Présidence de Monsieur Claude BIRRAUX

M. BIRRAUX - Pour que vous ayez une idée de la façon dont j'envisage d'organiser la discussion, je vais vous présenter les différents thèmes que je prévois de traiter :

le matin :

1) la présentation générale du projet (celle-ci venant d'être faite)

2) la philosophie des autorités de sûreté et leurs appuis techniques,

3) la recherche,

4) l'exploitation et la maintenance

5) la radioprotection

6) les accidents graves

7) les rejets

8) l'EPR peut-il être un modèle européen ?

9) les EUR

l'après-midi :

- la stratégie, à savoir :

. l'économie du projet

. les besoins en énergie

. le maintien des compétences

. le vieillissement des centres et le remplacement du parc

. la coopération franco-allemande

. faut-il construire un réacteur ?

. à quelle date faut-il engager la réalisation ?

Ceci est indicatif, sachant que je souhaiterais que nous traitions de l'ensemble des sujets, même si cela ne s'effectue pas obligatoirement dans cet ordre, compte tenu des disponibilités des différents intervenants. Je sais, entre autres, que Monsieur MANDIL, Directeur Général de l'Energie et des Matières Premières, nous rejoindra vers 11 heures et ne pourra pas être présent cet après-midi. Donc, nous traiterons avant 12 heures le point relatif aux besoins en énergie et la vision de la DGEMP sur la prospective énergétique.

Vous avez l'ensemble du synopsis de notre réunion. J'aimerais demander aux autorités de sûreté françaises et allemandes quelle a été leur philosophie, leur approche, et comment, à partir d'une lecture française et d'une lecture allemande de la philosophie de sûreté, elles ont abouti à une lecture commune.

M. LACOSTE - Je m'exprimerai en tant que Directeur de la Sûreté des installations nucléaires en FRANCE et au nom de mon collègue et ami Gerard HENNENHOFER, Directeur Général de la Sûreté des installations nucléaires, de la radioprotection, des combustibles nucléaires et de la gestion des déchets au Ministère allemand de l'Environnement .

Je vais m'appuyer sur des transparents et je précise qu'ils sont la traduction française de transparents que nous avons préparés ensemble, mon collègue allemand et moi-même, pour une présentation commune à nos collègues des autres autorités de sûreté nucléaire des pays européens.

Je vais présenter le point de vue des autorités de sûreté sur le développement et l'évaluation d'un concept franco-allemand de réacteurs évolutionnaires aux objectifs de sûreté ambitieux. Il y a trois points sur lesquels il faut insister pour présenter notre position :

- Le premier est que, d'emblée, les autorités de sûreté ont adopté une stratégie évolutionnaire, par opposition à une stratégie révolutionnaire. Nous n'avons pas cherché une rupture en matière de sûreté, nous avons cherché à tirer le meilleur parti des progrès successifs accomplis, à tirer le meilleur parti de l'expérience acquise et le meilleur parti du mélange de l'expérience française et allemande, accumulant ainsi un nombre considérable d'années d'expérience.

- Le deuxième point important est que nous nous sommes fixés comme objectif d'améliorer la situation concernant les accidents graves, ce qui implique de diminuer de façon significative le risque de l'accident grave et aussi diminuer les conséquences d'un accident grave. Ceci peut se décliner ainsi :

. éliminer pratiquement les situations pouvant conduire à des rejets précoces,

. limiter les rejets maximaux en cas d'accident comportant fusion du coeur,

. prendre des mesures de précaution pour les accidents sans fusion du coeur.

Ce sont des progrès qualitatifs et quantitatifs importants.

- Le troisième point est que la situation normale d'un réacteur est de fonctionner dans des conditions aussi satisfaisantes que possible.

Donc, les divers objectifs que nous avons fixés sont des objectifs tendant à la simplification de l'exploitation, à la simplification de la maintenance et des contrôles, et à une bonne gestion des relations avec l'environnement. D'où une réduction du nombre d'incidents, une réduction de l'exposition des travailleurs, en termes de dosimétrie, et une réduction des volumes et des effluents. Autrement dit, un état de faits qui relève d'une bonne conduite et d'une bonne gestion de l'installation industrielle.

Ce sont donc ces trois idées maîtresses qui nous guident :

- une stratégie évolutionnaire,

- une amélioration sensible des accidents graves,

- l'amélioration des conditions d'exploitation et de maintenance.

Les organismes de sûreté français et allemand ont pris l'habitude de coopérer depuis longtemps puisque leur coopération remonte à 1989 et que, en 1990 en particulier, a été créée la DFD, commission qui réunit les autorités de sûreté françaises et allemandes au minimum cinq fois par an.

Du côté de l'industrie nucléaire et des électriciens s'est constitué peu à peu le projet EPR.

Le transparent suivant décrit la façon dont nous avons tenu à travailler. Nous nous sommes attachés à faire travailler ensemble chacun des différents niveaux d'intervention. Je ne décris pas la partie basse du schéma, qui expose la façon dont FRAMATOME, SIEMENS, EDF et les électriciens allemands se sont entendus pour présenter aux autorités de sûreté un front uni sous forme de projet EPR.

Je vais décrire le haut du schéma, qui montre la façon dont nous travaillons. Sur tous les dossiers, il y a un travail de nos appuis techniques, GRS du côté allemand et IPSN du côté français. Ces deux appuis techniques travaillent et produisent un rapport commun. Ce rapport commun est examiné par le groupe d'experts qui travaille pour moi et par GRS, qui est un groupe d'experts travaillant pour mon collègue allemand, et ces deux groupes d'experts se réunissent et produisent un avis commun.

Nous recevons, Monsieur HENNENHOFER et moi-même, un avis co-signé par le Président du Groupe français et le Président du RSK et nous nous réunissons au sein de la DMP et nous prenons partie, c'est-à-dire que nous sommes amenés à signer en commun une lettre prenant partie sur les propositions d'EPR.

Je précise que tout ceci se passe en anglais. La seule version originale des prises de position que nous prenons sont des lettres que nous co-signons et dont la seule version faisant foi est la version anglaise. Ceci est la façon dont nous travaillons. C'est une mécanique très lourde parce que cela suppose que le dossier soit lu un nombre considérable de fois mais c'est une mécanique qui nous garantit que, sur chacun des points, il y a un accord explicite et éclairé de l'ensemble des personnes qui ont à prendre partie.

Donc, nous signons pour dire soit oui, soit oui sous réserve que, soit non, après avoir épuisé l'ensemble des systèmes d'instruction français et allemand.

Les différentes étapes ont déjà été évoquées par les orateurs précédents. Il y a eu d'abord les orientations (conceptual phase) en 1992 - 1995, et ensuite la définition technique (basic design). Il y a actuellement en cours une optimisation technique, laquelle a été évoquée et qui nous conduit à fin 1998 - début 1999, et ensuite devrait se passer l'ingénierie détaillée du projet (detailed design phase). Cependant, cela suppose des décisions à prendre par les industriels intéressés.

En face de cela, quelles positions ont pris les autorités de sûreté ? Je rappelle une position historique qui était uniquement franco-française, celle de la DSIN, une lettre de mon prédécesseur de mai 1991, et ensuite des prises de position conjointes franco-allemandes :

- une prise de position conjointe en juillet 1993,

- une prise de position conjointe en février 1995,

et notre objectif est d'avoir de nouveau une prise de position fin 1998 - mi 1999 pour prendre parti sur le "basic design report".

Que se passera-t-il après ?

Qu'est-ce que le "basic design report" sur lequel nous serons amenés à prendre parti fin 1998 ou début 1999 ?

C'est un document qui ne parle pas de choix de site ni de la partie conventionnelle de la centrale, mais qui parle de la partie nucléaire. Si on cherche l'équivalent dans les procédures nationales classiques, c'est l'équivalent de la partie nucléaire du rapport préliminaire de sûreté nécessaire pour la délivrance d'autorisation de création, en FRANCE ; cela contient les éléments nécessaires pour établir le rapport de sûreté, en ALLEMAGNE.

Nous avons également commencé à travailler sur un certain nombre de codes techniques, c'est-à-dire l'élaboration d'un ensemble de règles communes à l'industrie nucléaire française et allemande. C'est l'équivalent de ce qu'en FRANCE, on appelle les RCC (règles de construction et de conception).

Si j'évoque tout ceci, c'est parce que nous sommes confrontés à un problème de technique administrative qui n'est pas simple entre la FRANCE et l'ALLEMAGNE. Nous essayons de voir comment s'ajustent les procédures administratives et réglementaires en FRANCE et en ALLEMAGNE. C'est un travail extrêmement difficile auquel nous consacrons un temps considérable, mais qui est nécessaire pour voir les conditions dans lesquelles nous pouvons continuer à cheminer de conserve.

Sur le transparent suivant, on voit bien l'équivalence entre les lois allemandes et les lois françaises, on voit bien l'équivalence entre les ordonnances et les décrets arrêtés. En revanche, entre les lettres co-signées par les deux ministres de l'Industrie et de l'Environnement, l'arrêt fondamental de sûreté et les documents allemands, les équivalences sont plus difficiles à faire.

Nous avons actuellement des études d'ingénierie détaillées pour savoir quelle est la machinerie administrative de part et d'autre du Rhin. Ceci est fondamental pour permettre les progrès que nous avons faits dans la compréhension réciproque de la technique et de la sûreté, qui se traduisent par des décisions harmonisées dans les domaines administratifs et réglementaires.

Que pouvons-nous imaginer qu'il se passera en 1999 ?

On peut imaginer qu'en FRANCE, il soit proposé aux deux Ministres de l'Industrie et de l'Environnement une lettre d'orientation sur l'îlot nucléaire de l'EPR en même temps qu'une révision de l'arrêt de 1974 sur les circuits primaires et secondaires principaux des chaudières nucléaires à eau. On peut imaginer qu'en ALLEMAGNE, il y ait publication des directives RSK pour les réacteurs du futur et que la loi atomique allemande soit modifiée pour permettre un "prelicencing".

Il faut savoir que la voie d'une autorisation en FRANCE passe par un rapport préliminaire de sûreté et un décret d'autorisation, et qu'en ALLEMAGNE, les autorisations sont délivrées par les länder sous le contrôle du BMU.

Il ne faut pas perdre de vue que, lorsqu'on essaie d'imaginer quelles sont au plus court les échéances, elles sont celles-ci : je ne crois pas que l'engagement de la construction d'un EPR en FRANCE soit possible, techniquement, avant 2003, pour une mise en service en 2009. Cependant, c'est aux Pouvoirs Publics, aux électriciens concernés de préciser ce point.

Il y a un point auquel je suis sensible, c'est que nous travaillons actuellement sur des documents qui nous sont présentés par le projet EPR. Si nous sommes conduits à approuver dans certaines conditions ces documents, ce n'est pas un blanc seing pour dire que le projet correspondant devra être conduit dans 50 ans, ce serait faire injure aux progrès techniques ; dans mon esprit, il est clair que si nous approuvons un projet EPR, c'est pour une mise en oeuvre qui ne soit pas trop différée.

Si je prends un cas extrême, en 2050, à l'évidence, l'approbation qui aurait été donnée en 1999 ne vaudrait plus rien. Mon sentiment est que c'est quelques années après l'an 2000 que vaudrait l'approbation que j'aurais donnée.

Que reste-t-il à faire ?

- la poursuite de l'évaluation de sûreté de l'EPR

- la poursuite de quelque chose qui va au-delà. En effet, il est évident que nous ne pouvons pas travailler pendant des années de façon aussi étroite ensemble, entre des entités françaises et allemandes, sur un tel projet sans qu'il naisse des idées d'harmonisation allant au-delà du seul projet EPR.

Lorsque nous réécrivons la réglementation française des appareils à pression pour les réacteurs nucléaires, à l'évidence, nous associons les préoccupations et les experts allemands, et réciproquement. Cela signifie qu'il se passe quelque chose en termes de rapprochement des esprits, de façon de faire, et peut-être, à terme, de rapprochement des organismes.

J'ajoute que ceci n'a de sens que si nous avons une vision européenne. Nous nous attachons à tenir informés nos collègues européens de ce que nous faisons. Nous l'avons déjà fait une première fois à CHANTILLY en 1993, à BERLIN plus récemment, et nous le ferons près de PARIS dans huit jours, dans des termes permettant à nos collègues européens de comprendre et de suivre ce que nous faisons.

L'idée est la suivante : l'intensité de l'effort qui est fait pour bâtir un projet de réacteur du futur plus sûr peut permettre que cela devienne une espèce de standard ou de référence européenne, mais cela suppose que nous soyons ouverts sur ce que nous faisons et prêts à discussion et à contestation.

M. BIRRAUX - Merci.

Pour donner un caractère un peu moins formel aux différentes présentations, je demande s'il y a d'ores et déjà des questions à poser soit à Monsieur LACOSTE, soit à Monsieur HENNENHOFER, soit à Monsieur LECOCQ ou à Monsieur BOUTEILLE.

J'aimerais quant à moi poser une question. Est-ce que, dans cette révision des textes de 1974, il a été inclus une révision plus en profondeur du processus qui permet l'approbation d'un rapport définitif de sûreté ? C'est-à-dire, en d'autres termes, et pour faire d'une manière triviale, finalement, les centrales nucléaires, c'est comme les casinos. On obtient l'autorisation de jeu des casinos lorsqu'on construit le bâtiment et, pour les centrales nucléaires, on obtient l'autorisation de fonctionner et l'approbation du rapport définitif de sûreté lorsqu'on est à prêt à démarrer et à fonctionner.

C'est quelque chose qui est difficile à expliquer et difficile à faire passer dans l'opinion publique, puisqu'il est inimaginable que, lorsqu'on a construit pendant six ans un établissement industriel, on puisse refuser l'autorisation de fonctionner. Vous savez que j'ai proposé une modification de ce système qui aboutirait à une dissociation de l'autorisation de construire d'une autorisation valant pour l'approbation des éléments de la sûreté, pour ne pas se trouver devant le fait accompli.

