EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est appelé à examiner la proposition de loi
n° 84 (1999-2000) de MM Jacques Oudin, Jean-Paul Amoudry,
Philippe Marini, Patrice Gélard, Joël Bourdin, Paul Girod et Yann
Gaillard, tendant à améliorer les conditions d'exercice des
compétences locales et les procédures applicables devant les
chambres régionales des comptes.
Cette proposition de loi a pour objet de donner une traduction
législative aux recommandations formulées par le rapport
d'information établi par notre collègue Jacques Oudin au nom du
groupe de travail, présidé par votre rapporteur, commun à
la commission des Finances et à la commission des Lois
("
Chambres régionales des comptes et élus locaux, un
dialogue indispensable au service de la démocratie locale
",
Sénat, n° 520 , 1997-1998).
Constitué en avril 1997 sur l'initiative de M. le président
Christian Poncelet, alors président de la commission des finances, et de
M. Jacques Larché, président de la commission des Lois, ce groupe
de travail s'est assigné pour mission de dresser un bilan, après
quinze années de pratique, des modes d'exercice du contrôle
exercé par les chambres régionales des comptes et, le cas
échéant, de proposer les voies et moyens d'une rénovation
des relations entre les élus locaux et les chambres régionales
des comptes ainsi qu'une modernisation des modalités du contrôle
financier.
Le groupe de travail a procédé pendant huit mois à
l'audition des principaux acteurs concernés : les
représentants des associations d'élus locaux, les
représentants des juridictions financières, le ministère
de l'intérieur, les comptables publics, des avocats
spécialisés dans le conseil aux collectivités locales et
des fonctionnaires territoriaux.
A l'issue de ce programme d'auditions, qui s'est achevé à la fin
du mois de février 1998, le groupe de travail a décidé de
" surseoir à statuer " afin de ne pas interférer avec
la campagne en vue des élections cantonales et régionales. Cette
échéance pasée, il a présenté ses
observations et propositions dans un rapport rendu public à la fin du
mois de juin 1998, après que cette publication eut été
approuvée
à l'unanimité
par les commissions des
Finances et des Lois .
La nécessité d'un contrôle
a posteriori
des
collectivités locales n'est pas contestable
. Il s'inscrit dans le
droit fil le de l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen du 26 août 1789 qui dispose que "
la
société a le droit de demander compte à tout agent public
de son administration
". L'existence d'un contrôle financier est
la contrepartie de l'autonomie et des responsabilités des
collectivités locales. Il participe d'une mission de régulation
de la décentralisation et constitue un facteur de transparence de la
gestion publique locale.
Mais, incontestable dans son principe, le contrôle financier reste encore
perfectible dans sa mise en oeuvre ou ses pratiques. Dressant un bilan complet
et objectif du contrôle opéré par les chambres
régionales des comptes, le groupe de travail a mis en évidence
que ce bilan était contrasté et qu'en particulier la
procédure d'examen de la gestion demeurait très largement
imparfaite.
Les recommandations du groupe de travail ont eu pour objet de
rénover les relations entre les chambres régionales des
comptes et les élus locaux et de moderniser les conditions d'exercice du
contrôle financier. Elles ont cherché à réunir les
conditions d'un
véritable dialogue
entre contrôleurs et
contrôlés, fondé sur un
respect mutuel
et sur
l'application des principes fondamentaux de notre droit.
A cette fin,
deux idées majeures
ont inspiré ces
recommandations : rénover les conditions d'exercice de l'examen de la
gestion et renforcer la
sécurité juridique
des actes des
collectivités locales.
La présente proposition de loi n'a pas d'autre ambition que de traduire
au plan législatif les recommandations du groupe de travail.
Un bilan exhaustif des missions exercées par les chambres
régionales des comptes ayant été dressé par le
groupe de travail, le présent rapport rappellera les principales
conclusions dégagées par ce dernier avant de présenter
l'économie de la proposition de loi et les travaux de votre commission
des Lois.
Il convient, au préalable, de souligner que la concertation
étroite menée par la commission des Lois et la commission des
Finances au sein du groupe de travail s'est poursuivie lors de l'examen de la
présente proposition de loi qui fait l'objet, sur le rapport de M.
Jacques Oudin, d'un avis de la commission des Finances.
