B) Hydrogène et fusion du coeur
Comme
nous venons de le voir, lors de la fusion du coeur, l'oxydation des
métaux contenus dans la cuve conduit à une production
d'hydrogène qui se répandra dans l'enceinte de confinement. Le
problème est de connaître la distribution de cet hydrogène
pour voir s'il atteint localement des concentrations pouvant conduire à
des détonations dommageables pour l'intégrité de
l'enceinte et pour être à même, dans ce cas, de placer
judicieusement des dispositifs de mitigation : igniteurs et/ou
recombineurs.
Le CEA développe le code de calcul TONUS qui traite en tridimensionnel
le problème de la distribution de l'hydrogène dans l'enceinte, de
sa déflagration et de son éventuelle détonation ainsi que
des conséquences mécaniques.
Un programme expérimental de qualification en cours de
réalisation comporte :
• des expériences analytiques relatives à l'étude du
transfert de chaleur en condensation avec des incondensables (COPAIN), et
à l'étude de l'aspersion (DYNASP) ;
• une expérience globale MISTRA où l'on étudie dans
une enceinte d'une centaine de mètres cubes le problème de la
distribution d'hydrogène. Cette expérience se distingue des
expériences réalisées jusqu'alors à
l'étranger par une meilleure maîtrise des conditions aux limites
et par une instrumentation très détaillée permettant une
qualification des codes tridimensionnels ;
• des expériences de qualification de composants (condenseurs et
recombineurs) dans l'installation KALI.
Les problèmes de déflagration et détonation de
l'hydrogène sont étudiés à partir du
résultat d'expériences étrangères, en particulier
d'expériences russes à grande échelle (programme
RUT).
C) Les enceintes de confinement
Chaque
chaudière nucléaire est installée dans un bâtiment
dit "bâtiment du réacteur". En cas d'accident affectant la
chaudière, des substances radioactives peuvent être
relâchées et il convient d'assurer leur confinement afin de
limiter les rejets radioactifs dans l'atmosphère à des valeurs
acceptables, eu égard à la probabilité de la situation
accidentelle.
Cette fonction de confinement est obtenue par la paroi du bâtiment du
réacteur, appelée "enceinte de confinement". Elle constitue en ce
sens la "troisième barrière" des produits de fission,
après les gaines des éléments combustibles et le circuit
primaire.
1 - Les situations accidentelles retenues en France pour le dimensionnement des réacteurs existants
L'enceinte de confinement est conçue pour
résister
à différentes situations accidentelles d'origine interne et
différentes "agressions" d'origine externe à l'installation.
On peut distinguer :
• les situations accidentelles d'origine interne :
En cas de rupture d'une tuyauterie du circuit primaire ou d'un circuit
secondaire, un fort relâchement de vapeur d'eau serait produit dans
l'enceinte. Il s'ensuivrait une élévation de température
et de pression importante de l'atmosphère de l'enceinte (environ
150°C, 4 bars relatifs). Selon que la rupture envisagée se
situe sur le circuit primaire ou secondaire, l'accident est appelé APRP
(accident de perte de réfrigérant primaire) ou RTV (rupture de
tuyauterie de vapeur) ;
• les agressions externes d'origine humaine :
Þ explosions externes (dues à l'environnement industriel),
Þ chutes d'avion de l'aviation générale (Cessna 210, Lear
Jet) ;
• les séismes.
En France, les enceintes sont testées sous une pression d'air
équivalente à celle qui pourrait apparaître dans l'enceinte
en cas d'accident de type APRP ou RTV, afin de vérifier leur
résistance et leur étanchéité. Les essais
correspondants, appelés "épreuves" de l'enceinte, ont lieu avant
la mise en service du bâtiment, puis périodiquement (normalement
tous les 10 ans, parfois tous les 5 ans).
L'épreuve engendre des efforts importants sur l'enceinte et permet de
vérifier la bonne qualité de la réalisation
générale de l'ouvrage. Il ne faut cependant pas oublier que, pour
obtenir un chargement complètement représentatif des conditions
d'accident dans l'enceinte, il faudrait ajouter au chargement de pression le
chargement thermique, qui ne peut pas être simulé lors de
l'épreuve.
