CHAPITRE
II :
RÉÉQUILIBRER LES POUVOIRS EN MATIÈRE DE
FINANCES PUBLIQUES
L'objet des lois de finances est énoncé par l'article 34 de la Constitution : " Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat... " . C'est donc à la loi organique de prévoir comment -dans quelles conditions et sous quelles réserves- les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat.
Dès lors, quel sens donner au verbe déterminer ? La question est en effet de savoir si la Constitution comporte, du fait de son usage, une norme stricte qui, s'imposant au législateur organique, viendrait encadrer les conditions et les réserves qu'il lui appartient de prévoir.
Il n'en va sans doute pas ainsi, attendu la pluralité des sens du mot " déterminent ", et le mécanisme même instauré par le texte constitutionnel.
Selon les dictionnaires, " déterminer " c'est préciser les termes ou les limites. Mais chacun sait que l'on peut préciser avec plus ou moins de précision et en conférant à la précision une plus ou moins grande portée. La " détermination " peut donc aller d'une simple évaluation à la fixation d'une norme.
Le mécanisme même du texte constitutionnel consiste à déléguer au législateur organique le pouvoir de préciser la portée des mots " déterminent les ressources et des charges de l'Etat ". Ce mécanisme confère donc au législateur organique une grande marge d'appréciation.
Il appartient également au législateur organique de " prévoir " les " réserves " en fonction desquelles les lois de finances déterminent lesdites ressources et charges.
Il paraît donc conforme à la Constitution d'interpréter cette disposition comme permettant au législateur organique de préciser la portée générale de la détermination opérée par les lois de finances, et d'énoncer les conditions auxquelles cette détermination est suspendue.
C'est avec ces larges marges d'appréciation que la réforme de l'ordonnance organique est appelée à trouver un bon équilibre entre les contraintes et les libertés. La question est aussi de savoir quelles prérogatives le Parlement doit pouvoir exercer et de quelles souplesses le gouvernement doit pouvoir disposer.
La " ligne de partage " actuellement dessinée par l'ordonnance et par les pratiques n'est plus adaptée. Le Parlement nourrit l'illusion d'un pouvoir très largement fictif, en permanence contourné et souvent même défié.
De son côté, le gouvernement dépense des trésors d'énergie, et parfois de malice, à desserrer des contraintes parfois injustifiées.
Une nouvelle donne s'impose. L'exécutif doit retrouver des libertés et des responsabilités. Le Parlement doit voir son pouvoir en matière financière refondé.
Les propositions formulées dans le premier chapitre du présent rapport, destinées à éclairer sur les ressources, les charges et l'équilibre financier du budget de l'Etat, sont de nature en elles-mêmes à restaurer l'autorité des lois de finances. Un vote mieux informé sera un vote plus solennel et plus responsable.
Encore faut-il que ce vote soit respecté et que le Parlement ne soit pas limité dans l'examen des questions financières par le cadre, trop étroit, des débats relatifs aux projets de loi de finances.
I. DESSERRER LES CONTRAINTES DE GESTION INUTILES
A. LA SIMPLIFICATION DE LA NOMENCLATURE BUDGÉTAIRE
1. La spécialisation par chapitre : une contrainte devenue inadaptée
L'affectation des crédits par les lois de finances est actuellement décidée en fonction d'une nomenclature déclinant deux niveaux d'agrégation. Elle fait " in fine " du chapitre budgétaire l'élément de base de l'exécution de l'autorisation parlementaire.
Le premier niveau d'agrégation consiste à appliquer la clef de répartition des crédits mentionnée à l'article 6 de l'ordonnance. Celle-ci retient trois catégories de dépenses et onze titres .
Elle conduit ainsi à distribuer les crédits entre les dépenses ordinaires (4 titres : charges de la dette, dotations aux pouvoirs publics, dépenses de fonctionnement des services, dépenses d'intervention), les dépenses en capital (3 titres : investissements exécutés par l'Etat, subventions d'investissement, réparations des dommages de guerre) et les prêts et avances de l'Etat (4 titres : prêts du fonds de développement économique et social, prêts intéressant le logement, prêts divers de l'Etat, avances de l'Etat).
Ce premier niveau d'agrégation est " affiné " au moyen d'une affectation des crédits des différents titres au sein de chapitres. Le second niveau d'affectation prévu par l'article 7 de l'ordonnance consiste à réaliser une répartition des crédits beaucoup plus détaillée : les différents chapitres sont censés retracer les crédits d'une même espèce, en les groupant selon leur nature ou selon leur destination.
Au terme de ces prescriptions, l'affectation des crédits par chapitre apparaît comme l'accomplissement juridique ultime de la mission dévolue par l'ordonnance organique aux lois de finances de déterminer l'affectation des charges de l'Etat.
La reconnaissance juridique du chapitre comme donnée de base de l'autorisation parlementaire en matière de dépenses et d'exécution est assise sur plusieurs dispositions de l'ordonnance. L'article 7 déjà cité prévoit que les crédits ouverts par les lois de finances sont spécialisés par chapitre. L'article 43 dispose que, dès la promulgation de la loi de finances de l'année ou la publication de l'ordonnance prévue à l'article 47 de la Constitution, le gouvernement prend des décrets répartissant les crédits ouverts par chapitre. Il ajoute dans son deuxième alinéa que ces décrets ne peuvent apporter aux chapitres, par rapport aux dotations correspondantes de l'année précédente, que les modifications proposées par le gouvernement dans les annexes explicatives -les " bleus "- compte tenu des votes du Parlement.
Ainsi même, si, formellement, en application de l'article 41 de l'ordonnance, le vote des dépenses nouvelles ne porte que sur chacun des titres définis par l'article 6, l'autorisation parlementaire porte jusqu'à la répartition des crédits entre les différents chapitres.
En découlent plusieurs caractéristiques de notre droit budgétaire.
La première concerne le droit d'amendement du Parlement en matière de crédits. Celui-ci ne peut se limiter à ajuster directement les crédits d'un titre ; ses propositions doivent porter jusqu'à chaque chapitre en particulier.
Une deuxième illustration de " l'autorité " du chapitre concerne l'exécution de la dépense. Ainsi par exemple, le contrôle exercé par le comptable en matière de dépense porte sur la régularité de l'imputation de la dépense à un chapitre particulier et la disponibilité des crédits nécessaires au sein de ce chapitre.
Même si le Conseil Constitutionnel s'est refusé à sanctionner la règle de spécialisation des crédits par chapitre à l'occasion de son examen des lois de règlement, cette règle, d'ailleurs contrôlée avec vigilance par la Cour des comptes, reste bien un élément fondamental de nos pratiques budgétaires tant du point de vue du Parlement que de l'exécutif.
Contraignante, la règle de spécialité des crédits fait l'objet d'assouplissements plus ou moins fondés en droit (v. infra ).