VII.
Audition de M.
Christophe Guitton,
Chef du département professions et marchés
du travail
du Centre d'études et de recherche sur les qualifications
(CEREQ)
S'agissant des emplois-jeunes, la professionnalisation de l'activité doit être distinguée de la qualification des personnes. En effet, les missions assurées par les emplois-jeunes correspondent à des activités nouvelles répondant à des besoins émergents : les titulaires d'emplois-jeunes doivent donc, à la fois, professionnaliser leur activité et se professionnaliser eux-mêmes. La situation est donc différente de celle d'une personne embauchée dans une entreprise qui cherche à se qualifier pour être adaptée au poste qui lui est confié. Les emplois-jeunes doivent faire reconnaître l'utilité de leur activité tout en étant handicapés par leur manque d'expérience du monde du travail.
Il faut également différencier les emplois solvables, qui peuvent être pérennisés, et les autres postes qui n'ont pas vocation à être reconduits au-delà des cinq ans du contrat. Pour ces derniers, les titulaires sont confrontés à un double défi : professionnaliser leur activité et se qualifier eux-mêmes sur une autre activité pour assurer leur reconversion.
Le CEREQ a pu observer que certains aides éducateurs dans l'Education nationale s'étaient beaucoup investis sur leur emploi avant de prendre du recul dès lors qu'ils réalisaient que leur emploi-jeune ne leur ouvrait pas de perspectives. Certains emplois-jeunes ont ainsi demandé à travailler à mi-temps, afin d'être dans de meilleures conditions pour se former.
A l'origine, il est apparu également une certaine dispersion des aides éducateurs sur plusieurs activités, à la demande des chefs d'établissement ; cette dispersion a pu avoir un effet démotivant pour les emplois-jeunes concernés. Avec le temps, il semble toutefois que les fonctions des aides éducateurs se soient mieux structurées et que le caractère polyvalent de leur activité ait été mieux maîtrisé.
La pérennisation des emplois-jeunes dans l'Education nationale a des caractéristiques particulières. Il a été prévu en effet que, soit les postes d'aides éducateurs ne seraient pas pérennisés, soit qu'ils seraient pérennisés mais toujours réservés, par principe, à des jeunes âgés de 25 à 30 ans. Les titulaires de postes d'aides éducateurs ont donc tous été placés dans la situation d'une non-reconduction de leur contrat de cinq ans.
Concernant la réaction du personnel enseignant, les aides éducateurs ont été bien accueillis car ils ont fait rapidement la preuve de leur utilité. Cependant, deux problèmes sont apparus :
- tout d'abord, des effets de substitution existent : dans certains cas, le travail des emplois-jeunes correspond à 60 % à des activités assurées soit par les maîtres d'internat et les surveillants d'externat (MISE), soit par les personnels techniques ;
- ensuite, le risque est grand, en cas d'absence de collaboration entre le personnel enseignant et les aides éducateurs, que ces derniers prennent une place importante en termes de pédagogie : ainsi, l'aide éducateur chargé de l'initiation à l'informatique peut être rapidement tenté d'assurer un soutien pédagogique dans certaines matières grâce à l'outil informatique.
Il est important de souligner néanmoins que les postes d'aides éducateurs ouvrent une opportunité de repenser l'enseignement.
Deux catégories de motivation semblent avoir animé les aides éducateurs : une partie d'entre eux souhaitait accéder de manière privilégiée aux fonctions d'enseignant ; l'autre catégorie souhaitait trouver un emploi pour échapper au chômage. Si les premiers ont été rapidement déçus par la nature des missions assurées, les seconds, en revanche, sont généralement satisfaits de leur emploi-jeune qu'ils jugent très intéressants.
Malgré le retournement récent du marché du travail, le taux de sortie des aides éducateurs demeure limité. Deux raisons semblent l'expliquer : d'une part, les emplois-jeunes déclarent eux-mêmes ne pas vouloir " lâcher la proie pour l'ombre " ; d'autre part, ils ne se sentent pas adaptés qualitativement aux emplois proposés par les branches professionnelles qui recrutent.
C'est pourquoi les procédures d'" out-placement " mises en place par des accords-cadres avec les grands groupes industriels et de services, qui étaient souvent intéressés par le caractère a priori sélectif des recrutements effectués par l'Education nationale, ne rencontrent pas le succès escompté.
Il est observé au demeurant que certains jeunes ont préféré quitter des emplois du secteur privé à caractère précaire et insuffisamment rémunérés (CDD de moins de six mois) pour accéder à un emploi-jeune qui leur apportait plus de sécurité.
Concernant la solvabilisation des emplois-jeunes, il est parfois difficile de connaître, emploi par emploi, le niveau de valeur ajoutée apporté par un emploi-jeune : le raisonnement ne peut qu'être global. La solvabilisation devrait être plus facile dans les secteurs où la demande des particuliers peut s'exprimer directement (aide aux personnes âgées).
Concernant la formation, il faut rappeler que l'objectif central du dispositif est de fournir un emploi rémunéré au SMIC pendant cinq ans à des jeunes au chômage. La formation apparaissait donc à l'origine comme un élément secondaire et était centrée sur l'adaptation à la mission de l'emploi-jeune ; aujourd'hui, cette préoccupation est nettement mieux intégrée, le risque étant toutefois que le programme " Nouveaux services - Emplois-jeunes " ne devienne un nouveau dispositif de formation professionnelle.
Concernant l'utilité des emplois-jeunes, le programme a fait apparaître une réponse à des " besoins interstitiels ", à la frontière des emplois déjà existants. Les emplois d'aides éducateurs ont parfois pu être qualifiés d'emplois " ni-ni ", c'est-à-dire correspondant à des tâches nouvelles qui ne relevaient ni des surveillants, ni des enseignants.
Dans certains cas, un effet d'aubaine a pu jouer en faveur de la création d'emplois-jeunes par certains employeurs, mais il est rassurant de constater que ces derniers ont toujours su trouver une utilité aux emplois ainsi créés.
La question reste posée de savoir s'il n'aurait pas été possible de rendre les mêmes services que ceux assurés aujourd'hui par les emplois-jeunes en recourant à une autre organisation du travail ou en créant de nouveaux emplois permanents.