D. L'ENGAGEMENT DE LA PROFESSION AGRICOLE DANS LA PRÉSERVATION DE L'EAU - LA VOIE DE L'AGRICULTURE RAISONNÉE
8. Intervention de M. Christophe TERRAIN, président du Comité irrigation à la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)
Dans le secteur agricole comme ailleurs, la protection de l'environnement doit s'intégrer au développement de l'activité économique. La défense environnementale ne doit pas représenter une menace pour la viabilité des exploitations agricoles .
En se dotant de structures collectives (coopératives, organisations d'irrigants...), le monde agricole a relevé le défi alimentaire. Pour être efficaces, les actions conduites en faveur de l'environnement doivent également être collectives, de longue durée et supportées par des logiques incitatives d'actions décentralisées par bassins versants et des perspectives économiques correctes.
L'engagement structuré du monde agricole en faveur de la protection de l'eau, au côté de l'Etat et des collectivités territoriales, se traduit par des modifications profondes de comportement fondées sur l'adoption de meilleures pratiques et l'application du principe de la " preuve du moyen mis en oeuvre ". Il ne faut surtout pas étouffer ce mouvement favorable et volontariste par des mesures réglementaires intempestives, peu lisibles et mal acceptées .
Les pratiques de partage de l'eau entre tous les usagers se mettent en place dans les zones déficitaires sur la base de négociations volontaires, comme par exemple en Beauce, en Poitou-Charentes ou en Vendée. Les producteurs adoptent facilement les bonnes pratiques éprouvées. En revanche ils redoutent les surcoûts de production et les pertes de revenus en appliquant des méthodes plus aléatoires et plus complexes pour protéger l'eau.
L'agriculture a clairement indiqué son accord pour intégrer le dispositif des agences de l'eau. Cependant, les usagers agricoles craignent que l'argent de l'eau ne soit employé à d'autres fins, comme c'est déjà le cas des recettes de la TGAP appliquée aux produits phytosanitaires. Par ailleurs, les Comités de bassin doivent conserver leur autonomie. Il est important que les programmes des agences tiennent compte des spécificités régionales. La politique décentralisée de gestion de l'eau a fait ses preuves. Il ne faudrait pas la brider au moment même où elle sert de modèle à l'Europe .
Le secteur agricole est d'accord pour faire des efforts financiers supplémentaires. Cependant, sa capacité contributive doit être calculée par rapport à la valeur ajoutée que son activité génère . Or le projet de loi sur l'eau prévoit une forte augmentation de la redevance consommation d'eau agricole et la création d'une lourde redevance sur les excédents d'azote qui pourrait représenter 500 à 900 millions de francs supplémentaires pour les usagers agricoles. Ces montants sont démesurés. La taxation n'est pas un bon instrument de progrès.
L'eau doit rester accessible à tous les agriculteurs. Une politique de l'eau trop chère et une gestion des ressources par le prix risquent de déstabiliser des filières agricoles entières, de délocaliser les productions et de provoquer des pertes d'emplois et des déprises agricoles. Nous demandons des simulations de l'impact socio-économique des tarifications proposées par le projet de loi sur l'eau .
La politique de l'eau ne peut pas se réduire à une politique environnementale. Elle contribue aussi à la politique d'aménagement du territoire. Dans cet esprit, nous prônons une politique de stockage de l'eau en hiver, au profit de l'ensemble des usagers et du milieu naturel . Ce stockage permettrait un partage intelligent et économe de la ressource existante.
En somme, responsabiliser les agriculteurs, les inciter à évoluer vers de bonnes pratiques, mesurer avec eux leurs évolutions est la meilleure voie possible. N'oublions pas, à ce titre, que de plus en plus d'agriculteurs s'engagent sur la voie de l'agriculture raisonnée.
M. Jean-François SAGLIO - Merci pour l'ensemble de ces interventions. Si vous le voulez bien, nous allons à présent donner la parole à la salle.
M. José de DEMANDOLX-DEDONS ( Président de la Chambre d'Agriculture des Bouches-du-Rhône, administrateur de l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse) - Le financement des agences de l'eau comporte encore de nombreuses inconnues. Leurs ressources s'amenuisent : la redevance sur l'eau potable est figée tandis qu'aucune nouvelle entrée ne vient compenser ces pertes. Du reste, l'argent de l'eau ne va pas au financement de l'eau. Je crains plus particulièrement que les agriculteurs ne soient appelés à financer la politique de l'eau au-delà de leurs capacités contributives et que cela ne remette en cause certaines pratiques comme l'irrigation, qui est pourtant indispensable à toute production notamment en zone méditerranéenne. Je tiens à souligner que l'irrigation gravitaire pratiquée dans ces régions contribue en outre au maintien des écosystèmes et des nappes phréatiques.
M. Hugues GEIGER (Conseiller régional d'Alsace, Président de l'APRONA -Association pour la Protection de la Nappe Phréatique de la Plaine d'Alsace) -. Je m'interroge sur la question du financement affecté et, en filigrane, sur la TGAP. Bien entendu, nous considérons tous qu'il est important de respecter les principes des directives européennes. Or je rappelle qu'une de ces directives interdit la possibilité d'affecter à un budget spécifique les recettes d'une taxe. En somme, faut-il vraiment appliquer le principe selon lequel " l'eau va à l'eau " et comment ?
M. Arsène LUX (Maire de Verdun) - L'ensemble de mon département, la Meuse, subit les effets de la désertification. Le monde agricole y détient donc un poids important. Toutefois, je précise que la faible densité de la population entraîne aussi la multiplication des installations d'équipements industriels. La pollution risque donc de devenir très importante. Or elle va être financée par des contributeurs de moins en moins nombreux. Je crains que, dans ces conditions, le prix de l'eau ne devienne rapidement insupportable. J'espère donc que le principe de péréquation ne sera pas abandonné.
M. Jacques OUDIN -. Les principes du financement de la politique de l'eau ont été globalement déterminés : ils se caractérisent par des exigences accrues, des ambitions nouvelles et la nécessité d'un financement planifié. Cependant, la politique de l'eau pourra-t-elle obtenir les moyens de ses ambitions ? Avant de répondre à cette question, il faudrait établir les comptes de l'eau, afin d'identifier clairement les contributions de chacun dans le domaine de l'eau et évaluer les besoins de chaque secteur, tant pour les collectivités, que pour l'agriculture, l'industrie ou EDF, comme nous l'avons évoqué ce matin.
M. Patrick FEVRIER (adjoint au directeur de l'eau au ministère de l'environnement) - Je constate que de nombreuses questions portent sur l'évolution des moyens des agences de l'eau et sur les volumes des travaux. Le ministère de l'environnement travaille actuellement aux perspectives du VIII e programme d'intervention des agences. Ce programme, lancé en 2003, devrait compter un volume de travaux global du même ordre de grandeur que le volume du programme en cours. Les projets de réforme des redevances vont plutôt transformer les proportions des contributions. En effet, la part des redevances pesant sur les ménages sera diminuée contrairement à celle pesant sur l'agriculture, l'industrie et un certain nombre d'aménageurs au titre de la modification du régime des eaux.