Ces révisions vont-elles jusque-là, Monsieur LACOSTE ?

M. LACOSTE - Non, Monsieur le Président. Pour répondre à ce que vous souhaitez, c'est-à-dire pour veiller à ce que les autorisations soient données en temps utile, pour que ce soit parfaitement compréhensible et perceptible par la population, nous n'avons pas besoin de changer les textes, mais seulement notre façon de faire.

M. BIRRAUX - Dans cette approche commune, les appuis techniques ont été sollicités. J'ai envie de demander à Monsieur QUENIART comment les appuis techniques ont appris à travailler ensemble. Y a-t-il eu des travaux séparés et ensuite une mise en commun ou êtes-vous passés rapidement à des équipes communes qui discutent, qui échangent et qui aboutissent à des avis et en raccourcissant en quelque sorte la chaîne ?

M. QUENIART , Directeur délégué de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN) - Je voudrais revenir sur ce point car on sait que la sûreté ayant été une responsabilité nationale pendant longtemps, et encore maintenant, les centrales vivent leur vie dans un contexte national, ce qui fait qu'aujourd'hui, celles qui sont en exploitation en ALLEMAGNE poseraient des problèmes au cours d'une instruction de sûreté française et réciproquement. Un des points importants sur le projet EPR est donc d'aboutir à une harmonisation franco-allemande des exigences de sûreté sans pour autant les empiler.

Ceci suppose un travail en commun et ce travail en commun résulte d'une longue tradition de discussions. Il ne faut pas oublier que les autorités de sûreté françaises et allemandes ont commencé à travailler ensemble dès le milieu des années 70, essentiellement parce que la centrale de FESSENHEIM était construite au bord du Rhin et que l'on construisait également des centrales allemandes au bord du Rhin, proches de la frontière française. Les discussions sur le plan technique en fait ont commencé dès ce stade.

Nous avons appris à connaître les mérites des centrales allemandes, leurs points forts et leurs points faibles, et je pense que, réciproquement, les Allemands ont appris à connaître les points forts et les points faibles des centrales françaises. Tout ceci crée progressivement une culture commune où les arguments des uns et des autres sont parfaitement connus.

Concernant IPSN et GRS, ils sont liés par un accord spécifique depuis 1989, et dans ce cadre était envisagé un certain nombre de travaux communs, à la fois sur des points concernant les centrales existantes et l'examen de projets communs, sachant que le projet EPR n'est pas le premier projet commun, c'est le premier projet porté par les électriciens. SIEMENS, de son côté, et FRAMATOME, de l'autre, avaient déjà essayé de faire des produits communs et IPSN et GRS avaient dès cet instant été conduits à les examiner. C'était encore dans un contexte où l'enjeu n'était pas aussi clair que maintenant mais, d'ores et déjà, il y eut des discussions et lorsque fin 1992, début 1993, il a été demandé à IPSN et GRS de proposer des objectifs de sûreté communs, il y avait déjà eu un certain nombre de contacts.

Cette harmonisation ne se fait pas non plus par des discussions sur des exigences plus ou moins théoriques. Il est extrêmement important qu'il y ait un projet industriel et, dans toutes les exigences définies progressivement par la DFD pour le projet EPR, un certain dialogue a en fait eu lieu sur le projet.

Les propositions du projet font l'objet d'un examen ; il y a des points sur lesquels nous sommes d'accord et d'autres sur lesquels nous manifestons une insatisfaction, ce qui aboutit à des modifications du projet. Le projet revient avec de nouvelles propositions et ce sont celles-ci, lorsqu'elles sont approuvées, qui font l'objet de conclusions. Il y a tout un mécanisme qui assure que la responsabilité est bien du côté du projet, en termes de dispositions pratiques, de même qu'une véritable connaissance des problèmes par les autorités de sûreté.

J'ajouterai quelques commentaires à la suite de la présentation de Monsieur LACOSTE, pour dire quel était le raisonnement de l'IPSN et du GRS au moment où ils ont défini les exigences de sûreté communes, et quel était celui de GPR et RSK lorsqu'ils ont défini leurs recommandations communes en 1993.

D'abord, il a été reconnu qu'une amélioration de la sûreté était nécessaire ; cela figurait déjà dans la lettre de la DSIN de 1991. Il y a plusieurs raisons à cette nécessité d'améliorer la sûreté, dont une est fondamentale. Elles sont les suivantes :

1) en matière de sûreté, on cherche toujours à progresser.

C'est le sens de toute évolution industrielle technologique ; on essaie d'améliorer les conditions de sécurité, mais ceci ne justifierait pas le pas qui est fait avec le projet EPR.

2) ces installations, si l'on en croit les espérances du projet, seraient encore en fonctionnement en 2070, 2080, soit 60 ans après leur construction, ce qui suppose de retenir dès le départ des objectifs ambitieux ; et surtout, après l'accident de TCHERNOBYL, il y a eu une prise de conscience plus claire des conséquences socio-économiques d'un accident, même d'une ampleur moins importante que celle de TCHERNOBYL, compte tenu des contaminations qui en résulteraient sur le terrain, d'où l'idée de traiter les accidents graves à la conception, en cherchant ainsi à en limiter les conséquences.

En premier lieu, il a été reconnu que, pour construire des tranches aux échéances prévues, la seule voie réaliste était la voie évolutionnaire. Il est apparu en même temps possible de suivre cette voie et d'obtenir les progrès souhaités tout d'abord grâce à l'expérience acquise, aux études faites, qui permettent d'améliorer notamment la défense en profondeur et de réduire les probabilités de fusion de coeur ou de défaillance du confinement, mais aussi en tenant compte de l'état de la recherche. Ceci est un point important, car l'état de la recherche est celui qui nous permet de dire que, du fait des objectifs ambitieux que l'on prend aujourd'hui dans le calendrier prévu, des solutions devraient pouvoir être définies pour permettre de répondre aux conditions imposées.

Cette recherche sur les accidents graves a été menée depuis plus de vingt ans sur le plan international, et notamment en FRANCE, à l'initiative du CNES. Tout n'est pas connu, il y a encore des zones d'ombre, il y a des aspects du projet sur lesquels une arrivée est nécessaire pour conclure, mais nous pensons que c'est possible dans le calendrier.

M. BIRRAUX - Permettez-moi ce petit commentaire en disant que les "nucléaristes" reconnaissent les points forts et surtout les points faibles de ce qui est en exploitation, de ce qui est en cours. Tout à l'heure, on a parlé longuement du système évolutionnaire, ceci n'est pas "évolutionnaire" mais "révolutionnaire".

Mme SENE , Président du Groupement des Scientifiques pour l'Information sur le Nucléaire - J'ai bien noté que nous sommes dans un processus évolutionnaire et non révolutionnaire, j'ai aussi noté que les textes sont effectivement applicables de façon différente et permettent certainement d'éviter la politique du fait accompli, ce qui n'a pas toujours été le cas jusqu'à présent. Cependant, je voudrais dire que, bien que les points essentiels des réacteurs soient la sûreté, éviter l'accident, minimiser les rejets et revoir les différents problèmes des aciers pour éviter d'avoir des réacteurs qui ne dureront pas 60 ans, il n'empêche que le réacteur s'insère dans tout un cycle et que le problème des déchets n'a pas du tout été pris en compte dans ce projet EPR.

En particulier, envisager le MOX signifie que l'on ne tient pas compte de la formation des actinides et du plutonium, et donc que l'on n'utilise pas tout ce qui est fait pour tenter de mettre au point des réacteurs qui produisent moins d'actinides et de plutonium.

Dans ces conditions, je suis d'accord, vous êtes évolutionnaires, mais est-ce que ce point sera néanmoins introduit avant de nous trouver assis sur un monceau de déchets dont on ne saura que faire ?

M. ESTEVE - Concernant EPR et la pénétration d'EPR dans un futur parc d'EDF, nous nous sommes déjà livrés à de nombreuses simulations, et ce en attente des résultats des travaux menés dans le cadre de la loi de décembre 1991, et donc des débats parlementaires de 2006, qui nous guideront beaucoup plus sûrement pour tous les problèmes d'aval du cycle et de stockage des déchets.

Nous nous sommes livrés à un certain nombre des simulations, principalement à la continuité de la stratégie actuelle d'EDF en matière d'aval du cycle, que je rappellerai rapidement :

- MOXAGE à 30 % des tranches CP1, CP2, c'est-à-dire des 900 mégawatts,

- égalité des flux, c'est-à-dire retraitement de combustible UO2 de manière à recycler rapidement le plutonium issu de ce retraitement,

- limitation du plutonium dans les verres issus de la vitrification, en aval du retraitement,

- minimisation du volume des déchets utiles.

Nous avons imaginé que cette stratégie se poursuivrait jusqu'en 2015, sachant que c'est un scénario parmi d'autres, et qu'ensuite apparaîtrait l'effet des réacteurs EPR.

Un des scénarios que nous avons étudiés est un EPR moxé à taux faible, environ 15 %, ce qui permet de traiter le MOX en transparence, c'est-à-dire que le MOX n'induit pas de pénalité sur les performances du réacteur EPR. Nous avons également envisagé la possibilité de mettre quelques EPR moxés à 50 %. Ceci fait que, sur un scénario de 400 kilowattheures, on voit que les EPR peuvent être optimisés pour du combustible UO2 jusqu'à environ 2021. Après 2021, si on veut maintenir la politique actuelle de l'aval du cycle, c'est-à-dire le retraitement en gros de 850 tonnes par an de combustible, il faut moxer progressivement les EPR, donc à 15 %, et, à partir de 2025, il faudrait peut-être un ou deux EPR moxés à 50 %. D'où la possibilité de maintenir la politique actuelle grâce à la pénétration des EPR.

Pour tous les problèmes d'aval du cycle et de cycle du combustible, il faut se placer sur la durée ; nous avons poursuivi nos études jusqu'en 2070, c'est-à-dire que nous avons essayé de couvrir un siècle de nucléaire. L'apparition d'un nombre accru d'EPR permet, si nous le souhaitons - mais ce sont les choix issus des orientations des débats parlementaires de 2006 qui nous le diront -, d'adapter notre stratégie en cherchant à réduire le nombre de combustibles et la quantité de combustible UO2 en entreposage jusqu'à un niveau très faible. Cela signifie que nous concentrions le plutonium dans des éléments MOX irradiés qui seraient entreposés en attendant les orientations résultant des besoins énergétiques aux alentours de 2030, 2040.

Tout cela montre qu'EPR semble être un réacteur robuste qui nous permet de garder toute la flexibilité, toutes les souplesses nécessaires pour traiter les problèmes d'aval du cycle.

M. BIRRAUX - Je comprends bien, Monsieur ESTEVE, mais il y avait autre chose dans la question de Madame SENE et, sur ce point, nous n'avons pas de réponse. On peut peut-être se tourner du côté d'IPSN, du CEA ou de FRAMATOME. Est-ce qu'un scénario de coeur entièrement nouveau qui prendrait en charge votre préoccupation première, la réduction des déchets, a été prévu ? Comment peut-on minimiser la production de plutonium ou de produits de fission ou avoir des produits différents ?

Est-ce qu'un coeur complètement différent a été examiné, envisagé, étudié ? Si non, pour quelle raison ?

M. BARRE, Directeur des Réacteurs nucléaires au Commissariat à l'Energie Atomique - En quelques mots, concernant la minimisation des produits de fission, c'est un peu sans espoir parce qu'à un mégawatt donné, vous avez un nombre de fissions donné et, à une fission donnée, vous avez pratiquement la même production de produits de fission.

Concernant la réduction de production de plutonium, celle-ci n'est pas liée irréversiblement à une puissance donnée, mais à la présence à la fois de neutrons et d'uranium 238. Si c'est le plutonium qui est la cible précise, les voies à long terme sont dans les combustibles sans uranium 238. A l'échéance dont nous parlons, d'un déploiement possible des EPR, il ne me paraît pas réaliste d'envisager, au début de leur vie, autre chose que les combustibles qu'on connaît aujourd'hui, c'est-à-dire un uranium légèrement enrichi ou un mélange d'uranium et de plutonium qu'on appelle MOX.

Cela étant, si ce sont des réacteurs destinés à vivre 60 ans, cela signifie que le parc lui-même vivra 80 ans ; il ne faut pas préjuger de l'évolution possible des combustibles dont on sait qu'ils sont renouvelés tous les ans ou tous les deux ans, et qui donc sont susceptibles d'améliorations, voire d'évolutions assez considérables, sans pour autant changer de réacteur.

M. BIRRAUX - J'ai une question complémentaire : est-ce que les hauts taux de combustion envisagés ont conduit à des travaux de R&D spécifiques ou est-ce que la connaissance que vous en aviez était suffisante ?

M. BARRE - Les hauts taux de combustion vont continuer à demander un fond de R&D spécifique, mais pas spécifique d'EPR. Si on les obtient pour EPR, ce sera aussi bien utilisable sur les N4 que sur les 1 300. L'avantage de l'approche évolutionnaire est que les aspects combustibles et cycles sont un peu découplés, et tout ce qu'il sera possible d'améliorer sera applicable à l'ensemble du parc existant et aux EPR.

M. FRESLON , Directeur des Réalisations nucléaires de FRAMATOME - Concernant les hauts taux de combustion, l'approche évolutionnaire permet de bénéficier de la R&D qui est faite pour l'amélioration des combustibles dans les réacteurs existants, et l'atteinte des 60 gigawattjour par tonne, qui a été affichée comme objectif, suppose qu'on a en cours un certain nombre de programmes de R&D, essentiellement pour améliorer les matériaux de gainage et de structures des assemblages, qui sont les principales améliorations nécessaires pour atteindre ce haut taux de combustion. A cette fin, il y aura des assemblages de combustibles avec des nouveaux matériaux de gainage, des nouvelles conceptions de la grille et des structures de l'assemblage qui seront mises dans le réacteur du parc EDF au cours et à la fin de l'année 1998.

