III.  PRÉPARER LA SORTIE DU DISPOSITIF

Au total, le succès ou l'échec de cette politique se mesurera à la façon dont se déroulera la sortie du dispositif.

A. DES VOIES ÉTROITES

Les emplois-jeunes, par l'espoir qu'ils ont fait naître et par le très grand nombre de jeunes concernés, constituent un enjeu central de la politique de l'emploi.

La proximité des échéances -les jeunes commenceront à quitter massivement le dispositif à partir de 2002- invite à préparer dès à présent la sortie du dispositif afin qu'elle se déroule dans les meilleures conditions.

Trois exigences apparaissent à cet égard prioritaires :

- assurer l'avenir professionnel des jeunes entrés dans le dispositif au-delà de la fin de leur contrat ;

- soutenir les activités émergentes ayant fait la preuve de leur utilité sociale ;

- maîtriser la charge budgétaire.

Pour autant, il est à craindre que ces trois exigences soient en partie contradictoires. En cela, les voies de sortie apparaissent bien étroites.

1. Le poids de la contrainte budgétaire

a) Un coût élevé, durable et en définitive incertain pour les finances publiques

L'évaluation du coût pour les finances publiques du programme " Nouveaux services - Emplois-jeunes " reste délicate.

D'une part, les données budgétaires sont lacunaires et ne permettent pas d'apprécier dans sa globalité le coût budgétaire du programme .

L'opacité des documents budgétaires

L'opacité de la présentation budgétaire est telle qu'elle rend pratiquement impossible toute évaluation du coût du programme pour les finances de l'Etat.

Cette opacité tient principalement à deux facteurs :

- l'absence de tout chapitre globalisé relatif aux emplois-jeunes ;

- le manque de lisibilité des transferts de crédits entre ministères.

Des imputations budgétaires particulièrement opaques

Les crédits budgétaires en faveur du programme " Nouveaux services - Emplois-jeunes " peuvent être regroupés en trois catégories :

- les crédits relatifs à l'aide au poste. Ils sont inscrits à l'article 10 du chapitre 44-01 (programme " Nouveaux services-Emplois-jeunes ") du budget de l'Emploi et de la Solidarité, mais aussi à l'article 80 du chapitre 44-03 15 ( * ) (FEDOM) du budget de l'Outre-mer pour les seuls emplois-jeunes des départements d'Outre-mer. Ils représentent les 80 % du SMIC liés à l'aide au poste ;

- les crédits relatifs aux rémunérations stricto sensu -les 20 % du SMIC- qui restent à la charge des ministères employeurs pour les aides éducateurs, les adjoints de sécurité et les agents de justice (respectivement inscrits aux budgets de l'Education nationale, de l'Intérieur et de la Justice) ;

- les crédits " annexes " qui regroupent les aides au projet, les aides à la formation et à la professionnalisation des jeunes, les aides à la pérennisation des activités et le coût de gestion du programme et qui sont répartis entre les différents ministères.

Or, ces crédits ne peuvent être clairement identifiés au sein des chapitres et articles budgétaires des différents documents budgétaires. Si cela peut à la limite se comprendre pour les crédits " annexes ", c'est en revanche beaucoup moins acceptable pour les crédits relatifs aux rémunérations. Ainsi, pour le ministère de l'Education nationale, ces crédits sont répartis dans trois chapitres différents : le chapitre 36-11 " Enseignement supérieur et recherche. Subventions de fonctionnement ", le chapitre 36-71 " Etablissements scolaires et de formation. Dépenses pédagogiques et subvention de fonctionnement " et le chapitre " Etablissements d'enseignement privés. Contribution de l'Etat au fonctionnement et subventions ". Et, au sein de ces chapitres aux vocations budgétaires pour le moins diverses, aucun article n'isole les rémunérations des emplois-jeunes.

Votre rapporteur ne peut alors que souhaiter une clarification de ces documents budgétaires afin de pouvoir isoler les crédits relatifs aux emplois-jeunes dans un chapitre unique par ministère.

Des transferts de crédits peu lisibles

A cette obscurité des documents budgétaires, s'ajoute une absence de lisibilité des mouvements de crédits entre ministères.

Les crédits budgétaires relatifs aux emplois-jeunes sont en effet répartis entre cinq ministères, sous huit chapitres différents. Mais surtout leur traitement donne lieu à toute une série de transferts depuis le chapitre 44-01 du budget de l'Emploi et de la Solidarité vers les chapitres 36-71 ( enseignement public ), 43-02 ( enseignement privé sous contrat ) et 36-11 ( enseignement supérieur ) du budget de l'Education nationale, le chapitre 31-96 ( emplois de proximité ) du budget de l'Intérieur et les chapitres 31-96 ( autres rémunérations principales ) et 37-98 16 ( * ) ( services pénitentiaires, moyens de fonctionnement et de formation ) du budget de la Justice. Ces transferts, qui sont de plus réalisés en plusieurs fois, correspondent au versement des 80 % du SMIC liés à l'aide au poste qui sont destinés à assurer la rémunération des emplois-jeunes. Les 20 % restant à la charge des ministères employeurs sont eux inscrits sur les chapitres concernés en loi de finances initiale.

Votre rapporteur souligne l'opacité de ces transferts de crédits. Les informations budgétaires transmises à votre rapporteur par les différents ministères ne permettent pas en effet d'établir le montant global des crédits effectivement consommés au titre des rémunérations des emplois-jeunes. Votre rapporteur observe en effet que le taux de consommation des crédits transférés ne figure pas sur les documents qui lui ont été remis.

Dès lors, deux hypothèses sont envisageables. Ou bien les différents ministères sont incapables d'évaluer le montant des crédits effectivement consommés. Ou bien toutes les informations nécessaires ne lui ont pas été communiquées. On ne sait laquelle de ces deux hypothèses serait préférable.

