La séance, suspendue à 13 h 05, est reprise à 14 h 40 sous la présidence de Monsieur BIRRAUX.
M. BIRRAUX
- Avant de revenir
à
la stratégie qui ferait suite à l'intervention de Monsieur
MANDIL, on pourrait dire deux mots sur les problèmes de la
radioprotection et de l'apport de l'EPR, du point de vue de la radioprotection,
par rapport aux réacteurs existants.
Qui veut prendre la parole ?
M. LECOCQ
- Deux mots pour introduire le
problème, à savoir la prise en compte de la radioprotection
à la conception. Je crois que c'est une banalité de dire que la
maîtrise des doses dans une installation nucléaire implique d'agir
dès le stade de la conception sur l'ensemble des paramètres qui
interviennent dans leur formation, à savoir les sources radioactives,
les débits de doses qui en résultent et les volumes de travail
à effectuer en présence de ces rayonnements pour l'exploitation,
l'inspection et la maintenance.
Cette nécessité de maîtrise d'ensemble est bien
illustrée par le retour d'expérience des parcs de
réacteurs à eau pressurisée français et allemands,
pour lesquels la dosimétrie a évolué
considérablement à la baisse dans le temps. Le contexte,
aujourd'hui, de la conception de la radioprotection dans l'EPR est celui de
l'optimisation défini par la directive européenne du Conseil du
13 mai 1996.
C'est dire que nous essayons de mettre en oeuvre l'application de cette
directive et que les lignes directrices de la conception de la radioprotection
peuvent se résumer en quatre points :
- définition d'un objectif de doses collectives favorable à
la limitation des doses individuelles,
- réduction des sources responsables des débits de doses,
- optimisation des volumes de travail par une approche intégrant
disponibilité, retour d'expérience et maintenance,
- dispositions d'installations limitant les débits de doses et les
temps d'intervention.
Quels sont nos objectifs ?
L'objectif de doses collectives annuel dans EPR est aujourd'hui fixé
à 0,75 (h.Sv/an).
Je vous rappelle que nous sommes aujourd'hui aux environs de
1,4 (h.Sv/an), dans l'ensemble du parc nucléaire français.
C'est donc un objectif qui est diminué de 50 %, c'est assez
important.
C'est un thème d'objectif, mais on peut penser aussi que la prise en
compte et l'incertitude qui entoure cet objectif est telle que l'on pourra
probablement atteindre 0,5 (h.Sv/an). Cependant, l'objectif quantitatif
que nous nous sommes fixé est de 0,75. D'ailleurs, cette valeur est
déjà atteinte sur certaines de nos tranches ; lorsqu'on
parle de 1,4 (h.Sv/an), c'est pour l'ensemble du parc
nucléaire ; il y a donc une certaine dispersion dans ce domaine.
La limitation des doses individuelles sera obtenue par la limitation des
sources, et les débits de doses par un recours à la robotique et
par une analyse des opérations de maintenance et d'exploitation.
S'agissant de la réduction des sources, le retour d'expérience
que nous avons de nos tranches en exploitation montre que la principale source
d'exposition est constituée par les dépôts de produits
radioactifs sur les parois des matériels.
La limitation des sources radioactives est basée sur une
stratégie générale qui consiste à minimiser
à la fois la masse de produits et leur temps de séjour sous flux.
Les moyens pour y parvenir sont multiples, les principaux sont :
- minimisation des teneurs en précurseur dit radioactif ou, si
possible, leur suppression,
- conditionnement chimique du réfrigérant primaire
approprié et purification permanente.
En termes d'optimisation des volumes de travail, c'est le retour
d'expérience de l'analyse de la maintenance, nature d'opération,
volumes de travail, exposition. Ceci est effectué dans le cadre du
projet "CIDEM" dont j'ai parlé ce matin, sur lequel je ne reviendrai pas.
Ceci nous a permis d'identifier les opérations coûteuses en temps
et en doses.
En termes de dispositions de conception de l'installation, là encore,
l'analyse du retour d'expérience peut nous permettre de fixer comme
objectifs principaux :
- d'obtenir, à source donnée, les débits de doses
faibles par une mise en place d'écrans,
- de supprimer les singularités propices à l'accumulation de
produits radioactifs par des méthodes qui consistent à favoriser
l'accessibilité aux composants par un meilleur cheminement
- de disposer d'une place libre plus significative autour des composants
- de favoriser l'exécution de l'inspection et de la maintenance par
des facilités de démontage, de remontage.
Ceci est ce dont nous nous occupons au niveau de la conception, et en
particulier au niveau de la définition de l'installation.
C'est ce que je pouvais dire pour introduire le sujet.
M. BIRRAUX
- Y a-t-il d'autres interventions ou
des questions sur ces aspects de radioprotection ?
M. QUENIART
- Je ferai un commentaire.
Effectivement, la réduction des doses prises par les travailleurs est un
objectif important qui figure dans les recommandations GPR/RSK depuis le
début des travaux, en 1993. Cependant, nous n'avons pas voulu donner un
accord sur la valeur 0,75 dans la mesure où il faudra regarder dans le
détail tout ce que l'on peut faire pour réduire les doses, et si
possible en dessous de cette valeur.
M. LACOSTE
- Un complément pour indiquer
que c'est la première fois que, dans des objectifs
généraux de sûreté fixés à un nouveau
modèle de réacteur, est inclus un certain nombre de demandes
concernant la radioprotection des travailleurs. C'est tout à fait normal
mais, jusqu'à présent, ces demandes n'étaient pas prises
en considération.
M. PRONOST
- J'ai une question technique, puisque
que c'est vous qui votez les lois : quand cette directive va-t-elle
rentrer dans la législation française ?
En tant qu'experts, on doit utiliser cette directive actuellement. Pour ma
part, je rends un rapport ce soir basé sur cette directive qui, en fait,
n'est pas entrée en vigueur dans la législation et donc pose un
problème de droit.
M. BIRRAUX
- Le Ministre de la Santé, que
j'ai vu il y a environ un mois, m'a dit que la consultation
interministérielle était en train de fonctionner sur des projets
qui avaient été élaborés par le Comité
ad hoc et que la date de mai 2000 serait tenue. Nous avons quatre ans pour
traduire cette directive ; soyez certain que le rapporteur de l'Office
Parlementaire mettra tout en oeuvre pour s'assurer que les procédures
vont bon train.
M. PRONOST
- Ce n'est pas très courageux
parce que plusieurs pays l'ont déjà adoptée. La FRANCE,
qui se dit la première au monde en nucléaire, devrait montrer
l'exemple.
M. BIRRAUX
- Ce matin, j'ai dit à Monsieur
MANDIL, qui parlait de la traduction de la directive concurrence, qu'il
semblait avoir mis relativement plus d'énergie que ses collègues
de la Santé et que lorsqu'il en aurait terminé, s'il lui reste
encore de l'énergie, il pourrait en donner à ses collègues
de la Santé afin que ceux-ci accélèrent le mouvement. Je
ne sais pas si Monsieur LACOSTE souhaite ajouter autre chose.
M. LACOSTE
- La FRANCE dispose de quatre ans pour
traduire cette directive, comme les autres pays. A l'évidence, la
transcription de cette directive est difficile et nous pouvons constater que
chacun des pays de l'Union Européenne peine dans sa transcription,
d'où la nécessité de renforcer les efforts.
Mme SUGIER
, Directrice déléguée à
l'IPSN
- On a parlé de la protection des travailleurs
autour des centrales ; il y a aussi le public. Je sais que les rejets des
centrales, mêmes actuelles, ne sont pas très élevés
mais est-ce qu'une réflexion a été menée sur cet
aspect des réacteurs du futur ?
M. LECOCQ
- On passe là de la radioprotection aux rejets.
M. BIRRAUX
- Ce n'est pas complètement
étranger, surtout vis-à-vis du public.
M. LECOCQ
- Sur ce chapitre des rejets, je pense
que l'Autorité de Sûreté aura à s'exprimer parce
qu'il y a des choses en cours sur ces sujets, mais puisque vous me demandez de
m'exprimer en premier, je vais le faire.
La tendance actuelle est toujours de prendre en considération les
retours d'expérience parce que nous avons un nombre d'années
réacteurs tel que nous nous appuyons sur ces retours d'expérience
pour voir quels sont les engagements, les efforts qui restent à faire.
La tendance actuelle est de faire en sorte que nous allions vers des tranches
"transparentes" vis-à-vis de l'environnement.
Lorsqu'on parle de rejets, il faut bien séparer ce qui concerne le
fonctionnement normal de ce qui concerne les accidents. En termes de
fonctionnement normal, les textes relatifs à l'évolution des
conséquences radiologiques en fonctionnement normal, qui sont
applicables au projet EPR sont, à ma connaissance, en cours de
définition par les Pouvoirs Publics. Les principales évolutions
par rapport aux textes que nous avons appliquées jusqu'à
présent sont d'une part liées à la directive
européenne L159 de juin 1993, d'autre part au nouvel arrêté
cadre qui est en projet, le nouvel arrêté cadre qui va
définir les modalités à appliquer pour le renouvellement
des autorisations de rejets des installations nucléaires en exploitation
aujourd'hui.
Ce thème n'a pas encore fait l'objet d'une discussion
détaillée avec l'Autorité de Sûreté.
Toutefois, nous avons pris comme orientation que le projet devrait pouvoir
s'accommoder d'une réduction de la limite de rejets d'un facteur 5
à 10 par rapport aux arrêtés qui courent actuellement,
à savoir ceux du N4, lesquels sont déjà plus
sévères que ceux des tranches 900 et
1 300 mégawatts.
C'est ce que je peux dire sur le fonctionnement normal.
S'agissant des accidents, il faut se préoccuper de deux choses, d'une
part le court terme, c'est-à-dire pendant le rejet et les premiers
jours, d'autre part le long terme et, là, nous revenons au débat
de ce matin sur les accidents graves. Deux objectifs sur le court terme dans le
projet :
- c'est qu'aucune contre-mesure ne soit nécessaire,
- et qu'il y ait des critères cohérents avec les termes de
la CIPR n° 63, à savoir confinement ou
évacuation des populations...
Sur le long terme, notre objectif est de ne pas nécessiter de relogement
de population et de restriction alimentaire limitée à la
proximité immédiate de la centrale affectée. Ces objectifs
de sûreté ont été traduits en objectifs de
conception. Les calculs ont été effectués avec des
hypothèses et des valeurs de paramètres réalistes, et il
faut savoir que la DFD juge souhaitable une harmonisation des résultats
obtenus en FRANCE et en ALLEMAGNE.
Il demeure qu'au niveau de la conception, il y avait un certain nombre
d'accidents conventionnels qui sont pris en compte pour faire les calculs. On
peut dire que nos objectifs de conception sont différents, plus
restrictifs que ceux du parc actuel, plus sévères. Il faut savoir
que les accidents sont classés en catégories, et à chacune
des catégories, il était affecté un taux de rejet.
Aujourd'hui, on a tendance à rapprocher les accidents de
catégorie 3, accidents dont la probabilité se situe entre
10
-2
et 10
-4
par an, de ceux de la
catégorie 4 dont la probabilité était comprise entre
10
-4
et 10
-6
par an, et faire en sorte que les rejets
dans ces deux conditions soient ceux de la catégorie 3.
Tout ceci a été exposé ce matin dans le projet, à
savoir renforcement du confinement par rapport au palier antérieur et,
surtout, tout ce qu'on a pu dire sur la limitation des bipasses de l'enceinte,
la limitation des rejets directs vers l'extérieur.
Je ne peux pas en dire plus sur les résultats puisque ces discussions
sont en cours avec l'Autorité de Sûreté. Cependant, ce sont
les objectifs que nous nous sommes fixés dans le projet.
M. LACOSTE
- Ce n'est pas avec l'Autorité
de Sûreté seule, mais avec un certain nombre d'autres
administrations, notamment la Direction Générale de la
Santé et la Direction de la Prévention des pollutions et des
risques.
M. BIRRAUX
- Le rapporteur est satisfait de savoir
que la DGS s'intéresse au sujet ; nous sommes toujours sur un processus
révolutionnaire.
Mme SUGIER
- Je ne suis pas très satisfaite
de la réponse sur la situation normale parce que je ne pense pas que
l'exploitant doive, pour dire ce qu'il va rejeter, regarder du
côté de l'évolution qui pourrait venir de autorités
de sûreté sur l'autorisation des rejets. Il doit avoir un retour
d'expérience sur ce qu'il rejette, sur le terme sources. Il est
intéressant aussi de voir comment il a pu avoir une comparaison avec ce
que font les Allemands et de quelle manière, de façon
volontariste, il compte se fixer des objectifs.
On sait bien que l'autorisation qui lui sera donnée par
l'Autorité de Sûreté sera en dessous de son rejet, c'est
donc au plus près de la source que je souhaiterais avoir une
réponse de l'exploitant.
M. LECOCQ
- Je comprends tout à fait Madame
SUGIER mais je pense m'être mal exprimé. Il est clair que, dans
N4, les autorisations ont pu être baissées d'un facteur 5
parce, que du fait de l'expérience sur le 900 et le 1 300
mégawatts, l'exploitant s'est employé à faire en sorte que
nous soyons bien en dessous des valeurs limites définies par les
arrêtés, ce qui tend à montrer que nous n'avons pas attendu
la contrainte d'une réglementation pour nous contraindre
nous-mêmes à des valeurs inférieures.
Je me suis mal exprimé, mais c'est ce que je voulais dire. Cependant, je
préfère que l'autorité se prononce. Quant à EPR,
nous prenons des dispositions qui vont encore au-delà.
M. LACOSTE
- Il est évident qu'il faut que
nous resserrions les autorisations données. De même, nous avons
introduit un regard plus acéré sur les rejets classiques.
Maintenant, il reste à regarder les rejets nucléaires, ceci est
la partie réglementaire. Sur le fond, ce qui compte, ce sont les rejets
réels et l'effort que fait l'exploitant pour les diminuer encore, mais
les deux sont liés.
Il faut que nous rendions plus réaliste l'autorisation de rejet que nous
accordons et qu'en même temps, l'exploitant resserre de plus près
sa propre gestion des flux.
Mme SENE
- Je voulais poser une question sur les
réductions et sur les 0,75 (h.Sv/an). Est-ce moyenné sur
tout le personnel ou bien chaque poste est-il bien défini, et donc
a-t-on une idée de la valeur réelle pour la personne qui fait une
maintenance ?
Je voudrais savoir aussi si cela s'applique uniquement au personnel d'EDF ou si
les intérimaires sont pris en compte cette fois-ci. Je sais que de
nouvelles règles sont passées, mais j'aimerais savoir comment
elles vont s'appliquer dans les faits, parce que l'EPR ne sera pas
géré uniquement par des ingénieurs.
M. BIRRAUX
- Qui souhaite répondre sachant,
que concernant les intérimaires, on pourrait parler des prestataires,
ceci afin d'éviter d'entrer dans un autre débat ?
M. DUPRAZ
- Cette valeur de dosimétrie
collective qu'évoquait Monsieur LECOCQ se traduit par un respect des
dosimétries maximales pour chaque intervenant, pour les intervenants les
plus concernés que sont les intervenants de maintenance, qu'ils soient
agents EDF ou prestataires. Les doses collectives actuelles nous permettent,
compte tenu de l'évolution constatée ces dernières
années - pratiquement moins 40 % depuis 1992, moins 10 %
de 1996 à 1997 -, d'avoir une dosimétrie individuelle
à l'horizon 2000 inférieure aux 20 milli-siervert de la
réglementation et donc, a fortiori, pour la dosimétrie collective
fixée comme objectif pour EPR.
M. BIRRAUX
- S'il n'y a plus de questions sur ce
sujet, j'ai envie d'introduire la suite en revenant à la
stratégie que nous avions abordée ce matin, et une question
peut-être préalable, avant que le Président ALPHANDERY nous
donne son sentiment sur les perspectives de développement vues par la
maison EDF, qui est celle de la durée de vie des centrales.
Il faut qu'on aborde cette question, car on a parlé de durée de
vie qui pouvait être largement prolongée. Or, ne faut-il pas
apporter de clarification entre la durée de vie technique prévue
à l'origine et, par-delà l'aspect technique, l'analyse
économique qui avait été basée sur 24 ans,
28 ans, 30 ans, et l'on parle à présent de
40 ans ?
Qu'est-ce qui limite la durée de vie d'une centrale et qui peut influer
considérablement sur la stratégie pour le renouvellement du
parc ? D'autre part, n'avez-vous pas l'impression qu'il y aura une
certaine pression de l'opinion, une opinion qui, en termes
général et générique, accélérerait le
vieillissement des centrales dans la mesure où l'on présente un
nouveau projet de centrale qui serait plus sûre, qui rejetterait moins,
qui, du point de vue de la radioprotection, serait plus performante, et que les
centrales existantes prendraient de ce fait un coup de vieux ?
Lorsqu'on parle de rejets pour l'automobile, on est en train de nous dire que,
peut-être en l'an 2000, on arrêtera de livrer du super pour les
voitures qui marchent au super. Tout d'un coup, les voitures deviennent donc
plus vieilles qu'elles n'en avaient l'air, et pourtant, celui qui a une voiture
qui marche au super n'a pas l'impression d'avoir une vieille voiture.
Cependant, qu'il le veuille ou non, sa voiture, avec une avance pareille, a
pris d'un coup dix ans !
M. DAURES
, Directeur général
d'EDF
- C'est un problème très complexe. J'ai
donné le point de vue de l'exploitant pour énumérer les
problèmes, sachant que chacun de ces problèmes ne dépend
pas forcément de la décision de l'exploitant uniquement et qu'en
plus, celui-ci est soumis à des aléas et à des
évaluations. En fait, la durée de vie d'une centrale
dépend de trois facteurs principaux qui ne sont pas tous de la
même catégorie, ni du même domaine, mais qui influencent la
décision.
La première raison est l'usure des composants. Des composants peuvent se
révéler inaptes à remplir leur fonction pour des raisons
physiques, parce qu'ils ont vieilli et qu'ils ont dépassé la
capacité de résistance.
