b) La « résistible » ouverture de la Villa
La Villa est restée en dépit des efforts entrepris par ses directeurs successifs depuis 20 ans, largement « hors le monde ». Ils ont déployé beaucoup d'efforts pour y faire venir des personnalités de l'extérieur et pour permettre aux pensionnaires de trouver un public. Les résultats, sont le moins que l'on puisse dire, inégaux.
(1) Un leitmotiv de tous les directeurs depuis les années 80
Jean-Marie Drot, réalisateur et producteur d'émissions de télévision et notamment de treize heures d'entretiens avec André Malraux, nommé en 1984, directeur de l'Académie de France à Rome, fut le premier à afficher ouvertement sa volonté d'ouvrir la Villa et d'en faire un lieu de rencontre : " Pour les artistes français, jusqu'au début du dix-neuvième siècle, venir à Rome c'était participer à une aventure : celle de la création. Ensuite, c'est devenu un retour aux sources : celles de l'histoire de l'art. Aujourd'hui, c'est un lieu unique de rencontre et de découverte. Rencontre d'individus venus d'horizons divers et pratiquant des disciplines différentes. Découverte d'un pays, l'Italie, qui a toujours quelque chose à nous apprendre. "
Dans une interview au journal Le Monde de 1985, il défend avec vigueur une politique qui fit beaucoup de vagues en son temps, jusqu'au sein du Conseil d'administration : " Le président de la République, qui m'a nommé, sait très bien que je suis un homme de communication. Il a suivi mon action à Athènes et m'a envoyé ici avec, pour mission, d'ouvrir grand les portes et les fenêtres de la vieille maison. En réalité, je ne fais qu'appliquer à la lettre le décret de 1971, qui définit l'orientation de la villa. Son article 2 précise - je cite - que l'Académie de France a pour mission principale de favoriser la création artistique et littéraire dans tous les domaines et d'organiser des expositions, des concerts, des projections cinématographiques, des colloques ou des séminaires sur des sujets relevant des arts, des lettres et de leur histoire. " C'est exactement mon rôle depuis plus de quatre ans, le ministre de la culture, François Léotard, soutient lui aussi mon travail : il m'a envoyé une lettre pour manifester l'intérêt qu'il porte au prochain Festival d'été. On me cherche donc une mauvaise querelle. Il s'agit en réalité, au -delà des clivages politiques, de l'éternelle dispute des anciens et des modernes. Or, il est indispensable aujourd'hui d'aller de l'avant. Plus que jamais la France doit être attentive à toutes les civilisations.
" La villa Médicis est une fenêtre ouverte sur l'Italie. Au lieu de gémir, profitons de ce dialogue franco-italien pour faire avancer l'Europe des cultures. C'est pour nous une question de vie ou de mort. Si nous ratons ce train, dans dix ans la communication sera américaine ou japonaise, mais certainement pas européenne. Il faut transformer peu à peu la villa Médicis en une sorte de Royaumont de l'Europe dont les activités seraient financées à la fois par la France et l'Italie, mécénat inclus."
La politique de M. Jean-Marie Drot avait -on peut en lire les échos littéraires évoqués en annexe- suscité bien des remous parmi les pensionnaires. Cette ouverture à la hussarde a contribué à braquer et, par le traumatisme qu'elle a engendré, a sans doute freiné l'évolution de l'institution.
Le directeur actuel notamment a entrepris de relancer le projet, en s'efforçant de mieux articuler les missions « Colbert et Malraux ».
« S'ouvrir à la ville et à la modernité de la création », tel est le titre d'un article en date du 26 Juin 2000, dans lequel M. Bruno Racine, le directeur de l'Académie de France à Rome, définit les objectifs de sa politique.
A la question, « comment l'Académie est-elle perçue par les Romains ?» il répond : « L'Académie est restée trop longtemps hermétiquement fermée sur elle-même et il y a une forte demande de la population d'accéder à la villa Médicis. Surtout aux jardins, qui sont les seuls espaces historiques de Rome ayant conservé leur plan d'origine. Les expositions nous permettent de répondre à cette demande tout en restant, en quelque sorte, dans nos métiers. Par la diversité de ses modes d'expression et son besoin d'espace, l'art contemporain est l'occasion d'ouvrir les jardins dans tous les sens du terme : à la ville et à la modernité de la création. ».