M. LAPONCHE - Si mes souvenirs sont exacts, les réacteurs comme ceux à eau lourde et à uranium naturel avaient la propriété d'avoir des grands taux d'irradiation avec une diminution très forte des matières fissiles. Je pense que la réponse de Monsieur BARRE n'est pas tout à fait complète. Est-ce que le fait qu'il faudrait avoir des combustibles irradiés les moins chargés possibles en uranium 235, et surtout en plutonium, n'impliquerait pas une attitude de recherche un peu plus approfondie pour présenter des alternatives, l'une étant les réacteurs à eau ordinaire et uranium enrichi... amélioré, évolutionnaire, l'autre étant de réfléchir à des combustibles conçus pour qu'à la sortie du réacteur, le taux de plutonium soit extrêmement faible, étant donné que les dix ou quinze dernières années, nous ont montré que l'examen de l'évolution du combustible était quelque chose de plus important que ce qu'on pensait au début.

Ceci reposerait la question du type de combustible et, d'une certaine façon, du type de réacteur.

La réponse de Monsieur BARRE est incomplète parce qu'il est vrai qu'ayant fait un EPR qui fonctionne 60 ans, on peut changer le type de combustible, mais on ne peut pas le changer de façon radicale.

D'où ma question : qu'ont donné les études du CEA sur des réacteurs qui prendraient comme point de départ le cycle du combustible le plus simple, ce qui n'est pas le cas des réacteurs à eau ?

M. BARRE - Je ne suis pas sûr de savoir quelle est la définition du "cycle du combustible le plus simple". Ce qui est sûr est que, plus on pousse le taux de combustion, plus on brûle sur place le plutonium que, par ailleurs, on a produit, ou l'uranium 233 qu'on aurait produit si l'on était parti sur un cycle à thorium. Il n'y a pas énormément de matières fertiles possibles, c'est l'uranium ou le thorium. Dans tous les cas de figure, il est vrai que plus on est capable de faire durer le combustible à l'intérieur du réacteur, plus on brûle la matière fissile qu'on a produite sur place tout au cours de l'irradiation par conversion des matières fertiles.

A l'heure actuelle, dans la technologie des réacteurs à eau, il est clair que ce qui limite le plus le maximum d'épuisement possible d'un combustible donné, c'est la tenue des gainages et, plus précisément, la tenue des gainages au cas où ceux-ci seraient soumis à un certain nombre de transitoires hypothétiques accidentels. Ceci parce que le matériau lui-même s'affaiblit progressivement, à la fois par irradiation et par corrosion. La corrosion elle-même présente des aspects d'oxydation et d'hydruration et par ailleurs, petit à petit, la pression interne augmente sous le dégagement des gaz de fission. En plus, la dégradation de la céramique elle-même peut amener celle-ci à entrer en interaction avec la gaine.

L'ensemble de tous ces phénomènes de vieillissement limite actuellement le taux maximum d'irradiation. On pourrait toujours partir de matières un peu plus enrichies et faire une meilleure extraction globale de l'énergie contenue dans le combustible, même au prix d'un certain nombre d'empoisonnements consommables.

M. FRESLON - Monsieur le Président, si vous le permettez, bien que ce ne soit pas l'objet du débat aujourd'hui, je ne voudrais pas tourner la page de ce débat sur l'utilisation du plutonium à long terme ; on en parle depuis plusieurs dizaines d'années sans mentionner les vertus du surgénérateur, dont nous pensons que c'est une option qu'il serait sage de laisser ouverte pour le long terme.

M. BIRRAUX - C'est un autre débat, vous me permettrez de m'en tenir strictement au débat sur l'EPR, sachant que nous engagerons peut-être un jour le débat que vous évoquez.

Bien qu'on ait eu des présentations qui soient communes, c'est-à-dire avec l'accord des parties françaises et allemandes, NPI, FRAMATOME, SIEMENS, EDF, les électriciens, les autorités de sûreté, j'aimerais néanmoins demander à Monsieur BURKLE et ensuite au Docteur FABIAN quelle a été leur démarche. Comment se situent-ils dans cette démarche commune ? En effet, nous étions partis dans un accord FRAMATOME/SIEMENS pour un produit commun destiné à l'exportation, et l'on est passé du produit commun au produit unique.

Comment réagissez-vous à cette affirmation, Messieurs ?

M. BURKLE , Directeur général de SIEMENS - Je vous remercie d'abord de m'offrir l'occasion de prendre la parole devant le Parlement français. Ce n'est pas là une procédure de routine. En ALLEMAGNE, ces auditions existent, bien sûr, mais elles sont relativement routinières et il est exceptionnel que des intervenants étrangers puissent s'exprimer lors de telles auditions. Je vous en remercie donc chaleureusement.

D'ailleurs, le fait que cette possibilité existe est très importante puisque notre projet est commun. FRAMATOME et SIEMENS, en 1989, ont décidé d'un commun accord de créer NPI, filiale à parité de ces deux sociétés, qui a son siège à PARIS. Lorsqu'elles ont décidé de faire de la recherche en commun, cela a constitué à l'époque un pas considérable.

A l'époque, en effet, il n'était pas habituel que de gros producteurs se mettent ensemble pour travailler et faire de la recherche, et il était encore moins évident d'institutionnaliser le processus. Bien sûr, chacun a regardé ce que faisait l'autre et a examiné tout cela d'un oeil très critique, l'avis étant bien sûr, comme dans tous ces genres de processus, que le produit que l'on a soi-même est meilleur que celui du partenaire. C'est ainsi que cela se passe, en général, dans n'importe quelle coopération, et notre début de coopération a été aussi difficile qu'elle peut l'être ailleurs.

L'idée était donc de créer un produit commun qui serait évolutionnaire, qui puisse représenter un développement ultérieur approfondi des solutions techniques adoptées jusque-là. Bien sûr, on aurait pu décider de faire quelque chose non pas d'évolutionnaire mais de révolutionnaire, c'est-à-dire de faire quelque chose de nouveau et de laisser tomber tout ce qui avait été fait jusqu'à présent. A la limite, cela aurait été plus simple. Cependant, nous n'avons pas choisi cette voie mais pris la voie évolutionnaire, c'est-à-dire que nous avons décidé que chacun ferait l'apport de ses connaissances et de ses expériences accumulées.

Bien sûr, lorsqu'on fait quelque chose, il est difficile de faire abstraction de l'expérience qu'on a accumulée ; il est donc clair que l'on fait profiter le projet et les autres de son expérience.

Les caractéristiques de ce projet constituent-elles un bon point de départ ?

Dans un premier temps, la méfiance ou la défiance était de règle, c'était en 1989, je vous le rappelle, et il a fallu un peu de temps pour arriver à un véritable état de confiance mutuelle. Notre coopération, aujourd'hui, est fondamentalement différente de ce qu'elle était en 1989.

Lorsqu'une proposition est avancée, on ne demande plus, avant tout autre chose, s'il s'agit d'un projet ou d'une idée française ou allemande, mais on étudie ce projet et l'on essaie de voir quels en sont les avantages et les inconvénients. On l'examine, on l'analyse en posant des questions très précises et, pas à pas, on en arrive à un développement commun. C'est la coopération à laquelle nous sommes arrivés depuis 1989 ; à la limite, on aurait pu aller plus vite si l'on avait procédé de façon séparée, mais je crois que le caractère particulier de notre projet est que l'on franchisse les particularismes régionaux et nationaux et que l'on arrive à conférer au projet un dynamisme dont on ne peut qu'espérer que, l'année prochaine, il nous permettra de dégager des résultats des travaux entrepris jusqu'à présent, et donc de passer à la réalisation de ce projet. Ce serait en quelque sorte le couronnement de notre coopération.

Ceci est la première perspective de nos travaux. La deuxième est la suivante : le développement du réacteur et les travaux qui l'ont entouré nous ont permis d'en arriver à un point où nous pouvons considérer que nous sommes véritablement des pionniers, nous sommes en avance par rapport au reste du monde. Nous avons accompli un progrès considérable en matière de technique de sûreté de base, à savoir la maîtrise des accidents et la façon de les prévenir. Nous avons réussi à accomplir des progrès énormes, mais nous avons aussi pris en considération la probabilité des accidents graves et nous avons prévu des mesures préventives pour les éviter et, s'ils se produisent, de les contrôler. C'est là quelque chose de tout à fait unique au monde, pour l'instant.

Dans ces deux domaines, la maîtrise de ces accidents et la maîtrise des accidents graves, nous allons très au-delà de ce qui existe dans le monde actuellement. Cela montre bien le caractère unique de notre projet. Nous avons développé un produit, un matériau robuste dont nous pensons, d'ailleurs, que ses caractéristiques d'exploitation sont excellentes et FRAMATOME et SIEMENS, par le biais de NPI, lors de leurs travaux de développement, ont été finalement très fiers de voir les électriciens, donc les exploitants, être gagnés peu à peu par la confiance et adhérer au fur et à mesure à ce projet.

Autrement dit, ce projet est devenu un projet entre quatre partenaires, les électriciens français et allemands d'un côté et les industriels de SIEMENS et FRAMATOME de l'autre. Dans un premier temps, je m'en tiendrai à cela.

M. BIRRAUX - S'agissant de l'adhésion des électriciens, en FRANCE c'est relativement simple puisqu'il y a une seule compagnie d'électricité ; en ALLEMAGNE, en revanche, étant beaucoup plus nombreux, comment avez-vous réussi à vous regrouper et à adhérer collectivement à ce projet ?

Dr FABIAN , Président de Preussen Elektra - Je voudrais d'abord vous remercier de nous avoir donné l'occasion aujourd'hui de participer à cette audition devant le Parlement français. Je ne vais pas répéter ce qui a été dit sur le contenu par Monsieur BURKLE, mais je vais vous dire ce qu'il en est de la situation, du côté de l'exploitant allemand.

Aujourd'hui, nous avons 9 grosses entreprises qui font fonctionner nos centrales nucléaires. 36 % de notre électricité est d'origine nucléaire. Il y a dix ans de cela, notre dernière centrale est entrée en phase d'exploitation et nous nous sommes posé la question de savoir à quoi pourrait ressembler notre approvisionnement ou notre fourniture électrique pour les années à venir.

Je crois qu'il était important, pour nous, de savoir que le nucléaire continuerait de revêtir une grande importance parce que les autres sources d'énergie ne sont pas forcément aussi fiables, et que le nucléaire est également une source d'énergie promise au succès.

Quels moyens faudra-t-il mettre en oeuvre pour le succès de cette nouvelle génération de centrales ?

Les moyens et le point de départ technique sont les deux considérations sur lesquelles nous nous sommes fondés dans notre réflexion et, finalement, cela s'est passé assez simplement. Nous nous étions fixés comme objectif de rallier l'ensemble des exploitants de centrales nucléaires à cette cause ; l'objectif était de maintenir la capacité de faire fonctionner des centrales nucléaires et également de prévoir la possibilité d'en construire de nouvelles, si le besoin s'en ressentait.

Autrement dit, nous voulions pour nos ingénieurs et les ingénieurs de nos producteurs, c'est-à-dire de nos centrales nucléaires, sauvegarder le "know how" permettant de maintenir en fonctionnement les centrales allemandes et d'en construire de nouvelles, si cela s'avérait nécessaire.

C'était l'objectif et, tout comme les industriels et notre partenaire EDF, nous souhaitions adopter une approche évolutionnaire parce que nous sommes d'avis que les meilleurs progrès technologiques reposent, en règle générale, sur les techniques existantes.

Si nous prenons en compte l'ensemble du domaine de l'automobile depuis une centaine d'années environ, le développement de l'automobile s'est poursuivi non par le biais d'approche révolutionnaire mais par le biais d'approche évolutionnaire. Avec la FRANCE, nous faisons fonctionner plus de 70 centrales nucléaires, et l'expérience dont nous disposons est tout à fait considérable. De ce fait, notre coopération s'est avérée très enrichissante grâce, justement, à la mise en commun de ces expériences pour le développement d'un concept en vue d'un nouvel îlot nucléaire.

Nous voulions, bien sûr, encore améliorer les normes de sûreté ainsi que les facilités d'exploitation et de maintenance. Le troisième objectif était pour nous de prendre en considération l'éventualité d'une fusion du coeur et de se pencher plus particulièrement sur la phase de conception, de façon à minimiser les risques internes et externes. Ceci était un élément de réflexion très important dans le cadre du projet EPR.

Nous voulions également augmenter la rentabilité, et ceci par la facilité d'exploitation et de maintenance, par l'amélioration de la radioprotection, par l'amélioration du taux de disponibilité et par l'utilisation de diverses techniques ayant fait leurs preuves ces dix dernières années, par exemple l'utilisation de techniques éprouvées.

Les exigences en matière de sécurité ont joué un rôle très important pour nous. Nous avons essayé de voir quelles étaient nos exigences de base en matière de sûreté en FRANCE et en ALLEMAGNE, celles-ci n'étaient pas forcément redondantes, et nous avons fait une analyse sur une base de probabilité dans le but de parvenir à un niveau uniforme, harmonisé de sécurité.

Cette coopération s'est déroulée d'une façon très positive au cours de ces dernières années. Elle nous a permis de savoir pourquoi le partenariat prenait ou non telle ou telle décision en matière de sécurité. Je crois que ce panel d'expériences de part et d'autre, et sa mise en commun, nous a permis d'enrichir notre collaboration, notre coopération, et que cela continue d'être absolument nécessaire.

Cette année, nous avons l'intention de mener à bien les travaux de conception et ceux sur la rentabilité de cette installation. Nous souhaitons également améliorer les aspects techniques et économiques et mettre à profit le temps qui nous reste jusqu'à la fin de l'année pour voir ce qu'il en est des instances et autorités de sûreté, et obtenir de celles-ci un avis positif sur notre concept. L'année prochaine, il s'agira de voir comment poursuivre nos travaux, mais nous attendons de ce programme EPR, comparé à d'autres programmes alternatifs, qu'il soit véritablement évolutif.

M. BIRRAUX - Docteur FABIAN, pouvez-vous rappeler quel est l'investissement consenti par les électriciens allemands pour le soutien de ce projet ?