I. RAPPEL DES PRINCIPALES CONCLUSIONS DU GROUPE DE TRAVAIL SUR LES CHAMBRES RÉGIONALES DES COMPTES : LE BILAN CONTRASTE DU CONTRÔLE FINANCIER
Les
chambres régionales des comptes forment avec la Cour des comptes les
juridictions financières. La loi du 2 mars 1982 leur a confié
trois grandes attributions :
- le
jugement des comptes
qui est susceptible d'appel devant la Cour des
comptes et qui est la seule de leurs attributions relevant d'une fonction
juridictionnelle ;
- le
contrôle des actes budgétaires
, qui les conduit
à émettre des avis non susceptibles de recours (sauf dans le cas
d'une décision déclarant une dépense non obligatoire) ;
- l'examen de la gestion
des collectivités locales, lequel donne
lieu à des observations qui, en l'état actuel du droit, sont
réputées ne pas faire grief.
A la suite du groupe de travail, il n'est pas inutile de relever que le
contrôle financier représente une
spécificité
française
par rapport à nos partenaires européens. Si
notre système de contrôle externe des finances n'est pas sans
équivalent en Europe, en revanche, il demeure sans homologue, ni
analogue dans sa dimension juridictionnelle.
Depuis leur création par la loi du 2 mars 1982, la mise en place de ces
nouvelles institutions s'est faite par
tâtonnements successifs.
Ainsi, le corps des magistrats de chambres régionales des comptes a
été très largement constitué par des
procédures de recrutement
exceptionnel
dictées par la
nécessité de donner rapidement une consistance à ces
nouvelles juridictions.
La " montée en puissance " de ces dernières s'est faite
progressivement entre 1984 et 1990, leur budget passant au cours de cette
période de 113,13 à 269,38 millions de francs pour atteindre
325,39 millions de francs en 1998.
Leur place dans la vie publique locale s'est affirmée au cours des
dernières années. Les chambres régionales des comptes ont
ainsi rendu, en 1997,
16 927
jugements sur les comptes des comptables
publics, soit une augmentation de 6% par rapport à 1992. Elles ont, par
ailleurs, émis la même année
1 314
avis
budgétaires (+ 5% par rapport à 1992). Elles ont, enfin,
adressé
995
lettres d'observations définitives sur la
gestion (+ 22% par rapport à 1992).
L'adoption de plusieurs textes législatifs a néanmoins
été nécessaire afin de préciser ou adapter le
régime initial des chambres régionales des comptes, tel qu'il
avait été prévu par les lois n°82-213 du 2 mars
1982 et 82-594 du 10 juillet 1982.
Ces modifications législatives ont permis de mieux affirmer les
garanties de procédure
pour les collectivités locales.
Mais elles ont également abouti à
renforcer
les pouvoirs
des chambres régionales des comptes et leur capacité
d'investigation, en créant un déséquilibre
au
détriment des droits de la défense.
Les différentes étapes de ce processus d'adaptation
législative du régime juridique des chambres régionales
des comptes ont été détaillées dans le rapport du
groupe de travail.
On rappellera, en premier lieu, que la
loi n° 88-13 du 5 janvier
1988
d'amélioration de la décentralisation
a
cherché à lever une confusion des genres qui résultait de
la loi du 2 mars 1982, laquelle pour définir le jugement des comptes
incluait la vérification du "
bon emploi
" des
crédits, en substituant à cette notion celle d'"
emploi
régulier
" des crédits et en instituant une
procédure spécifique d'examen de la gestion.
Plusieurs autres textes ont ultérieurement eu pour effet principal de
renforcer
et
d'étendre
les compétences des chambres
régionales des comptes.
La
loi n° 90-55 du 15 janvier 1990 relative au financement des partis
et des campagnes électorales
a posé le principe de la
communication à l'assemblée délibérante des
observations définitives formulées par les chambres
régionales des comptes dans le cadre de l'examen de la gestion des
collectivités locales. Cette innovation majeure a eu pour effet de
transformer ce qui devait être essentiellement conçu comme une
aide à la bonne gestion en un
instrument de régulation
politico-médiatique.
La
loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la
prévention de la corruption et à la transparence de la vie
économique et des procédures publiques
a renforcé et
précisé certaines règles de procédure applicables
devant les chambres régionales des comptes, notamment en posant
l'obligation de joindre le texte des lettres d'observations définitives
à la convocation de la séance de l'assemblée
délibérante au cours de laquelle celles-ci doivent être
communiquées.