2 - Divers types d'enceintes de confinement sont en exploitation en France et en Allemagne
a) En Allemagne
Les enceintes de confinement (voir annexe) sont constituées d'une enceinte sphérique en acier (56 m de diamètre et 38 mm d'épaisseur, pour la série Konvoi), elle-même étant contenue dans un bâtiment en béton armé (180 cm d'épaisseur, pour Konvoi). L'enceinte interne, en acier, a pour fonction d'assurer l'étanchéité et de résister aux pressions et températures internes correspondant aux situations accidentelles de dimensionnement. L'enceinte externe, en béton, a pour fonction de protéger l'enceinte interne contre les agressions externes, en particulier la chute d'un avion militaire.
b) En France
Deux
types d'enceintes sont actuellement en exploitation :
•
Les enceintes à paroi unique du palier 900 MWe
Elles sont constituées d'un bâtiment cylindrique en béton
précontraint de 37 m de diamètre et d'environ 60 m de
hauteur, surmonté d'un dôme. La paroi cylindrique a une
épaisseur de 90 cm et le dôme une épaisseur de
80 cm. Ce bâtiment a pour fonction de résister aux accidents
aussi bien qu'aux agressions externes. Sa surface intérieure est
recouverte d'une peau métallique de 6 mm d'épaisseur dont la
fonction est d'assurer l'étanchéité.
•
Les enceintes à double paroi des paliers 1300 MWe et
1450 MWe (N4)
La paroi interne (120 cm d'épaisseur pour le cylindre et 82 cm
pour le dôme, pour les tranches N4) est en béton
précontraint et n'est pas recouverte d'une peau
d'étanchéité. Elle a pour fonction de résister aux
conditions de pression et de température internes tout en assurant une
"relative" étanchéité : son taux de fuite en
situation d'accident est réglementairement limité à
1,5 % par jour de la masse de fluides (air et vapeur d'eau) contenue dans
l'enceinte. La plus grande partie des fuites est récupérée
dans l'espace entre parois (également appelé espace annulaire, ou
EEE) maintenu en dépression par un système de ventilation et
filtration appelé EDE. Le schéma qui suit illustre le principe de
ce confinement "dynamique". La paroi externe en béton armé
(55 cm d'épaisseur pour le cylindre et 40 cm pour le
dôme, pour les tranches N4) a pour fonction de créer l'espace
annulaire et d'apporter la protection nécessaire vis-à
-
vis
des agressions externes. La "relative" étanchéité de la
paroi interne est vérifiée lors des épreuves de
l'enceinte. Dans ces conditions d'essai, le taux de fuite est normalement
limité à 1 % par jour de la masse d'air contenue dans
l'enceinte, sans que puisse être faite une corrélation
précise entre la valeur réelle et la limite réglementaire
mentionnée ci-dessus.
3 - L'enceinte de confinement du projet EPR
Le
projet EPR s'est donné pour objectif d'améliorer de
manière significative la sûreté de l'installation en
prenant en compte, dès sa conception, la possibilité d'accidents
"graves" avec fusion complète du coeur et formation d'un corium,
explosion d'hydrogène dans l'enceinte, génération de
projectiles à l'intérieur de l'enceinte, impact de ceux-ci contre
les parois, percée de la cuve par le corium et déversement de
celui-ci dans le bâtiment du réacteur, etc... L'enceinte devra en
particulier résister à une pression accidentelle plus
élevée que celle de l'APRP, en l'occurrence environ 5,5 bars
relatif, pour résister à une déflagration globale
d'hydrogène : ceci conduit à un niveau de
précontrainte du béton très important.
Pour répondre à l'objectif du projet EPR, différents types
d'enceinte ont été envisagés :
•
Option 1
: une enceinte interne en acier conçue
pour résister aux conditions de pression et de température
internes et une enceinte externe en béton armé, conçue
pour résister aux agressions externes.
•
Option 2
: une enceinte interne en béton
armé avec peau d'étanchéité ; cette enceinte
interne serait conçue pour supporter les chargements de pression et
température internes de même que les chutes d'avion. L'enceinte
externe serait alors constituée d'une paroi de faible épaisseur
en béton armé, destinée à créer un espace
annulaire permettant de collecter les fuites de l'enceinte interne.
•
Option 3
: une enceinte interne en béton
précontraint avec une peau d'étanchéité,
conçue pour résister aux conditions de pression et de
température internes, et une enceinte externe en béton
armé conçue pour résister aux agressions externes.
•
Option 4
: une enceinte interne en béton
précontraint sans peau d'étanchéité, conçue
pour résister aux conditions de pression et de température
internes, et une enceinte externe en béton armé conçue
pour résister aux agressions externes.