Dr FABIAN - La Société SIEMENS et nous-mêmes aurons d'ici la fin de l'année dépensé 220 millions de DM, et cela devrait nous amener au total à 400 millions de DM.

M. COUSIN , Directeur de l'Equipement d'EDF - Après avoir écouté Messieurs BURKLE et FABIAN, je voudrais dire que je partage totalement leur présentation d'ensemble du processus. J'ai le privilège de présider avec le Docteur FABIAN le Comité Directeur du projet EPR ; nous travaillons ensemble depuis près de 8 ans et nous partageons tout ce qui a été dit sur la philosophie du projet.

Un mot pour dire qu'à notre avis, il n'était pas évident que ce processus se déroule ainsi il y a quelques années. Les équipes allemandes et françaises ont travaillé sur des technologies parallèles mais avec parfois des choix techniques différents, et les choses se sont effectivement passées ainsi. Je crois que la présentation technique a permis de voir qu'il s'agissait d'un projet bien né à la fois sur le plan de la philosophie industrielle, de la philosophie de sûreté et sur le plan de son potentiel économique.

M. BIRRAUX - Pouvez-vous dire combien vous mettez au pot commun ?

M. COUSIN - Le principe est le suivant : on partage 50/50 entre partenaires allemand et français. Nous avons avec FRAMATOME une clé de répartition puisque EDF prend en charge deux tiers du montant de l'investissement études au sens strict, FRAMATOME un tiers, plus une part propre d'EDF, de ses propres développements, puisque EDF est exploitant mais participe également à la conception et l'ingénierie. Nous sommes sur un ordre de grandeur de 1 milliard de Francs plus une certaine enveloppe pour l'ensemble du projet.

M. BIRRAUX - J'aurais d'autres questions sur la stratégie un peu plus tard à poser au Docteur FABIAN et à Monsieur BURKLE, mais j'ai des questions également qui m'arrivent, par écrit, sur le plan technique.

Quelles sont les améliorations qui permettent de passer de 40 ans de durée de vie - non encore atteinte aujourd'hui - à 60 ans pour la durée de vie de l'EPR ?

M. BOUTEILLE - Cette augmentation de la durée de vie concerne principalement, sur le plan technique, les structures non remplaçables, donc essentiellement la cuve du réacteur. Un certain nombre de dispositions a été pris sur le projet EPR par rapport au projet antérieur pour, en particulier, réduire le niveau d'irradiation vu par la cuve pendant la totalité de sa durée de vie. Il y a par exemple une augmentation de la lame d'eau qui sépare les assemblages de combustibles périphériques de la paroi de la cuve, ce qui permet de réduire globalement la sollicitation vue par la cuve pendant les 60 ans, à comparer aux 40 ans qui étaient autrefois la référence pour la durée de vie des installations de ce type.

Les structures de génie civil sont également non remplaçables. On ne peut pas dire qu'il y ait d'évolution technique au sens strict pour passer d'une durée de vie de 40 ans à 60 ans mais, sur ce point, il n'y a pas de souci particulier.

L'ensemble des autres composants est conçu pour supporter les sollicitations de la durée de vie mais, pour ces composants, le problème se présente un peu différemment puisqu'ils sont remplaçables. Des dispositions constructives sont donc prises pour faciliter les opérations de remplacement, qui ne sont d'ailleurs pas des opérations exceptionnelles, par exemple pour des générateurs de vapeur, mais qui sont prises à la conception pour que ces points ne posent pas de problèmes particuliers.

M. BIRRAUX - J'ai une autre question. L'augmentation de puissance de 900 à 1 300 mégawatts ne s'est pas traduite par une diminution des coûts. Alors, pourquoi l'EPR recherche-t-il une augmentation de puissance à 1 700 mégawatts, sachant de plus que cette augmentation de la puissance volumique et de la quantité de zircaloy, donc de production d'hydrogène en cas d'accident grave, peut être contradictoire avec la sûreté ?

M. BOUTEILLE - D'abord, le passage du palier 900 mégawatts au palier 1 300 mégawatts n'est pas tout à fait comparable à la situation que nous connaissons aujourd'hui. En effet, entre les deux types de réacteurs 900 et 1 300, il y a une modification de conception importante (nombre de boucles, architecture des systèmes), les deux types de conception étaient assez différents. Il n'y a donc pas eu un effet de réduction de l'investissement spécifique aussi important que ce qui avait été imaginé.

Pour l'EPR, nous sommes dans une situation un peu différente. Nous avons une augmentation de puissance qui est envisagée et réalisée sur un système qui reste à architecture constante, et un certain nombre de composants principaux n'est pas modifié au cours de cette augmentation de puissance. En particulier, la cuve du réacteur et la taille du coeur ne sont pas modifiées.

Si nous pouvons augmenter de façon sensible la puissance, ceci est lié essentiellement au fait que, dans la définition du concept, on avait pris des marges très importantes sur le fonctionnement du coeur. Les études qui avaient été faites au cours de la phase d'avant-projet détaillé ont montré que ces marges étaient très significatives et permettaient d'augmenter la puissance sans modification de la taille du coeur. Il n'y a donc pas d'augmentation de l'inventaire en zircaloy, les seuls composants qu'il faut légèrement augmenter sont les générateurs de vapeur et les pompes primaires, mais dans une gamme relativement restreinte.

M. LECOCQ - J'apporte un complément : lorsqu'on parle d'augmentation de puissance, on ne parle pas que du coeur, il y a tout le reste dans la centrale, sachant que l'ensemble a pour objet de produire de l'électricité ; il y a donc un groupe turbo alternateur quelque part. Ce qui fixe le niveau de puissance d'une centrale vient d'ailleurs plus de l'aval que du coeur lui-même. Ce qui a fixé la puissance de 1 450 mégawatts pour N4 a été ce qu'on était capable de sortir de l'alternateur et non ce qu'on était capable de faire dans le coeur.

En passant de N4 à EPR, nous restons avec des puissances identiques, il n'y a pas d'évolution fondamentale, ce sont les mêmes puissances linéiques sur le combustible dans N4 que dans EPR. L'innovation vient du fait qu'on met 240 assemblages au lieu de 205. La contrainte, pour le 1 300, est qu'on ne disposait pas d'alternateur d'une puissance supérieure capable d'évacuer en un seul turbo alternateur l'énergie produite dans la centrale. Je le répète, ce qui généralement fixe la puissance de la centrale est l'aval, et non le coeur.

Comme je l'ai rappelé tout à l'heure, je rappelle qu'avec N4, nous avons fait un pas extraordinaire au niveau du groupe turbo alternateur. C'est la première fois que nous avons, avec GEC ALSTHOM, un groupe turbo alternateur de 1 450 mégawatts ; c'est une première mondiale. De ce point de vue, avec les marges qui sont contenues, nous n'avons pas détecté de limite industrielle à la conception d'une salle des machines pouvant aller jusqu'à 1 750 mégawatts simplement par légère extrapolation de la turbine qui équipe aujourd'hui le N4.

M. BIRRAUX - Etes-vous sûr que les turbos alternateurs existent, que vous n'aurez pas de problème pour gagner encore 220 mégawatts supplémentaires par rapport au dernier N4 ? Est-on dans les marges ou est-on à la limite ?

M. BOUTEILLE - On n'est pas à la limite des capacités de dessin des machines ; peut-être, d'ailleurs, que Monsieur BURKLE pourra apporter un complément de réponse à cela.

M. BIRRAUX - Ce ne sont pas seulement les dessins qui importent ; après, il faut que cela tourne.

M. BOUTEILLE - Les limites sont les limites de l'outil industriel de réalisation ; nous cherchons à ne pas dépasser les capacités industrielles de réalisation, nous ne voulons pas atteindre des dimensions qui nécessiteraient des investissements industriels trop importants chez nos fournisseurs et qui nous pénaliseraient. Ceci intervient très fortement dans l'analyse de compétitivité du produit.

Quant au mode de réalisation à proprement parler, nous avons ici un fournisseur de turbo machines ; on peut peut-être profiter de la présence de Monsieur BURKLE pour qu'il apporte son point de vue sur ce sujet.

M. BIRRAUX - Avant de donner la parole à Monsieur LACOSTE, qui l'a demandée, qu'allez-vous gagner de plus, hormis le fait que vous allez produire plus d'électricité ?

M. BOUTEILLE - En fait, la réponse n'est pas limitée à la puissance. Pour gagner en compétitivité, on a beaucoup à gagner sur des intérêts intercalaires, ceci est un point important, et donc nous jouons beaucoup sur les délais de réalisation. Je rappelle qu'aujourd'hui, une tranche comme N4 a un planning de réalisation entre 72 et 84 mois, suivant la tranche considérée. Nos objectifs, dans EPR, sont d'atteindre des délais de réalisation compris entre 57 et 60 mois.

Ce qui compte n'est pas uniquement le coût d'investissement mais aussi tout ce qui vient se greffer dessus, à savoir les intérêts intercalaires, les coûts de production. Avec la conception de la centrale en quatre trains, nous pouvons aller vers des conditions de maintenance en exploitation sans avoir à arrêter la centrale. L'augmentation de puissance n'est qu'une contribution aux gains économiques.

M. BIRRAUX - Avez-vous pris en compte une notion qui est celle de la maintenance prédictive, une maintenance "on line", comme ont su le faire les Finlandais qui obtiennent des taux de disponibilité exceptionnels en exploitant un VVER soviétique ?

M. BOUTEILLE - C'est toute la question de votre programme, je pense, concernant la prise en compte du retour d'expérience d'exploitation à la conception. Nous avons mis en place une organisation pour prendre en compte ce retour d'expérience d'exploitation des tranches actuelles, tant françaises qu'allemandes, et nous avons développé un grand projet "CIDEM" (Conception Intégrant la Disponibilité, le retour d'Expérience et la Maintenance).

Ce projet a quatre thèmes d'études fondamentaux :

- la maîtrise et la disponibilité fortuite, la maîtrise et l'indisponibilité programmée,

- la dosimétrie,

- la maintenance préventive,

- le soutien logistique et les coûts associés.

Une première étape dans ce projet consiste, avec nos collègues, à analyser de façon détaillée le retour d'expérience des tranches 1 300 mégawatts françaises et allemandes.

La seconde étape, qui est engagée aujourd'hui, vise à préparer, en collaboration avec les centres d'ingénierie qui conçoivent la tranche, la méthodologie-étude et les outils associés qui permettront l'intégration de ces études "CIDEM" dans le processus général de conception.

Quels sont les apports aujourd'hui de ce retour d'expérience ?

Concernant les tranches françaises, on distingue trois principaux apports :

- une analyse complète du comportement des matériels, de leur performance, a permis de mettre en évidence les principaux contributeurs à la disponibilité fortuite, et donc nous a permis d'orienter les études de fiabilité et de maintien de ces composants ;

- une connaissance détaillée des durées d'arrêt pour rechargement a permis de réorienter la conception du système ou de l'installation générale. L'arrêt d'une tranche peut être considérée comme une situation normale de fonctionnement, et il y a beaucoup à gagner sur les durées d'arrêt des tranches ;

- la connaissance de la dosimétrie collective sur les chantiers de maintenance, en particulier sur les chantiers critiques, grâce aux résultats des examens qu'on connaissait dans le cadre du projet ALARA, nous a permis de mettre en oeuvre un certain nombre de développements en termes de robotisation et de prévision d'installation.

Ceci est le retour d'expérience fondamental des tranches françaises. Le retour d'expérience qui nous vient des tranches allemandes, par l'intermédiaire de nos collègues électriciens, est également riche d'enseignement, en particulier dans le domaine des indisponibilités programmées, où ces centrales obtiennent d'excellents résultats. En particulier, l'architecture en quatre trains des systèmes de sauvegarde apporte une souplesse dans l'organisation des travaux de maintenance et permet d'en faire une bonne partie en temps masqué.

Par ailleurs, nous avons beaucoup appris des électriciens allemands et des concepteurs sur la procédure d'arrêt avec maintien en diphasique des circuits primaires, d'où un gain de temps et un retour d'expérience fort.

Enfin, un certain nombre de retours d'expérience nous vient des conditions d'accessibilité de l'enceinte tranches en puissance. Aujourd'hui, l'exploitation de ce retour d'expérience français/allemand, dans le cadre de ce projet "CIDEM", nous permet d'envisager une meilleure disponibilité des tranches, à l'avenir.

Par ailleurs, nous cherchons à avoir des campagnes longues. Aujourd'hui, la plus grande partie du parc français est à rechargement annuel ; notre objectif, dans EPR, est de viser des campagnes de 24 mois.

M. BIRRAUX - J'ai une question à poser à Monsieur LACOSTE. Comment, dans votre processus interactif franco-allemand, avez-vous réussi à ne pas empiler des considérations de sûreté qui paraissaient bonnes en FRANCE et en ALLEMAGNE pour ne pas alourdir les coûts ?

M. LACOSTE - Je vais intervenir sur les points qui ont été évoqués, à savoir ce que j'appelais tout à l'heure la phase d'optimisation technique. Il me paraît normal que les constructeurs électriciens, à ce stade-ci, se demandent s'ils sont capables d'améliorer la puissance du projet et de diminuer les coûts d'investissement et d'exploitation. Cela me paraît normal et sain parce que, pour une autorité de sûreté, il est préférable d'avoir en face de soi des industriels responsables, compétents et, si possible, prospères. Ce souci me paraît donc bienvenu.

Il nous appartiendra, en particulier à nous, à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine, de vérifier que ces études d'optimisation ne mettent pas en cause les objectifs et la règle de sûreté que nous avons fixés. Il y aura un retour à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine. C'est un point sur lequel je souhaitais intervenir.

Le deuxième point que vous avez évoqué consiste à savoir comment éviter l'empilement des mesures. Le problème se pose sur le plan technique et sur le plan réglementaire. On ne peut y arriver qu'en s'imposant une logique claire et appliquée aussi strictement que possible, qui est de se demander pourquoi on fait ou préconise quelque chose, et de se demander si ce qu'on fait ou préconise vient du fait que c'est bien, ou meilleur, ou simplement qu'on a l'habitude de le préconiser. C'est une gymnastique redoutable. Jusqu'à présent, nous avons à peu près réussi à le faire et cela nous a permis, sauf cas particuliers, d'éviter l'empilement des mesures.