Enfin, la
loi n° 95-127 du 8 février 1995
relative aux
marchés publics et aux délégations de service public
a
renforcé les pouvoirs de contrôle des juridictions
financières sur les services publics délégués.
Or ce renforcement des pouvoirs des chambres régionales des comptes n'a
été qu'imparfaitement compensé par un développement
des garanties de procédure dont disposent les collectivités
locales.
En outre, le
statut
des magistrats des chambres régionales des
comptes a tardé à être adapté aux missions que ces
dernières ont reçu des lois de décentralisation et
à leur place dans la vie publique locale. La réforme des
dispositions statutaires applicables aux conseillers de chambres
régionales des comptes fait désormais l'objet d'un projet de loi,
qui a été adopté en première lecture par
l'Assemblée nationale, le 30 mars dernier.
Il existe aujourd'hui un
certain malaise
qui concerne principalement la
procédure d'examen de la gestion.
Ce malaise peut s'expliquer par le déséquilibre qui affecte les
relations entre les élus locaux et les chambres régionales des
comptes.
Le groupe de travail a recensé les
principales critiques
qui sont
adressées aux interventions des chambres régionales des comptes
dans ce domaine.
Ne contestant pas dans leur principe les missions
exercées par les chambres régionales des comptes, ces critiques
mettent, en revanche, en cause les conditions de mise en oeuvre des
contrôles comme en témoignent les réponses à
l'" enquête " conduite par l'Association des Maires de France
auprès des présidents d'associations départementales des
maires.
En premier lieu, la
médiatisation excessive
des observations
provisoires que les chambres régionales des comptes peuvent être
amenées à formuler sur la gestion des collectivités
locales est légitimement très mal ressentie par beaucoup
d'élus locaux.
En deuxième lieu
une très grande insécurité
juridique
résulte pour les élus locaux de l'absence
d'articulation entre le contrôle de légalité mis en oeuvre
par les préfets et le contrôle opéré par les
chambres régionales des comptes.
A la suite de différents groupes de travail, le rapport de notre
collègue Michel Mercier au nom de la mission d'information sur la
décentralisation, présidée par M. Jean-Paul Delevoye
("
Sécurité juridique et conditions d'exercice des
mandats locaux : des enjeux majeurs pour la démocratie locale et la
décentralisation, n° 166, 1999-2000
) a récemment de
nouveau souligné la précarité que cette superposition des
contrôles fait subir aux actes des collectivités locales.
Plusieurs griefs
sont émis à l'encontre des conditions
dans lesquelles l'examen de la gestion est mis en oeuvre par les chambres
régionales des comptes : le très grand décalage entre les
conditions d'exercice de l'action locale et la perception que peut en avoir un
contrôle opéré souvent plusieurs années après
les décisions prises, la crainte légitime d'une dérive du
contrôle vers un contrôle d'opportunité, l'absence de
critères fiables et communs, les limites de la procédure
contradictoire, l'absence de procédure de recours contre les lettres
d'observations définitives.
Le groupe de travail a ainsi constaté que face à l'examen de la
gestion, la situation des collectivités locales apparaissait
fragilisée
. Des actes préparatoires et des lettres
d'observations provisoires font trop souvent l'objet d'une
divulgation
abusive.
Les lettres d'observations présentent des lacunes qui
affectent leur capacité à constituer un instrument d'aide
à une bonne gestion, notamment parce que les observations ne sont pas
hiérarchisées.
Enfin, les conditions de mise en oeuvre de l'examen de la gestion concourent
à
l'insécurité juridique
des actes des
collectivités locales : compte tenu des délais inévitables
dans lesquelles interviennent les lettres d'observations définitives,
elles sont plus par nature une " photographie " d'une
situation
passée
qu'un reflet d'une situation présente ; les
divergences d'analyse entre le contrôle de légalité et les
chambres régionales des comptes sont une source indéniable
d'insécurité juridique et ne peuvent donc qu'être
préjudiciables à la bonne gestion locale.
Animées par le double souci de
" normaliser "
les
relations entre les chambres régionales des comptes et les élus
locaux et de
moderniser
les conditions d'exercice du contrôle
financier, les propositions formulées par le groupe de travail ont
été articulées autour de
deux idées majeures
:
rénover les conditions d'exercice de l'examen de la gestion et
renforcer la sécurité juridique des actes des
collectivités locales.