La deuxième raison qui peut amener à arrêter une centrale
est que le niveau global de sûreté n'est plus celui qu'on doit
attendre d'une installation de sûreté. Cela ne correspond plus au
référentiel de sûreté dans lequel doit opérer
la centrale.
La troisième raison est la compétitivité. On peut
être amené à constater que la centrale n'est plus
compétitive par rapport à de nouveaux modèles et
qu'économiquement, il pourrait se révéler plus
intéressant de remplacer le modèle existant par un modèle
nouveau, nonobstant le prix de l'investissement qui, dans le nucléaire,
est toujours important.
Ce sont les trois facteurs, qui sont étroitement liés, auxquels
nous n'avons que des réponses partielles. Nous avons commencé par
essayer de comprendre et d'anticiper le premier facteur, à savoir le
phénomène d'usure. Nous avons étudié au sein de
l'entreprise, et avec nos collègues de FRAMATOME et les personnes du
CEA, les problèmes d'usure et les phénomènes de fatigue.
Nous avons essayé d'identifier les différents
phénomènes de dégradation pouvant intervenir, de voir
comment ils pouvaient apparaître, se développer, et surtout quels
composants ils pouvaient toucher. Nous avons essayé de définir
ensuite, corrélativement, une politique de surveillance pour voir si
cela paraissait réellement et, enfin, nous avons essayé de voir
quand on pouvait dire à quelle limite on atteignait l'intolérable.
Il faut essayer de déterminer a priori la durée sur laquelle on
peut compter à l'intérieur du cadre normal de fonctionnement de
l'appareil des composants. Ensuite, il reste à prouver que le composant
déterminé est effectivement en capacité de remplir sa
fonction.
Nous avons cinq études générales sur l'ensemble des
composants et nous avons détecté dans ce projet 16 composants
majeurs qui valaient le coup d'être identifiés, et donc
déterminaient peut-être la durée de vie de l'installation,
et qui étaient remplaçables. Il y a un certain nombre de
composants qui sont remplaçables ; je citerai des installations
très lourdes comme le générateur de vapeur, les couvercles
de cuves, sur lesquels nous avons commencé à travailler, les
pressuriseurs, et puis il y a des composants irremplaçables. Nous avons
essayé de définir, pour chacun de ces composants, quelles
étaient les limites et ce qu'il fallait faire pour contrôler
qu'ils remplissaient parfaitement leur objectif.
Nous avons essayé également de regarder quelles mesures devaient
être prises pour essayer de retarder la date. Nous avons
déterminé ainsi des règles d'exploitation qui pouvaient
atténuer les effets d'usure.
S'agissant du niveau de sûreté, qui est la deuxième
composante qu'il nous faut assurer pour être en capacité de
continuer l'exploitation, nous avons essayé de définir avec
l'Autorité de Sûreté les règles selon lesquelles on
actualise nos installations. Ceci est difficile, parce qu'on a toujours envie
de mettre l'installation en conformité avec la dernière
pensée que l'on a eue. Il a donc fallu que nous convenions de
règles de fonctionnement avec l'Autorité de Sûreté,
qui nous permettent de déterminer tout ce que nous aurons à faire
pour rendre de nouveau la tranche apte à remplir sa fonction pour
10 ans.
Nous sommes rythmés par la décision de l'Autorité de
Sûreté et ceci entraîne des dépenses importantes pour
l'évaluation, la mesure et le remplacement.
Enfin, il y a la compétitivité, mais ceci est plus
élémentaire, parce que ce sont des décisions qui se
prennent au coup par coup. Vaut-il mieux arrêter une tranche ou faire
quelques dépenses dessus pour tel ou tel matériel ? et
à la fois plus global parce qu'on raisonne plutôt par palier, de
façon à déterminer des axes à peu près
stables pour un certain nombre d'installations, quitte à examiner
chacune d'entre elles ensuite dans le détail.
C'est ce que l'autorité fait ; pour chacune d'entre elles, elle
détermine, le moment venu, les dispositions qu'il convient de prendre
sur une tranche à l'intérieur d'un palier pour,
éventuellement, prolonger sa durée de vie ou ne pas la prolonger.
C'est un problème sur lequel nous avons déjà tout un
ensemble d'actions en cours, de procédures qui visent à remplir
les trois fonctions que j'ai évoquées. La dernière regarde
davantage le producteur d'électricité, les deux premières
sont tout à fait liées à la sûreté et
à la problématique d'exploitation.
M. LACOSTE
- Monsieur DAURES a évoqué trois motifs
de limitation de durée de vie d'une centrale nucléaire :
- l'usure des composants,
- le niveau global de sûreté,
- la compétitivité.
J'en rajouterai un quatrième :
- la décision politique de fermeture.
Je voudrais dire d'abord qu'il est très difficile de prévoir une
durée de vie. En FRANCE, nous sommes relativement satisfaits que
l'exploitant ait appris à changer des générateurs de
vapeur ou à remplacer des couvercles de cuve. Ce sont des
systèmes considérés comme remplaçables pour demain.
Il faut savoir que c'est un apprentissage qui a été acquis
à travers des expériences douloureuses.
On peut se féliciter de savoir remplacer ces composants ; à
l'origine, il n'avait pas été imaginé qu'il y aurait
à remplacer ces composants. Je transcris cela sur un problème qui
peut être éventuellement de même nature : quelle
idée nous faisons-nous des problèmes que nous rencontrons sur
certaines enceintes de réacteurs, sur la durée de vie des
réacteurs correspondants ? C'est un élément nouveau
et nous ne savons pas très bien quelles seront les conséquences.
Il me semble qu'il y a beaucoup d'aléas sur ce problème de
durée. Raison de plus pour être raisonnables et nous poser le
problème dans les termes posés par Monsieur DAURES : sur
quelle durée de vie pouvons-nous raisonnablement compter les cinq ou dix
prochaines années ?
Je suis mal à l'aise lorsque j'entends parler de prévision de
durée de vie de 60 ans. J'ai du mal à imaginer que les
citoyens, dans 60 ans, seront heureux de vivre à côté
de centrales nucléaires construites 60 ans plus tôt sur des
plans établis 75 ans plus tôt. J'ai là une
réaction de citoyen de base.
L'approche serait plutôt de regarder pas à pas ce qu'on peut
raisonnablement dire du pas suivant.
M. HENNENHOFER
- Je disais ce matin que le moment
où l'on allait prendre la décision dépendait finalement de
la durée pendant laquelle on aurait pu faire fonctionner la centrale. En
ALLEMAGNE, la législation impose - et c'est notre travail -
que la protection soit la meilleure. Il est évident que les centrales
anciennes doivent et peuvent être rénovées partiellement,
mais le meilleur niveau de protection existe au niveau des centrales nouvelles.
Autrement dit, un renouvellement du parc est nécessaire et le
rallongement de la durée de vie du parc existant est
considéré avec un certain scepticisme.
Je pense que nous devrions essayer de mettre au point des critères
techniques. Il s'agit là d'un nouveau travail à accomplir par les
instances de sûreté : voir dans quelles conditions on peut
considérer que les anciennes centrales peuvent encore rester en
fonctionnement. C'est une préoccupation à la fois allemande et
française.
M. BIRRAUX
- Avant que nous poursuivions le
débat, je souhaiterais demander au Président ALPHANDERY de nous
délivrer sa communication, qui a davantage trait à la
stratégie ou à l'économie du projet.
M. ALPHANDERY
, Président du Conseil d'Administration
d'EDF
- Quelques mots d'introduction sur la coopération
franco-allemande sur ce projet EPR. La première évidence est que
l'EPR est un pari sur l'avenir du nucléaire. Il est vrai que l'abondance
et des prix relativement bas, actuellement, des combustibles fossiles semblent
avoir diminué un peu les attraits de cette énergie. Pourtant, je
suis convaincu qu'à long terme, les problèmes d'environnement,
entre autres, feront monter les prix des énergies concurrentes et
redonneront au nucléaire tous ses avantages.
Naturellement, les pays à économie développée, et
je pense en particulier aux pays européens, devraient être les
premiers à revenir à l'énergie nucléaire car ce
sont les sociétés qui consomment le plus d'énergie et ce
sont elles aussi qui sont les plus polluantes. Par ailleurs, ils ont les moyens
techniques, les moyens industriels et les moyens politiques d'assurer un
développement maîtrisé, efficace de cette énergie.
Il est clair que lorsque l'EUROPE reviendra au nucléaire, elle le fera
dans le cadre d'une convergence forte d'une politique énergétique
nationale et elle le fera grâce à des alliances industrielles
efficaces et solides. De ce point de vue, la coopération
franco-allemande qui s'est développée depuis 1989 est absolument
essentielle pour la constitution de ce pôle, qui est indispensable.
Ensuite, l'EPR pose la question des besoins énergétiques. La
situation française et européenne est bien connue : faible
croissance de la consommation électrique, production à
l'excédent, notamment en FRANCE, qui permet des exportations
appréciant des disponibilités de nos centrales qui continuent de
progresser, développement de capacités de production d'autres
énergies (énergie éolienne, la filière bois, la
co-génération...). Tout cela fait que la question de la
construction d'un nouveau moyen de production de grande taille se ramène
surtout à celui du renouvellement du parc de production.
Lorsque cette échéance arrivera, la FRANCE doit être en
mesure de le faire avec du nucléaire en grande partie, au moins pour la
production base. Ceci implique la mise au point d'un outil de réacteur
nucléaire, de conception modernisée, qui soit adaptable aux
divers types de fonctionnement, qui soit capable de brûler les
combustibles variés, qui soit capable aussi de répondre aux
besoins de pays tiers. Il me semble qu'avec le projet EPR, c'est ce que nous
avons engagé avec nos partenaires français et allemands.
Il est vraisemblable que ce réacteur sera un réacteur du type PWR
car cette filière nous donne toute satisfaction et, si nous changions de
modèle, cela nous priverait de l'expérience acquise en FRANCE sur
cette filière.
Le troisième point que je voudrais soulever en introduction est que
disposer d'un modèle ne suffit pas. Il faut s'assurer de sa
compétitivité par rapport aux énergies concurrentes pour
se prémunir de l'évolution du prix des combustibles fossiles et,
dans cet esprit, la recherche des coûts d'investissement les plus bas est
évidemment un enjeu primordial.
C'est tout le travail méthodique, patient, opiniâtre que nous
faisons avec nos partenaires français et allemands. Il y a encore
beaucoup de questions qui se posent, et je suppose qu'un certain nombre de
question va être soulevé, mais chacun comprendra que je sois
prudent, car EDF doit d'abord en discuter avec ses partenaires avant
d'arrêter définitivement sa position.
C'est ce que je souhaitais dire en introduction.
M. BIRRAUX
- Merci. Je souhaite poser une question
immédiatement. Dans le schéma qu'ont les responsables, est-ce que
l'EPR fonctionnera en base, en semi-base ou semi-charge ?
M. DAURES
- L'EPR a fonctionné selon son
âge et sa montée progressivement en sortant de l'aval. Dans
l'état actuel des connaissances et des prix d'énergie, EPR est la
première vague de réacteurs que nous commanderions si la
politique énergétique confirmait le choix nucléaire pour
l'électricité. Le fonctionnement serait en base, ce qui fait
qu'on peut probablement réserver le suivi de charge à leurs
confrères qui seront toujours en activité, ou à ceux qui
les suivront.
On peut imaginer qu'il y ait une première génération de
réacteurs nucléaires plus simples, uniquement sur la base, et on
peut faire le calcul : ceci concernerait 6 à 8 tranches.
Compte tenu des données actuelles, il est clair que toute
l'énergie de semi-base devra être faite par d'autres processus que
le nucléaire. Cette donnée civique se heurte à une
réalité : le fait qu'il continue d'exister des
réacteurs amorcés ; il serait donc inutile de
procéder à un remplacement anticipé. On utilisera donc les
réacteurs existants pour faire l'énergie semi-base pendant encore
longtemps. Cependant, s'agissant d'ouvrages nouveaux, nous avons à
constituer le parc ; il serait pour la base fait de l'EPR et pour la
semi-base fait d'installations thermiques classiques (charbon propre ou turbine
à combustion).
M. CORDONNIER
- Je voudrais intervenir sur les
aspects programmation et anticipation, sur ce tandem, et revenir sur les propos
de Monsieur ALPHANDERY et de Monsieur DAURES concernant la durée de vie.
Je crois qu'il y a quelques éléments chiffrés qui doivent
conduire à tempérer les propos tenus par la Direction d'EDF.
Trois idées fortes, actuellement, soutiennent l'idée de
suréquipement :
- le faible taux d'augmentation des consommations,
- la durée de vie,
- le nucléaire en base.
S'agissant du faible taux d'augmentation des consommations, on peut constater
que, depuis dix ans, et malgré une forte politique de dépassement
en puissance menée par les établissements, et un terme de
ralentissement économique, la consommation en FRANCE croît de
10 kilowattheures par an.
10 kilowattheures par an avec une tranche qui fonctionne
8 760 heures à taux plein, ce qui est impossible,
représente une tranche par an. Ramené à la production,
cela fait environ 1,5 tranche par an de croissance de consommation, production
dans le pays.
Je ferai un rappel des propos de Monsieur MANDIL ; si l'on s'en tient
à 7 000 mégawatts, on constate que le
suréquipement est relativement gratté. Le deuxième niveau
de réflexion qui doit interpeller le domaine de la politique est de
savoir, en fonction et sur ces perspectives de consommations, quelle est la
situation sociale correspondante dans le pays. D'un côté, on ne
peut pas parler de relance et de croissance, et de l'autre, on entérine
des perspectives de développement énergétique relativement
contradictoires avec des perspectives politiques, et notamment une politique de
plein emploi. C'était un élément de réflexion que
je voulais amener.
S'agissant de la durée de vie, aujourd'hui, de façon
concrète à EDF, on travaille sur 40 ans
généralisés à l'ensemble du parc. J'ai retenu les
propos de Monsieur LACOSTE : la notion de 40 ans
généralisés sur le parc me semble douteuse, même
s'il est normal que les équipes d'EDF travaillent dans cette
perspective, mais la garantie de réalisation de ces 40 ans n'est
pas assurée.
Il faudrait peut-être travailler sur des hypothèses variées
sur le sujet, et notamment en tenant compte d'une éventuelle
obsolescence des parcs de CP0 en particulier, et je pense que le débat
va s'engager avec les autorités de sûreté qui ne nous ont
pas donné d'agrément sur ces 40 ans, et avec une approche
qui, à mon avis, est pragmatique, en étudiant chaque tranche et
la situation réelle des tranches.
De plus, je signale que nous aurons des difficultés de défense de
ces tranches puisqu'elles arriveront à l'amortissement comptable au bout
de 30 ans. Cette généralisation active à l'ensemble
du parc doit poser question, et je pense qu'on aurait des scénarios
alternatifs qui poseraient autrement le problème de l'EPR et du
nucléaire en FRANCE. Donc, construire pour garantir la fourniture,
construire et savoir éventuellement anticiper.
La dernière chose est qu'aujourd'hui, on nous dit que le
nucléaire et l'EPR vont être situés au niveau de la base.
Il me semblerait dommageable de continuer à travailler et à
pousser sur la manoeuvrabilité des tranches anciennes alors qu'on
disposerait d'un outil nouveau, moyennant des études de
manoeuvrabilité qui existent, pour faire travailler ces tranches dans un
cadre de manoeuvrabilité accrue. Je pense que c'est une politique
menée y compris par le parc d'avoir un parc standard avec des
caractéristiques de fonctionnement standard.
Au-delà de cela, le problème de la base pose un problème
politique : celui de pouvoir ramener le nucléaire à la base,
et c'est forcer sur les perspectives de croissance de combustibles fossiles qui
posent deux problèmes :
- le problème de la défense du pays face à la
constitution du parc nucléaire, mais cela pose aussi le problème
gouvernemental, et forcer ce nucléaire à la base pose un double
problème politique. En conséquence, je crois que la notion
d'anticipation concernant le REP 2000 doit être relativisée.
J'informe qu'il faut 12 ans entre le moment où l'on décide et le
moment où l'on met en service industriel une tête de série.
Il y a la procédure administrative, la demande d'autorisation de
création, la déclaration d'utilité publique,
l'agrément des autorités de sûreté et la
construction de la tête de série. Il y a, par ailleurs, un minimum
de retour d'expérience sur les premières tranches.
Ce sont des données très importantes à prendre dans le
nucléaire ; ces anticipations de décisions sont très
importantes et, si j'associe mes propos initiaux sur les trois points plus
cette conclusion, en termes de temps, je dis que nous aurons des besoins
énergétiques importants avant la première décennie
des années 2000 et il devient grand temps de prendre une
décision, qui est du ressort du domaine politique.
M. VIGNON
, Président-Directeur général de
FRAMATOME
- Je comprends la prudence du Président
ALPHANDERY. La décision de construire un EPR dans la perspective du
renouvellement du parc français est une décision
extrêmement lourde. Je voudrais montrer que cette décision de
construire ou de ne pas construire doit être appréciée du
point de vue du renouvellement du parc français, sur lequel je
reviendrai, mais aussi d'un point de vue qui, d'une certaine façon, est
encore plus important, qui est celui de la qualité de l'industrie
française et du développement industriel français.
Nous sommes dans un système économique où les
économies s'ouvrent aux unes et aux autres et où la
théorie des avantages comparatifs prend toute sa place. Une
économie est d'autant plus forte, dans un système de
libéralisation des échanges, dans les domaines où elle est
bonne. Il se trouve qu'en FRANCE, nous sommes bons en nucléaire, compte
tenu de ce qui a été fait depuis une vingtaine d'années,
grâce à l'action conjuguée des Pouvoirs Publics, d'EDF, des
organisations industrielles et des organisations professionnelles et syndicats.
Dans la ligne de ce qui me paraît être admis par tous, il y a
l'inéluctable retour du nucléaire à cause de sa
compétitivité et des problèmes d'environnement. Je crois
essentiel que l'on fasse très attention à conserver cette
qualité de l'industrie nucléaire française.