Pour les options 2 et 3 ci-dessus, deux variantes ont été
considérées :
- une peau métallique analogue à celles des tranches de
900 MWe en France. Ce procédé s'avère coûteux
et pourrait conduire à des difficultés de réalisation
(compte tenu du niveau élevé de précontrainte du
béton) et de vieillissement (corrosion) ;
- une peau composite, non métallique, en résine : ce
procédé est encore du domaine du développement ; il
sera testé à grande échelle pour la première fois
sur la maquette MAEVA, à Civaux.
Plusieurs dispositions des systèmes intérieurs à
l'enceinte d'EPR ont été envisagées. Il est apparu
nécessaire de placer certains systèmes tels que :
• la réserve d'eau borée nécessaire en cas
d'accident,
• l'aire d'étalement nécessaire au refroidissement du corium,
à l'intérieur et en partie basse de l'enceinte. Ceci est plus
aisé dans une géométrie cylindrique que dans une
géométrie sphérique.
D'autres considérations liées à la prise en compte des
accidents graves, telles que la possibilité de combustions
localisées d'hydrogène ou de projectiles, ont conduit le projet
EPR à préférer des murs d'enceinte en béton, ce qui
écarte l'option 1.
Le dimensionnement à la chute d'avions militaires (plus lourds et
rapides que ceux de l'aviation générale) sur le bâtiment du
réacteur a également conduit le projet à retenir une
enceinte externe de protection en béton armé, ce qui
écarte l'option 2.
Enfin, un important retour d'expérience existe en France concernant
à la fois la construction et l'exploitation des enceintes de forme
cylindrique en béton précontraint ; le projet s'est alors
orienté vers une amélioration de la dernière
réalisation de cette technologie, l'enceinte du réacteur N4.
Le projet EPR a donc finalement retenu une enceinte à double paroi sans
peau d'étanchéité. La paroi interne est en béton
à haute performance (BHP) précontraint de 130 cm
d'épaisseur pour le cylindre et de 90 cm d'épaisseur pour le
dôme. La paroi externe est en béton armé de 130 cm
d'épaisseur.
Dans leur analyse commune présentée le 21/10/1997 aux groupes
d'experts français et allemand GPR et RSK, I'IPSN et la GRS ont
souligné que :
- l'absence de chargement thermique de l'enceinte lors des épreuves
laisse des doutes quant à la représentativité de ces
essais vis-à-vis des situations accidentelles réelles,
- le retour d'expérience français montre que, pour passer
l'épreuve avec succès, plusieurs enceintes ont dû faire
l'objet de travaux destinés à améliorer
l'étanchéité de la paroi interne (pose locale d'un
revêtement d'étanchéité sur des zones dites
"singulières", initialement fissurées lors de la construction de
l'ouvrage, ou difficiles à précontraindre).
De plus, les résultats des dernières épreuves
décennales des tranches Cattenom 3, Flamanville 1 et
Cattenom 1 montrent également la particulière
sensibilité de la zone singulière constituée par
"l'accès matériel", où des microfissures traversantes sont
apparues, lors des épreuves, après quelques années de
perte de précontrainte par vieillissement du béton.
Ce retour d'expérience est à prendre en compte pour la conception
des réacteurs du futur. Il montre que la précontrainte, bien que
d'ores et déjà très importante et pratiquement au maximum
de ce qui est techniquement faisable aujourd'hui, ne permet pas de garantir
l'étanchéité de la paroi interne en tous points et durant
toute la durée de vie de l'ouvrage. Cette garantie ne pourra être
apportée que par l'utilisation de moyens techniques
supplémentaires, tels que la mise en place d'une peau
d'étanchéité.
4 - La protection des installations à l'égard des chutes d'avion
La
différence de sensibilité entre la France et l'Allemagne est
très nette sur ce sujet et les normes allemandes semblent plus
exigeantes que les critères français.
Cela peut en partie s'expliquer par la différence de structure et
d'histoire de l'aviation militaire de nos deux pays.
L'Allemagne a équipé son aviation militaire d'appareils
biréacteurs plus lourds que ceux qui équipent notre armée
de l'air. D'autre part, les avions starfighters, étant loin d'avoir la
fiabilité de nos Mirages, ont connu une série d'accidents qui a
traumatisé les Allemands.
L'exigence allemande de résistance des enceintes des centrales
nucléaires à la chute d'un appareil militaire lourd est donc
parfaitement légitime.