Là où l'on voit bien que le système atteint ses limites, c'est sur des sujets où des considérations non techniques sont prédominantes. Par exemple, nous avons beaucoup de mal à progresser sur les mesures à prendre pour résister aux agressions externes, aux chutes d'avions... A l'évidence, dans chacun des pays, il y a des habitudes, qui ne sont pas du fait des autorités de sûreté mais du fait d'autorités ressemblant peu ou prou au Ministère de l'Intérieur, sur lesquelles il est difficile d'appliquer strictement le mode de raisonnement que nous avons l'habitude d'appliquer en matière nucléaire, et j'ignore comment on évite soit l'empilement, soit la dissociation, mais cela existe.

M. QUENIART - Je voudrais donner un exemple pratique de ce problème franco-allemand que l'on rencontre ; il faut effectivement chercher à ne pas empiler les contraintes. Sur le système d'injection de sécurité, qui est celui permettant de refroidir le coeur en cas de brèche, la première solution proposée par le projet était une solution de type allemand qui ne posait pas, sur les principes, de problèmes fondamentaux aux Français. Cependant, pour des raisons de coûts de développement, de recherche associée, il a été jugé préférable de revenir à une solution de type français.

Ceci a posé un problème à nos amis allemands, qui ont dû mener une instruction pour comprendre comment et pourquoi, dans leur pays, ils pouvaient accepter cette nouvelle solution.

Cela n'a l'air de rien mais a demandé entre un an et dix-huit mois d'instruction, le temps que les organismes, le groupe-projet GRS, fassent divers calculs pour examiner la nouvelle proposition du projet. Il faut savoir que, parallèlement, nous avons fait notre analyse de la proposition du projet, mais celle-ci était plus conforme à notre pratique.

Je pense que nous déboucherons prochainement à un accord.

La séance, suspendue à 11 h 15, est reprise à 11 h 35.

M. BIRRAUX
- Avant de donner la parole à Monsieur MANDIL sur la stratégie énergétique vue par la DGEMP, qui permettra de terminer la matinée et d'introduire un peu le débat de cet après-midi, où nous aurons le Président d'EDF qui ouvrira la séance, peut-on avoir quelques compléments d'informations sur les accidents graves puisque le CEA a mené des recherches relativement importantes dans ce domaine ?

M. BARRE - Je vais dire quelques mots avant de laisser la parole à Monsieur COURTAUD, qui fera l'essentiel de la présentation.

Je voudrais rapidement placer l'ensemble des efforts de recherche en soutien du projet EPR en soulignant que le CEA n'est pas leader ; nous intervenons seulement en soutien des industriels. Le CEA n'est pas seul non plus, l'ensemble de cette recherche fait l'objet d'une coordination franco-allemande, et un rôle symétrique au nôtre est joué par le Centre de Recherche de KARLSRUHE. L'ensemble des recherches menées en soutien d'EPR peut se répartir en trois catégories :

1) Il y a ce que j'appellerais un fond continu de recherche en vue d'affiner les connaissances, de perfectionner les modèles et de qualifier des outils de conception et d'analyse. Ceci est utile à tous les réacteurs à eau pressurisée, le parc actuel et EPR.

Ceci est particulièrement utile à EPR parce que c'est essentiel pour avoir une appréhension réaliste des marges de conception. Il est apparu que cette bonne appréhension des marges était essentielle pour pouvoir concilier sûreté accrue et compétitivité. Dans ce fond continu de recherche, je placerai des recherches sur les matériaux. Le fait de passer de 40 ans de vie technique à 60 ans demande des matériaux plus élaborés.

Enfin, tout ce qui est recherche sur le combustible et le cycle du combustible bénéficie autant aux réacteurs actuels qu'à EPR parce qu'il y a une continuité totale entre le N4 et l'EPR. C'est une R&D de fond très importante qui n'apparaît peut-être pas a priori comme spécifique.

2) Il y a une R&D ciblée sur les caractéristiques spécifiques de l'avant-projet détaillé tel qu'aujourd'hui pour déterminer la validité et les marges de ces caractéristiques, et là, ce sont surtout des éléments liés à la prévention des accidents graves et à la maîtrise de leurs conséquences radiologiques. Ce sera ce qui tournera autour du corium et de l'hydrogène, par exemple.

3) Il y a une R&D qui consiste en l'étude d'options encore plus avancées, non retenues à ce stade du projet, mais qui peuvent être incorporées dans un deuxième sous-palier ou lors d'une mise à niveau, si leur intérêt est avéré.

Monsieur COURTAUD va à présent vous faire une présentation des aspects vraiment spécifiques EPR, et plus précisément des aspects liés aux accidents graves et, si l'on a le temps, je vous proposerai de voir une vidéo illustrant une de ces expériences liées à l'EPR.

M. COURTAUD - Je suis responsable segment au CEA , et je vais d'abord parler de l'organisation de la R&D. En FRANCE, cette R&D est principalement réalisée au CEA dans le cadre d'accord de collaboration avec FRAMATOME et EDF. On a le même schéma en ALLEMAGNE, où l'essentiel de la recherche est fait au Centre de Recherche de Karlsruhe en collaboration avec SIEMENS et les électriciens allemands, cette collaboration étant étendue à des universités et à d'autres industriels dans le cadre de groupement AGIC.

En 1992, le CEA et FZK ont étendu un accord de collaboration, qui existait déjà dans le domaine des RNR, au domaine des réacteurs à eau du futur, et l'on a créé un Comité Directeur et des groupes de travail qui ont pour mission d'harmoniser la recherche, d'échanger les résultats expérimentaux et de confronter nos moyens de calculs et les résultats de ces calculs.

Cette recherche franco-allemande est complétée par des collaborations internationales, tout d'abord au niveau de l'Union Européenne, dans le cadre des troisième, quatrième et, je l'espère, cinquième programme cadre de recherche et de développement. Il y a des accords de collaboration spécifique avec le Centre de Recherche d'Ispra et, au-delà de l'Union Européenne, il y a des collaborations internationales, qui sont menées sous l'égide de l'OCDE, et des collaborations plus bilatérales avec les grands pays qui font du nucléaire, à savoir les ETATS-UNIS, la RUSSIE et le JAPON.

Je passe complètement sur le premier caractère de recherche de fond, que Monsieur BARRE vous a présenté brièvement, pour aller à la R&D qui est plus spécifique à EPR et qui concerne les caractères évolutionnaires d'EPR, qui sont :

- la prise en compte des accidents graves dès la conception et certaines modifications qui ont eu lieu dans la cuve où l'on a supprimé les traversées inférieures.

Si l'on compare la cuve d'un réacteur du parc actuel avec ce qui est projeté pour EPR, on constate qu'il n'y a plus de traversée dans le fond de cuve, ce qui évite de la fragiliser mais modifie complètement l'hydraulique de ce fond de cuve. Il est à noter aussi la présence d'un réflecteur lourd qui doit contribuer à la baisse d'irradiation de la cuve. Il y a eu aussi quelques modifications mineures des systèmes de sauvegarde.

Au point de vue des retombées R&D, il y a eu des études sur l'hydraulique au stade de l'avant-projet ; pour le projet, il faudra réaliser une maquette de cuve complète. Sur le réflecteur lourd, pour le projet, il faudra vraisemblablement faire des tests sur une maquette critique. Quant aux systèmes de sauvegarde, on a pu se contenter de faire des tests sur une installation qui simule les réacteurs du parc actuel et dont les potentialités permettaient de faire les modifications des systèmes de sauvegarde qui avaient été faites pour l'EPR.

J'en viens à présent au problème des accidents graves. Un accident grave résulte d'un défaut de refroidissement du coeur ; il n'y a plus de réaction en chaîne, mais il reste une puissance résiduelle due aux produits de fission et cette puissance résiduelle entraîne la fusion du coeur. Cette fusion s'étale sur une gamme de températures assez large puisqu'on commence par fondre à 800 degrés des barres de contrôle qui contiennent de l'argent, et cela se termine par la fusion de l'oxyde d'uranium à 3 000 degrés avec des matériaux qui interagissent entre eux, entraînant la formation de corium. Au cours de ces réactions, l'une est très importante ; c'est l'oxydation des métaux par l'eau à haute température, qui provoque la formation d'hydrogène.

Nous cherchons la réduction de la fréquence de tels accidents et ceci est obtenu par les redondances et la fiabilité des systèmes de sauvegarde. Par ailleurs, nous recherchons une réduction des rejets, ce qui veut dire que l'enceinte doit rester étanche. Cela conduit à exclure certaines séquences accidentelles, par exemple la fusion du coeur à haute pression (c'est ce que l'on fait en utilisant un système de dépressurisation dédié), et il faut mettre en place un certain nombre de dispositifs de mitigation ; en particulier, il faut empêcher que le corium qui se forme dans la cuve et va la traverser aille sur le radier et s'y enfonce. On crée donc un dispositif que l'on appelle un récupérateur de corium, dans lequel ce produit sera bloqué et refroidi définitivement.

De la même façon, dans l'enceinte se pose le problème d'éviter les explosions et détonations d'hydrogène. On place donc des dispositifs de mitigation, des recombineurs d'hydrogène. Tout ceci nécessite une forte R&D.

Je vais dire quelques mots sur la méthodologie suivie pour ces études sur les accidents graves, une R&D qui dure depuis plus de 20 ans. Cela passe, comme dans toute recherche et développement, par des codes de calcul et des expériences et, dans ce cadre, on a deux sortes de codes de calcul :

- les codes "scénarios" qui sont des codes avec des modélisations très simples qui permettent de faire beaucoup de calculs à coûts limités, et donc de faire des études de sensibilité. Il y a là-dedans des modèles simplifiés et des options utilisateurs et, pour renseigner ces modèles simplifiés, on utilise des "codes zoom", où l'on traite un composant particulier ou un phénomène physique particulier. Ces "codes zoom" sont adossés à des expériences elles-mêmes qui traitent des expériences à effet séparé.

Tout ce système de codes et d'expériences est itératif et évolutif, et marche depuis des années puisqu'on améliore beaucoup la connaissance sur les accidents graves.

Les thèmes de recherche concernent le corium en cuve : on s'intéresse aux possibilités de maintenir ce corium dans la cuve en injectant de l'eau de refroidissement, même dans des conditions tardives. On s'intéresse à la façon dont le corium va attaquer, va percer la cuve, et ces données serviront de condition initiale au problème de la récupération du corium.

Autre thème de recherche : le comportement du corium hors cuve, qui doit conduire à la définition d'un récupérateur. Il y a également un phénomène que nous étudions actuellement, qui est l'interaction corium/eau, laquelle se traduit par une production plus ou moins énergétique de vapeur, dont il faut évaluer les conséquences.

Sur le transparent suivant, on montre les différentes études qui sont faites dans ce cadre corium, sachant qu'il y a, bien sûr, des travaux équivalents et complémentaires en ALLEMAGNE. Je ne parlerai que de l'étalement, qui est le concept de récupération du corium qui a été retenu pour l'EPR. En FRANCE, on développe des codes de calcul plus ou moins sophistiqués qui répondent aux doux noms de THEMA et CROCO, et ces codes sont qualifiés sur des expériences génériques, à savoir :

- CORINE, où on l'étudie l'étalement sur des matériaux simulants,

- VULCANO, qui étudie l'étalement de corium réel.

En ALLEMAGNE, ces études sont complétées parce qu'il y a des expériences en matériaux simulants à haute température, et une expérience qui a plutôt un caractère démonstratif est réalisée à Simpelkamp, où l'on fait étaler 2,5 tonnes de corium.

L'autre champ de recherche concerne l'enceinte. Lors d'un accident grave, l'atmosphère de l'enceinte est composée de l'air initial, de la vapeur qui s'est dégagée dans cette enceinte suite au défaut de refroidissement, et de l'hydrogène produit lors de la fusion du coeur. Il y a deux problèmes à résoudre, dont le premier est d'évacuer la puissance résiduelle à long terme puisque le corium se trouve dans l'enceinte. Dans l'EPR, on a choisi le système d'aspersion et une option alternative a été étudiée, qui se ferait par condenseur.

Le problème qui se pose est qu'il ne faut pas qu'il y ait de détonation globale d'hydrogène, et qu'on soit capable de placer des dispositifs de mitigation, soit des recombineurs, soit des igniteurs, au bon endroit. Pour cela, des études très importantes sont faites, notamment le développement de codes de calculs permettant de calculer la distribution d'hydrogène dans l'enceinte. En FRANCE, on développe le code "TONUS" qui précise la distribution fine d'hydrogène, sa combustion, les détonations et les conséquences que peuvent avoir ces détonations sur l'intégrité de l'enceinte.

Je voudrais terminer par la recherche qui va au-delà du projet EPR actuel, et qui porte sur :

- les combustibles avec de hauts taux de combustion, mais au-delà de 60 000 mégawatts jours par tonne,

- des structures de combustibles qui pourraient mieux retenir les produits de fission,

- des études sur des systèmes de sauvegarde qui soient plus passifs que les systèmes actuels,

- des recherches dans l'automatisation de la conduite, dans l'instrumentation,

- des recherches sur des nouveaux matériaux, des aciers qui tiennent à plus haute température, qui soient moins activables, etc.

Il y a également des recherches pour utiliser des coeurs chargés complètement en combustible MOX. Dans le domaine des accidents graves, on étudie des concepts de récupérateurs alternatifs au projet actuel.

On étudie aussi la possibilité de maintenir le corium en cuve, et ceci peut être obtenu par refroidissement externe et la mise à l'intérieur de la cuve de produits de céramique ou de réfractaire.

On a également des études sur un certain nombre de projets d'enceintes innovatrices et, bien sûr, on s'intéresse aux projets qui sont développés à l'étranger.