J'aurai peut-être l'occasion de revenir sur le maintien des
compétences tout à l'heure, mais qu'est-ce que signifie une
industrie nucléaire française forte ? A l'évidence,
cela nécessite qu'elle fasse plus que des études, qu'elle
réalise.
Le deuxième point qu'il me paraît important de souligner, c'est
que la problématique du renouvellement du parc montre évidemment
qu'il y a beaucoup d'incertitudes. Je ne reviendrai pas sur ce qui a
été dit tout à l'heure en matière de durée
de vie. Autant les centrales nucléaires fonctionnent bien, autant
l'essentiel des composants des centrales nucléaires est
remplaçable, autant il peut se présenter, lorsque les tranches
auront 25 ans, 30 ans, des situations où une décision
de maintenance lourde est à prendre, et c'est toujours ainsi que le
problème s'est posé à l'étranger. Donc, lorsqu'une
tranche a 30 ans et qu'il faut renouveler son contrôle commande, il
lui reste "10 ans à vivre" ; est-ce qu'on procède alors
à cette opération ?
D'où toute l'importance d'être prêt à tout instant
à construire, et pas simplement à une date théorique
fixée en fonction de besoins appréciés dans les conditions
d'aujourd'hui de renouvellement du parc.
Le dernier point qu'il faut souligner, c'est que l'EPR - les débats
de ce matin l'ont bien montré - est un outil qui a un très
bon niveau de sûreté, qui peut donc être une
référence mondiale, en rentrant dans ce que j'appelais tout
à l'heure les avantages comparatifs donnés au pays qui sauront
maîtriser cette technologie. C'est un réacteur de très haut
niveau de sûreté, mais c'est aussi un réacteur
compétitif.
L'EPR réalisé aujourd'hui serait compétitif en base, par
rapport à des solutions alternatives, et nous travaillons à le
rendre encore plus compétitif. Il me paraît souhaitable, dans les
années à venir, de créer les conditions de réaliser
ce réacteur là où il y a de la demande
d'électricité - s'il n'y a pas de demande, il faut aller
ailleurs - et cela ne doit pas être trop difficile dès lors
que l'investissement est rentable.
M. SCHNEIDER
, journaliste
- Je tiens à
rappeler que l'origine du projet EPR, en dehors de la stratégie purement
industrielle, qui d'ailleurs a été loin de faire
l'unanimité au départ, en particulier en FRANCE, était
d'avoir posé un certain nombre de conditions techniques qui devaient
conduire à une meilleure accessibilité du nucléaire,
notamment en ALLEMAGNE. Il s'agissait en fait d'apporter désormais des
preuves que ce nouveau réacteur, même en cas d'accident majeur,
n'aurait pas de conséquence en dehors du site du réacteur
même.
A l'époque, le prédécesseur de Monsieur LACOSTE
considérait impossible de remplir ce type de condition. Aujourd'hui, et
c'est une première question à poser à Monsieur LACOSTE,
est-ce qu'il y a eu évolution de l'évaluation parce que,
visiblement, la position de la DSIN est complètement différente
et j'aimerais savoir pour quelle raison, parce que je n'ai pas vu venir de
changement.
Il y a une autre possibilité : a-t-on changé les conditions
de ce type d'accord ? C'est-à-dire : est-ce qu'on est revenu
à une appréciation probabiliste ? Et qu'est-ce que les
Allemands en disent ?
Le deuxième point est que, puisque tout cela est étroitement
lié à une évaluation de l'acceptation du nucléaire
et, actuellement, tout le monde s'accorde à dire qu'en ALLEMAGNE, il est
impossible de construire aujourd'hui un nouveau réacteur
- d'ailleurs, je ne vois pas de signes d'amélioration même
si, d'après les sondages, ce serait mieux accepté qu'hier -,
quelle est l'évaluation, ici, de cet espèce de changement ?
Y a-t-il un changement réel de l'acceptation, notamment en FRANCE,
où l'on n'a pas d'impression de frénésie, de fanatisme
pour le nucléaire, dans la population ?
Lorsqu'on voit la réaction à la bulle d'essai lancée par
EDF sur Le CARBET, cela a été un "flop", c'est le moins qu'on
puisse dire, et on a retiré le projet. Comment se situent aujourd'hui
ces développements ?
M. LACOSTE
- Je ne répondrai pas sur
l'acceptation du nucléaire en ALLEMAGNE, c'est à mes
collègues allemands d'intervenir s'ils le souhaitent. Je dirai
simplement que, du côté français, à l'origine du
projet EPR, il y a une prise de position de mon prédécesseur, en
mai 1991, et dans un contexte franco-français.
Il a signé une lettre qu'il a adressée à l'époque
à EDF, à FRAMATOME et au CEA et où, se plaçant d'un
point de vue purement technique, il disait :
" Je considère qu'il a été fait conceptuellement un
certain nombre de projets, ces dernières années, et je vous
indique dès maintenant qu'à mes yeux, la prochaine
génération de réacteurs construite en FRANCE doit marquer
des progrès significatifs sur un certain nombre de points ".
Du côté français, c'est cela, le démarrage du projet
EPR, et d'abord dans un contexte franco-français ; j'ai
trouvé que ce démarrage avait ensuite conduit à un
enrichissement, avec la participation de nos homologues et collègues
allemands mais, du côté français, nous n'avons pas
dévié d'un pouce par rapport à sa position initiale, de
savoir qu'il convenait de faire des progrès en matière de
sûreté. Je ne considère pas que nous ayons
dévié d'un pouce. Peut-être s'est-il trouvé que ces
soucis français, dans un contexte technique, ont rencontré des
soucis allemands techniques et d'acceptation.
M. DAURES
- S'agissant du site du Carnet, ce n'est
pas le premier site que nous sommes amenés à abandonner suite
à un mouvement d'opinion. Nous avons considéré que, sur le
site du Carnet, il n'était pas utile de continuer nos demandes
d'installations locales. Cela dit, je rassure nos interlocuteurs : il
existe un grand nombre de sites, en FRANCE, qui sont disponibles pour quatre
tranches et qui n'en contenaient que deux et donc, au gré
évidemment de l'acceptation des Pouvoirs Publics, qui sont seuls
maîtres en la matière, nous disposons d'un certain nombre de sites
où existent des centrales nucléaires et où la population
avoisinante est satisfaite. Sans aucun doute, on pourrait entrevoir une
possibilité de succès si nous avions envie d'installer une
nouvelle tranche.
M. QUENIART
- Je voudrais faire un commentaire
technique sur la comparaison de ce qui se disait en 1991 et de ce qui a pu
être dit dans les objectifs de 1993. Si vous lisez la lettre de la DSIN
en 1991 et les objectifs approuvés par la DFD, vous verrez que la
deuxième est plutôt renforcée par rapport à la
première, concernant les conséquences des accidents graves, dans
la mesure où il a été demandé de réduire les
rejets d'un facteur 10 et que l'ensemble des objectifs fixés conduit
à plus de sécurité.
M. BIRRAUX
- En entendant les représentants
de la fédération d'énergie CGT et Monsieur VIGNON, il y a
tout de même une question qui se pose : quels vont être les
paramètres de choix pour la maintenance lourde dont parlait Monsieur
VIGNON, non seulement sur un composant mais aussi sur les autres ?
Il me revenait en mémoire l'exemple personnel de ma photocopieuse. Il y
a quelques années, je n'avais pas de contrat d'entretien et, un jour, le
réparateur me conseille de signer un contrat parce je risque un gros
ennui. Chaque fois qu'il se déplaçait, c'était
500 Francs hors taxes en raison des frais de déplacement. J'ai donc
signé un contrat ; un mois après, le tambour était
mort et j'ai économisé 7 000 Francs, ce qui
n'était pas négligeable. C'est de cette manière qu'il faut
apprécier les choses.
Compte tenu des délais qui ont été rappelés, aussi
bien par les autorités allemandes que par les représentants de la
CGT, comment optimiser les choix ? Qu'est-il raisonnable d'envisager,
compte tenu du fait qu'il faut environ 12 ans pour construire une
centrale ? Comment allez-vous équilibrer ou faire un mixte de
l'ensemble des paramètres pour arriver à ce choix raisonnable qui
permette, à défaut de trancher définitivement le
débat sur la durée de vie, de savoir sur quoi vous allez vous
baser ?
M. DAURES
- Je n'apporterai pas une réponse
complète à une question aussi complexe, mais je vais essayer de
donner quelques éléments. Tout d'abord, nous n'avons pas dit que
toutes les tranches auront une durée de vie de 40 ans, nous avons
dit que nous travaillons sur l'hypothèse d'allongement de la
durée de vie des tranches.
Nous avons toujours dit, et nous continuons de dire, que l'examen sera fait
tranche par tranche et, si j'avais tenu un autre langage, je pense que Monsieur
LACOSTE m'aurait arrêté. Il y a une recherche d'allongement de la
durée de vie des tranches. Palier par palier, nous essayons de
déterminer, en fonction de ce que l'on sait de la durée de
résistance de chacun des composants, ce que peut être la
durée de vie moyenne d'un palier. Nous pensons qu'aujourd'hui, il n'est
pas ridicule d'envisager une durée de vie de 40 ans pour une
tranche. Cela dit, il est clair que cela se fera centrale par centrale.
Tout à l'heure, fort opportunément, Monsieur LACOSTE rappelait
que, par exemple, des questions se posent sur les enceintes de
confinement ; il faudra voir si cela ne raccourcit pas la durée de
vie de ces tranches. On sait que, sur le palier, certaines ne seront pas
victimes de ce genre de difficultés. On voit bien que, ne serait-ce que
sur l'un des composants, il y a des questions plus complexes et plus
déterminantes sur le vieillissement du composant de la cuve, par
exemple..., il faut donc raisonner tranche par tranche.
N'ayant aucun doute là-dessus, nous sommes amenés à
raisonner par palier et par grand groupe, mais l'Autorité de
Sûreté, à chaque décennale, nous dira si l'on peut
envisager de présenter tel ou tel dossier ou non. Nous allons
procéder période par période mais, au fond, lorsqu'on
prépare une décennale, c'est quelques années avant et
donc, pour préparer la deuxième décennale, c'est à
l'âge de 15 ans qu'on la prépare pour 20 ans. On empile
ainsi des durées.
Bien sûr, on pourrait se poser la question de savoir si ceci ne nous
emmène pas dans le mur. Ce temps stocké dans ces examens longs
(5 ans, 10 ans), si nous avions une décision négative,
à terme, nous conduirait dans le mur, parce qu'il manquera de la
puissance. Cela nous interdit aujourd'hui de dire quel peut être,
à terme, le programme réel et la date de calage de renouvellement
des tranches. Je ne saurais le dire aujourd'hui.
Ce que je peux vous dire est qu'il y a un certain nombre de repères que
tout le monde connaît dans cette assistance. La première tranche
de la série dont la construction s'est achevée par une mise en
service industrielle en 1977 nous conduit, à 2017, pour une durée
de vie de 40 ans. C'est une date repère.
Est-ce que ce sera 40 ans, est-ce que ce sera moins ou plus ? Nous
n'en savons rien.
Nous avons des études à poursuivre là-dessus et il y a
ensuite le problème de savoir comment se calerait la première
tranche à construire par rapport à cela. Faut-il renouveler tout
de suite le parc par une centrale nucléaire ? Le raisonnement que
je tenais là-dessus, tout à l'heure, tendait à le prouver,
mais il reste à voir les besoins énergétiques. La
croissance sera-t-elle encore de 2 % dans la période à venir
ou pas ? Devra-t-on assurer la continuité de nos installations
industrielles de fabrication et, pire, le maintien de nos
compétences ?
C'est une composante importante du problème. Pourrons-nous nous exercer
en d'autres lieux sur la planète ? Autrement dit, le
problème de savoir à quelle date nous devrons lancer le premier
ordre de commande est grandement indéterminé aujourd'hui. Pour
des raisons de choix, est-ce que nous ferons une série
déterminée très tôt ?
Si on en fait une déterminée très tôt, comme toute
la politique française l'a toujours faite, jusqu'à
présent, et comme y incitent les accords franco-allemands, il est
très utile et important d'avoir une tête de série
lancée assez tôt pour les deux parties. Cela permet de remplir des
fonctions et le maintien des connaissances.
Cela dépend si le gouvernement français et le gouvernement
allemand s'accordent sur des idées cohérentes sur la politique
énergétique, et cela dépend des dates auxquelles cela
arrivera, et puis, cela dépend de la complexité du produit. Nous
entrons dans une ère où, bien sûr, il faudra garantir la
politique énergétique, cela fait partie des instructions que
l'entreprise recevra ; bien sûr, il faudra protéger
l'environnement, cela fait aussi partie des instructions que l'entreprise
recevra à l'égard, par exemple, d'émissions de CO2 et de
leur contrepartie en nucléaire, s'il le faut.
Quant à savoir si le tout sera compétitif, c'est une autre
question. Cela suppose que nous ayons une garantie, un produit efficace,
compétitif, etc.
Autrement dit, la question est assez largement indéterminée
aujourd'hui, et nous ne sommes pas hors du temps pour prendre une
décision, sachant qu'il ne faudra pas non plus trop attendre, ceci est
évident ; mais, seulement, votre colloque arrive un peu trop
tôt, Monsieur le Président, parce que, sur cette question tout du
moins, nous n'avons pas déterminé les fonctions,
l'efficacité économique, les programmes, les coûts... Il
nous manque encore quelques mois pour arriver à y voir plus clair sur
cette question.
Cependant, je voudrais dire que tout ce qui a été dit quelque
part est vrai. Le fait que nous ne soyons pas sûrs de la durée de
vie des tranches est vrai, le fait que nous ne soyons pas sûrs de
l'économie du projet est également vrai. Nous y travaillons de
toutes nos forces pour le rendre économique avec les personnes de
FRAMATOME, celles de SIEMENS, nous-mêmes et nos collègues
électriciens allemands ; nous pensons y arriver. Après, nous
verrons quelles seront les décisions économiques, industrielles
à prendre.
M. BIRRAUX
- Je voudrais préciser à
l'adresse du CEA ou de FRAMATOME, et même d'EDF, qu'aujourd'hui, on fait
un peu de médecine prédictive, c'est-à-dire qu'à
certaines périodes, vous allez faire des décennales et l'on vous
fait des prises de sang en fonction du taux de glucose, de cholestérol,
de triglycéride, et l'on vous dit que vous présentez des risques
cardio-vasculaires qu'on évalue, ou que vous n'en présentez pas,
et donc que vous devez faire attention à telle ou telle chose. D'une
manière triviale, est-ce qu'aujourd'hui, il y a des recherches qui
essaient de transposer ce type d'analyse sur une durée de vie
prédictive ou de trouver des paramètres qui permettent de dire
qu'à partir de telle mesure que l'on pourra prendre, on n'attendra pas
la décennale de 30 ans pour savoir si l'on peut apporter des
réponses. Travaillez-vous là-dessus, et dans quelles
perspectives ?
M. DAURES
- La réponse globalement est oui,
mais le CEA et nos collègues de la sûreté doivent pouvoir
apporter des éléments de réponse à cela. En tout
cas, pour ce qui concerne l'entreprise, il est vrai que, pour nous, c'est une
question tellement importante que nous surveillons très
étroitement les études de vieillissement.
M. DAUTRAY
, Haut Commissaire à l'énergie
atomique
- Le dernier conseil du CEA a été
consacré au vieillissement des matériels, et il a
été préparé par des travaux qui ont mis en jeu tout
l'établissement pour faire le point sur ces problèmes. Il a
été fait entièrement par des personnes extérieures
au CEA, des universitaires, en particulier, et il a donné lieu à
des programmes de travaux et à une réflexion
générale devant toutes les personnes et employés
concernés, et en collaboration avec tous les partenaires du
nucléaire.
M. BARRE
- Effectivement, il y a une
réponse en deux temps à cela. Monsieur DAUTRAY a
évoqué l'aspect plus cognitif, qui vise à comprendre ces
phénomènes. La R&D, à plus court terme, consiste
à faire la dosimétrie et l'évaluation des dommages au fur
et à mesure, en gardant une avance par rapport aux dommages des cuves
elles-mêmes. La recherche à plus long terme va jusqu'à la
simulation, à l'échelle microscopique, du processus
d'endommagement des matériaux.
M. VIGNON
- Sur la recherche, je n'ai pas de
compétence particulière, tout le monde s'entend à
reconnaître que l'essentiel des composants des centrales
nucléaires est remplaçable, que la cuve peut poser des
problèmes particuliers, mais que ses perspectives de durée de vie
sont sans doute de 40 ans, voire plus. Le point sur lequel je vais
insister de nouveau est que ce n'est pas la recherche qui va nous apprendre des
choses, mais des décisions qui seront un arbitrage sûreté,
économique, politique, face à une problématique de
maintenance lourde à opérer.
On saura faire les bons diagnostics, on saura apporter les bons produits mais
ensuite, il faudra dépenser des milliers ou des milliards de Francs sur
une installation dont, en tout état de cause, les années sont
comptées, et ceci risque de raccourcir la durée de vie
réelle. C'est ce qui me conduit à dire qu'il est
nécessaire d'être prêt à tout instant pour construire
les réacteurs de remplacement.
Le deuxième point, sur lequel nous reviendrons peut-être tout
à l'heure, est que Monsieur DAURES a marqué une interrogation
assez forte quant à l'économie de l'EPR. Ceci paraît
normal, c'est dans son rôle puisqu'il est client potentiel, en tous les
cas je l'espère, et il doit légitimement faire pression sur ses
fournisseurs. Je voudrais apporter une certaine note d'optimisme en indiquant
que je suis personnellement engagé dans cette aventure d'EPR depuis 1989
et que, dès l'origine, nous avons mis au coeur du projet la
compétitivité. Je suis personnellement convaincu que l'EPR est un
produit compétitif.
M. BARRE
- Je voudrais donner un point de
détail supplémentaire : il n'y a pas de couperet, en termes
juridiques. En Finlande, vous aviez des cuves qui vieillissaient rapidement et,
dès l'instant où cela a été décelé
suffisamment longtemps à l'avance, ils ont fait des modifications de
coeur en retirant les crayons qui étaient proches de la cuve et qui
étaient la source principale de doses, et cela leur a permis de ne pas
avoir à changer de réacteur. Dans cette affaire, on n'est pas
dans le domaine des mathématiques mais dans celui de la physique.