Si les esprits ont sensiblement évolué depuis l'époque de Jean-Marie Drot, il n'en reste pas moins que la compatibilité entre le calme requis par la recherche ou la création et l'animation résultant d'une politique culturelle active, n'est pas évidente. L'ouverture réussie et harmonieuse de la Villa passe ainsi par la recherche de l'adhésion des pensionnaires.
(2) La lancinante question du « médiateur culturel »
Comme on peut le constater à la lecture des débats au sein du conseil d'administration, la question de la création d'un poste de « médiateur culturel » est à l'ordre du jour depuis de nombreuses années.
A priori, la demande apparaît légitime dans son principe. Les pensionnaires artistes, dits de la première section, souhaiteraient pouvoir disposer, à l'instar des pensionnaires historiens d'art, d'un chargé de mission qui pourrait leur servir de tuteur pour leur activité de création et, surtout, les mettre en contact avec les milieux culturels italiens.
Le débat de 1992, largement relaté en annexe, montre bien qu'il y a deux argumentations en présence. D'une part, il y a les artistes qui estiment que l'administration qui les a choisis, doit en assumer les conséquences et chercher à les promouvoir auprès du monde de l'art contemporain romain et, notamment, des galeries. D'autre part, on trouve une partie des membres du conseil d'administration et, en particulier le directeur de la Villa d'alors, M. Jean-Marie Drot, qui avaient tendance à considérer que c'était aux artistes eux-mêmes à se prendre en charge et à aller voir les galeries.
Il faudrait d'ailleurs, pour bien faire donner à ce personnage comme son homologue pour l'histoire de l'art, un statut réglementaire en le mentionnant dans le décret.
Mais cela n'ôte rien à la pertinence de certains arguments critiques et, notamment, à celui suivant lequel la désignation de ce médiateur culturel trouverait rapidement ses limites dans la mesure où on ne pouvait pas lui demander de défendre et de représenter des artistes qu'il n'avait pas choisis et dont il n'approuvait pas nécessairement le travail.
En fait, le profil de l'emploi correspondrait plutôt, s'il s'agit de faire connaître le travail des artistes, à celui d'un chargé des relations publiques. Aller au-delà supposerait que soient garanties des affinités entre les artistes et le « médiateur » ce qui actuellement ne va pas de soi, en l'état actuel de l'art contemporain.
(3) L'échec du système des hôtes en résidence
Le décret de 1971 prévoit dans son article 3 que l'Académie « reçoit en outre des hôtes en résidence, dont l'effectif maximum est fixé à 3, choisis parmi les personnalités françaises ou étrangères du monde des lettres et des arts, désignées par le ministre des affaires culturelles, après avis du directeur et pour une durée maximum d'un an. ».
Il n'a semble-t-il jamais été fait application de cette procédure formelle.
Enfin, il est rappelé que, indépendamment de toute application du décret, les directeurs se sont permis d'inviter sans formalisme juridique, pour une durée très courte, des personnalités destinées à fournir des prestations à l'Académie : conférences, expertises, participations à un séminaire ou à un colloque.
HOTES EN RESIDENCE |
|||
ANNEE |
NOM |
DISCIPLINE |
DATE DU SEJOUR |
1992 |
Danny Dufour |
Ecrivain |
9 mars - 26 mars |
Eric Darragon |
Historien d'art |
25 avril - 11 mai |
|
Jean-Pierre Touati |
Cinéaste |
4 mai - 20 mai |
|
Patrick Vilaire |
Plasticien |
2 octobre - 15 octobre |
|
Michel Jaffrenou |
Vidéaste |
3 novembre - 15 novembre |
|
Jacques Godbout |
Ecrivain et cinéaste |
23 janvier - 31 janvier |
|
1993 |
Philippe Beaussant |
Ecrivain et musicologue |
31 mars - 18 avril |
Roger Pic |
Photographe |
11 mai - 18 mai |
|
1994 |
John Ashbery |
Poète américain |
16 avril - 9 mai |
Hubert Nyssen |
Editeur |
Février |
|
1995 |
Jeff Wall |
Plasticien |
22 mai - 4 juin |
George Steiner |
Ecrivain |
