à une génération qui estimait indispensable de parler, de lire et d'écrire le français ».
La jeune génération est manifestement plus attirée par le modèle économique et culturel anglo-saxon, qu'il s'agisse de ceux provenant des États-Unis ou même de l'Angleterre.
La question de la présence française en Italie et, en particulier, à Rome est donc, qu'on le veuille ou non, posée.
On ne peut dissimuler le fait qu'elle occupe deux des bâtiments les plus prestigieux de la capitale, le Palais Farnese et la Villa Médicis, et que ces deux positions éminentes n'ont peut-être plus la légitimité culturelle d'autrefois.
Il importe donc d'être conscient de cette relative fragilité de nos positions en Italie et donc de ne pas hésiter à rechercher une nouvelle légitimité, qui ne pourra être trouvée, en ce qui concerne la Villa Médicis, que dans le resserrement des liens avec le tissu culturel local et donc une plus grande ouverture de l'institution sur Rome.
(2) L'absence de coordination entre les différentes vitrines culturelles de la France à Rome
En dépit de coopérations pour la réalisation de projets précis, il n'existe pas de liens institutionnels entre la Villa Médicis et le réseau des services culturels de l'Ambassade, dont l'étendue est rappelée en annexe, pas plus d'ailleurs avec les établissements culturels dépendant de l'éducation nationale.
A côté de la Villa et des services culturels de l'Ambassade, il faut mentionner :
• l'École française de Rome, établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, placée sous la tutelle du ministère de l'éducation nationale, qui a pour objet le développement des recherches se rapportant à l'histoire du bassin occidental de la Méditerranée, de l'Antiquité à la période contemporaine. Cette école dispose d'une galerie d'exposition place Navone, animée par le service culturel de l'Ambassade de France ;
• Le centre Saint-Louis, de l'ambassade de France près du Saint-Siège, qui mène une politique très active mais qui, parce qu'il est essentiellement tourné vers les personnes venant à Rome pour des motifs religieux, est un outil très spécifique ne permettant pas une action culturelle de la nature de celle faite dans d'autres centres culturels.
Certes, dans la pratique pourtant des formes de coordination ont été mises en place. Il faut d'abord mentionner les relations personnelles. Le directeur de la Villa Médicis est convié au conseil d'orientation culturel et linguistique, tandis que l'Ambassadeur fait partie du comité pour la restauration de la Villa.
Sur le plan fonctionnel, on note la mise en oeuvre d'un certain nombre de projets communs :
• les rencontres avec des écrivains français, programmées par les services culturels de l'Ambassade sont accueillies à la Villa Médicis ;
• la galerie française de la place Navone entretient des liens périodiques avec la Villa : c'est ainsi que trois pensionnaires ont été amenés à y présenter une exposition sur l'architecture et le paysage 4 ( * ) ;
• le centre Saint-Louis peut organiser des colloques en liaison avec les activités de la Villa comme cela a été le cas à l'occasion de l'exposition sur le « Dieu caché ».
On note que, selon les termes de la réponse faite à votre rapporteur spécial par les services du ministère des affaires étrangères, qu'il « n'y a pas toutefois de coordination systématique sur la programmation et les initiatives ». Il est précisé notamment que, tandis que la Villa organise de nombreuses opérations en propre grâce aux moyens dont elle dispose et aux possibilités d'accès au mécénat que lui procure la maîtrise d'un site prestigieux, les actions culturelles propres de l'Ambassade, entièrement organisées et pilotées par elle, sont à Rome relativement peu nombreuses depuis la fermeture du centre Campitelli.
Il est même indiqué que s'il y avait peu de relations entre la Villa et les centres de coopération culturelle et linguistique, des initiatives conjointes ont récemment abouti pendant l'hiver 2000/2001 à l'organisation d'événements musicaux 5 ( * ) . En outre, en matière d'histoire de l'art, l'École française de Rome et l'Académie de France - qui sont en relations étroites à l'occasion des chantiers archéologiques de la Villa - se sont rapprochées avec l'organisation de colloques et la mise en place de bourses d'études.
* 4 En outre, les pensionnaires designers ont pu présenter leur travail dans cette galerie au début de l'année 2001 et ont été invités à participer au projet d'aménagement intérieur du centre français de Palerme.
* 5 A ainsi eu lieu pendant l'hiver 2000-2001 une série de concerts liés à l'exposition « Le Dieu Caché », en coproduction avec le Centre Saint-Louis et le soutien de l'AFAA, tandis qu 'un cycle de musique contemporaine incluant des oeuvres de compositeurs pensionnaires de la Villa, organisé en liaison avec les services culturels de l'ambassade en Italie et les réseaux culturels allemand et espagnol est programmée pour l'automne 2001.