M. QUENIART
- Il faut certainement faire des
recherches et des développements sur le vieillissement pour essayer de
comprendre les phénomènes et les anticiper. Cependant, je crois
qu'il faut rester modeste car faire des tests de vieillissement
représentatifs n'est pas simple, et ces tests sont en
général portés sur de courtes durées du
vieillissement accéléré, dans des conditions qui ne sont
pas complètement représentatives.
En revanche, il faut rester curieux et c'est une des raisons pour lesquelles,
sur le plan technique, on demande à faire davantage de contrôles
et, au cours des décennales, il faut être particulièrement
curieux, par exemple en regardant l'intégralité d'un circuit...
C'est un ensemble de choses qui permet de s'assurer qu'il n'y aura pas
d'incidents dans les dix prochaines années.
Mme SENE
- Je voudrais revenir sur le fait que
dans le débat EPR se glisse tout de même un point très
important, qui est celui des déchets, qui ne devra être
débattu au parlement qu'en 2006 au vu de tout ce qui se passe
actuellement. Or, je répète que la technologie actuelle de l'EPR
ne tient pas compte d'un certain nombre de possibilités pour
éviter d'avoir des problèmes de déchets.
Le deuxième point est la politique énergétique. En 1994,
le rapport SOUBIRON avait montré une possibilité d'avoir toute
une panoplie et une diversification absolument indispensable de notre
production énergétique. Le nucléaire apporte une certaine
indépendance mais il ne faut pas l'élever à la hauteur
d'une institution, nous sommes quand même dépendants ;
même s'il y a des stocks d'uranium pour l'étranger, il faut donc
nuancer.
Par ailleurs, je ne suis pas sûre, contrairement à tout ce qu'on
dit, que le fait de faire de l'électricité et d'avoir une
industrie compétitive soit particulièrement intéressant
pour l'ensemble des problèmes de chômage, parce que ce ne sont pas
des industries qui ont tant de personnels que cela.
Concernant la durée de vie des centrales, je voudrais dire que,
là aussi, il faudrait faire une opération vérité
pour se demander quel est le coût exact, sur le programme, de tous les
changements que l'on a faits, et vérifier d'une façon active que
tous les changements réalisés (les coudes, les morceaux de
circuits...) ne causent pas un problème, à terme, sur les
réacteurs.
Il était, à un moment donné, question de savoir si l'on
serait capable de vendre des EPR à l'étranger. Est-ce qu'on
réalise que c'est quand même un énorme
réacteur ? Est-ce que cela signifie que la FRANCE en vendra
à l'ALLEMAGNE et que l'ALLEMAGNE en vendra à la FRANCE ?
M. PRONOST
- En fait, lorsqu'on regarde le
problème du nucléaire de façon spécifique, on
s'aperçoit que les problèmes rencontrés sont des
problèmes de résistance des matériaux et plus
spécifiquement des problèmes chimiques. En fait, l'irradiation
des cuves, dont tout le monde parle, ne semble pas être un
élément limitatif, sachant que des aciers peuvent tenir plus de
60 ans. Le problème n'est pas là, il faut se recadrer sur
l'industrie classique, parce qu'on est obnubilé par le nucléaire.
Lorsqu'on regarde l'industrie classique, le charbon et le fioul, j'en ai vu des
quantités qui n'ont pas dépassé 20 ans, parce que la
technique évoluait. Dans le nucléaire, cela évolue aussi
parce que c'est une science qui est jeune, qui est plus récente que la
technique de charbon ou de gaz. Donc, il me paraît aberrant de donner des
durées de vie de 60 ans. Ce qui me paraît plus important est
la durée d'amortissement. Là, on sait de quoi on parle, on doit
dire : j'ai planifié ma centrale pour tant d'années, cela
rentre dans les prix. C'est ce qui me paraît fondamental parce que, dans
le nucléaire, les problèmes sont des problèmes de pompes,
de robinets qui limitent, finalement. Il y a eu des milliers de robinets
à changer sur la centrale à BUGEY parce que les tiges grippaient.
Ce problème de durée de vie, à mon avis, doit être
évacué ; je ne crois pas que ce soit un vrai problème.
S'agissant d'économie, je suis surpris d'entendre Monsieur ALPHANDERY
dire que l'énergie classique diminuait. Je crois qu'il ne se tient pas
très informé de ce qui se passe. Le pétrole brut a
augmenté de 6 % l'an passé, le gaz de 16 %, ce qui a
augmenté la facture énergétique de l'an passé de
8 %. Pour donner une idée, la facture énergétique de
l'an passé était d'environ 86 milliards.
Revenons aux considérations économiques, le fioul, le charbon...
ce serait 300 milliards, donc 300 moins 86, soit 214 milliards. Il ne
faut pas perdre de vue cela.
M. BIRRAUX
- Merci, je vous laisse la
responsabilité de vos déclarations mais, sur la durée de
vie, il me semble qu'il ne faut pas l'évacuer parce que, si vous le
faites, il est inutile de discuter puisque, si on va à 40 ans,
50 ans et au-delà, pour les centrales actuelles, on aura le dernier
cri d'il y a 75 ans lorsqu'on commencera la construction et personne n'en
voudra. C'est un problème qui me paraît être, à
défaut d'un préalable, du moins une des questions sur laquelle on
doit débattre pour savoir si cela vaut la peine de débattre sur
l'intérêt de l'EPR.
M. LACOSTE
- Je voudrais rebondir sur les propos
de Monsieur DAURES et de Madame SENE, qui ont tous deux insisté sur la
modestie qu'il y avait lieu d'avoir sur la prévision de la durée
de vie.
Lorsqu'on ferme un réacteur à l'étranger et en FRANCE,
c'est en général qu'il y a une prise de conscience collective que
le réacteur vieillit, qu'un certain nombre de composants ont vieilli,
qu'il faudrait remplacer. L'Autorité de Sûreté n'est plus
très sûre que le réacteur soit aux normes de
sûreté. Il y a une certaine focalisation sur le réacteur en
cause, plus personne ne l'aime et il est décidé de le fermer.
C'est parfois l'Autorité de Sûreté qui dit à
l'exploitant de le fermer, parfois c'est l'exploitant qui prend la
décision. Je crois me souvenir de cas où le problème s'est
posé de savoir qui prenait la responsabilité officielle de la
décision.
Tout l'art est d'essayer d'anticiper, mais mon souci est que nous ne soyons pas
en FRANCE, un jour, devant une accumulation de bonnes raisons de fermer toute
une série de réacteurs, auquel cas nous serions dans une
situation délicate. C'est pour cela que je suis personnellement porteur
de l'idée suivante : avant même de prendre quelque
décision que ce soit de lancer un prototype ou une tête de
série de réacteur EPR, avancer le plus vite possible dans la mise
au point du projet EPR pour avoir un projet disponible le jour où les
exploitants, les gouvernements, prendraient par hypothèse la
décision de remplacer une partie du parc nucléaire
français ou allemand par du nucléaire. Que nous ayons quelque
chose sous la main pour nous éviter de nous trouver face à un
problème où l'accumulation de difficultés ponctuelles
finirait par ressembler singulièrement à des difficultés
génériques.
M. VALLESKI
- Je voudrais revenir sur la question
des compétitivités. J'ai cru comprendre, ce matin, que Monsieur
MANDIL était optimiste ; naturellement avec ses certitudes, il
semblerait que l'EPR serait compétitif. En revanche, Monsieur FABIAN a
indiqué qu'en ALLEMAGNE, on était loin de la
compétitivité, qu'il y avait 20 % de différence.
C'est donc assez loin de ce que dit Monsieur MANDIL et j'aimerais avoir des
commentaires là-dessus de part et d'autre.
Dr FABIAN
- Effectivement, j'ai parlé ce
matin de la compétitivité ; on parlait des coûts
d'investissement d'une installation EPR. Si jamais on l'utilise et qu'on essaie
de faire des calculs sur les coûts de production
d'électricité, on arrive au coût de production
d'électricité de l'industrie du charbon. Je crois qu'en fait, on
se trouve en concurrence parfaite avec le charbon. Maintenant, la situation est
différente selon que vous êtes proche ou loin des comptes ;
si vous êtes vous-mêmes pratiquement au même niveau de prix,
si vous êtes loin des comptes, le nucléaire est plus
intéressant que le charbon.
D'un autre côté, nous sommes en train, pour ce qui est des
coûts de production d'électricité, de les réduire
pour l'EPR, et l'on est en train de faire ces calculs de coûts en face
d'optimisation. Vous trouvez déjà de bonnes bases de
départ permettant de réduire ces coûts
d'électricité. Par rapport au charbon, nous avons une
identité de situation en matière de compétitivité,
nous sommes compétitifs, et nous le sommes encore plus par rapport
à ceux qui sont loin des comptes.
Nous n'avons pas encore atteint la compétitivité par rapport aux
turbines à gaz. J'ai dit qu'une des raisons, pour l'exploitant allemand,
de participer à la construction de nouvelles centrales était en
fait que nous ne voulons pas nous fonder exclusivement sur les prix actuels du
gaz et que nous ne voulons pas nous fonder sur un seul vecteur, mais que nous
voulons essayer de maintenir ce panachage de vecteurs
énergétiques.
Mme MacLACHLAN
, journaliste
- Je voulais revenir
sur la réponse de Monsieur DAURES, à votre question EPR en base,
semi-base. J'avais compris que, compte tenu de ce qui a déjà
été construit en FRANCE et de la structure de la demande
d'électricité, et peut-être d'un désir de le faire
évoluer, on avait plutôt trop de capacités en base, et
pendant longtemps, et que si de nouveaux moyens de production devaient
être lancés dans quelques années, ceux-ci devaient
être en semi-base ou en pointe. Cela a d'ailleurs été
démontré par des études internes à EDF.
Si c'est le cas, se poserait le véritable besoin de l'EPR en base
au-delà de la période 2010-2015 et, a fortiori, d'une
série d'EPR.
J'aimerais qu'on m'explique comment on arrive à des tranches EPR en base
dans la première vague EPR et, question auxiliaire, la série 6
à 8 tranches que Monsieur DAURES a mentionnée, ce serait sur
quelle période ?
M. DAURES
- S'agissant de la
compétitivité de l'EPR, nous ne doutons pas d'y arriver. Nous
arriverons à un modèle compétitif ; seulement, il
faut encore travailler pour l'affirmer. Cela repose aussi sur des conditions
telles que les conditions de série, qui sont très importantes. La
compétitivité s'établit dans un cadre défini, elle
n'est pas valable comme cela dans l'absolu, mais nous n'avons pas de doute sur
le fait que, dans des conditions déterminées, nous arrivions
à la compétitivité.
La deuxième chose est que je partage le point de vue de Monsieur
LACOSTE, et exprimé aussi par Monsieur VIGNON. Il est extrêmement
important d'avoir le plus tôt possible un modèle prêt et sur
lequel nous puissions compter pour les décisions que nous avons à
prendre.
Cela peut surprendre l'auditeur qui est habitué à voir la
construction logique base, semi-base et des centrales montant dans le haut de
la base ; il faut dire que ceci est fondé sur l'appréciation
d'une augmentation des consommations, non excessive, mais également
fondé sur l'idée qu'il existe toujours une capacité
d'exportation d'électricité, en EUROPE. N'oublions pas que nous
avons de 5 à 7 tranches du parc EDF qui alimentent l'exportation.
Cela introduit donc un élément important de l'appréciation
dans la programmation de ce que nous avons à faire.
Evidemment, pour l'économie française, il est important que cette
exportation continue à se faire. Cependant, il est évident que
tout ceci introduit quand même des appréciations variables sur les
optimisations nécessaires et les cas précis auxquels nous devons
faire les choses. Cependant, je tiens à dire qu'une fois tout ceci mis
dans la soupière et mélangé correctement, nous finissons
par trouver que c'est à peu près aux mêmes époques
que nous devons remplacer les centrales de la mi-base et de la pointe et les
centrales de la base. Nous devrons faire les deux à la fois.
M. BIRRAUX
- Vous parlez exportation. Quelle est,
à votre avis, l'influence de la déréglementation qui va se
mettre en place, avec la directive sur la concurrence dans le domaine de
l'électricité, sur les capacités d'exportation ?
Est-ce qu'à votre avis, il y a un optimum qui est une vision optimiste
des choses ou est-ce qu'il y a un maximum au-delà duquel EDF ne saurait
aller du point de vue de l'exportation ou, en termes plus triviaux, est-ce que
nous sommes condamnés à être le château d'eau
électrique de l'EUROPE, et singulièrement en
électricité nucléaire ?
M. DAURES
- Cette idée peut choquer les
citoyens que nous sommes lorsqu'on dit qu'il y a, en FRANCE, des types de
production d'énergie que d'autres pays ne veulent pas. Quelque part, on
n'est pas bien à l'aise lorsqu'on dit cela. Il est clair que si, un
jour, le nucléaire remonte en estime en FRANCE et dans l'EUROPE, ce que
nous pouvons admettre comme une hypothèse raisonnable, en tout cas c'est
celle que je fais, il n'apparaîtra pas anormal qu'un pays exporte de
l'électricité nucléaire dès l'instant où
l'on considérera que, au regard des effets globaux sur la
planète, c'est une bonne chose.
A partir de ce moment, on trouvera qu'exporter l'électricité est
comme exporter les voitures. Si l'on arrive à le faire de façon
correcte et dans des conditions acceptables pour le pays, c'est quelque chose
qui peut être compris par la population.
Le problème n'est pas celui-là ; pour l'instant, nous ne
sommes pas en train d'essayer d'accroître la capacité exportatrice
française. Je disais simplement que, dans l'état actuel, il y a 5
à 7 gigawatts qui travaillent à l'exportation, dans notre
parc, et qu'il ne serait pas anormal de garder ce même niveau.
A la question de savoir si le marché de l'électricité
introduira des changements, la réponse est oui, mais j'ignore dans
quelles tranches. Il est vrai que chaque année qui passe rend le
nucléaire plus compétitif. Une tranche nucléaire devient
plus compétitive parce que, comme elle est grevée de charges
d'investissement, vous amortissez chaque année et vous arrivez
comptablement à des prix qui baissent.
Le marché va introduire un rapprochement entre les coûts
économiques et les coûts comptables, et l'on peut penser que le
parc nucléaire français conservera une capacité
compétitive forte aussi bien en FRANCE qu'à l'étranger,
pour l'exportation. On peut penser cela mais on passera peut-être par des
périodes un peu agitées. Comment le dire aujourd'hui ? Cela
dépendra essentiellement de la pugnacité des industries
gazières, de la volonté de s'implanter à un moment
donné, de capturer des marchés...
On sait une seule chose, c'est qu'aujourd'hui nous sommes dans une situation
acceptable du point de vue de la compétitivité et que celle-ci a
plutôt tendance à s'améliorer, au cours des années.
M. BIRRAUX
- Je voudrais revenir à un point
que je soulevais ce matin et que Madame SENE a partiellement repris. Ce matin,
je disais que les accords NPI définissaient initialement un produit
commun qui était destiné à l'exportation ;
c'était l'accord ou l'idée originale et originelle. Puis, avec
l'évolution de la coopération entre les autorités de
sûreté, les électriciens, entre FRAMATOME et SIEMENS, entre
GRS et l'IPSN, entre le CEA et l'institut de KARLSRUHE, on est passé du
produit commun au produit unique.
Est-ce que cela nécessite de revoir les accords et pensez-vous
raisonnablement que vous arriverez à placer un réacteur à
l'export si vous ne vous pouvez pas montrer quelque part le même
réacteur qui fonctionne dans l'un de vos deux pays ?
Je n'ai pas encore vu de constructeur automobile avoir des voitures
exclusivement destinées à l'exportation ; en
général, celles qui le sont ont un certain nombre
d'éléments supplémentaires qui ne sont pas dans le
modèle national, c'est un plus, mais on voit quand même le
modèle de base.
Comment voyez-vous le passage du produit commun au produit unique ?
Voyez-vous la nécessité de montrer qu'il y en a un qui fonctionne
quelque part avant de le vendre à l'export, et est-ce que cela
nécessite une rediscussion des accords ?
M. VIGNON
- Mes collègues et amis de
SIEMENS, Monsieur BURKLE ou nos partenaires électriciens
compléteront ma réponse. Je voudrais d'abord rappeler que produit
commun et EPR sont deux noms différents pour représenter la
même chose. Effectivement, au coeur de notre coopération de 1989
avec SIEMENS, l'intention était d'établir un modèle commun
de réacteur. Il est vrai qu'initialement, nous l'avions conçu
pour l'exportation mais, dès l'origine, nous avons eu une
démarche de marketing pour les concevoir en fonction des demandes des
futurs clients.
Or, il s'avère que, dès lors qu'on fait un nouveau produit, il
faut le définir en fonction des nouveaux critères des
règles de sûreté les plus récentes. Ces
règles de sûreté étaient tenues par les
autorités de sûreté françaises et allemandes, par
l'intermédiaire des électriciens français et allemands, et
donc, très naturellement, notre démarche de produit commun
initialement vers l'exportation est devenue produit commun également
adapté aux marchés français et allemands et, à vrai
dire, à l'ensemble des marchés européens car tous les pays
européens auront des problématiques semblables de sites rares, de
populations relativement denses, de soucis sur les rejets et, en point commun,
de compétitivité.
Donc, produit commun/produit unique, ce sont deux noms différents pour
la même chose qui, aujourd'hui, s'appelle l'EPR.
Ensuite, vous posez la question de savoir s'il faut revoir les accords de 1989.