20 octobre - 10 novembre |
|
(hôte en résidence - Fondation del Duca) |
|||
1996 |
Pierre Nora |
Ecrivain |
4 mai - 16 mai |
(hôte en résidence - Fondation del Duca) |
Compositeur |
||
Jean Echenoz |
Ecrivain |
11 mars - 1er avril |
|
FrancisHaskell |
Historien d'art |
16 juin - 30 juin |
|
Jean-Pierre Changeux |
Biologiste |
1er juillet - 7 juillet |
|
1997 |
Rolf Liebermann |
Chef d'orchestre |
22 avril - 29 avril |
(hôte en résidence - Fondation del Duca) |
|||
1998 |
Ange Leccia |
Artiste plasticien |
16 - 22 février |
Daniel Arasse |
Historien de l'art |
24 mars |
|
Jean Maurel |
Philosophe |
14 avril |
|
Michel Laclotte |
Président directeur du Louvre |
4 mai |
|
Svoboda |
Scénographe |
2 juin |
|
Lewis Baltz |
Photographe |
30 juin |
|
Robert Braine et Mark Dion
|
juin - septembre |
||
1999 |
Nicolas Fournier |
Sommelier |
11 avril |
Victor Pisani |
Artiste contemporain |
mai |
|
Reem Khoolas |
Artiste |
mai |
|
Tonka |
Critique d'art |
30 mai - 3 juin |
|
Elisabeth Sombart |
Pianiste |
22 mai |
|
Martine Abella |
Artiste |
juin |
|
Gabrielle Orosco
|
Artiste |
Juin |
|
Joseph Mouton |
Ecrivain |
14 -17 juin |
|
Pascal Quignard |
Ecrivain |
5 - 8 septembre |
|
2000 |
Gilles Clément |
Architecte paysagiste |
19 - 21 février |
Bob Van Asperen |
Artiste |
23-29 mars |
|
Thierry de Cordier |
Artiste |
mai |
|
André Wogenscky |
Architecte |
29 mai |
|
Yannis Kokkos
|
Compositeurs |
27 juin |
|
Bob Wilson |
Scénographe |
17 septembre |
|
Skal |
Artiste |
15 - 19 septembre |
|
Sergei Stratanovsky |
Poète russe |
20 septembre - 30 octobre |
|
Invités conférences
|
Professeur au Collège de France |
22 - 23 octobre |
|
René Girard |
Philosophe |
2 - 3 novembre |
S'interrogeant dans son rapport de 1990 sur les causes de ce mauvais fonctionnement, Michel Berthod, actuellement Directeur régional des affaires culturelles d'Aquitaine, souligne que l'élément de souplesse résultant de la non-intervention d'un jury pour leur sélection est compensée par un élément de rigidité puisque leur nomination est faite par arrêté ministériel. Dans le même rapport, il est précisé que la qualité d'hôte en résidence ne donne pas lieu à rémunération, ce qui n'est pas sans poser de problèmes.
L'absence de système de rémunération - hormis l'apport de la fondation Cino Del Duca - restreint le recours à ces invitations informelles, qui au surplus ne répondent pas pleinement à la finalité du mécanisme dans la mesure où les contacts avec les pensionnaires se limitent dans certains cas à la participation au dîner offert en l'honneur de la personnalité invitée.
(4) Les difficultés inhérentes aux expositions de pensionnaires
Il en est de l'exposition des pensionnaires comme du système des hôtes en résidence, l'idée peut être séduisante voire tout simplement évidente, elle peut correspondre à des attentes parfaitement légitimes, tout en étant finalement difficile à mettre en oeuvre.
Traditionnellement, il était procédé à Paris à l'exposition des travaux que les pensionnaires devaient à l'État. L'exposition des oeuvres créées par les pensionnaires pendant leur séjour à Rome, constituait non seulement une obligation mais également une des premières occasions qui leur était donnée d'affirmer et de faire connaître leur jeune talent.
On peut se demander pourquoi cette idée simple est désormais si laborieuse et pourquoi il faut maintenant au directeur de la Villa tant de détermination et d'énergie pour lui donner suite.
La raison majeure en est, semble-t-il, que les règles du jeu ont changé. Au XVIII ème siècle et longtemps encore au XIX ème siècle, les artistes et leurs institutions, comme le public lui-même, partageaient un certain nombre de valeurs esthétiques communes.
Force est de constater aujourd'hui qu'il n'en est plus de même et que les artistes présents à la Villa ont le plus souvent choisi des modes d'expression qui ne sont pas, et c'est un euphémisme, automatiquement compatibles.