En conclusion, je dirai que la base de R&D pour l'EPR est très large et bien organisée parce qu'elle bénéficie de toute la R&D de la filière REP et d'une forte coopération internationale. C'est une R&D qui s'inscrit cependant dans la durée, le temps de réponse de la R&D étant beaucoup plus long que celui d'une réalisation d'un avant-projet.

Des résultats sont certes déjà disponibles pour les choix d'option, mais la totalité des résultats sera disponible seulement pour confirmation et optimisation au cours des phases suivantes.

Je conclurai en disant que la recherche est indispensable pour préparer l'avenir.

M. QUENIART - Je ferai un commentaire. Il est très important pour l'appui technique d'avoir une recherche autonome pour apprécier les solutions techniques ou pour promouvoir de nouvelles solutions. Il y a des R&D accidents graves lancées par le CEA, d'autres financées par l'IPSN, mais les liens sont faits de façon à ce que ces R&D soient complémentaires et non redondantes.

Par exemple, concernant les recombineurs d'hydrogène, qui sont la solution de base retenue pour le projet EPR pour éviter les détonations d'hydrogène et recombiner l'hydrogène au cours d'un processus d'accident grave, ils ont été essentiellement développés en ALLEMAGNE, jusqu'à présent. Beaucoup d'expérimentations ont été faites en ALLEMAGNE mais nous conservions des doutes, notamment quant à leur efficacité.

En effet, lors d'accidents graves, des produits de fission se dégagent et certains peuvent venir empoisonner le catalyseur qui sert à recombiner l'hydrogène. Nous avons donc monté des expériences sur un programme propre, qui visent à vérifier l'efficacité des recombineurs dans les conditions d'un accident grave. EDF participe, et les résultats préliminaires obtenus ont plutôt montré leur efficacité, mais il faudra les exploiter complètement. Nous envisageons, pour être plus réalistes, d'ajouter dans une des expérimentations de Phébus un bureau type recombineur de matériaux catalytiques, qui sont de véritables produits de fission dégagés en cours d'expérimentation, pour avoir une dernière vérification.

Mme RIVASI , Députée - Je me félicite de cette coopération franco-allemande parce qu'un certain nombre de problèmes avaient été posés en cas d'accident nucléaire, et je me souviens d'un rapport qu'avait fait Monsieur RAUSCH posant la question d'un d'accident qui provoquerait la rupture de la cuve, notamment de l'enceinte, et ce problème de l'hydrogène était soulevé.

Le discours tenu à l'époque consistait à dire que cela ne pouvait pas fonctionner et il avait été demandé à ce que des recombineurs d'hydrogène soient mis au niveau des réacteurs. Je suis donc ravie aujourd'hui que ce problème soit soulevé, que celui-ci enclenche des recherches et des développements. Cependant, je pose la question suivante : si l'on arrive à mettre au point ces éléments, pourrait-on faire ce transfert sur nos réacteurs actuels, nos REP ?

Il est bien de faire cette recherche dans le cas de l'EPR, mais un accident nucléaire peut aussi bien arriver aujourd'hui ; est-ce que ce transfert de technologies pourrait se faire sur nos réacteurs actuels ?

M. QUENIART - La réponse est oui.

M. BIRRAUX - J'ajoute que, sur le rapport RAUSCH, les recombineurs d'hydrogène avaient reçu les bénédictions, au sens le plus littéral du terme, de l'expert qui avait conseillé Monsieur RAUSCH fort de ces bénédictions, la R&D a pu progresser.

( Présentation d'un film )

Mme SENE - Je suis très sensible au fait que des R&D soient faites, sauf que les plans de l'EPR sont quand même très avancés et qu'en conséquence, compte tenu d'un certain nombre de problèmes qui sont apparus avec les R&D et d'expériences montrant que, par exemple, le dégazage d'hydrogène est plus important que ce que l'on avait prévu dans les calculs, que la température de début de fusion d'un coeur est en fait plus basse que prévue, que le taux de rétention des produits de fission dans le circuit primaire est plus faible que prévu, les calculs qu'on avait mis en place doivent en fait être repris.

En conséquence, si l'on fait reposer l'EPR sur les calculs précédents, on aura manifestement des sous-évaluations, des résultats qui ne seront pas exacts. Il me paraît donc prématuré de dire :

1) qu'on va mettre des recombineurs. Lesquels ?

2) qu'on va avoir une baisse des produits de fission. De combien ?

Cependant, la R&D est tout de même très intéressante, on l'a faite pour les réacteurs actuels et on en connaît les limites. On sait que l'on peut changer les combustibles, dans une certaine mesure, on sait aussi que l'on peut mettre des MOX, mais dans une certaine limite. Donc, dans tous les cas de figure, mon avis est qu'on va un peu vite. Ce qu'on a vu de l'aval du cycle avec les problèmes graves d'actinides, de plutonium, aurait dû faire que l'on pouvait essayer de faire des réacteurs à réseau différent et en avoir moins ; on n'a pas choisi cette option.

Je vous rappelle que dans toutes les études que l'on fait, et en particulier lorsque l'on cherche à savoir, lorsque l'on va faire des réacteurs dédiés, des actinides..., pour le moment le résultat générique est qu'il faut plus d'énergie pour les détruire que pour les avoir formés, ce qui quand même pose des problèmes.

M. BARRE - Une partie des résultats qu'a évoqués Madame SENE sont les résultats des expériences Phébus menées par l'IPSN, mais je voudrais préciser que nous menons la R&D en parallèle avec le projet. Par exemple, l'expérience VULCANO que nous vous avons montrée, qui date de décembre, prenait déjà en compte un dessin du récupérateur qui n'était pas le dessin initial mais qui avait été amélioré entre-temps, y compris par l'introduction de béton sacrificiel qui a changé la composition du corium. Les choses se mènent donc en parallèle et il y a une très forte interaction entre la R&D et le projet avec, il est vrai, une différence de dynamique des deux choses qu'il faut ajuster et qui n'est pas forcément très simple.

Par rapport à ce qu'a dit Madame SENE, je voudrais souligner que tout ce que nous faisons a pour objet d'ajouter encore de la sûreté aux réacteurs existants, laquelle était déjà satisfaisante. Peut-être sommes-nous toujours en train de faire la course avec le projet pour qualifier les solutions d'EPR mais, en tout état de cause, ce sont des solutions meilleures que l'existant ; il faut garder cela en mémoire.

M. QUENIART - Je voulais compléter sur l'interaction entre l'exploitant - ou le projet - et la R&D à l'origine, et donc sur un dialogue entre les propositions du projet et les discussions avec les organismes de sûreté.

Monsieur BARRE a mentionné que le concept de récupérateur a déjà été modifié depuis le début du projet, et les recommandations qui sont faites par GPR/RSK et approuvées par la DFD sont en fait progressives. Autrement dit, sur le sujet de l'étalement du corium, il a été dit dans un premier temps que le concept avec une chambre d'étalement, vu l'état des connaissances, était a priori le type de concept qu'il fallait rechercher. Cependant, rien n'a été dit, dans un premier temps, dans les recommandations de 1995, sur un concept précis.

Le concept présenté a été reconnu comme valable sur le plan des principes ; il reste bien entendu à le démontrer, et ceci n'est pas simple parce qu'on a vu une expérience où le corium a le bon goût de s'étaler facilement sur toute la chambre d'étalement.

On peut imaginer, parce que les conditions de début de l'accident et la traversée de la cuve ne sont pas uniques, des cas où il y aurait des déversements successifs, des possibilités de gel d'une partie de corium qui, éventuellement, se reliquéfierait au contact d'une arrivée suivante de corium. Il y a de toute façon un certain nombre d'études de sensibilité à faire.

Cependant, le type de solution est reconnu comme valable tout en demandant par ailleurs au projet de bien vouloir regarder d'autres concepts et ne pas perdre de vue que certains d'entre eux peuvent s'inscrire dans la géométrie du projet.

M. BIRRAUX - J'ai envie de demander à Monsieur BOUTEILLE ou à Monsieur LECOCQ comment est fait l'arbitrage entre ce qui leur arrive de la R&D et les concepts qu'ils avaient d'ores et déjà élaborés, et s'ils sont susceptibles de modifications ; comment sont-ils intégrés ?

M. LECOCQ - Il y a des dispositions qui sont prises dès la conception pour prévenir ces accidents graves et, dans l'EPR, il y a des points importants, de ce point de vue, pour repousser à des probabilités extrêmement faibles ces accidents. Je vous rappelle qu'ont été prises en compte les défaillances multiples, ce qui n'était pas le cas antérieurement. Ont été mises en oeuvre des redondances, on a diversifié un certain nombre de matériels, notamment le renforcement des sources. Il faut voir quel est l'événement initiateur qui pourrait provoquer un accident grave, et donc jouer autant sur la prévention que sur les conséquences.

On a augmenté les matériels dédiés spécialement au traitement des accidents graves, on a amélioré la prévention des erreurs humaines, on a pris en compte les défaillances multiples et la perte complète de tous les systèmes redondants.

L'objectif est que tout reste confiné dans le bâtiment réacteur ; on a pris en compte cela en augmentant la pression de dimensionnement du confinement, en mettant en place des dispositifs de recueil du corium fondu. L'objet est maintenant de préciser la géométrie la plus optimale pour ce dispositif, et il est d'ores et déjà prévu. On pourra dans le projet détaillé améliorer tous ces points.

En matière de mitigation, le deuxième aspect des conséquences d'accidents graves, a été mis en place un circuit nouveau, dédié à la protection de l'enceinte et qui permet d'évacuer l'énergie résiduelle ; on a augmenté le volume et la pression de l'enceinte. On envisage de mettre en place des recombineurs et des inhibiteurs, comme cela a été dit précédemment.

Si, néanmoins, il devait y avoir des fissurations de l'enceinte, on ferait tout ce qu'il faut pour qu'il n'y ait aucune traversée de l'enceinte qui débouche sur l'extérieur, mais uniquement dans les bâtiments environnants. Il a été mis en place une conception qui évite tous les bipasses d'enceinte vers les circuits secondaires ; nous faisons en effet la chasse aux bipasses d'enceinte, en cas d'accident.

Je suis conscient de ne pas avoir totalement répondu à la question posée, mais il faut voir que nous avons déjà pris en considération tellement de choses dans ce domaine, dès la conception.

Quant à la question de savoir si la R&D est de nature à modifier profondément le concept de récupération du coeur, nous avançons en tenant compte progressivement des résultats obtenus et, en tant que de besoin, nous modifions le projet dans ce sens.

M. THIERRY - J'ai entendu un chiffre global de 1 milliard pour la recherche, tout à l'heure, et je n'ai pas compris s'il s'agissait simplement de la contribution d'EDF et FRAMATOME ou s'il était tenu compte des différents projets IPSN et CEA. S'agit-il d'un financement à fonds publics ou privés ?

M. COUSIN - Le milliard dont on parle est le montant des contrats qui ont été conclus avec NPI, SIEMENS et FRAMATOME et dont une partie est supportée par les électriciens, et une partie par les industriels.

Cela n'inclut ni les développements complémentaires faits par EDF ni l'ensemble de ce flux de développement qui est continu. Ceci n'est absolument pas comptabilisé là ; une partie de ces développements concernent à la fois les projets futurs et l'ensemble du parc existant. Le milliard est donc extrêmement limitatif, c'est un travail de conception et d'ingénierie ; ce n'est pas l'enveloppe globale.

M. BIRRAUX - Est-ce que Monsieur MANDIL peut nous faire une présentation sur la prospective énergétique, parce qu'on examine les aspects techniques et technologiques du projet EPR, mais celui-ci doit s'inscrire dans une stratégie globale et dans une prospective énergétique pour que nous arrivions à en cerner les paramètres. Quand faut-il choisir d'en construire un ? Faut-il en construire un ? Pour répondre à quels objectifs ?

M. MANDIL , Directeur Général de l'Energie et des Matières Premières - Je vais donner quelques éléments, sachant que ceux-ci alimenteront le débat de cet après-midi. Je me bornerai à la responsabilité qui est la mienne, c'est-à-dire le domaine de la politique énergétique, je n'interférerai ni dans les responsabilités des autorités de sûreté ni dans celles des industriels.

De mon point de vue, la coopération qui s'est instaurée entre les équipes allemandes et françaises, aussi bien dans le domaine scientifique que dans le domaine industriel, avec les autorités de sûreté et les producteurs d'électricité, a été exemplaire et aboutit réellement à un projet extrêmement intelligent, intéressant et attractif. Il y a beaucoup à se féliciter de la façon dont le travail a été effectué au cours des dernières années.

Le résultat est que nous allons pouvoir bientôt passer des études de conception à des études de réalisation d'un projet, et la question qui se pose est : quel projet ?

Il y a plusieurs cas de figure, il faut sérier les problèmes, et je voudrais d'abord parler de la situation française, qui est naturellement celle que je connais le mieux et que je peux le mieux anticiper. La situation française, telle que nous la percevons, est la suivante :

Actuellement, il y a en FRANCE un excédent de capacité de production en base d'environ 5 à 6 gigawatts, c'est-à-dire de l'ordre de quatre tranches. Cela ne veut pas dire que ces tranches sont arrêtées mais que des tranches qui devraient fonctionner en base fonctionnent en semi-base, ou qu'elles ne fonctionnent pas autant qu'elles le devraient.

Compte tenu d'un certain nombre d'événements, dans le détail desquels je n'entrerai pas, mais qui sont à l'esprit des personnes ici présentes, compte tenu des nouveaux entrants qui vont se manifester dans le cadre de la suppression de certains monopoles d'électricité de FRANCE, on peut estimer, en faisant abstraction pour l'instant du problème de la fermeture éventuelle des tranches les plus anciennes, que cette surcapacité devrait être résorbée vers 2020.