Je dirai essentiellement que les accords de 1989 définissent un
schéma industriel de réalisation de réacteurs pour
l'exportation ; en revanche, ils n'en définissent pas pour la
FRANCE et l'ALLEMAGNE. A cet égard, tout est à faire. C'est en
fonction des schémas qui seront retenus par les compagnies
d'électricité pour investir dans un nouveau projet que pourront
être étudiées, définies, convenues, les conditions
de participation des deux industries respectives. A cet égard, notre
accord de 1989 n'interdit rien mais il ne traite pas le sujet. Donc, les
conditions de réalisation d'un EPR franco-allemand sont à
bâtir en fonction des accords de financement.
Le troisième point que vous avez soulevé est de savoir si l'on
peut faire un réacteur pour l'exportation sans en avoir fait en FRANCE.
Sur ce point, il est évident qu'on a besoin d'une compagnie de
lancement. Il n'y a pas de compagnie de fabrication d'avions, il n'y a pas
d'AIRBUS, de BOEING, de Mac DOUGLAS, lorsqu'il existait, qui n'associe pas
une grande compagnie aérienne pour le lancement de son produit. En
général, c'est la compagnie nationale. Effectivement, nous avons
donc besoin du soutien des compagnies de lancement françaises et
allemandes. Ce serait une erreur que de prétendre le contraire.
Est-ce que, nécessairement, ce soutien doit être donné
à un projet réalisé en FRANCE ? C'est un sujet qui
est ouvert, les électriciens investissent aujourd'hui dans toute
l'EUROPE, voire dans le monde entier. L'EPR étant un produit
compétitif, il doit trouver raisonnablement une bonne compagnie de
lancement, ou deux compagnies de lancement française et allemande,
là où il y a des besoins d'électricité.
M. BIRRAUX
- Avant que je demande à vos
collègues allemands de répondre, me permettez-vous de poser une
question complémentaire ?
Est-ce qu'aujourd'hui, sur les marchés à l'export, qui sont
relativement restreints, donc très courus, surtout lorsqu'on envisage
les pays solvables, vous vous positionnez en commun sur EPR ou sur ce produit
commun - si j'ai bien compris, c'est le cas pour la TURQUIE - ou bien
est-ce que vous continuez à vous positionner en concurrents, comme ce
serait le cas en CHINE ?
Auquel cas, si vous êtes concurrents, est-ce que vous assurez la
promotion du N4 et les Allemands celle du KONVOI, ou est-ce qu'il y a un accord
qui permettrait d'assurer ensemble la promotion ou d'un EPR ou de ce produit
tel qu'il était défini dans les accords de 1989 ?
M. VIGNON
-
Sur la première partie de votre
question, lorsqu'on est à l'exportation, si la question se posait en
FRANCE ou en ALLEMAGNE, la réponse serait sans doute la même. On
ne peut présenter qu'un seul produit et certainement pas
présenter au même client deux produits appartenant à deux
générations différentes, parce que l'un "déforce"
l'autre. C'est l'habileté des commerciaux, c'est la réflexion sur
le bon marketing à adopter. Il faut avoir une raisonnable intuition de
ce que souhaite le client et le lui offrir du premier coup. Tous les exercices
ayant consisté à présenter deux produits ont montré
leur inutilité, leur caractère négatif, un produit
annulant l'autre.
S'agissant du deuxième point de votre question, nous avons avec SIEMENS
une démarche de présentation d'un seul produit dans les
différents pays dans lesquels il y a un embryon de demande
nucléaire. Cela a été le cas en FINLANDE, en 1992,
où nous avons présenté le produit allemand KONVOI, cela a
été le cas en 1993-1994, quand nous avons présenté
à TAIWAN le produit 1 300 P'4, qui avait d'ailleurs une
variante sur une partie de la technique intégrée dans ce produit,
mais c'était basiquement le produit P'4. C'est le cas actuellement en
TURQUIE, où nous offrons une intégration des fournitures
FRAMATOME, SIEMENS et ALSTHOM autour du modèle KONVOI de SIEMENS, avec
SIEMENS comme leader.
Dans le cas particulier de la CHINE, il se trouve qu'il y a un
antécédent qui est la réalisation par la FRANCE, à
la satisfaction des Chinois, de quatre tranches nucléaires, et donc nous
sommes sur le chemin délicat de satisfaire les besoins du client qui
souhaite être dans une certaine continuité par rapport à ce
qu'il connaît, par rapport à ce qu'il a réalisé, qui
sont les tranches DAYA BAY, qui fonctionnent très bien, la tranche de
QINSHAN, qui est construite selon notre technologie et qui se réalise
actuellement dans des conditions honorables, les tranches de LINGAO, que nous
offrons et qui se réalisent très bien jusqu'à
présent.
Le client est dans cette continuité de technologie, et nous cherchons
à utiliser au mieux le support de notre partenaire SIEMENS dans ses
domaines de compétence, tout en étant soucieux d'être dans
la continuité technique que souhaite notre client.
M. SCHNEIDER
- Monsieur MANDIL a dit ce matin
qu'il considère qu'il y a actuellement de l'ordre de quatre tranches en
surcapacité et que cette surcapacité serait
résorbée vers 2020. On a entendu des chiffres qui variaient plus
ou moins de la part d'EDF mais, concernant la surcapacité actuelle, ce
sont les chiffres qui ont été donnés. Cependant, je
m'intéresse aussi à la comparaison économique des diverses
stratégies de la part des constructeurs, des électriciens et de
l'Etat concernant les deux objectifs qui ont été
mentionnés, à savoir maintenir le niveau de connaissance et
créer une vitrine à l'exportation.
Encore faudrait-il qu'on gagne de l'argent avec l'exportation, parce qu'il ne
suffit pas d'exporter un réacteur pour gagner de l'argent. Il serait
intéressant de connaître l'évaluation de ce point de vue,
et en particulier savoir qui supporte les frais des différentes
hypothèses et stratégies puisque, si l'on fait une vitrine pour
l'exportation ici en FRANCE, payée par EDF en particulier, il ne me
paraît pas logique que ce soit FRAMATOME qui gagne de l'argent avec
l'exportation.
En dehors de cette stratégie de dire qu'il nous faut une vitrine, il
serait intéressant d'évaluer le coût d'autres
stratégies, comme le font les Américains, qui ne construisent pas
de centrale et se placent sur des marchés très concurrentiels
à l'exportation. Dire : on maintient une veille technologique en
matière nucléaire, il est évident qu'il faut le faire,
mais est-ce possible et, si oui, qu'est-ce que cela coûte sur le long
terme sans construire un nouveau réacteur ?
M. BIRRAUX
- Votre question est très
compliquée, sachant que vous avez distingué l'exploitant, le
constructeur et l'Etat et, dans les deux premiers, l'Etat est largement
actionnaire, c'est donc une nébuleuse.
M. DAURES
- Je voudrais rassurer Monsieur
SCHNEIDER, je n'ai pas vocation à faire des vitrines ni à faire
payer par les clients français des choses inutiles. Il n'y a pas de
surcapacité, les réacteurs tournent tous et ils ramènent
chaque année à l'exportation 15 milliards de chiffre
d'affaires. Je souhaite que cela continue, nous gagnons bien notre vie à
l'exportation avec notre capacité nucléaire supplémentaire.
Quant à créer une vitrine, nous ne créons pas de vitrine,
nous préparons notre avenir. Il se trouve que cela aidera très
probablement l'ensemble des constructeurs, parce qu'ils auront fait un
exercice, mais nous créerons pas de surcapacité inutilisée
chez nous pour le plaisir de leur permettre de vendre des réacteurs
à l'étranger.
M. BIRRAUX
- J'ai une autre question sur l'export.
Les réacteurs en construction les plus puissants atteignent
1 450 mégawatts. Ce matin, Monsieur LECOCQ a dit qu'on
arrivait à 1 530 mégawatts et qu'on envisageait
l'extension à 1 750, mais ceci, c'est l'optimisation
économique - qui n'est pas encore achevée - qui le
dira. Pensez-vous qu'à ces puissances, ce sont des modèles qui
peuvent être exportés ?
M. LEVI
, Directeur général adjoint de
FRAMATOME
- Monsieur le Président, je crois que la
meilleure réponse est de savoir ce qui se passe concrètement. La
CHINE est un grand pays avec des provinces qui sont faiblement
interconnectées entre elles, mais qui ont toutes la dimension d'un de
nos deux pays, FRANCE ou ALLEMAGNE. On est dans la gamme des
600 mégawatts, 1 000 mégawatts. Le cahier des
charges auquel nous avons répondu en TURQUIE nous met dans les
1 400 mégawatts. Ces exemples montrent qu'il y a une certaine
variabilité et, lorsque nous aurons une référence sur
l'EPR, nous pourrons, compte tenu de l'accroissement de la consommation dans
des pays cibles de l'exportation, et la CHINE est le cas le plus probant,
lorsqu'il n'y aura plus d'interconnexion, lorsque le réseau sera plus
maillé à l'intérieur des provinces, nous pourrons
considérer qu'il y a une bonne acceptation des puissances plus
élevées.
Pour l'instant, il me semble que les 1 000 mégawatts ou les
1 400 mégawatts de la TURQUIE sont acceptables mais, à
un horizon de dix ans, on peut effectivement tabler sur un accroissement des
tailles unitaires.
M. BIRRAUX
- C'est parfois très trivial,
l'histoire de la puissance. C'est trivial dans la mesure où cela
dépend de la capacité du réseau qui est en place, ceci est
un premier élément. Deuxième élément, encore
plus trivial : comme vous ne construisez pas la cuve sur place, il faut
que de gros semi-remorques traversent les villages avec une queue de
réacteur chargée sur les remorques. Je sais que des pays ont
résolu le problème en déviant les villages ; ainsi,
on passe sans se soucier des dégâts qu'il peut y avoir, mais
reconstruire des villages plus loin n'est pas le plus fréquent, ni le
plus facile à faire.
M. LEVI
- En effet mais, si je reprends l'exemple
de la CHINE, vous savez que nous sommes engagés dans un programme de
fabrication dans une province stratégique, en CHINE, mais relativement
éloignée des centres de consommation que sont les provinces
côtières. Nous fabriquons déjà des composants lourds
et nous en fabriquerons de plus en plus. Les moyens de transport, notamment par
fleuve, ne posent pas de problèmes aussi importants que ceux que vous
dites.
M. BIRRAUX
- Savez-vous pourquoi les VVER ont des
cuves étroites et hautes ? Parce qu'il faut passer les tunnels avec
la remorque, tout simplement.
M. MASEDAIL
- Je voudrais intervenir par rapport
à la notion de surcapacité. Pour ce qui nous concerne, nous
considérons que nous sommes en sous-capacité par rapport aux
besoins réels à satisfaire dans ce pays car, à notre
connaissance, il y a beaucoup de citoyens qui sont aujourd'hui privés
d'électricité dans ce pays.
Je voudrais également attirer l'attention de cette assemblée sur
le fait que, à mon avis, il n'est pas prématuré de
débattre aujourd'hui de l'EPR car, si nous décidons de faire
l'EPR, il faut que nous soyons en capacité de le réaliser, et
ceci veut dire que nous soyons en capacité industrielle et
d'ingénierie pour le faire. Or, la baisse du programme nucléaire
amène les sociétés à réduire les
effectifs ; mon intervention ne porte pas sur le côté social,
mais sur le potentiel industriel qui restera lorsqu'on prendra cette
décision.
M. BIRRAUX
- J'aimerais aborder à
présent une question qui est délicate, mais qu'il faut aborder.
Monsieur BURKLE l'a déjà partiellement abordée, ce matin.
Je crois que chacun a bien compris aujourd'hui quelle avait été
l'importance de la coopération franco-allemande, sur ce sujet, et je
vous rappelais encore ce matin, dans cette vie qui n'est pas entièrement
antérieure, étant en charge d'un rapport auprès de
l'Assemblée Nationale, que j'avais rencontré non seulement
Monsieur KENLER, mais aussi Monsieur HUTON, plus longuement, qui avait aussi
beaucoup insisté sur la coopération franco-allemande.
Nous avons pu mesurer aujourd'hui que ce n'était pas seulement une
volonté des politiques parce que finalement la coopération passe,
certes, par une volonté politique mais passe aussi par des actes, qui
sont des actes concrets, des actes tangibles qui sont parfaitement visibles,
identifiables par l'opinion. Aujourd'hui, je crois que nous avons eu la preuve
de ces actes à travers les coopérations qui se sont
instaurées entre les différentes institutions, entre la FRANCE et
l'ALLEMAGNE, dans le domaine du nucléaire.
Néanmoins, une question mérite d'être posée. J'avais
mesuré toute l'inquiétude des autorités allemandes, au
sens le plus large du terme, en automne 1996 lorsque, rapporteur de la mission
d'information sur les conséquences de l'éventuelle privatisation
de FRAMATOME, j'avais rencontré Monsieur HUTON et Monsieur KENLER. Dans
le rapport que j'ai rédigé et que j'ai présenté, il
y a un chapitre qui insiste particulièrement sur cette
coopération franco-allemande et j'avais compris - et je le dis
aujourd'hui en tant que parlementaire français, rapporteur à
l'époque de cette mission d'information - l'importance capitale
à mes yeux, et aux yeux du parlement français, de la
coopération entre la FRANCE et l'ALLEMAGNE. Vous pouvez vous
référencer à ce rapport, et je tiens à
réaffirmer cette vision des choses.
J'avais compris quelle était l'inquiétude des autorités
allemandes devant l'éventualité de l'entrée dans le
capital, d'une manière importante, de GEC ALSTHOM. J'avais même
proposé, pour bien marquer cette volonté politique, si cela
devait se faire, qu'il puisse y avoir des participations entre FRAMATOME et
SIEMENS, dans le capital de l'un et de l'autre, pour bien accrocher et arrimer
cette coopération.
De la même manière, je dois vous dire que des personnes se posent
des questions aujourd'hui sur le rapprochement entre SIEMENS et BNFL. J'ai
compris ce matin, Monsieur BURKLE, que vous souhaitiez rassurer les partenaires
français, que votre désir de poursuivre cette coopération
n'était en rien entamée même si, sur d'autres
thèmes, vous cherchiez des coopérations. Or, j'aimerais que vous
nous disiez aujourd'hui où vous en êtes.
Comment voyez-vous l'évolution de cette coopération
franco-allemande dans un cadre qui sera différent, où vous aurez
des accords avec BNFL ou peut-être même avec une entreprise
nouvelle issue d'une Joint Venture entre SIEMENS et BNFL. Que deviennent les
accords NPI ? Que devient la propriété intellectuelle que
vous avez en commun ? Comment préserver cette
propriété intellectuelle et comment envisager des
démarches communes dans un domaine particulier alors que vous allez vous
retrouver en concurrence dans d'autres domaines, sachant, par ailleurs, que
vous avez effectué des offres communes, en particulier dans le cadre des
programmes européens pour l'assistance à la sûreté
nucléaire dans les pays d'EUROPE centrale et orientale, des programmes
phares, des programmes passifs où FRAMATOME et SIEMENS se sont
retrouvés ensemble ?
M. BURKLE
- Les contributions à notre
discussion par les participants et les autorités ont montré
très clairement une chose, c'est que les attentes liées à
ce projet, dans la mesure où elles pouvaient être atteintes, l'ont
été. Autrement dit, nous disposons à présent d'une
bonne base sur laquelle nous pouvons nous fonder et à un niveau
où nous pouvons véritablement nous retourner sur ce que nous
avons fait et dire ce que nous avons fait. Nous l'avons bien fait et il fallait
le faire comme nous l'avons fait.
J'ai dit également - je ne l'ai pas caché - que les
débuts avaient été difficiles. Si l'on regarde en
arrière et que l'on se rappelle cette période, la
réalisation d'un tel projet en EUROPE - et l'on a invoqué
beaucoup de raisons pour lesquelles un tel projet était important et
intéressant - on ne peut que se dire que cela a été
utile. Il serait complètement ridicule de le nier. Nous voulons que
cette coopération dans le domaine de l'EPR puisse être poursuivie
avec FRAMATOME, et nous sommes convaincus que le rapprochement que nous
entamons à l'heure actuelle avec les Britanniques ne risque en aucune
manière de nuire à cette coopération avec FRAMATOME.
Je vais m'expliquer davantage sur cette question. Nous sommes aujourd'hui dans
une situation où, malheureusement, nous ne faisons plus beaucoup de
centrales nucléaires. Ceci a comme conséquence que les
possibilités pour nous de gains, de profits se trouvent au niveau des
services et de la livraison de composants ou d'éléments. C'est
là-dessus que nous nous concentrons puisque c'est là que nous
pouvons gagner notre pain quotidien ; sinon, nous n'existerons même
plus sur le marché. Cela nous permet aussi d'assurer et de sauvegarder
une grande partie de nos savoir-faire, mais l'important est de faire des choses
comme le développement de l'EPR. C'est quelque chose de nouveau.
Il n'en reste pas moins qu'il faut toujours essayer d'assurer la
pérennité de son entreprise et essayer, bien sûr, de
réaliser un certain nombre d'affaires et de s'engager dans des affaires
qui mèneront à quelque chose, concrètement parlant, et un
partenariat élargi avec BNFL, éventuellement, nous permettait
certainement d'améliorer notre position dans le domaine des
activités de rattrapage des installations existantes.
Avec FRAMATOME, nous nous sommes retrouvés à plusieurs reprises,
et nous nous trouvons encore aujourd'hui, dans une situation de concurrence
dans d'autres domaines. Néanmoins, nous avons pu travailler ensemble
avec le plus grand succès sur notamment l'EPR. On parlait tout à
l'heure de l'échange de générateur de vapeur pour
plusieurs réacteurs en EUROPE ; il y avait ce cadre là aussi
à l'extérieur de la FRANCE et l'ALLEMAGNE, j'entends, et nous
sommes, les deux sociétés, largement intéressées
par ce qui se passe du côté russe. C'est là une tâche
qui nécessitera l'accord et le soutien de nos gouvernements et cela
à un niveau largement plus important que ce qui est le cas aujourd'hui.
Cela vaut pour la RUSSIE et les améliorations des réacteurs des
pays de l'Est, et je crois qu'en tant que fabricant, il faut savoir que l'on
n'est pas dans un cadre totalement politique, bien au contraire. Tout cela pour
vous dire que cela fait longtemps, déjà, que nous entretenons des
relations avec FRAMATOME et je crois que nous pouvons sans problème les
poursuivre dans les domaines que j'ai cités tout à l'heure et en
particulier, bien sûr, dans le domaine de l'EPR, même dans le
contexte nouveau qui est celui de la Joint Venture que nous envisageons.
