II. LA VILLA ET SON IMAGE AUJOURD'HUI
Il s'agit dans cette annexe de rendre compte de la consultation écrite entreprise par le rapporteur auprès des anciens pensionnaires et des acteurs du monde de la culture intéressés par l'Académie de France à Rome.
On mettra en perspective ces témoignages en citant quelques souvenirs récents d'écrivains pensionnaires et en évoquant sommairement certains débats au sein du Conseil d'administration.
1. Le jugement des hommes de l'art
Il a paru intéressant de compléter les opinions globalement positives recueillies par votre rapporteur spécial avec l'étude qui a été transmise par M. Alfred Pacquement, ancien délégué aux arts plastiques et actuel conservateur en chef du Musée national d'art moderne.
a) Les responsables de Fonds ou de centres d'art contemporain
Une des réponses les plus circonstanciées émane de la directrice du FRAC (Fonds Régional d'Art Contemporain) Centre, Mme Marie-Ange Brayer, ancienne pensionnaire elle-même qui défend le principe de l'Académie de France, en soulignant qu'il s'insère dans un système de résidence d'artistes beaucoup plus dense qu'on ne l'imagine généralement.
Elle souligne que l'Académie de France -qui est la seule à accueillir des créateurs francophones quelle que soit leur nationalité - est l'académie qui réunit le plus grand nombre de disciplines artistiques et offre par là même une plus grande richesse d'échange.
Elle indique que depuis son départ de la Villa Médicis en 1996, elle ne cesse de rencontrer des artistes qui ont séjourné et qui poursuivent leurs pratiques professionnelles à travers leur résidence en France ou à l'étranger, ou à travers des expositions en galerie ou dans des centres d'art.
L'apport d'un séjour à Rome dans la formation ou l'évolution d'un artiste lui semble être avant tout la possibilité, pour lui, de développer un projet structuré sur une période donnée : « alors que les artistes sont habituellement soumis à la pression de production des galeries, ils disposent alors d'un temps de réflexion, suffisamment long pour approfondir leur démarche, voir la remettre en question. D'autre part, les lieux et le matériel mis à leur disposition, leur permettent bien souvent, de réaliser un certain type d'oeuvres qu'ils n'auraient pas pu produire autrement, faute de moyens, d'espace ou de temps. Il n'est également pas de lieu plus propice à la création que la Villa Médicis par la mystique de ce lieu si chargé d'histoire artistique qui ne peut que provoquer une émulation formidable chez un jeune artiste, tout comme l'infinie richesse artistique de la Rome baroque ».
Elle conclut :
« L'extrême diversité des résidences empêche que soit privilégiée une résidence au détriment d'une autre » « ce sont ces résidences qui permettent ensuite à nos artistes d'exposer et de rayonner à l'étranger. La vitalité artistique d'un pays dépend aussi du soutien que peuvent lui apporter les institutions et les décideurs politiques.
« Si nous ne voulons pas atrophier la création, en particulier, la jeune création émergente, tout type de structure de diffusion a sa légitimité. Les résidences ne sont pas des maillons isolés, elles sont étroitement connectées aux autres structures de diffusion nationale... mais aussi internationales, puisqu'un artiste ayant résidé à la Villa Médicis disposera d'une meilleure connaissance du milieu professionnel.
« S'il y a une direction à prendre dans le cadre de ces résidences, c'est de renforcer les liens qu'elles ont déjà dans leurs structures de diffusion en France ou à l'étranger, ce qui démontrera que les résidences d'artistes ne sont pas un luxe dispendieux, mais s'inscrivent dans une politique structurée, étagée sur différents registres d'aide à la création, qui participe activement à la vitalité culturelle d'un pays. ».
Cette défense et illustration du principe des résidences se retrouvent dans presque toutes les réponses adressées à notre rapporteur spécial. On peut citer notamment celle émanant du centre d'art contemporain de Castres, de celui du domaine de Kerguehennec du Morbihan ou de celui du château de Tanlay.
M. Jacques Py, directeur de cette dernière institution peut faire état d'un certain nombre de manifestations ayant impliqué d'anciens pensionnaires : M. Alain Fleischer, M. Hervé Guibert, M. Pascal Dusapin, M. Philippe Cognée, Anne & Patrick Poirier, et M. Pascal Convert. Il insiste sur la possibilité de rupture qu'offre la Villa, avec les contraintes quotidiennes, la disponibilité entière de l'artiste à son projet « un ressourcement au centre même de sa pratique », les avantages matériels d'espace, la rencontre avec d'autres structures culturelles, les échanges fructueux et les collaborations, qui sont les bénéfices engrangés aux retours de ces séjours.
