4. Action culturelle : articuler la politique de la Villa avec celle des autres acteurs
C'est une banalité que de dire que le monde se globalise. La culture comme l'économie - mais les deux sont liées - fonctionnent désormais en réseau.
L'idée d'une institution dans laquelle on viendrait faire une retraite, comme dans un monastère, se « ressourcer » pour employer un terme à la mode, ne correspond plus à la logique de la création actuelle.
L'art, la création et même la recherche, se caractérisent par une sorte de mouvement perpétuel, qui n'exclut pas, cependant, le besoin de périodes de respiration et d'isolement.
Mais, ce n'est sans doute pas au sein d'une communauté d'artistes et de créateurs, regroupés plus par le hasard que la nécessité, que l'on peut se retrouver soi-même pour se consacrer à une oeuvre. Si besoin de recul il y a, il doit plutôt correspondre à celui d'une année sabbatique pour un artiste ou un chercheur confirmé, qui doit alors trouver une retraite pour poursuivre une oeuvre ou effectuer une recherche.
Bref, et on commence à le percevoir de façon plus explicite, la Villa ne peut vivre en circuit fermé. Des liens institutionnels se mettent en place pour le bon accomplissement de la mission Colbert ; c'est bien surtout si l'on veut mieux insérer les pensionnaires à leur retour en France au sortir de cette sorte de « bulle » que constitue parfois le séjour à la Villa.
Mais il faudrait aussi en tirer les conséquences pour la mission Malraux dans un souci d'économie de moyens et d'accroissement de l'efficacité de nos interventions.
(1) Coordonner la Villa avec les services culturels dépendant des Affaires étrangères
Les liens entre l'Académie de France à Rome et les services culturels des ambassades, qu'il s'agisse de celle auprès du Quirinal ou près le Saint-Siège, restent, en dépit d'une amélioration récente, insuffisants. Il y a là, globalement, un manque de coordination d'autant plus regrettable que l'ambassade de France a fermé son centre de la place Campitelli.
Des synergies existent et doivent être renforcées. Il est ainsi anormal que le ministère des Affaires étrangères ne soit que rarement représenté au conseil d'administration de la Villa par le conseiller culturel.
D'une façon générale, il conviendrait de donner un caractère plus général à la tutelle de la Villa qui pourrait :
• soit associer plus étroitement les ministères des affaires étrangères et de la culture comme c'est le cas actuellement dans le nouveau régime de l'Association française pour l'action artistique, notamment si l'on souhaitait articuler la procédure de sélection des pensionnaires sur celle en vigueur pour les bourses de la Villa Médicis hors les murs,
• soit continuer à relever du ministère de la culture mais alors dans un cadre plus large que celui de la Délégation aux arts plastiques pour devenir plus « inter-direction » et relever de la Direction de l'administration générale . On note à cet égard que, quelle que soit l'hypothèse de modification des modalités de sélection, qu'il s'agisse d'une simple réévaluation du poids du jury et notamment se son président ou de l'affirmation de la primauté du directeur dans le choix des pensionnaires, cela justifierait que la tutelle de l'institution cesse de relever de la Délégation aux arts plastiques.
(2) Établir des liens institutionnels ou personnels avec les grandes écoles d'art et les centres de diffusion de l'art contemporain
Des liens institutionnels commencent à être établis avec d'autres organismes complémentaires ou concurrents comme le Centre du Fresnoy. Une telle évolution doit être encouragée et il ne faut pas hésiter à accueillir pour une courte durée des artistes ou des chercheurs en provenance d'autres institutions.
On pense naturellement à la mise en place pour les meilleurs élèves et les plus motivés de possibilité de stages d'une durée variable selon que celui-ci sert à préparer un mémoire ou une thèse : il y a là un moyen de créer une émulation dans des écoles - Beaux-Arts, éventuellement conservatoire national de musique, écoles du patrimoine et école du Louvre. Une convention a d'ailleurs été signée dans ce sens entre la Villa et ce dernier établissement.
Ces stages courts de fin d'études de quelques mois comme il en existe déjà à la Casa de Velázquez, se trouveraient naturellement complétés par des séjours plus longs offerts à des chercheurs confirmés, qu'il s'agisse de jeunes conservateurs ayant besoin d'approfondir une spécialisation, ou des « post-docs » préparant une habilitation.
Le modèle dont il conviendrait de s'inspirer, serait les fondations américaines - mais, à certains égards aussi, plus près de nous, de la Casa de Velázquez - au sein de laquelle se côtoient des chercheurs et intellectuels de toutes origines pour des durées variables, allant de quelques semaines à deux ans.
Mais un des apports les plus décisifs d'une meilleure articulation de la Villa sur des institutions, serait en ce qui concerne les pensionnaires artistes la possibilité de bénéficier des liens personnels que le directeur pourrait établir avec certains directeurs de centres d'art ou de musées d'art contemporains .
On se donnerait ainsi de meilleures chances de résoudre ce qui semble actuellement deux problèmes lancinants : l'exposition du retour de Rome et la réintégration dans le circuit culturel après la Villa.
Dans ces perspectives, les liens établis par le présent directeur avec la Ville de Paris pour faciliter l'octroi d'un atelier aux artistes lors de leur retour ou avec le centre du Fresnoy , vont dans une bonne direction et devraient être poursuivis en recherchant d'autres partenariats, notamment avec des collectivités territoriales.