M. BIRRAUX
- Avant de donner la parole à
Monsieur VIGNON, je souhaiterais poser une question complémentaire
à Monsieur BURKLE. Vous allez vous retrouver dans le cadre d'une Joint
Venture, en quelque sorte, avec une entreprise nouvelle qui n'a peut-être
pas encore choisi son nom mais qui pourrait être BNFL-SIEMENS, et vous
auriez à côté de vous comme bras droit ou bras gauche, ou
vous serez le bras droit ou le bras gauche d'un britannique. Comment le bras
droit de Monsieur BURKLE pourra-t-il interdire à son bras gauche de
savoir quelle a été la propriété intellectuelle,
quel a été l'investissement fait par SIEMENS, alors qu'une
nouvelle entreprise sera là ?
Comment préserver ce savoir-faire, cette propriété qui est
commune à FRAMATOME/SIEMENS ? Vous aurez un bras droit qui
connaîtra et un bras gauche qui n'en aura pas le droit ; comment
envisagez-vous de préserver cela ?
M. BURKLE
- Je crois qu'en fait, les choses
peuvent être beaucoup plus faciles qu'on ne l'imagine d'entrée de
jeu. J'aimerais ajouter que, pour nous, le côté sensible et
délicat de cette question ne nous était pas du tout
inconnu ; c'est consciemment que nous avons décidé de
franchir le pas. C'est à l'automne, dès lors que les
premières négociations ont commencé, que nous avons
été incités à obtenir un rapport le plus exhaustif
possible sur notre projet.
Il est clair que nous ne sommes pas encore passés à la phase
d'application puisque ce genre de procédure est plutôt long et,
dans le milieu industriel, il n'est pas forcé, au début des
négociations, de divulguer ce genre de chose. Cependant, nous l'avons
fait d'entrée de jeu et nos collègues et partenaires
français ont été informés parce que nous voulions
à tout prix éviter des malentendus.
Si quelqu'un dans notre secteur industriel, si une société de
chez nous envisageait de fusionner, de travailler avec une autre
société, cela poserait un problème, mais la situation
à laquelle nous avons à faire est différente. En effet, le
partenaire auquel nous pensons n'intervient pas du tout dans le domaine qui
nous intéresse aujourd'hui. Il ne dispose d'aucun savoir-faire, d'aucune
expérience dans ce domaine. Peut-être manifestera-t-il de
l'intérêt, en tant qu'exploitant, pour la construction de ce genre
d'installation mais, dans ce domaine, c'est un partenaire qui n'a rien à
apporter dans la Joint Venture. C'est la raison pour laquelle il peut
participer à cette technologie mais en aucune manière il ne
pourra, que ce soit de façon autonome ou dans une situation de
concurrence, utiliser cette technique.
Autrement dit, il reste un lien particulier et un savoir-faire qui
résulte de la coopération entre FRAMATOME et SIEMENS, et il n'y a
pas de raison que quoi que ce soit soit modifié par les partenaires
britanniques.
M. BIRRAUX
- Je vais encore poser une question et
prendre une comparaison extrêmement triviale, à savoir l'exemple
d'un couple ayant eu un enfant en commun : FRAMATOME/SIEMENS ayant fait le
projet EPR, ceci pour simplifier.
Donc, vous avez un enfant en commun et d'un coup, en raison des aléas de
la vie, l'un des partenaires souhaite aller vivre sa vie avec quelqu'un
d'autre. Cependant, il y a cet enfant en commun et la volonté de
l'éduquer le mieux possible. L'un des partenaires se retrouve avec une
recherche, sur le plan professionnel, qui vient concurrencer l'ex-conjoint, et
puis, il y a peut-être un deuxième partenaire puisque, les
activités nucléaires de Westinghouse étant à
vendre, vous vous retrouvez concurrents pour le rachat de ces activités
Westinghouse.
Croyez-vous que ces concurrents, qui finissent par s'accumuler, vont continuer
à maintenir une bonne harmonie pour l'éducation du petit ?
M. BURKLE
- Je vais essayer de ne pas verser dans
la spéculation. Ce qui se passe avec Westinghouse est peut-être la
réalité ; d'un autre côté, cela peut être
un chapitre fort triste de notre histoire. Si je conserve votre
métaphore, l'enfant est de quatre partenaires puisqu'il y a les
exploitants français, EDF, FRAMATOME et bien sûr les
électriciens allemands, chaque partenaire ayant des droits sur cet
enfant. En l'occurrence, ce projet serait technologique et la base de ce projet
a une particularité, c'est qu'entre SIEMENS et FRAMATOME, il existe
déjà un accord ferme qui, pendant de nombreuses années, a
très bien fonctionné, ce qui a permis de produire quelque chose
de remarquable d'un point de vue technique et, là où ce serait
possible, cela pourrait être commercialisé sur le marché.
En gardant toujours votre métaphore, chaque mariage, chaque couple est
aussi bon que chacun de ses partenaires et que le contrat qui a
été conclu entre les deux partenaires, en matière
économique. Le contrat est une chose mais, finalement, le plus important
entre les deux est la confiance, ce sont les qualités qui sont
manifestées par l'un et l'autre des partenaires, au-delà de leur
contrat de mariage.
Or, jusqu'à présent, je ne vois pas que cela ait posé le
moindre problème. Dans la nouvelle constellation qui se dessine, nous
avons l'intention de poursuivre ce mode de vie parce que nous pensons que cela
renforce nos positions respectives. Nous pensons que la FRANCE
préfère travailler avec un partenaire sur un pied
d'égalité plutôt qu'avec un partenaire qui s'affaiblit avec
le temps.
Nous essayons de remédier aux difficultés de la situation
actuelle par une participation dans une foule d'autres activités
jusqu'à ce qu'un jour, toute une foule de commandes de centrales
nucléaires remplisse nos carnets et que le regard de tout un chacun se
concentre sur nos activités nucléaires.
M. BIRRAUX
- Monsieur VIGNON souhaite
peut-être ajouter un mot.
M. VIGNON
- Il n'est pas certain que je le
souhaite. Les alliances industrielles, les partenariats se prêtent
plutôt à des réflexions d'alcôve qu'à des
grands débats publics. Cela étant, vous posez une question qui
est réelle et que, je crois, il n'est pas raisonnable de traiter
uniquement par la langue de bois. D'ailleurs, la façon dont vous animez
ce débat, la réflexion sur le nucléaire, n'a jamais
laissé place à la langue de bois.
Il est vrai que notre coopération avec SIEMENS n'inclut pas depuis
l'origine, depuis 1989, les domaines des services et du combustible. Il est
donc tout à fait possible d'avoir une coopération avec un
partenaire dans le domaine des réalisations nucléaires et avec un
autre partenaire dans le domaine des services et du combustible. On peut
même trouver des situations intermédiaires puisque, malgré
le fait que notre accord avec SIEMENS n'incluait pas les services, nous
coopérons dans les services, et Monsieur BURKLE vient de rappeler que
SIEMENS souhaite poursuivre cette coopération dans le domaine des
services nucléaires, notamment dans le domaine des
générateurs de vapeur et vis-à-vis des pays de l'Est.
Le point, néanmoins, qu'on ne peut pas totalement occulter est qu'il y a
une continuité, dans la technologie, entre la conception des
réacteurs et le combustible. Le combustible est au coeur des
réacteurs et il est un peu difficile de dire qu'on peut être
totalement avec un partenaire dans le domaine des réacteurs et
totalement avec un autre dans le domaine du combustible. Cela pose à
l'évidence les questions de propriété, de savoir-faire que
vous avez posées tout à l'heure.
Il est vrai - et j'ai relu avec attention le rapport que vous avez
publié l'an passé à l'occasion du projet de rapprochement
de FRAMATOME et de GEC ALSTHOM - qu'à cette époque, nos amis
allemands avaient fait part de leurs préoccupations de voir les
Britanniques un peu comme des intrus, ou des nouveaux venus tout au moins, dans
le dispositif. Ces questions sont donc tout à fait réelles.
Je crois néanmoins qu'il faut les aborder avec beaucoup de
sérénité et nous le ferons avec ce souci très fort,
qui a été exprimé tout au long de cette journée et
que le Président ALPHANDERY a rappelé, de l'intérêt
d'un rapprochement franco-allemand, notamment de façon à
être la vertèbre de l'harmonisation de sûreté
franco-allemande. Ceci, j'en suis certain, demeurera et nous aurons toujours
l'EPR présenté aux autorités de sûreté
françaises et allemandes comme le point commun qui permettra
progressivement de bâtir une sûreté européenne.
Là où la discussion aura lieu, ce sera pour savoir ce que sera
effectivement cette Joint Venture entre BNFL et SIEMENS, et quel sera le poids
de SIEMENS et celui de BNFL dans cette organisation. Il est légitime que
SIEMENS ait besoin de faire son travail à la maison, au moins avant de
nous en parler de façon précise.
Je terminerai ces propos par la continuation de votre métaphore. Au
fond, l'EPR vise notamment à maintenir les compétences, maintenir
les compétences de l'industrie française et de l'industrie
allemande, et l'industrie allemande est notre partenaire dans un certain nombre
de domaines mais peut être notre concurrent dans d'autres domaines.
Votre comparaison, appliquée à cette question centrale de
maintien des compétences, est un peu la suivante : est-ce que
l'épouse délaissée doit donner au mari infidèle
l'aphrodisiaque qui lui permettra de rencontrer la maîtresse ?
Mme RIVASI
- J'ai plusieurs remarques à
faire par rapport à ce matin, d'abord s'agissant de l'EPR ; je
m'adresserai d'abord avec une casquette scientifique et ensuite avec une
casquette de parlementaire. Première casquette scientifique, je suis un
peu déçue par l'EPR. Je m'attendais, d'après les
échos qu'on en avait, à un réacteur
révolutionnaire, à un réacteur d'une sûreté
exemplaire, et je m'aperçois qu'on a un réacteur
évolutionnaire, qui tient compte des très nombreuses critiques
que l'on a faites sur certains problèmes que posaient nos propres
réacteurs. Je trouve que c'est une amélioration de nos
réacteurs actuels, mais ce n'est pas un réacteur de très
haute sûreté, avec des concepts nouveaux. C'est une
évolution de nos réacteurs actuels.
Par ailleurs, vous dites que l'EPR sera compétitif, qu'on pourra
atteindre des chiffres de l'ordre de 17 centimes par kilowattheure,
d'où ma deuxième remarque. Lorsque vous donnez de tels chiffres,
il n'y a pas seulement la production d'électricité, il y a tous
les problèmes sur la gestion des déchets radioactifs. En
avez-vous tenu compte ?
S'agissant de ma question sur l'exportation, je prendrai ma casquette de
parlementaire. Vous comprenez bien que si l'on exporte des réacteurs, il
faut être sûr qu'il y ait une certaine stabilité politique
et financière pour payer la sûreté. En FRANCE, on a des
réacteurs qui ne nous ont pas posé d'énormes
problèmes parce qu'on a mis les moyens financiers. Nous, en tant que
politiques, on a notre responsabilité qui est d'une part que les nuages
radioactifs traversent les frontières ; vous comprenez bien qu'on a une
responsabilité sur l'exportation de ces réacteurs parce que, si
l'on a un accident nucléaire du type de celui de TCHERNOBYL, c'en sera
fini des réacteurs nucléaires.
On demande à la TURQUIE, pour rentrer dans la Communauté
Européenne, un certain nombre de conditions ; je me demande s'il ne
faudrait pas un cahier des charges sur ces pays pour savoir si l'on peut leur
exporter des réacteurs nucléaires, comme il y en a un pour entrer
dans la Communauté Européenne.
D'autre part, le gros problème de l'EPR, parce qu'on ne parle que du
réacteur, est de savoir ce qu'on va faire des déchets produits
par ce réacteur. Il est trop facile de dire : on va exporter le
réacteur, mais quelles garanties a-t-on par rapport à la gestion
des déchets ?
Je vous fais une proposition, c'est un package, c'est-à-dire que vous
essayez de trouver un réacteur dans lequel sera prévue une
destruction des déchets à longue période. Au niveau de la
transmutation, ce n'est que sur le papier, et on a très peu
d'éléments pour réduire les déchets radioactifs.
Or, tant qu'on ne l'a pas résolu, ceci reste le gros problème du
développement du nucléaire. On ne peut pas simplement fabriquer
de l'électricité et ne pas savoir gérer les déchets
radioactifs.
M. BIRRAUX
- Les deux premiers points ont
été l'objet de notre débat de ce matin qui était de
savoir pourquoi on avait choisi les options évolutionnaires et le
débat a par ailleurs porté, cet après-midi, sur les
problèmes liés à l'export. Sur le cahier des charges, les
déchets, Monsieur DAURES ou Monsieur DUPRAZ peuvent peut-être
répondre et, sur les déchets, Monsieur BARRE pourrait dire un mot
des suites données au précédent rapport de l'Office.
M. DAURES
- Je suis assez mal placé pour
parler de l'exportation des réacteurs, je ne prendrai donc pas partie
sur la nécessité de faire ou non un cahier des charges, c'est un
problème qui regarde avant tout les autorités
réglementaires, en FRANCE. Cependant, sur le fond, nous avons
essayé de faire quelque chose dans ce domaine depuis longtemps, c'est de
créer les EUR.
On impose des spécifications et on essaie de faire adhérer un
maximum de pays à ces spécifications que, naturellement, le
produit EPR satisfait. Nous essayons de gagner à cette cause le maximum
de pays de façon que ces pays, lorsqu'ils commandent une centrale, aient
des exigences quant à ce produit. Cela ne répond pas à
toutes les questions mais cela répond quand même à une
volonté de provoquer, de la part de tous les électriciens dans le
monde qui commandent des centrales, la sensibilisation au fait qu'ils doivent
être très exigeants et avoir des exigences normatives sur les
produits qu'ils achètent.
Concernant les déchets, je voudrais dire ce qui nous préoccupe,
sur l'EPR. Nous avons essayé de voir comment, à technique connue
actuellement, sans prendre partie sur ce que décidera le parlement le
moment venu sur la fermeture du site, comment on pourrait gérer d'une
façon optimale les combustibles usés. Nous avons
déterminé aujourd'hui des stratégies d'introduction du
produit EPR avec une composante moxée qui nous permet de réduire
au maximum le volume des éléments combustibles du site contenant
du plutonium. Or, si l'on procède avec les réacteurs EPR, avec
les capacités de moxage dites transparentes, c'est-à-dire avec
une proportion d'éléments contenant du plutonium relativement
faible, autour de 15 %, c'est-à-dire n'entraînant pas des
contraintes trop fortes sur l'exploitation, on arrive à faire
décroître, au cours du temps, le volume de plutonium sorti des
réacteurs de la première génération.
Ceci fait qu'à terme, on arrive à compenser dans les
éléments combustibles MOX l'ensemble du plutonium extrait. Ce
n'est pas la solution du problème, le parlement devra faire un point
là-dessus, mais nous pouvons garantir que nous minimisons au maximum la
quantité d'éléments combustibles du site contenant du
plutonium.
Cela ne résout pas tout le problème mais nous y avons
néanmoins prêté attention et, dans ce cadre, le produit EPR
reste un produit stable, solide, sans difficulté d'exploitation
particulière. Il reste à consolider tout cela, bien
entendu ; je ne fais que rapporter ici les éléments de
dégrossissage du problème, mais cela prouve que le produit EPR
est stable par rapport aux solutions à venir. Le produit EPR permet,
dans une gestion normale du MOX, de concentrer le plus possible le plutonium et
donc d'avoir une situation optimale pour traiter les problèmes
ultérieurement.
M. BIRRAUX
- Avant de donner la parole à
Monsieur BARRE, j'apporterai une précision. Lorsqu'un pays veut se doter
de centrales nucléaires, en général, l'agence
internationale de VIENNE fait une enquête sur les capacités
techniques et scientifiques du pays à gérer le fonctionnement
d'une centrale nucléaire. Le rapport de l'AIEA est remis aux
autorités politiques de ce pays. On peut regretter que ce rapport ne
soit pas contraignant. Ce sont aux autorités, ensuite, de traduire les
recommandations de l'AIEA là où celle-ci estime qu'il y a des
faiblesses.
Il y a une exception à cette règle, c'est qu'en 1990, l'AIEA
avait dénombré environ 200 points de faiblesse sur les
centrales bulgares et l'a fait savoir publiquement en demandant aux
autorités bulgares la fermeture immédiate des centrales, mais
c'est l'exception.
M. BARRE
- Ce matin, le professeur TISSOT, qui
assistait à la séance mais qui n'est plus là, aurait pu
vous rassurer puisque la Commission d'Evaluation indique chaque année
à l'Office l'avancement exact des études demandées par la
loi de 1991 sur la gestion des déchets de haute activité ou de
longue durée de vie. Comme vous le savez, la loi définit trois
axes.
Le premier axe comporte séparation et transmutation. Comme le disait
Madame RIVASI, actuellement, ces études sont encore en phase assez
préliminaire. C'est bien pour les mener jusqu'à leur terme et
avoir des résultats à présenter pour 2006 que nous avons
demandé la reprise du fonctionnement en puissance de PHENIX et que nous
avons fait les opérations de jouvence nécessaires pour obtenir
l'autorisation de cette reprise en puissance.
C'est aussi dans le cadre de ce premier axe et pour ne laisser aucune voie non
explorée que nous faisons des études des systèmes hybrides
suralimentés en neutrons par accélérateur. Comme
demandé par la loi, en 2006, nous serons en mesure de présenter
une palette de résultats déterminant la faisabilité
technologique d'un certain nombre de solutions, et ce sera la
responsabilité de la représentation nationale, à partir de
là, de dire ce que le parlement décide.
