b) L'hymne au Génie français
M. Lapauze poursuit en associant étroitement l'Académie de France à Rome à l'essence du Génie français et à la position éminente voire dominante de la France dans les Beaux-Arts.
« Pas un peuple moderne ne peut prétendre à rivaliser avec la France sur le domaine des beaux-arts durant le dix-huitième siècle et la première moitié du dix-neuvième siècle, c'est-à-dire lorsque eurent mûri les fruits du système d'éducation artistique que notre pays avait adopté. Si nous ne lui devons pas tout, à ce système, s'il est difficile même de lui faire équitablement sa part, encore est-il juste de reconnaître que, s'il n'a pas donné l'impulsion totale, du moins n'a-t-il rien paralysé. C'est réduire à sa plus faible mesure la gratitude qui lui est due, que de lui attribuer, dans l'admirable épanouissement de notre Ecole française, l'élégance, le goût, le style qui, sans empêcher des qualités plus spontanées ou plus éclatantes, ont fait de cette Ecole un enseignement pour l'univers.
« Jamais, depuis le temps de la Renaissance, la sculpture ne s'était élevée à des oeuvres aussi définitives que durant cette époque féconde pour l'art français qui va de Coustou, de Bouchardon à Carpeaux, en passant par Frémin, J.B. Lemoyne, Caffieri, Pajou, Pigalle, Clodion, Houdon, David d'Angers et Rude. Pareillement dans la peinture, Boucher, Fragonard, Hubert Robert, Vien, David, Girodet, Gérard, Ingres. Ces noms sont à citer entre tant d'autres, non seulement pour leur éclat, mais aussi pour la diversité des génies qu'ils représentent. Ne devient-il pas impossible de prétendre que Rome égalise l'inspiration et éteint l'originalité quand on considère qu'elle nourrit de son lait âpre et fort aussi bien la sensualité de Boucher que la grâce de Fragonard, la divine noblesse de Ingres que la fougue d'un Henri Regnault ? En musique, trouvera-t-on la marque d'une influence trop uniforme entre des maîtres aussi différents l'un de l'autre que Hérold, Berlioz, Gounod, Bizet et Halévy ? Et si l'architecture n'a pas donné de formule nouvelle avec les Lesueur, les Soufflot, les Duban, les Lefuel, la faute en étant moindre chez nous que dans tous les pays du monde, ne saurait être attribuée à notre Académie, mais à l'étrange et mystérieuse stérilité qui, depuis la Renaissance, paraît avoir si singulièrement tari l'invention humaine pour la construction des édifices sous des aspects de beauté.
« C'est à dessein que, dans cette énumération si brève, nous n'avons donné que des noms d'artistes pensionnaires de l'Académie de France à Rome. Mais combien d'autres nous aurions pu citer, qui, n'ayant pas obtenu le premier grand prix, ont cependant travaillé pendant des années en vue de le conquérir ; l'ont manqué de bien peu, comme Watteau et, plus tard, comme Barye, par exemple, deux fois lauréat des concours et qui, sans avoir joui de l'atmosphère directe de Rome, ont dû peut-être le meilleur d'eux-mêmes à l'attrait qu'elle exerçait sur leur coeur, aux efforts accomplis pour l'étreindre ! Et, sans exagération, ne pourrions-nous ajouter que, même parmi les indépendants, les réfractaires, fût-ce sous forme de révolte, de bravade, de défi, la hantise de cet asile d'élection, les échos qui leur en parvenaient, le désir qui souvent les entraînait là-bas, les poussait à rôder alentour par les sentiers de traverse, ont stimulé des vocations qui voulaient rester dans un isolement farouche, mais qui, secrètement, n'en rêvaient pas moins de chefs-d'oeuvre vainqueurs des siècles et du soleil se couchant au loin sur de sublimes horizons ?
« Qu'est-ce que nos jeunes artistes vont aujourd'hui chercher à la Villa Médicis ? Quels sont les éléments de la forte empreinte que leurs âmes en rapportent ? D'où vient ce charme que les pénètre sans les amollir, le prestige qu'étendent sur toute leur vie ces fières et laborieuses années, dont le rayonnement fait briller leur regard jusque dans la vieillesse quand on les interroge sur leurs impressions de ce temps-là ? »
Un tel panégyrique n'apparaît que trop daté pour ne pas susciter quelques réflexions critiques, notamment lorsque notre auteur non content de souligner le caractère démocratique du sytème veut montrer qu'il est favorable à la création.