Comment, à supposer qu'ils veulent travailler ensemble, organiser une exposition collective associant un artiste travaillant sur toile et châssis, un autre faisant des installations et un troisième pratiquant l'art conceptuel ou le land art. Ce n'est pas impossible mais cela demande beaucoup d'efforts de la part des organisateurs.
Dans ces conditions, le moindre grain de sable dans la mécanique a tendance à gripper les rouages. Pendant quelques années, l'initiative prise en 1992 par le conseil général de Loire-Atlantique de mettre la Villa Lémot à la disposition des pensionnaires pour qu'ils puissent montrer dans le cadre d'une exposition « Retour de Rome » ce qu'ils ont pu créer pendant leur séjour à la Villa, avait constitué un débouché commode, même si nombre de pensionnaires auraient préféré , pour des raisons évidentes, être exposés dans la capitale. Il a suffi que le conseil général revienne sur son initiative pour que l'opération se révèle délicate et que les responsables de la Villa soient amenés à l'envisager sous un autre angle.
Par ailleurs, on s'est rendu compte que les expositions d'art contemporain à Rome n'attiraient qu'un public restreint et que, s'il s'agissait de faire connaître le travail accompli à la Villa, il valait mieux le présenter dans le cadre d'expositions plus ambitieuses faisant intervenir des artistes de forte notoriété.
C'est bien la politique du directeur actuel qui, quoique justifiée dans son principe, est difficile à mettre en oeuvre dans la mesure où, très naturellement, les pensionnaires exposants ont le sentiment d'être quelque peu délaissés par rapport aux artistes invités.
Les expositions d'art contemporain en général font partie de la vocation de la Villa mais sont difficiles à organiser et absorbent une part importante de l'effort de l'équipe de direction de la Villa. Tel est le constat fait par votre rapporteur spécial.
Expositions |
Entrées |
Moyenne/jour d'ouverture |
|
1989 |
Casa Balla |
30.126 |
528 |
Photos d'Orsay |
7.373 |
184 |
|
Architecture |
|||
Man Ray |
8.332 |
208 |
|
1990 |
Balthus |
23.831 |
661 |
Masson |
8.526 |
140 |
|
Autoportraits |
19.000 |
487 |
|
Retour d'Italie |
2.000 |
87 |
|
Cartier-Bresson |
8.000 |
307 |
|
Pensionnaires |
2.000 |
77 |
|
1991 |
Fragonard |
31.101 |
450 |
Marino Marini |
15.031 |
224 |
|
Koudelka |
1.839 |
68 |
|
Persona |
342 |
17 |
|
1992 |
Pensionnaires Villa |
855 |
37 |
W. Lam |
2.145 |
44 |
|
Music |
3.061 |
60 |
|
Raphaël |
38.259 |
696 |
|
Scianna |
1883 |
72 |
|
1993 |
A. Manessier |
1.831 |
40 |
H. Newton |
10.026 |
264 |
|
Luce Per l'Arte |
629 |
23 |
|
1994 |
Ingres |
10.783 |
240 |
Tamara de Lempicka |
69.870 |
1.012 |
|
Villa (s) 5 |
797 |
36 |
|
Rome 1630 |
14.081 |
243 |
|
1995 |
Boltanski |
1.560 |
45 |
Lers 15 photographes |
2.349 |
65 |
|
Chia |
1.894 |
54 |
|
Villa (s) 5 |
576 |
30 |
|
1995-1996 |
Dufy |
11.032 |
170 |
1996 |
Leccia |
564 |
19 |
Paolini |
2.752 |
66 |
|
Villa (s) 7 |
450 |
24 |
|
1996-1997 |
Moreau |
15.797 |
239 |
1997 |
Valadier |
15.034 |
251 |
Peintures françaises |
1.176 |
25 |
|
Accardi |
930 |
46 |
|
1997-1998 |
Décors d'opéra |
3.018 |
48 |
1998 |
Bosco |
6.976 |
53 |
Salviati |
20.942 |
403 |
|
La Ville le Jardin la mémoire |
16.247 |
198 |
|
1999 |
Bosco |
1.692 |
28 |
La Ville le Jardin la Mémoire |
11.562 |
139 |
|
La Villa Médicis ou le rêve d'un cardinal |
8.577 |
226 |
|
2000 |
La Villa Médicis ou le rêve d'un cardinal |
20.362 |
370 |