Il souligne également la nécessité pour la France de maintenir une politique très active de ces échanges avec l'étranger. Comme le rappelle également le directeur du centre d'art de Vassières, l'isolement et le repli des artistes sur un territoire national, ne correspondent pas, ni à la tradition et encore moins aux mutations repérables depuis ces dernières décennies.
Nombreux sont les responsables institutionnels à souligner l'atout que constitue la Villa Médicis en terme de « carte de visite » ou pour permettre aux jeunes artistes de rencontrer les acteurs du monde de l'art : Mme Anne Martinet, conseillère pour les arts plastiques à la direction régionale des affaires culturelles du Limousin, considère que « le séjour à la Villa a permis à de jeunes artistes de rencontrer de créateurs confirmés, des critiques d'art et des responsables d'institutions et d'établir avec eux des relations inscrites dans la durée dont ils ont pu bénéficier une fois de retour en France ».
L'analyse se prolonge par la justification de l'intervention de l'Etat en matière d'art contemporain et sur la nécessité d'une extension du système des bourses.
Telle est notamment l'analyse de Mme Jacqueline Blanc, conseillère pour les arts plastiques de la direction régionale des affaires culturelles de Provence-Alpes-Côte d'Azur : « ce système de soutien à la création par l'attribution de bourses à une époque où les commandes, les mécènes sont rares. L'art lui-même ne se manifeste plus uniquement sous la forme de tableaux, de sculptures. Il peut relever du concept, de l'installation, du virtuel, de la communication, il peut être éphémère et résider dans l'acte relationnel.
« Face à toutes ces manifestations de la création visuelle, le marché de l'art n'est plus très adapté. Les institutions doivent souvent prendre le relais... Il faudrait développer plus largement ce principe des bourses qui, pour respecter le temps lent de la gestation artistique et les coûts de production de plus en plus élevés (matériaux nouveaux, nouvelles technologies,...) ne devraient pas être inférieurs à 40 000 francs. Elles doivent ainsi permettre à l'artiste d'interrompre quelques mois une activité salariée pour se consacrer à son oeuvre....La richesse de l'artiste est le génie qui l'habite. Il revient à l'Etat et aux collectivités d'exprimer leur gratitude et leur intérêt. »
A côté de ces propos que l'on peut qualifier de « culturellement corrects », il faut néanmoins signaler quelques opinions divergentes.
Ainsi, M. Laurent Innocenzi de la Direction régionale des affaires culturelles de Champagne-Ardenne, observe dans sa réponse que la valeur ajoutée par un séjour à la Villa Médicis, est cependant de plus en plus concurrencée, par l'internationalisation du principe des résidences publiques et privées, dans les métropoles anglo-saxonnes. Il ajoute que dans un contexte marqué par une forte référence anglo-saxonne, « la villa Médicis au coeur de Rome apparaît comme une résidence prestigieuse et luxueuse mais enclavée du point de vue du réseau urbain et international de l'art contemporain. La valeur des bourses de la Villa Médicis est donc plus patrimoniale que contemporaine ». Il conclut :« il serait peut être souhaitable que la Villa Médicis, réservée aujourd'hui aux artistes français soit un lieu de rencontre internationale par les résidences et expositions sous les couleurs françaises ».
D'autres comme Mme Madeleine Van Doren, directrice du CREDAC à Ivry, après avoir elle aussi souligné la nécessité d'un système de résidence et de bourse face à un secteur privé frileux et à la faillite du marché, met en cause la limite d'âge de 35 ans. Un relèvement de cette limite à 45 ans lui paraîtrait gage d'enrichissement et de rencontres fécondes.
M. Jean-Yves Bainier, conseiller aux arts plastiques de la direction régionale des affaires culturelles Alsace, évoque la difficile « gestion du retour » de Rome, pour un artiste se retrouvant alors isolé et obligé de renouer les contacts nécessaires à la poursuite de sa carrière.
Enfin, la vision la plus critique du système émane sans doute de M. Xavier Douroux, du Consortium à Dijon, dont le jugement sur l'institution est « des plus réservés ». Il lui semblerait « plus logique de favoriser une économie de l'art associant intervention publique et soutien privé et non exclusivement régie par l'indispensable marché ». Il lui paraîtrait plus efficace de développer un système d'incitation à la commande, de valorisation de la présence de l'artiste dans de nombreuses activités de la collectivité en vue d'assurer au créateur des revenus, « plutôt que d'entériner un système d'aides, a priori, sujet à toutes les pressions clientélistes ou d'assistanat social ».