M. AUFORT
, Fédération CGT de
l'Energie
- Je voudrais donner un peu mon sentiment sur le
débat, en même temps que déboucher sur des questions
concrètes. Je voudrais partir de la question que vous avez posée,
Monsieur le Président, ce matin en introduction : l'acceptation du
nucléaire par les populations.
Je crois que c'est une question extrêmement importante qui a rapport avec
la cohérence de développement de ce nucléaire,
cohérence technique, industrielle et économique. Or, le sujet
d'aujourd'hui est certes de parler d'un aspect de cette cohérence, mais
il n'est pas étranger aux autres. Or, on nous pose, avec juste raison,
la question de la réalisation d'un EPR, dans des délais à
déterminer, dans un contexte difficile où cette cohérence
générale est remise en cause. Il n'est donc pas étonnant
qu'il y ait quelques difficultés à répondre à
certaines questions, les déchets en rapport avec les réacteurs
rapides, mais aussi en rapport avec la demande d'utilité publique sur le
retraitement, et à répondre aux dernières décisions
relatives au stockage définitif en profondeur, où l'on repousse
la réponse des laboratoires.
La question de l'EPR n'est pas étrangère à toutes ces
questions et il me semble qu'on peut le voir sur certains points.
J'aborde le deuxième point :
Depuis ce matin, la question de la compétitivité de l'EPR est une
question centrale, abordée par tous. Cette compétitivité
s'élabore-t-elle au travers d'une logique économique,
c'est-à-dire avec le long terme, ou s'élabore-t-elle uniquement
dans des logiques budgétaires ?
Je crois que c'est une première question qu'il faut nous poser, et je
serais assez d'accord avec ce qu'a dit Monsieur ALPHANDERY : à
moyen terme et à long terme, le nucléaire est indispensable sur
la planète.
Alors, s'il est indispensable, et si nous ne faisons pas rapidement un EPR,
a-t-on évalué le coût économique, social, voire
politique, de la disparition de l'industrie de la construction de
réacteurs ? Je pense que nous n'avons pas abordé cette
question. On a abordé le coût d'une possible anticipation avec la
commande d'un réacteur plus tôt que prévu, mais on n'a pas
évalué les dégâts de tous ordres qui pourraient
être entraînés par le report ad vitam aeternam de
la construction d'un EPR.
Or, il me semble que cette question de la logique économique à
long terme est une question centrale. En effet, j'aurais tendance à
considérer que le nucléaire nous est indispensable parce que
c'est un facteur de stabilité économique et politique, dans le
domaine énergétique, pour l'ensemble de la planète, et
qu'il n'y a pas d'autre source d'énergie qui nous permette de garantir
cette stabilité. C'est en quelque sorte un facteur de paix.
A partir de là, faut-il considérer le nucléaire, et donc
l'électricité en FRANCE, comme une marchandise comme les
autres ? Si c'est oui, on dérégule, avec tous les risques
que cela suppose. Si c'est non, on construit une politique cohérente
à court, à moyen et à long terme et nous avançons.
Je pense que les parlementaires ont raison de poser la question aux partenaires
sociaux et aux techniciens sur l'avenir ; je serais tenté de leur
renvoyer cette question. Le nucléaire a été construit en
FRANCE à partir d'une volonté politique. Quelle est la
volonté politique, aujourd'hui, qui commande au destin du
nucléaire ?
J'aimerais qu'il soit apporté rapidement une réponse à
cette question, et une réponse en toute transparence, y compris pour les
accords internationaux qui devraient déboucher. Je pense qu'on revient
à la question de l'appropriation.
Enfin, je pose une question aux exploitants. Est-ce que, pour le renouvellement
du parc, la question de la gestion des déchets est une question
secondaire qui n'influe pas sur la réponse ? Je souhaiterais une
réponse claire sur ce point parce que, si cela influe sur la
réponse, les dernières propositions que viennent de nous faire
nos élus, c'est le stockage en surface et, à ma connaissance,
c'est celle sur laquelle il ne peut pas y avoir de garantie de
sûreté à très long terme, alors que fait-on ?
Je renvoie la question pour la deuxième fois ; nous pensons,
à la Fédération de l'Energie, que le débat national
sur l'orientation de la politique énergétique est une question
centrale. Sinon, nous mettrons en cause la cohérence et, en quelque
sorte, nous touchons du doigt, aujourd'hui, les aléas de mode de gestion
économique à court terme avec les exigences industrielles et de
recherche qui doivent être à long terme. Il y a là, me
semble-t-il, contradiction entre la recherche de compétitivité
à court terme que nous souhaitons et le débat sur la
cohérence, l'avenir et la perspective nucléaire du point de vue
scientifique et technique, et j'en viens à la question qui est à
l'ordre du jour : faut-il un EPR, et rapidement ?
Notre réponse est oui, et plus on tardera, plus on détruira les
cohérences industrielles et économiques qui sont les
nôtres, aujourd'hui ; c'est-à-dire que nous poursuivons dans
les logiques destructrices de cohérence qui sont là depuis neuf
mois.
Il nous faut une industrie compétitive et cohérente, et ce n'est
pas seulement la question de l'emploi mais aussi celle des compétences,
parce que cette industrie tire, en FRANCE, la qualification des salariés
vers le haut. Est-ce que, véritablement, nous devons abandonner ces
compétences de haut niveau qui se développent dans notre
industrie, avec les enjeux majeurs qui sont derrière ?
Quant à l'exportation, j'ai écouté les arguments des
intervenants qui nous expliquent qu'on peut arriver à vendre à
partir d'un projet papier. Je souhaite véritablement qu'on me donne un
exemple, pour une industrie complexe et de haute technologie, de la vente
à un pays X d'un réacteur, voire d'autres technologies. Je
suis prêt à faire amende honorable si l'on peut me donner un
exemple qui a existé dans ce sens.
Je voudrais quand même faire remarquer, à propos de ce risque
d'accidents nucléaires qui ne connaissent pas les frontières,
c'est exact, que l'exportation de nos réacteurs mais aussi de nos
compétences vont de pair et que, lorsqu'on exporte un réacteur,
on exporte aussi notre expérience, notre pratique, notre organisation de
la sûreté nucléaire.
Est-ce que nous préférons être sortis du nucléaire,
et il y aura des réacteurs dans le reste du monde qui ne
bénéficieront pas de notre expérience, ou est-ce qu'en
exportant, nous transférons aussi notre bilan partiellement, voire
complètement, de sûreté qui est positif ? Et est-ce
que, pour éviter les accidents dans le monde, les populations de la
planète n'ont pas intérêt à exporter ce qui, bon an
mal an, a donné des résultats positifs ? Etant entendu que,
quoi qu'il arrive dans le monde, il y aura des réacteurs
nucléaires et que j'attends la démonstration de l'absence de
nucléaire fiable, dans 50 ans, sur la planète.
Enfin, dernière question qui n'a pas été abordée,
il me semble que, compte tenu du retour d'expérience du programme
nucléaire depuis la moitié des années 70, nous avons la
nécessité, pour moult raisons, d'un lissage du renouvellement du
parc, sachant que, dans ce lissage, il y a une partie anticipatrice et une
partie à plus long terme. Cependant, il me semble que nous
éviterions tous les à-coups néfastes à la
pérennité des compétences si nous obtenions ce lissage, et
je crois que si nous voulons l'obtenir, et si nous sommes d'accord pour dire
que, tôt ou tard, on aura besoin du nucléaire, il nous faut la
construction d'un projet EPR rapidement, avant qu'il ne soit trop tard.
M. BIRRAUX
- Merci, Monsieur. Si vous me permettez
un peu de recadrer les choses, parce que je dois veiller à la
cohérence de cette audition, vous avez raison de resituer le projet EPR
dans une démarche plus globale, sur une cohérence d'une politique
énergétique à long terme, mais le but de l'audition
n'était, et ne demeure, que d'essayer de tirer les paramètres
techniques, technologiques, économiques et socio-politiques d'un choix,
et pour que chacun puisse s'exprimer et qu'ensuite, le rapporteur essaie d'en
faire une synthèse pour donner à ceux qui vont décider les
paramètres des choix.
Je tiens à dire et à rappeler que c'est dans le cadre de l'Office
Parlementaire que, depuis 1990, se sont organisés des débats sur
les choix dans le domaine du nucléaire, et c'est le seul lieu du
Parlement où ces débats ont pu avoir lieu. S'il n'y avait pas eu
les auditions de l'Office Parlementaire, il n'y aurait eu aucun débat
sur aucun des sujets qui ont été abordés depuis 1990.
Nous allons revenir aux questions que vous avez posées sur les
déchets qui demandent une réponse des représentants des
exploitants. Ensuite, je donnerai la parole à Monsieur BURKLE, qui me
l'a demandée, et, sur les EUR, le Docteur FABIAN nous parlera de ce que
les électriciens européens essaient de mettre en place et comment
vous contribuez à la définition de normes qui soient des normes
européennes.
M. DAURES
- Est-ce que la fermeture des cycles et
la politique retenue influent ou vont influencer lourdement dans les choix
à faire sur l'EPR ? La réponse est plutôt non parce
qu'aujourd'hui, c'est une question disjointe. J'ai démontré tout
à l'heure qu'avec l'EPR, on peut concentrer le plutonium issu de
l'ensemble du parc existant de façon agréable pour le traiter
ultérieurement, ce qui laisse entier le problème du retraitement
des déchets. Le fait qu'on choisisse une voie ou une autre, pour
l'instant, est assez indifférent.
Ce qui est vrai est que, lorsqu'on aura choisi au Parlement une voie de
traitement ou de fermeture des cycles, nous aurons à optimiser un
certain nombre de choses. Nous optimiserons la gestion du combustible
différemment, mais cela ne devrait pas changer l'ensemble des cycles et
de la technologie utilisée sur l'EPR.
Je voudrais dire quelques mots sur les autres thèmes
évoqués par Monsieur AUFORT, tout en n'ayant pas l'intention de
lui répondre mais de le rassurer ; les choix en tant qu'entreprise
que nous nous proposerons de faire et que nous proposerons à notre
Conseil seront évidemment d'aller sur des considérations
économiques et non pas budgétaires. Ce sera dans une phase
économique globale que nous examinerons la question. Nous n'avons jamais
failli à le faire dans le passé et, d'ailleurs, il n'y a pas
d'autre solution pour le nucléaire.
Quant à la compétitivité, je ne vois pas de contradiction.
Nous sommes aujourd'hui dans une phase où nous pouvons très
probablement démontrer que nous pouvons rendre le nucléaire
compétitif par rapport aux meilleures autres solutions thermiques. Il
faudra le démontrer avec l'ensemble des paramètres, et je tiens
à dire à Madame RIVASI que nous intégrerons tous les
coûts du cycle de combustible aux connaissances actuelles
déterminées et de démantèlement. Il est
évident qu'ils seront intégrés dans ces coûts, et
nous le ferons sur des séries parce que nous allons nous trouver, en
tant que producteur d'électricité, sur un marché
compétitif de l'énergie en général, et de
l'électricité, au passage, et il serait anormal que nous
proposions sur un avenir long des solutions qui ne soient pas
compétitives. Cependant, nous proposerons des solutions
compétitives et nous avons la certitude d'y arriver.
Cela dit, il faut savoir que le problème se complique parce qu'il faudra
que cette compétitivité soit assurée avec une certaine
marge. En effet, si nous nous présentons avec une série de
réacteurs nucléaires qui sont justes compétitifs par
rapport à d'autres solutions, il est évident que la
différence générée par l'investissement et la
rapidité de récupération de ce coût d'investissement
sera une préférence marquée. On préfère
toujours rentrer le plus vite possible dans son argent. Par conséquent,
la compétitivité devra être démontrée avec
une certaine marge par rapport au gaz.
Je ne répondrai pas à la dernière question, quant à
savoir s'il faut un EPR. La question d'une tête de série EPR a
été largement débattue et j'ai expliqué toutes les
incertitudes qu'il y avait pour apporter une réponse à cette
question.
M. BIRRAUX
- En écoutant votre
réponse, il me revient une précision à apporter pour que
les choses soient parfaitement claires. On a parlé de 2006, le Parlement
devra se prononcer par une nouvelle loi sur l'aval du cycle mais, en attendant,
trois voies ont été définies par la loi BATAILLE, qui sont
les voies d'étude et de recherche sur :
- le stockage en surface,
- le stockage en profondeur,
- l'incinération et la transmutation.
Concernant le stockage en profondeur, c'est l'implantation de laboratoires pour
tester les capacités géologiques du sous-sol à accueillir
ultérieurement un site de stockage. Il faut que, dans ces termes
là, les choses soient bien ancrées dans les esprits ; il
s'agit de cela, rien que de cela, mais j'ajoute, en accord avec Christian
BATAILLE : de tout cela. Notre attitude constante, comme rapporteurs, est
d'avoir le maximum d'informations ; c'est la raison pour laquelle nous
organisons, entre autres, des auditions et que nous ne tirerons pas de
conclusions avant d'avoir commencé ou les auditions ou les recherches.
C'est l'ouverture, pour que le choix soit véritablement un choix,
c'est-à-dire que l'on ait exploré tout ce qu'il était
raisonnablement possible d'explorer, compte tenu des connaissances qui
existaient au moment de la loi "BATAILLE" et qui sont apparues à partir
de cette loi ; c'est la raison pour laquelle, en 1996, j'avais
organisé un débat sur les projets de
réacteurs-accélérateurs pour l'aval du cycle. C'est
vraiment une attitude d'ouverture.
Je voudrais, compte tenu de l'heure qui avance, connaître en quelques
mots synthétiques les objectifs des EUR. Qui travaille ? Quels sont
les liens entre ces normes qui sont édictées par les
électriciens européens et EPR ? Est-ce que c'est l'EPR qui
va à l'encontre de ces normes ou sont-ce les normes qui vont à la
rencontre de l'EPR ?
M. LECOCQ
- J'ai résumé sur ce
transparent l'essentiel de ce que sont les EUR. Il y a six ans que les
producteurs d'électricité de cinq pays européens se sont
mis d'accord pour produire un document de spécifications commun pour les
futures tranches nucléaires à construire en EUROPE de l'Ouest
au-delà de l'an 2000.
Ce document, intitulé "European Utility Requirement", a
été publié pour la première fois en mars 1994.
Depuis, il a été révisé plusieurs fois. L'objectif
de fond est de définir un cahier des charges acceptable à la fois
par les électriciens, les vendeurs et l'administration, lorsque le
besoin de renouvellement apparaîtra. Ces modèles devront
être à la fois acceptables par les autorités de
sûreté et attractifs tout en présentant une
rentabilité intéressante. C'est l'objet des EUR.
Ce document rassemble donc les exigences communes des producteurs
d'électricité, futurs maîtres d'ouvrages, et s'adresse aux
concepteurs et vendeurs de systèmes nucléaires à eau
légère. Dans ce cadre, les vendeurs pourront développer
des produits standards constructibles partout, en EUROPE, avec des
modifications minimes autour du standard. De ce point de vue, le document est
structuré en quatre volumes :
- un premier qui définit les objectifs et les politiques techniques
communes à l'ensemble des projets ;
- un deuxième qui définit les exigences et les
préférences des électriciens relatives à un
îlot nucléaire ;
- un troisième volume bien spécifique, qui prend en
considération un certain nombre de sous-ensembles, chacun d'eux
étant consacré à un modèle particulier qui
intéresse les électriciens adhérant aux EUR ;
- un quatrième volume essentiellement concerné par les
exigences génériques relatives à l'îlot
conventionnel.
Aujourd'hui, où en sommes-nous ?
Le volume quatre, qui traite des exigences de la partie conventionnelle, a
été publié en 1996. Aujourd'hui, les électriciens
adhérant aux EUR effectuent cette évaluation de conformité
au document EUR et les jeux d'exigences spécifiques correspondant
à ces propositions. Ceci pour les volumes trois et quatre.
Les trois premières parties : projet EPR par FRAMATOME et SIEMENS,
projet PWR CE 90+ par ABB et projet EPP de Westinghouse sont en cours
d'examen et devraient être disponibles début 1999. Le travail est
en cours sur ce projet.
S'agissant des volumes un et deux, qui traitent des exigences
génériques, ils sont, aujourd'hui, en cours de revue par les
autorités de sûreté des neuf pays intéressés.
M. BIRRAUX
- Est-ce que les spécifications
d'EPR rejoignent les exigences des exploitants ?
M. LECOCQ
- Il va de soi que nous ne sommes pas en
train de développer un ensemble de "requirements" que nous serions
incapables d'appliquer dans EPR.
M. BIRRAUX
- En d'autres termes, est-ce que les
EUR ont été faits pour valider EPR ou bien, les EUR étant
faits, et en regardant les caractéristiques d'EPR, ils répondent
aux exigences des exploitants ?
M. LECOCQ
- EPR est un projet qui sera la
propriété de ceux qui le feront. Les EUR sont un ensemble de
documents qui seront à la disposition de ceux qui voudront les utiliser.
Notre objectif, dans cette affaire, est de réunir suffisamment d'accords
au plan européen pour faire poids, d'une certaine façon, aux
recommandations qui se font ailleurs. Il est important que nous ayons un corps
général de "requirements" auquel nous nous référons
pour donner du poids à nos projets et examiner éventuellement
d'autres projets concurrents. C'est un terme de référence.
M. BIRRAUX
- Cela peut-il constituer les
prémices, en quelque sorte, d'un modèle européen auquel
tout le monde adhérerait et, lorsqu'on aura confronté sur la
grille les quatre volumes, est-ce que EPR pourrait être, en quelque
sorte, le réacteur qui répond aux exigences européennes
des exploitants, c'est-à-dire être le label d'un modèle
européen ?
M. LECOCQ
- Ce que l'on peut dire est que nous
n'avons pas vraiment l'intention de travailler comme aux ETATS-UNIS,
c'est-à-dire de ne reconnaître que les produits européens
par les EUR. Il est assez facile de maintenir des règles de
référence et ensuite de s'en servir pour jeter. Les EUR sont
très ouverts et nous examinons les projets qui viennent d'ailleurs,
Westinghouse et autres, et singulièrement EPR.