Je voudrais tout de suite atténuer ce propos en disant que, bien que 2020 ne soit pas très éloigné et que 2005 soit proche, même à ces horizons, nous avons une marge d'incertitude qui est importante parce qu'elle joue sur des différences. En effet, il y a un parc de 58 réacteurs et l'excédent de 4 à 5 réacteurs est une différence notable, c'est-à-dire qu'en 2005, les perceptives de consommation sont déjà à plus ou moins 2 réacteurs, en 2015 elles seront à plus ou moins 5 réacteurs, si bien que, même pour des horizons rapprochés, lorsque je dis qu'il y a une surcapacité qui va se résorber en 2020, c'est avec plus ou moins quelque chose.

Cependant, cela veut quand même dire que les besoins d'investissement éventuels dans de nouvelles unités électronucléaires se manifesteront plus vraisemblablement d'abord à l'occasion du renouvellement du parc, c'est-à-dire à l'occasion de l'événement constitué par le déclassement des tranches les plus anciennes. Là, en plus de la question de la date, sur laquelle je reviendrai, se posent deux autres questions dont la première est de nature économique. Est-ce qu'à ce moment, compte tenu de l'ouverture du marché, compte tenu de la mise en concurrence à la production, l'EPR sera compétitif par rapport à d'autres modes de production en base ?

Tout le monde pense essentiellement aux turbines à gaz ainsi qu'au combiné, mais il peut y avoir d'autres possibilités. Cependant, ce n'est pas aujourd'hui qu'on peut donner une réponse définitive. On peut simplement dire que, si les chiffres qui ont été évoqués ce matin sont tenus, on a toutes les raisons de penser que l'EPR sera compétitif par rapport à d'autres modes de production. Cela dit, il n'y a pas une marge de compétitivité telle qu'il faille relâcher les efforts.

La deuxième question est de nature politique.

Est-ce que le gouvernement de l'époque, est-ce que le parlement de l'époque, est-ce que l'opinion publique de l'époque considéreront qu'il convient de remplacer du nucléaire par du nucléaire ou non ?

Là encore, il est exclu de répondre à la question aujourd'hui, celle-ci se posera plus tard. La seule chose que je puisse dire est quelles sont les instructions que le gouvernement d'aujourd'hui donne à ses fonctionnaires ; celles-ci consistent à faire en sorte que tous les choix soient possibles. Laissons les options ouvertes, et préparons-nous notamment à ce que l'option nucléaire puisse être approuvée le moment venu.

Reste à savoir quand !

La date dépend largement des décisions qui seront prises par les autorités de sûreté sur la durée de vie des réacteurs actuels. Je rappelle simplement, pour fixer les idées, que le premier réacteur à eau pressurisée actuellement en fonctionnement a été mis en service en 1977, c'est-à-dire qu'en 2007, cela fera 30 ans. Fonctionnera-t-il 30 ans ? S'il doit fonctionner 30 ans, il faudra le fermer en 2007.

Si les autorités de sûreté - et elles seront les seules responsables de cela - décident qu'on peut prolonger la durée de vie de ces réacteurs et la porter à 40 ans, cela renvoie le problème à 2017, et il faudra s'en réjouir ; je comprends que cela posera des problèmes aux industriels, mais ce sera néanmoins une bonne nouvelle que la durée de vie des réacteurs actuels soit portée à 40 ans. En effet, cela voudra dire que la collectivité nationale bénéficiera d'une productivité de son outil de production d'électricité bien plus élevée que prévue.

Voilà où nous en sommes pour ce qui est du paysage français. Si Fessenheim I s'arrête en 2007, compte tenu de la surcapacité, il n'y a pas de raison économique de le remplacer ; s'il s'arrête en 2017, cela tombera à un moment où, la surcapacité étant proche de la résorption, son remplacement sera nécessaire.

Je voudrais dire quelques mots rapides sur le "hors FRANCE". "Hors FRANCE", c'est d'abord l'ALLEMAGNE. S'agissant de l'ALLEMAGNE, je n'ai aucune qualité pour aborder le problème des décisions politiques, d'autant qu'il y a de hauts responsables allemands qui seraient beaucoup plus capables que moi de parler de la situation en ALLEMAGNE. Je peux simplement dire que, du point de vue français, il y aurait du sens économique, industriel et environnemental à reprendre rapidement un programme nucléaire en ALLEMAGNE, ne serait-ce que parce que celui-ci faciliterait à nos amis allemands la conformité aux engagements d'émission de gaz effet de serre.

Y a-t-il ou non une volonté politique qu'il en soit ainsi en ALLEMAGNE ? Je ne dirai pas un mot là-dessus parce que ce n'est pas à moi de le dire.

Actuellement, il est clair que la réponse est négative. Aujourd'hui, il n'y a pas de possibilité politique qu'un programme nucléaire soit repris en ALLEMAGNE. C'est pourquoi il me semble indispensable qu'on envisage sérieusement, pour le succès du programme EPR, la grande exportation, c'est-à-dire en dehors des pays de départ : la FRANCE et l'ALLEMAGNE.

Je crois que, de ce point de vue, l'alliance franco-allemande telle qu'elle a fonctionné jusqu'à présent dans ce domaine est un élément extrêmement positif qui doit être exploité par les industriels, les électriciens, de façon à proposer, dès que ce sera possible, le produit EPR à des clients dans des pays qui en ont besoin ou qui en ont envie.

Il reste une question qui me ramène à la FRANCE. Peut-on envisager en FRANCE d'accélérer le processus, d'anticiper la construction d'une unité, d'une tranche, à la fois pour entretenir la compétence industrielle et technologique et pour disposer d'une vitrine, l'idée communément admise étant qu'on a des difficultés à vendre à l'extérieur un réacteur qu'on n'aurait pas commencé par construire chez soi.

Je tiens à dire que, si je perçois toute la valeur de ce deuxième argument, je ne suis pas encore convaincu que ce soit un argument à 100 %. Je constate que - à moins de me tromper - c'est un argument qui ne dispense pas certains constructeurs américains de proposer à la vente des modèles qui ne sont pas construits aux ETATS-UNIS, ceci pour la raison qu'il y a longtemps qu'on ne construit plus de centrales aux ETATS-UNIS.

Certes, ce serait un argument supplémentaire à la vente, je ne suis pas sûr qu'il faille en faire absolument un dogme. Cela dit, à la question de savoir si c'est envisageable, cela répond à des considérations de nature politique sur lesquelles je ne reviendrai pas ; techniquement et économiquement, cela pose deux problèmes :

1) comme c'est une anticipation , c'est un coût. Quel sera ce coût ? Par qui sera-t-il supporté ?

C'est un coût qui peut avoir des justifications économiques tout à fait raisonnables. Le fait que ce soit coûteux n'est pas une raison pour ne pas le faire. On peut très bien imaginer qu'EDF considère comme nécessaire, pour la maintenance de son parc actuel et pour l'avenir à long terme de son parc, de maintenir à un niveau très élevé la compétence technique et la compétence industrielle à la fois chez EDF et chez le constructeur FRAMATOME, et que cela justifie, du point de vue économique d'EDF, l'anticipation d'une tranche.

2) Est-ce imaginable dans le cadre de la nouvelle directive sur le marché de l'électricité, qui prévoit des procédures de mise en concurrence sur les moyens de production ?

Sur ce point, notre impression est que la directive elle-même le permet tout à fait, je suis ouvert dans ce domaine. Il appartiendra au gouvernement de proposer les textes de transposition, lois et décrets. Actuellement, nous nous en préoccupons et le gouvernement a lancé une consultation publique sur le sujet. Le parlement aura à se prononcer sur la loi de transposition, vraisemblablement à l'automne, si le programme de travail que nous avons en tête est approuvé, et c'est à ce moment que nous saurons si les textes législatifs et réglementaires de droit français permettront ce genre d'anticipation. Personnellement, je pense que oui.

C'est une décision qui est envisageable et qui sera une décision politique à prendre dans les deux ou trois ans à venir.

Ce sont plus des pistes de réflexion que des réponses ; cela dit, je suis prêt à participer au débat qui va s'ensuivre.

M. BIRRAUX - Merci. J'ouvre une petite parenthèse ; il me semble que pour la traduction des directives dans le domaine de la concurrence, on va plus vite que pour la traduction des directives dans le domaine de la radioprotection. S'il vous reste un peu d'énergie, en bout de course, peut-être pourriez-vous faire en sorte que vos collègues de la santé s'agitent un peu plus vite. Je referme la parenthèse.

Est-ce que Monsieur BURKLE ou le Docteur FABIAN peuvent nous donner leur perception sur l'évolution énergétique. On a bien compris quelles étaient les difficultés de la prospective en République Fédérale puisque le consensus politique n'a pas pu être réalisé sur cette prospective, même si la loi fondamentale nucléaire a déjà été ratifiée par le Bundestag, me semble-t-il, ce qui est tout de même un signe d'évolution.

Je rappelle qu'à l'automne 1996, j'avais eu l'occasion de rencontrer le Conseiller auprès du Chancelier pour les problèmes industriels et énergétique, et qu'il avait fortement insisté pour que l'option nucléaire demeure une option ouverte en République Fédérale.

Comment analysez-vous la prospective énergétique en liaison avec les engagements de KYOTO et des engagements pris pour réduire l'émission de gaz effet de serre ?

Dr FABIAN - En ce qui concerne vos remarques dans le domaine de la politique, je ne peux que vous dire que je suis d'accord.

On peut caractériser la situation de la façon suivante : aujourd'hui, en République Fédérale d'ALLEMAGNE, nous avons plusieurs milliers de mégawatts en capacité de centrales. La situation est donc relativement similaire à celle de la FRANCE. Cette réserve n'a pas toujours été à ce niveau parce que notre système allemand, fixant les règles de fonctionnement du réseau, se basait sur une philosophie différente, en matière de gestion des réserves. Cette philosophie s'est vue modifiée avec le temps, dans la mesure où l'importance de ces réserves a été légèrement augmentée.

A l'époque, chaque entreprise devait prendre les mesures utiles pour avoir les réserves nécessaires et répondre aux besoins d'approvisionnement. C'est une exigence qui continue de valoir aujourd'hui mais, aujourd'hui, il y a une coopération beaucoup plus large entre les entreprises. Nous avons conclu des accords sur une constitution de réserves communes sachant que la constitution, la garantie de réserves ne va pas au-delà de ce qui était exigé à l'époque. Cependant, comme elle se fait de façon commune, nous pouvons réduire les exigences, et donc réduire les niveaux.

Il faut savoir aussi qu'à l'heure actuelle, 30 % des centrales allemandes ont plus de 25 ans, et 30 % ont entre 20 et 25 années d'existence. Dans les 10 ou 15 ans à venir, nous devrons arrêter les centrales les plus âgées. Nous avons constaté, au sein du réseau, que le besoin de puissance entre aujourd'hui et l'an 2010 devrait être, en chiffre net, de 7 000 mégawatts.

La question qui se pose est la suivante : comment ces 7 000 mégawatts pourront-ils être couverts ?

L'avis des électriciens est le suivant : l'idée - cette idée a fait ses preuves - serait d'avoir un mélange, donc une source d'énergie mixte. Il y a évidemment la houille et le gaz, mais nous ne pouvons pas compter exclusivement sur ces sources d'énergie. De ce fait, les pronostics sur les ressources en matière de houille et de gaz sont plutôt positifs, on les a même révisés à la hausse, mais le passé a montré qu'il fallait être prudent dans la gestion de ces sources d'énergie.

Nous avons construit beaucoup de centrales fonctionnant au gaz ces dernières années mais nous avons constaté, au fil du temps, que nous ne pouvions pas toutes les utiliser dans la mesure prévue à l'origine. Autrement dit, à long terme, nous ne pouvons pas nous fonder exclusivement sur le gaz comme source d'énergie.

Aujourd'hui, les centrales graphite-gaz fonctionnent avec des coûts d'exploitation bien inférieurs à ceux d'une centrale type EPR, à savoir 20 à 25 % moins cher. Nous pensons que nous ne pourrons pas rattraper cet avantage du graphite-gaz. Beaucoup d'entreprises qui ne pensent pas de la même façon que nous - je pense à la GRANDE-BRETAGNE et aux ETATS-UNIS - construisent des centrales graphite-gaz parce qu'elles coûtent moins cher. Or, en ALLEMAGNE, et c'est vrai pour la majeure partie des électriciens allemands, nous pensons que nous ne devons pas renoncer au nucléaire, que ce soit pour des raisons économiques ou écologiques.

En 1972, en effet, nous avons construit la centrale de STADEL, c'est l'une de nos plus anciennes centrales. Or la durée de vie technique et économique des centrales de cette génération touchera à sa fin en 2010- 2015. Dans les processus de certification, nous n'avons pas de limite de durée de vie technique ou économique, mais nous partons de l'idée qu'il existe une limite de durée de vie d'environ 40 ans en règle générale. Autrement dit, nos planifications se font sur une durée de vie de cette ampleur. Les anciennes centrales devront donc être remplacées par des nouvelles dès 2010 ou 2015.

Nous essayons donc de calculer le temps dont nous avons besoin entre la planification et les premières expériences avec un EPR. Si l'on fait ces calculs, il faut compter environ une douzaine d'années ; la planification prend 3 ans, l'autorisation prend 3 ans, la construction 5 ans et, si nous voulons l'exploitation, il faut environ 2 ans. Cela signifie clairement qu'il va être bientôt temps de prendre une décision. Un rallongement de la durée de vie des centrales pourrait être envisagé. Il n'y a, a priori, pas d'obstacle.

Il a été posé la question de la protection de l'environnement et il a été question, aussi, des objectifs de Kyoto. En République Fédérale d'ALLEMAGNE, nous nous sommes engagés, lors de la Conférence de Kyoto, à réduire également les émissions de CO2. Selon nous, il n'y a aucune possibilité de baisser davantage ce niveau de CO2 sans prévoir des centrales nucléaires supplémentaires.

La réduction des émissions de CO2 est un engagement qui ne permet pas de renoncer à l'option nucléaire. Autrement dit, nous aurons besoin d'îlots nucléaires si nous voulons pénétrer le marché étranger. Celui-ci n'est pas immense mais, si l'on regarde ce qui se passe dans d'autres parties du monde telles que la RUSSIE ou les pays d'EUROPE de l'Est, je crois qu'en fait, il existe pour nous des possibilités de marché et il conviendrait d'y réfléchir pour pouvoir prendre pied sur ce marché. En RUSSIE, dans 10 ans, 80 000 mégawatts auront dépassé les 25 ans de durée de vie et devront être remplacés. Il y a donc des opportunités.