D'autre part, l'impact sur les finances publiques va au-delà de la seule charge budgétaire pour le budget de l'Etat. D'autres collectivités publiques -et en premier lieu les collectivités locales- se sont également engagées dans le programme. Mais sur ces divers cofinancements, ne peut être recensé que le cofinancement lié à l'aide au poste, en complément de celle-ci et permettant donc d'alléger la charge de la rémunération pesant sur l'employeur, par l'intermédiaire du CNASEA. Ne sont pas recensées non plus les rémunérations versées par les collectivités locales.

Enfin, il n'existe pas d'échéancier budgétaire prévisionnel du programme. L'aide au poste étant limitée à cinq ans et les flux d'entrée s'échelonnant à partir de 1997, la charge budgétaire va aller croissante jusqu'en 2002 et durera en tout état de cause jusqu'en 2005. Pour autant, il n'est pas exclu qu'elle se prolonge au-delà, la loi du 16 octobre 1997 ne prévoyant aucun délai pour recruter des emplois-jeunes. Ainsi, il serait possible de créer en 2010 un emploi-jeune et de bénéficier en conséquence d'une aide budgétaire allant jusqu'en 2015...

Aussi votre rapporteur s'en tiendra à une présentation des crédits inscrits en lois de finances initiales et rectificatives, qui permet d'apprécier grosso modo , par ministère, la charge budgétaire liée à la rémunération des emplois-jeunes 17 ( * ) .

Coût budgétaire des rémunérations des emplois-jeunes depuis 1997
(inscrit en LFI-LFR)

(en millions de francs)

1997

1998

1999

2000

2001

Ministère de l'Emploi et de la Solidarité

2.000

8.050

13.795

21.250

21.938

Ministère de l'Education nationale

-

730 (1)

1.148

1.196

1.265

Ministère de l'Intérieur

-

117

276

393

426

Ministère de la Justice

-

-

-

45

45

Secrétariat d'Etat à l'Outre-mer

-

300

445

615

829

TOTAL

2.000

9.197

15.664

23.499

24.503

(1) Ces crédits correspondent en fait à une modification de la répartition des crédits au sein du ministère.

La charge budgétaire apparente des emplois-jeunes s'élève donc à environ 23,5 milliards de francs en 2000.

A terme, si l'objectif de 350.000 emplois-jeunes est atteint, le coût annuel pour le budget de l'Etat s'élèvera à 37 milliards de francs 18 ( * ) (valeur 2000) sans prendre en compte la progression à venir du SMIC.

A cette charge budgétaire, s'ajoutent les cofinancements émanant des collectivités publiques. Selon les données fournies par le CNASEA, ces cofinancements s'élevaient à 343 millions de francs pour les seuls financements complémentaires à l'aide au poste.

Cofinancements versés par le CNASEA en 1999

(en millions de francs)

Régimes

Départements

Communes et autres collectivités locales

Autres intervenants publics

Total

214

109

14

6

343

Plus largement, pour les seules rémunérations des emplois-jeunes, et sur la base de 247.300 emplois créés au 30 juin 2000 19 ( * ) , les charges totales liées à la rémunération des emplois-jeunes atteindront au minimum 30 milliards de francs en année pleine. Compte tenu de l'échelle des rémunérations, il est probable que l'on se rapproche plus des 32 milliards. Et si l'on ajoute les dépenses annexes, le coût global du programme approche probablement les 40 milliards de francs.

b) L'écueil de la création de nouveaux emplois publics

Le coût du programme pour les finances publiques est d'ores et déjà considérable. Mais il a pour vocation de n'être que transitoire, même si subsiste un doute sur la période d'application de la loi.

Il ne faudrait donc pas que, sous prétexte de pérenniser les emplois on en vienne à pérenniser avant tout les coûts, en procédant à une intégration massive des emplois-jeunes dans la fonction publique. Si l'hypothèse d'une intégration au cas par cas des emplois-jeunes peut être étudiée, il est irresponsable de laisser croire que les activités ainsi créées ont vocation à être exercées dans le cadre d'emplois publics ou assimilés.

Or, la migration des nouvelles activités vers le secteur marchand tarde à se réaliser.

Il importe alors de privilégier deux voies, faute de quoi l'écueil de la création massive de nouveaux emplois publics ne pourra qu'être difficilement évité :

- la solvabilisation des nouvelles activités ;

- le retour des jeunes vers le secteur marchand.

* 15 Ce chapitre budgétaire est en outre " fongible ", ce qui signifie que les crédits votés pour les emplois-jeunes à l'article 80 peuvent être affectés à d'autres mesures pour l'emploi au sein de ce chapitre (financement des contrats emploi-solidarité  par exemple) et à l'inverse que les crédits des autres articles de ce chapitre peuvent être affectés au financement des emplois-jeunes.

* 16 Dans le projet de loi de finances 2001, les crédits des agents de justice de l'administration pénitentiaire ne sont plus inscrits au chapitre 37-98, mais au chapitre 31-96...

* 17 Il importe toutefois de préciser que ces chiffres ne correspondent pas aux dépenses réelles, car ils n'intègrent pas les reports budgétaires d'un exercice sur l'autre et ne prennent pas en compte le taux de consommation effectif des crédits.

* 18 Ce chiffre recense 97.000 emplois (75.000 dans l'Education nationale, 20.000 dans la Police nationale et 2.000 dans la Justice) payés au SMIC sur fonds budgétaires et 253.000 emplois pour lesquels l'Etat versera 80 % du SMIC.

* 19 Pour un salaire annuel de 122.500 francs.

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