Je ne sais pas si cette réponse vous satisfait, mais je
répète que c'est un ensemble de "requirements" qui ne peuvent
constituer une référence. Ce qui constitue une
référence est un produit. EPR sera un produit satisfaisant les
EUR, mais il ne sera pas le seul.
M. BIRRAUX
- Le Docteur FABIAN peut-il nous donner
son sentiment sur ce sujet ?
En quoi le modèle EPR pourrait devenir un label européen dans un
paysage nucléaire mondial dans lequel, en simplifiant, on trouve des
concurrents mondiaux dont, entre autres, quelqu'un qui est un peu en
apesanteur, qui est un réacteur extrêmement proliférant
contre lequel tout ceux qui luttent contre la prolifération oublient
singulièrement de lutter.
Quels sont vos souhaits ou vos ambitions, en tant qu'électricien, pour
le voir reconnaître ?
Dr FABIAN
- En fait, il y a une volonté
commune de tous les exploitants du nucléaire européens de voir
toutes les exigences réalisées par les centrales à venir.
EPR est un projet franco-allemand, et ce que nous voulions était ne pas
nous trouver en contradiction par rapport aux autres exploitants
européens, en matière d'exigences de sûreté. C'est
la raison pour laquelle nous avons appelé autour de la table tous les
exploitants, EDF y a très largement participé, et nous, les
électriciens allemands, également, et nous avons essayé de
formuler les exigences pas simplement en matière de sûreté
mais aussi en matière de rentabilité, de disponibilité, de
facilité de maintenance...
L'EPR et tous les autres nouveaux types de réacteurs qui vont être
développés à l'avenir devront par conséquent
utiliser ces exigences, non seulement comme orientation, mais seront
mesurés en tenant compte de ces exigences.
Il faut savoir que EPR est déjà quasi concret. EPR devra remplir
les exigences des EUR, il constitue, en l'occurrence, un projet qui est la
voiture du siècle. Les EUR sont un cadre générique qui
définit les exigences en matière de nouveaux types de
réacteurs nucléaires et nous voulions veiller, par le biais des
EUR, à surtout ne pas être en décalage par rapport à
ce qui se fait au niveau d'autres exploitants, dans les autres pays
européens, lorsqu'il s'agit de construire des réacteurs
nucléaires. Nous voulions aussi, si une décision de construire
l'EPR dans d'autres pays européens était prise, être
certains de ne pas avoir de problème dans ces pays.
M. QUENIART
- Je voudrais rappeler que
l'harmonisation se fait autour d'un projet. Les EUR sont un texte beaucoup plus
littéraire, qui est effectivement soumis à l'examen des
différentes autorités de sûreté qui feront des
commentaires. Cependant, il n'y a aucune chance qu'elles approuvent ce
document, ne serait-ce que parce que les philosophies d'approche restent
notablement différentes dans les différents pays. On peut faire
des commentaires en disant être d'accord sur telle et telle partie mais,
sur la philosophie, il y a peu de chance qu'il y ait un consensus global.
M. BIRRAUX
- Je parlais tout à l'heure des
prémices d'un modèle européen. Par-delà la
coopération franco-allemande qui a montré, à travers les
différents étages des différents responsables, que nous
étions entrés dans une phase très active de
coopération positive, pensez-vous que cette coopération peut
susciter d'autres adhésions ? Et quelles sont les relations que
vous entretenez les uns et les autres avec les autres autorités de
sûreté, avec les autres électriciens européens ou
les industriels, qui n'ont peut-être pas l'occasion de construire, mais
qui sont néanmoins actifs dans le domaine du nucléaire ?
Est-ce qu'il y a là des prémices de discussion, de
coopération ou de volonté d'essayer d'aller plus loin pour
partager cette expérience franco-allemande ?
M. LACOSTE
- Je peux rappeler ce que j'ai
indiqué ce matin, à savoir qu'avec mon collègue allemand,
Monsieur HENNENHOFER, nous nous appliquons à partager
régulièrement des informations avec nos homologues des pays
d'EUROPE sur l'avancement du projet EPR, pour ce qui concerne l'Autorité
de Sûreté. J'ajoute qu'en FRANCE, nous avons un groupe permanent
réacteur qui termine le projet EPR, nous avons également des
représentants des homologues étrangers qui participent à
ces examens. Il y a un essaimage de la philosophie du projet EPR qui se fait.
Il est évident que les pays sont d'autant plus réceptifs qu'ils
pensent que, tôt ou tard, ils pourraient de nouveau construire des
réacteurs nucléaires. De ce point de vue, les situations sont
contrastées mais aucun pays à ma connaissance, hormis la FRANCE
et l'ALLEMAGNE, ne songe à commander des centrales nucléaires
dans les années à venir.
M. BIRRAUX
- Du côté de la recherche,
du CEA, d'IPSN, par-delà la coopération avec ALSERO et GRS,
quelles sont les prémices vis-à-vis d'autres ?
M. QUENIART
- Pour ce qui est du domaine de la
sûreté, la recherche est depuis longtemps internationale, que ce
soit les projets menés par l'IPSN, comme le projet PHEBUS, ou d'autres
projets à l'étranger. Il y a largement des participations
croisées, il y a des lieux où les experts se rencontrent, comme
le Comité sur la sûreté des installations nucléaires
de l'OCDE, où la base des connaissances est largement
échangée, librement, à cette réserve près
que, dans un projet, il y a ceux qui paient et ceux qui ne paient pas, et donc
il y a un léger décalage déontologique. Cependant, les
informations sont largement communiquées, en ce qui concerne la
sûreté.
M. DAURES
- Lorsque l'on voit évoluer les
choses et la lourdeur des procédures, puisqu'on parle là de
procédures d'agrément sur lesquelles il faut tomber d'accord et
d'après un modèle qu'on met au point et qu'on va essayer de
qualifier par rapport aux différents systèmes de
sûreté, on peut dire que, dans l'avenir, il y aura peu de
modèles qualifiés et l'on assistera, d'une façon
générale, à un resserrement du nombre de types de
réacteurs.
M. BIRRAUX
- Y aura-t-il une plus-value
européenne ?
M. DAURES
- Il y en a déjà. Dans la
mise au point du modèle EPR, on a croisé quand même les
expériences allemandes et françaises et ceci a porté ses
fruits. Cependant, il serait étonnant qu'on assiste véritablement
à l'éclosion de nombreux autres modèles
révolutionnaires. Il y a quand même un mouvement
général, dans le monde, pour rentrer dans les normes et les gens
finissent par se rendre compte qu'il y a plus à gagner à
exploiter ensemble un même type de réacteurs pour globaliser les
expériences, mutualiser la sûreté et les études,
qu'à véritablement essayer d'inventer le mouton à cinq
pattes.
Je ne fais part que d'une impression mais elle semble sérieusement se
conforter et, finalement, tout le monde finit par y travailler un peu, parce
que les industriels finissent par préférer avoir des
modèles standards pour pouvoir baisser les prix et standardiser leur
production, les autorités de sûreté préfèrent
avoir des modèles standards pour avoir une meilleure appréciation
de la sûreté, et l'exploitant préférera toujours
avoir le même type de centrale de façon à mieux
gérer la sûreté et les compétences.
M. CORDONNIER
- J'ai une interrogation en termes
de montage industriel, coopération internationale. Je pense que le
débat masque un problème fondamental, qui est celui de la
réalisation. Il y a un moment où l'on passe du papier au concret,
où l'on passe à des études de réalisation qui
concernent les matériels qui vont être fabriqués quelque
part, et il faut déterminer où ils le seront. Je pense que cette
notion de coopération, ou la notion franco-française, prend une
autre dimension.
Par ailleurs, nous sommes passés vite, à mon avis, sur
l'organisation industrielle entre la FRANCE et l'ALLEMAGNE, pour étudier
et construire des centrales nucléaires ainsi que sur les
différences qui existent entre l'organisation des autorités de
sûreté et leur rôle, leur liaison étroite avec le
CEA, les appuis techniques au sein du CEA, et un rôle un peu plus
administratif, d'où un débat enrichi du côté
français.
Pour revenir à cette réorganisation, on oublie un peu vite
- et les EUR m'inquiètent un peu - qu'il y a eu un rôle
important de joué par EDF et par un service public dans la construction
passée, et on demande un rôle important pour le futur, pour la
construction des centrales nucléaires. Je pense qu'on ne se focalise pas
suffisamment sur ce rôle joué, et la contribution et le
résultat auquel on est arrivé en FRANCE, dans le cadre des
programmes passés.
Il faudrait peut-être creuser ce point et établir
l'efficacité qui a été démontrée de cette
organisation.
Cependant, je voudrais revenir sur l'EPR. L'EPR c'est du papier, et les enjeux,
derrière, sont très importants. L'avant-projet sommaire a
représenté entre 300 et 500 000 heures de travail sur
deux ans, l'avant-projet détaillé a représenté
entre 1 million 300 000 heures et 1 million
500 000 heures de travail sur trois ans. Les études de
réalisation sont estimées entre 4 et 5 millions d'heures de
travail. Derrière, il y a la construction qui prendra entre cinq et dix
ans et qui induira du temps et du travail en masse très importante, et
l'on revient sur les aspects qualification.
Monsieur COUSIN a dit que le tissu industriel français était
complexe, mais il y a des gens qui travaillent dans le tissu industriel
français. Ensuite, il y a les aspects maintenance qui engagent sur
beaucoup plus longtemps puisque cela engage sur la durée de vie.
Il y a un moment où la question de savoir où l'on va faire
devient très importante, et comment on va faire. Sera-ce dans un cadre
franco-français avec la démonstration d'efficacité qu'on a
su et qu'on sait démontrer, ou sera-ce dans un cadre franco-allemand
avec un partage des marchés et donc un partage de
réalisation ?
Ceci est un enjeu très important avec des conséquences
concrètes en matière d'emplois, en FRANCE, et je me tourne de
nouveau vers les politiques, parce qu'il y a un choix de la sphère
politique sur la façon dont on va faire et réaliser un EPR avec
la célérité que j'indiquais tout à l'heure.
Je pense qu'on ne peut pas faire l'impasse sur cette question puisque,
derrière, il y a des attentes sur l'emploi en FRANCE. On ne peut pas
avoir un débat sur l'insertion, les problèmes d'exclusion et ne
pas se poser la question de savoir où vont se trouver les emplois
associés à la construction de tranches de type EPR.
M. BARACHIN
- Ce matin, on s'interrogeait sur les
surenchères possibles franco-allemandes sur le projet EPR. Je voudrais
poser une question à Monsieur DAURES sur les EUR : a-t-il
l'impression que les EUR tirent la sûreté vers le bas ou vers le
haut, compte tenu du nombre de participants à ce projet ?
M. DAURES
- Pratiquement, le projet EUR est un
projet qui a été bâti avec un noyau central d'EPI ;
à présent, on le propose aux autres. A eux de voir s'ils
l'acceptent ou pas. On ne modifie pas nos règles comme cela, nous ne
sommes pas au marché.
M. VERA
- Je voudrais intervenir pour reprendre
les propos de Monsieur DAURES et ceux de Monsieur VIGNON, qui disaient que
l'EPR devait être construit le plus vite possible pour profiter de
l'avance technologique qu'on a réalisée avec SIEMENS. J'ai
été agréablement surpris par les propos tenus, allemands
en particulier, disant que ce projet était un véritable
succès en matière de sûreté pour les accidents
graves, les accidents sans dimensionnement, qu'il y avait un certain nombre
d'avancées résultant des retours d'expériences sur
à peu près 70 centrales en EUROPE, puisque qu'il y a
à la fois le retour d'expériences allemandes et le retour
d'expériences françaises, une augmentation de la
productivité, en termes de disponibilité des centrales, par des
arrêts de tranches relativement courts, et un niveau de puissance plus
élevé que les autres centrales.
Maintenant, cela touche aussi au maintien des compétences parce qu'on
n'est pas sans savoir que, d'ici quelques années, voire quelques mois,
le N4 va se terminer. Le projet de construction n'existera pas, puisqu'il n'y a
pas de commande d'EPR, mais SIEMENS a, ce matin, expliqué le
rapprochement avec BNFL comme étant une volonté de s'inscrire
dans le travail des services nucléaires à réaliser en
EUROPE ou ailleurs parce que, effectivement, une société sans
construction, sans intervention en matière de service est une
société qui perd en compétences. Cela me paraissait
très important sachant que, bien sûr, ce n'est pas le seul but
parce que, comme disait Monsieur DAURES, on ne va pas construire un EPR pour
uniquement maintenir les compétences.
Cependant, cet EPR, non seulement pourrait remplacer les centrales qui sont
à changer à partir de 2010, mais aussi pourrait servir de
référence européenne à l'exportation. Ceci est
très important, compte tenu des marchés asiatiques, qui sont
ouverts. Comme disait un certain nombre d'intervenants ici, on ne pourra jamais
vendre un projet EPR à l'étranger s'il n'y a pas un retour
d'expérience européen sur une centrale fonctionnant en FRANCE. Le
seul exemplaire possible serait l'EPR. Je pense que personne, ici, ne serait
d'accord pour que, à la place des centrales qui seraient à
changer à partir de 2010, celles-ci soient remplacées par un
constructeur étranger.
Je trouve que l'intervention, la maintenance, la difficulté de faire
démarrer une centrale en FRANCE, surtout sachant quelle est notre avance
technologique, seront difficiles et délicates pour les autres ;
quant à nous, nous aurons perdu la compétence et nous serons en
difficulté.
Pour nous, à la CFDT FRAMATOME, nous demandons à ce que, le plus
vite possible, les Pouvoirs Publics décident d'une commande d'EPR dans
les années à venir sachant que, d'après ce que disait
Monsieur LACOSTE ce matin, après 50 ans sans construction, les
compétences s'en vont et la sûreté est diminuée.
Par ailleurs, je voudrais ajouter que l'intersyndicale CFDT/CGT a
demandé il y a quelques mois et a diffusé cette information
à l'ensemble des autorités du pays, tous les parlementaires et
les membres du gouvernement : la création d'une alliance
très sérieuse avec SIEMENS paraîtrait opportune pour
essayer d'implanter un modèle européen solide, voire pour
étendre les compétences de l'EUPR aux services, aux combustibles.
Nous considérons que c'est très important pour nous. Autant
l'alliance avec BNFL nous a inquiétés, autant nous aimerions
qu'une véritable alliance européenne, avec participation
croisée de SIEMENS et FRAMATOME, soit envisagée.
M. PRONOST
- Il y a quelques instants, j'ai senti
qu'on partait sur des considérations démagogiques et si, lors
d'un prochain débat, on s'oriente dans de tels sillons, qui sont du
ressort de l'assemblée où vous pouvez en débattre, je ne
viendrai plus à ces réunions. On parle du débat sur
l'énergie qui va avoir lieu prochainement et, chaque fois que je vais
à l'Assemblée, il y a 14 députés et je trouve
surprenant de voir que, depuis 1980, il a dû y avoir cinq débats
sur l'énergie à l'Assemblée.
Je vous dirai que je ne crois pas à ce débat à
l'Assemblée parce que c'est trop politisé, cela ne sert à
rien.
Monsieur le Ministre de l'Industrie, il y a quelques jours, a fait une
conférence de presse et a réuni les journalistes. Des documents
ont été distribués aux journalistes sur lesquels il
était écrit textuellement : la politique nucléaire de
la FRANCE va continuer. Je pose donc une question aux parlementaires : que
pensez-vous de cela ? Parce que c'est peut-être plus important qu'un
débat dit démocratique à l'Assemblée.
M. BIRRAUX
- D'abord, je ne pense pas qu'il y ait
eu cinq débats sur la politique énergétique depuis les
années 80. Il y en a eu un, effectivement, en septembre 1981, un autre
en 1989, il y en a eu un en 1993 à propos des directives
européennes et, à ma connaissance, il n'y en a pas eu d'autres.
Le seul lieu où l'on ait débattu des problèmes de
sûreté nucléaire dans un cadre énergétique
sont les auditions de l'Office Parlementaire, conduites par essentiellement
Christian BATAILLE et moi-même. De ce côté, les choses
doivent être dites clairement.
La philosophie de l'Office Parlementaire, je le rappelle, est aussi d'organiser
d'une certaine manière la transparence, à travers ces
débats où des personnes d'horizons différents viennent
discuter et débattre pour confronter leurs opinions et essayer de
répondre à mes questions, même si, de temps en temps,
j'insiste un peu lourdement pour avoir les réponses et si je pousse au
maximum les intervenants pour essayer d'avoir de bonnes réponses.
Le gouvernement est en charge des affaires de ce pays, il n'a pas à
organiser de débats sur les orientations. Le Bureau de
l'Assemblée m'a confié une mission, j'essaie de m'en acquitter au
mieux. Pour le reste, interrogez les responsables, mais ce n'est pas moi qui
vais conclure ici les débats à la place des Ministres, à
la place du premier Ministre et du Président de l'Assemblée
Nationale. Je reste à la mienne et cela me suffit largement.
Quelqu'un souhaite-t-il intervenir ?
M. VIGNON
- Je souhaiterais dire un mot en
réponse à la question que vous posiez tout à l'heure, de
l'amplitude européenne de ce projet. Je voudrais dire que l'EPR est bien
plus qu'une perspective de réalisation d'un réacteur. Ce qui est
en jeu, c'est de bâtir le standard européen de sûreté
en matière de technologie nucléaire, c'est le leadership
nucléaire européen et c'est, de ce fait, le leadership de la
technologie française puisque le nucléaire est une industrie dans
laquelle la FRANCE est forte.
M. BIRRAUX
- S'il n'y a plus d'interventions, je
crois avoir tenu les horaires. Nous avons abordé, je crois, toutes les
questions que j'avais définies dès l'ouverture de notre
séance.
Je tiens à vous remercier, les uns et les autres, de votre participation
qui a conduit, je crois, à un débat d'un excellent niveau. Le
rapporteur va essayer d'en tirer la substance pour essayer de définir,
vis-à-vis des décideurs politiques, quels sont les
paramètres de choix et, à partir de ces paramètres connus
et admis, de motiver dûment son choix.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie.
(
Applaudissements
)