Nous pensons également que, pour des raisons de protection de l'environnement, le nucléaire doit être maintenu comme option et également comme réalité. Nous pensons que, dans le monde de l'avenir, on continuera d'avoir besoin du nucléaire. Il y a bien sûr la concurrence. Il a été dit tout à l'heure que la concurrence posait problème, il est clair que les électriciens allemands sont en concurrence les uns avec les autres et le sont également avec l'Electricité de FRANCE. C'est une concurrence qui existe, ce n'est pas une fiction.

Cependant, nous pensons que la concurrence n'est pas un obstacle à la construction d'un EPR. En effet, il y a toute une chaîne de valeur ajoutée apportée par chacun des acteurs et nous pensons, en ALLEMAGNE, que la construction d'une centrale n'est pas forcément contradictoire avec la concurrence. On peut tout à fait optimiser la production en ayant une approche plus marketing du client sur le marché.

Le gouvernement fédéral s'est exprimé en faveur de l'énergie nucléaire, car nous avons renouvelé notre loi fondamentale sur l'énergie nucléaire. Nous saluons cet avis favorable du gouvernement à l'énergie nucléaire.

M. BURKLE - Je vais essayer de m'exprimer aussi brièvement que possible. Ce matin, je vous ai dit combien la coopération entre nous avait été difficile au début et combien elle est excellente aujourd'hui, à tel point que nous pouvons envisager la mise en oeuvre pratique, c'est-à-dire la construction d'une installation commune.

Il est clair que, pour l'instant, nous ne disposons d'aucun crédit, ne serait-ce qu'au niveau purement économique et financier, mais je suis convaincu que l'énergie nucléaire jouera un jour un rôle essentiel - c'est déjà le cas aujourd'hui dans certains pays comme la CHINE ou le JAPON - ; autrement dit, nous voyons là notre opinion confirmée.

Les installations produisant de l'électricité ne se sont pas limitées à poursuivre les développements de l'énergie nucléaire. Au contraire, puisqu'en fait, ce qui nous rapporte le plus aujourd'hui est la vente de systèmes combinés gaz, mais nous pensons que le domaine nucléaire ne doit pas pour autant être perdu de vue et qu'il constitue un réservoir de capacité dans l'avenir. Lorsque, plus tard, nos installations existantes seront à la limite de leur durée de vie, elles devront être remplacées par des nouvelles et, alors, nous aurons besoin du nucléaire.

C'est notre façon de voir les choses et c'est notre conviction profonde ; d'ailleurs, c'est ce qui nous a motivés dans nos travaux avec la FRANCE, travaux que nous souhaitons poursuivre avec FRAMATOME. Ceci ne sera possible à long terme que si l'on procède à la construction de ces centrales. On ne peut pas monopoliser et continuer à motiver les ingénieurs pendant des années si on ne leur donne pas la perspective, à terme, d'une mise en pratique de tous ces efforts et de ces travaux.

Le résultat obtenu dans le cadre de ces travaux réalisés en coopération est excellent. A présent, il s'agit de le mettre à exécution dans l'idée, bien sûr, que cela apportera quelque chose, que cela représentera un véritable intérêt pour tout le monde, en EUROPE, en ALLEMAGNE et en FRANCE. Notre idée est de créer une base de référence, grâce à ce projet EPR, qui puisse éveiller l'intérêt de pays étrangers et qui permette de participer aux appels d'offres internationaux pour la construction de nouveaux îlots, de nouvelles centrales nucléaires. Il y a bien sûr aussi le remplacement des centrales existantes arrivant à la fin de leur durée de vie, mais il n'y a pas que cela.

Cela constituera également une base de référence pour de nouvelles missions dans d'autres pays. Il ne faut pas oublier que nous ne pouvons enthousiasmer et motiver nos ingénieurs que si le résultat des efforts qu'ils ont fournis est appelé à être mis en pratique. De toutes les façons, nous ne pourrons pas maintenir les groupes d'experts qui sont constitués actuellement si cette perspective de mise en pratique n'existe pas.

J'aimerais également faire une ou deux remarques dans un contexte qui nous concerne plus directement, nous, SIEMENS. Nous avons dit que nous entamions des négociations avec les Britanniques, que nous essayions d'engager une coopération avec eux. Or, souvent, ces tentatives que nous entreprenons avec les Britanniques sont mal comprises par la FRANCE, notamment. Pourquoi recherchons-nous une telle coopération ?

Cette coopération s'appliquerait à un domaine particulier, qui est celui de la construction ; mais, aujourd'hui, notre tâche essentielle est le développement de l'EPR. Par exemple, nous ne pouvons nous permettre les réacteurs à eau bouillante dans le domaine nucléaire que si nous accomplissons d'autres prestations de service en EUROPE, c'est-à-dire que si nous fournissons des assemblages au marché, que si nous fournissons des prestations d'ingénierie de reconstruction de centrales et cela au plan international, au plan mondial.

Ce sont autant de domaines d'activités qui existent depuis des années et qui ont fonctionné en parallèle avec le projet de développement EPR.

Tous ces travaux d'ingénierie et de construction ont permis de remplir les caisses et ont également permis de poursuivre les travaux avec FRAMATOME, parfois même en concurrence avec FRAMATOME. Autrement dit, le rapport est un peu contrasté avec FRAMATOME, ce qui n'empêche que, dans le cadre du projet EPR, la coopération a été tout à fait excellente et, du côté de SIEMENS, nous espérons, en élargissant nos activités à un autre partenaire sur la base de nos activités existantes, que nous pourrons poursuivre néanmoins les travaux en commun avec FRAMATOME dans la même atmosphère que celle que nous sommes parvenus à établir au fil des années, et nous espérons, le moment venu, mener à bien ce projet.

M. BIRRAUX - Merci, Monsieur BURKLE. Nous reviendrons sur la dernière partie de votre exposé cet après-midi lorsque nous aborderons la stratégie globale des entreprises.

Monsieur HENNENHOFER souhaitait intervenir sur les perspectives énergétiques.

M. HENNENHOFER - Merci, Monsieur le Président. En ALLEMAGNE, je suis responsable de la sécurité des installations nucléaires, de la radioprotection et de la gestion des rejets . J'assume cette fonction au sein du Ministère de l'Environnement et, à ce titre, je peux donc prendre la parole sur la situation de l'énergie nucléaire en ALLEMAGNE.

J'aimerais d'abord souligner le fait que le gouvernement fédéral est de l'avis que, aujourd'hui et à l'avenir également, l'énergie nucléaire joue et jouera un rôle important dans ce que l'on appelle le mélange des sources d'énergie. Le Ministère de l'Environnement pense qu'atteindre les objectifs gouvernementaux fixés ne sera pas possible sans maintenir la proportion d'énergie nucléaire dans la production d'électricité dans notre pays. Jusqu'où pouvons-nous aller ? Nous nous étions fixé 50 %, que nous avons atteints. Ce qui est certain, en tout cas, est qu'une réduction de la proportion de l'énergie nucléaire dans la production d'électricité n'est pas envisageable puisque les autres sources d'énergie ne pourront pas compenser cette baisse.

L'institution en matière d'énergie en ALLEMAGNE est la suivante : il peut y avoir ici ou là des différences de l'ordre du pour cent, nous avons nous aussi, en ALLEMAGNE, des surcapacités, des décisions à prendre sur de nouvelles constructions et cela à l'horizon 2010-2015. Nous sommes de l'avis qu'entre-temps, nous devons sauvegarder la compétence en matière nucléaire en ALLEMAGNE et en FRANCE, et le projet EPR - et d'autres dont nous avons pu parler - constitue un élément important de cet effort.

Cependant, ce projet ne doit pas nous faire perdre de vue les évolutions techniques et technologiques. La technique est en progression constante, elle doit être poussée. Nous avons eu tout à l'heure cet exemple concret de la combustion de l'hydrogène, nous avons posé la question dans le cadre de l'EPR, nous en discutons chez nous en ALLEMAGNE, il y aura une publication à ce sujet. Vous voyez que le développement actuel n'est pas déjà sans répercussions sur les centrales existantes.

Est-il envisageable en ALLEMAGNE, politiquement parlant, de construire de nouvelles centrales nucléaires ?

Les conditions préalables existent puisqu'en 1994, notre loi sur le nucléaire a été révisée et que les conditions ultérieures ont été renforcées. L'EPR répond à ces conditions, mais notre loi doit être de nouveau modifiée. Une majorité s'est dessinée au sein du parlement et cette nouvelle loi prévoit également une procédure permettant une évaluation technique, sans pour autant qu'il y ait une décision de prise quant à la construction d'une unité ou sans que la construction se fasse véritablement au plan national.

Pour l'autorisation d'une centrale nucléaire, les autorités nucléaires concernées doivent bien sûr donner leur accord mais cette nouvelle procédure permet, indépendamment de la construction, de procéder à une évaluation technique au niveau fédéral.

Sans vouloir me lancer dans de grandes spéculations, je voudrais dire qu'il ne faut pas considérer l'ALLEMAGNE d'après ce que vous pouvez voir à l'heure actuelle à la télévision, à savoir des manifestations multiples et variées qui arrivent jusqu'à vous par le biais des médias. Nous pensons que la majeure partie de la population à l'heure actuelle - et cette majorité est de plus en plus importante - est d'avis de ne pas renoncer à l'énergie nucléaire.

Suite à la réunification allemande, on s'est posé la question de savoir si l'on pouvait construire un réacteur type KONVOI. Cela ne s'est pas fait, notamment parce que le paysage énergétique s'est modifié suite à la réunification, mais nous pensons que le projet EPR constitue un préalable important en matière technologique.

On disait ce matin que le projet permettrait également, dans le domaine de la réglementation et de la sûreté, de faire une véritable avancée. Je crois que c'est le cas. En effet, c'est quand même la première fois que deux états, avec une culture qui leur est propre en matière de sûreté nucléaire, se mettent ensemble et définissent ensemble des normes et des critères de sûreté nucléaire. Cela est exceptionnel, tant au plan européen qu'au plan mondial.

Je reprendrai les propos de Monsieur BURKLE, qui parlait ce matin des difficultés qu'on avait pu rencontrer au début de la coopération parce que chacun voyait les choses par le petit bout de sa lorgnette. Pour l'instant, il n'y a pas de besoin énergétique à remplir mais la réalisation d'un tel prototype constituerait néanmoins, selon nous, la prochaine tâche à accomplir et je crois qu'elle devrait se faire sur la même base de partenariat que celle décrite ce matin.

M. BIRRAUX - Je suis chargé de veiller au respect des horaires aussi, si Monsieur COUSIN peut conclure en une minute avant la suspension de la séance...

M. COUSIN - Je prends dix secondes pour dire que, sur l'essentiel, le Président de l'EDF et le Directeur Général s'exprimeront cet après-midi. Sur les 50 secondes restantes, je ferai une modeste remarque d'ingénieur. Il y a une chose que nous savons tous à des degrés divers - et cette question est fondamentale et complexe - c'est que l'industrie nucléaire telle qu'elle a été raisonnablement maîtrisée dans certains pays est le produit d'un tissu industriel technologique de compétence et de savoir-faire extraordinairement difficile à cerner et à maîtriser.

Bien entendu, il ne s'agit pas de dire qu'il faut construire des centrales pour garder la main, on voit que la difficulté vient des sommes mises en jeu. Cependant, il y a un aspect souvent moins présent à l'esprit, qui est celui des dimensions industrielles, pas des industriels de premier rang, c'est-à-dire SIEMENS ou FRAMATOME, qui sont en aval en quelque sorte du processus, mais l'ensemble du tissu industriel qui l'entoure. Il y a là un sujet très complexe. Cet argument est tellement difficile à cerner qu'on ne peut que le présenter sous une forme interrogative.

L'une des intimes convictions que nous avons, c'est que si nous sommes à un certain degré de maturité de maîtrise de technologies, cette maturité ne peut pas être tenue comme étant un acquis irréversible. Il faut bien voir que si un projet EPR est réalisé relativement vite, cela signifie qu'entre la dernière mise en service en EUROPE et la prochaine, il y aura une demi-génération. Il y a des choses qui sont très difficiles à transmettre d'une génération à l'autre.

M. FRESLON - Je prendrai cinq secondes pour dire que le Président de FRAMATOME sera présent cet après-midi et je prendrai quelques secondes pour réagir aux propos de Monsieur MANDIL. Ma première remarque est que, concernant la référence, nous sommes évidemment d'accord pour ne pas transformer en dogme cette notion et poursuivre activement toutes les possibilités à l'export. Il reste que, pour ce qui est de l'expérience de FRAMATOME, les 11 tranches que FRAMATOME a vendues à l'exportation l'ont toutes été sur la base d'une référence. Ceci reste donc un argument très fort à l'exportation, et nous le constatons en CHINE.

Ma deuxième remarque concerne le coût d'une éventuelle tête de série, qui a déjà été évoqué ; il faudra parler cet après-midi du coût qui résulterait d'une inaction de 10 à 15 ans, car les conditions d'un éventuel redémarrage dans les 10 ou 15 ans, qui suivraient une longue période d'inaction, poseraient un problème de coût très important. Nous ne dirons pas que c'est impossible, nous dirons que les conditions telles qu'elles existaient lors du lancement du programme énergétique français dans les années 70 se sont beaucoup dégradées. En effet, d'une part FRAMATOME ne disposera plus de la licence Westinghouse et, d'autre part le tissu industriel environnemental, très dynamique à l'époque, se sera également dégradé. Nous pensons qu'une reprise éventuelle, dans ces conditions, aurait un coût très important.

M. BIRRAUX - Nous avons déjà amorcé le débat de cet après-midi, qui s'annonce intéressant.

Merci aux intervenants de ce matin.

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