Or, en France, la recherche des conditions de ruine, laquelle se constitue lors
d'une déformation des aciers supérieure à 10 %,
montre que, quel que soit le lieu de l'impact sur l'enceinte de confinement des
tranches de 900 MWe, de 1 300 MWe ou de 1 400 MWe,
l'enceinte résiste à l'impact d'un Mirage V de masse
supérieure à 13 tonnes et animé d'une vitesse de
150 m/s.
Votre Rapporteur s'est enquis auprès des autorités militaires de
l'évolution de notre aviation militaire, et il apparaît que nous
allons plutôt vers un allégement de notre aviation ou une
stabilisation du poids de nos avions.
Les avions allemands futurs, du moins ceux en service dans les vingt prochaines
années, sont sensiblement plus lourds car le programme TORNADO a
été élaboré en coopération avec les Anglais
qui, du fait de la position géographique de la Grande-Bretagne, ont
besoin d'un rayon d'action plus important que les avions français.
La coopération internationale pose sur ce point le problème de
l'adaptation aux données propres à chaque pays.
Mais le débat sur la structure des armées de l'air de nos deux
pays n'est pas l'objet de ce rapport.
La protection des centrales contre les chutes d'avions de l'aviation
générale et commerciale
Il existe peu de rapport entre un avion d'aéro-club et un Boeing 747.
Or, si une enceinte résiste sans problème à la chute d'un
avion d'aéro-club, elle ne peut pas résister à celle d'un
Boeing 747.
Toutefois, l'encadrement de l'aviation commerciale et le fait que les couloirs
aériens tiennent le trafic éloigné des centrales
nucléaires, et une probabilité de chute de 10
-12
rendent le risque de chute d'un avion commercial extrêmement
faible. Par contre, la nécessité d'une protection contre les
chutes d'avions de l'aviation générale est impérative.
Compte tenu des caractéristiques des appareils utilisés et de
l'effet des impacts sur les structures en béton armé, EDF a
distingué les deux projectiles suivants :
Un monomoteur à hélice de 1500 kg, dont le moteur de
250 kg constitue un projectile " dur " et perforant ; il
s'agit du CESSNA 210, représentatif de 80 % du trafic de l'aviation
générale ;
Un biréacteur d'affaire de 5 700 kg, dont les
réacteurs sont à l'arrière et qui constitue un projectile
" mou " provoquant l'ébranlement général du
bâtiment atteint ; il s'agit du LEARJET 23, qui représente
20 % du trafic de l'aviation générale.
La vitesse d'impact considérée est de 100 m/s, ce qui
correspond à 360 km/h, vitesse atteinte au terme des phases de
décollage et précédant l'atterrissage.
Les bâtiments importants pour la sûreté, dont le
bâtiment du réacteur, sont calculés pour résister
sans dommage aux impacts correspondants. Mais certains ne sont
protégés que contre le choc perforant, le plus probable.
Les critères utilisés pour le calcul des structures sont
très contraignants. Selon les paliers de réacteurs, le
ferraillage du béton doit rester dans le domaine élastique ou ne
subir qu'une faible déformation plastique, inférieure à
0,8 %. Dans ces deux cas, les marges par rapport à la ruine du
bâtiment sont considérables alors que seulement un début de
ruine peut endommager les matériels situés à
l'intérieur, par la création de projectiles secondaires.
De très nombreux essais ont été réalisés
pour mettre au point et qualifier les codes de calcul utilisés pour
définir les murs en béton armé assurant une
protection ; ils ont permis de déterminer les lois de perforation
du béton armé sous l'impact d'un projectile dur.
Le diamètre de la zone la plus sensible d'une tranche nucléaire,
l'enceinte de confinement, est inférieur ou égal à
50 mètres. Un cercle de 25 kilomètres de rayon a une surface
un million de fois plus importante. Une probabilité d'impact de
10
-7
par an sur une enceinte de confinement correspond donc à
une probabilité de chute d'avion de 0,1 par an dans ce cercle.
Si l'on n'oublie pas qu'il y a, en France, près de 20 sites
nucléaires comportant des réacteurs en exploitation, la
probabilité d'impact de 10
-7
par an et par réacteur
due à l'aviation militaire est cohérente avec l'observation, tous
les ans, de la chute d'un ou deux appareils militaires à moins de
25 km d'une centrale nucléaire française, ce qui justifie
les précautions prévues.