D'une façon générale, l'idée de votre rapporteur est qu'il faut autant que possible appréhender les deux questions en amont au moment du choix des pensionnaires.
A côté des artistes ou intellectuels résidents, on pourrait imaginer qu'il y ait, toujours pressentis par le directeur, des tuteurs non résidents (auxquels seraient offertes des facilités de logement, ainsi que éventuellement des vacations) - qui pourraient même être les rapporteurs désignés par le jury - qui, parce qu'ils auront, directement ou indirectement, contribué au choix des pensionnaires, s'engageront du même coup à les exposer dans l'institution qu'ils dirigent. On pourrait même, le cas échéant, par l'intermédiaire des rapporteurs, faire intervenir des galeries, ce qui faciliterait l'insertion économique des anciens pensionnaires.
Enfin, une fois encore, il faut aller chercher outre-Atlantique des modèles, qui montrent qu'il existe des liens entre les anciens résidents du Getty qui peuvent y revenir assez facilement pour des durées plus ou moins longues, constituant un réseau dans tous les pays qui transcende les « promotions ».
L'objectif devrait être de faire fonctionner le système en réseau , à l'image du monde de la culture : réseau institutionnel et personnel de l'équipe de direction, réseau informel des résidents et anciens résidents qui devraient un peu fonctionner en confrérie au-delà des disciplines et des statuts de chacun. Il faut vivement regretter, à cet égard, qu'il n'y ait pas d'association active des anciens pensionnaires, qui serait de nature à entretenir cette solidarité au-delà des générations.
Il existe déjà un droit au retour , dont l'expérience montre qu'il est insuffisamment exercé. Il conviendrait de le développer de façon systématique pour que la Villa puisse continuer d'être pour les pensionnaires, des années après leur séjour, un lieu d'échanges et de rencontres non seulement entre spécialités mais entre générations 21 ( * ) .
Actuellement, il n'existe aucun moyen de suivre la carrière et plus généralement le devenir des anciens pensionnaires - on ne dispose comme on l'a vu même pas d'un fichier à jour de leurs adresses... -, ce qui interdit toute évaluation des résultats de la politique suivie.
Une enquête est en cours, à l'initiative conjointe du ministère de la culture et de l'Académie de France. Mieux vaut tard que jamais. Il faut espérer que le suivi sera, sinon permanent, du moins périodique, ce qui permettra de mieux juger avec le recul du temps l'efficacité de l'action de l'État.
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La Villa Médicis est une institution vivante. Elle n'est pas un astre mort, dont on percevrait encore les derniers feux. Pour s'en convaincre, il suffit de constater le mythe attaché à son nom et la référence qu'elle constitue toujours pour la création de nouvelles institutions.
Quand on voit, en mai dernier, le festival de Cannes annoncer la création en coopération avec la Maison du Cinéma et la FEMIS, créer une villa Médicis du Cinéma 22 ( * ) , lorsque le président de la république émet le souhait dans son discours devant le Bundestag de la fin juin dernier « que Paris et Berlin renouent avec « la prestigieuse tradition européenne du voyage et de l'immersion » en proposant « la création à Berlin, à l'image de ce qui existe à Rome ou Madrid, d'un lieu où nos créateurs qui souhaitent chercher l'inspiration dans cette ville en plein renouveau soient accueillis et trouvent les conditions propices à leur réflexion », lorsque enfin, l'on voit tout récemment, le ministre de l'éducation nationale annoncer la création d'une Villa Médicis du multimédias ou même un navigateur artiste rêver d'une Villa Médicis sur l'eau, cela démontre, si besoin était, toute la force de l'idée qui la sous-tend.
La commission des finances du Sénat est attachée à la survie de l'institution comme elle l'a montré il y a plus de 70 ans lors d'un débat mémorable, au cours duquel il refuse de vendre une partie du domaine de la Villa : le 29 février 1928, M. Victor Bérard, président de la commission de l'enseignement déclare solennellement que les terrains font partie du patrimoine artistique de la France et que la Villa Médicis et ses jardins sont des monuments historiques, et qu'il n'en sera jamais aliéné la moindre parcelle. Le Sénat tout entier approuva cette proclamation.
Maintenant, cet attachement réitéré qui conduit votre commission des Finances à proposer aujourd'hui qu'on la fasse évoluer pour que l'effort financier consenti par la collectivité nationale, trouve sa pleine efficacité et contribue à lui donner toute sa place dans la perpétuation du génie français comme elle a pu le faire par le passé.
* 21 Chaque pensionnaire peut bénéficier d'un séjour gratuit d'une semaine à la Villa, privilège, qui est utilisé à des dates souvent très lointaines de leur séjour de pensionnaire.
* 22 La Cinéfondation a en effet deux objets : créer une résidence destinée à des jeunes réalisateurs du monde entier et présenter à Cannes une sélection de courts métrages, de films d'école et de premiers longs métrages. Le système de résidence - un grand appartement à Paris permettant d'accueillir pour l'instant cinq stagiaires -dont le coût serait de l'ordre de 4 millions de francs- serait essentiellement financé par du mécénat.