C. TROISIÈME OBSERVATION : DES INQUIETUDES POUR L'AVENIR DE LA SNCF
Ces
inquiétudes sont de deux ordres : d'une part, il s'agit de la
capacité de la SNCF à parvenir à retrouver un
équilibre d'exploitation et donc à maîtriser son
endettement, d'autre part il s'agit des menaces sur la
compétitivité future de l'entreprise publique.
Tout d'abord, l'année 1998 a été apparemment
marquée par
une amélioration de la situation courante de
l'entreprise.
Le résultat net de l'exercice 1998 s'établit ainsi
à - 649 millions de francs en 1998, contre - 959 millions de francs en
1997, soit une légère amélioration de 310 millions de
francs, après la très forte amélioration de 1997.
L'excédent brut d'exploitation est en progression de 1,8 milliard de
francs grâce au développement du chiffre d'affaires (77 milliards
de francs, +3,5%), notamment pour les grandes lignes.
Pour 1999, la SNCF
prévoit un retour à l'équilibre (résultat net
positif).
Cependant, l'année 1998 a également été
marquée pour la SNCF par d'importants conflits sociaux, notamment des
agents commerciaux, qui ont affecté son résultat. La reprise du
trafic, qui a débuté en 1996 et s'est nettement accentuée
en 1997, a amorcé une décroissance en fin d'année 1998.
Malgré les mouvements sociaux, le bon niveau de trafic
général en 1998 s'explique par des efforts en faveur de la
clientèle avec le succès des tarifs "découverte" et des
cartes de réduction. Le trafic a par ailleurs été
stimulé par la croissance économique et la Coupe du Monde. Ainsi,
le trafic voyageurs s'est inscrit en progression de 4,4% en 1998 dont 5,2% pour
le trafic grandes lignes. Cependant la progression du trafic voyageurs
s'explique entièrement par la progression du trafic TGV (+ 11 %) et des
lignes internationales Eurostar (+ 6,4 %) et surtout Thalys (+ 48 %) alors que
la fréquentation des trains rapides nationaux diminue (- 3,6 %), ce qui
traduit un important déséquilibre dans les performances de la
SNCF.
De plus, les charges pesant sur la SNCF se sont accrues en 1999. Les
barèmes des redevances d'infrastructures versés par la SNCF
à RFF ont été relevés par l'arrêté du
8 juillet 1999. Compte tenu du volume de circulation prévu par la SNCF
en 1999, le nouveau barème conduit à un montant
prévisionnel de redevances de 9.870 millions de francs (+61,7%) contre
6.105 millions de francs en 1998 et 5.908 millions de francs en 1997. Pour
2000-2001, le barème devrait rester toutefois inchangé.
Le ministère de l'équipement, des transports et du logement fait
savoir que "
l'Etat s'est engagé à garantir à la
SNCF des concours supplémentaires pour l'aider à faire face
à ces augmentations sans compromettre son équilibre
".
Les contributions budgétaires au transport ferroviaire n'ont toutefois
pas progressé pour 2000 (elles sont stables à 37,74 milliards de
francs, soit +0,6%). Les crédits supplémentaires sur le FITTVN,
bien qu'en progression, ne visent pas à donner des marges de manoeuvre
supplémentaires à la SNCF.
La dette de la SNCF continue donc à progresser. L'endettement à
long terme de la SNCF a été ramené à 45,2 milliards
de francs fin 1997, après le transfert de la dette relative à
l'infrastructure ferroviaire à Réseau ferré de France
(RFF) pour 134,2 milliards de francs et le désendettement
complémentaire de 28,3 milliards de francs par transfert au service
annexe d'amortissement de la dette (qui représentait, fin 1997, 56
milliards de francs). Fin 1998, l'endettement à long terme de la SNCF
avait progressé, puisqu'il s'élevait à 47,2 milliards de
francs (+4,4%) pour la dette de l'entreprise, alors que le service annexe
d'amortissement de la dette (SAAD) s'élevait à 55,2 milliards de
francs, soit une légère diminution (-1,4%). Toutefois, l'objectif
étant d'apurer, grâce à un concours annuel de l'Etat, la
dette du SAAD, jusqu'à son extinction, ce rythme d'apurement semble
très lent.
Pour l'avenir, le développement de la SNCF semble bridé par
plusieurs éléments.
Tout d'abord,
les difficultés persistantes de l'entreprise dans sa
gestion du dialogue social pourraient continuer à grever son
résultat.
Le résultat commercial de l'année 1998 a été
considérablement affaibli par l'ampleur des mouvements sociaux :
180.000 jours de travail ont été perdus en 1998, ce qui
représente 40% des jours de grève au niveau national. Au premier
semestre 1999, 40.000 jours de grève ont encore été
enregistrés. Votre rapporteur rappelle que le 11 février 1999, le
Sénat a adopté, sur le rapport de M. Claude Huriet, au nom de la
commission des affaires sociales, une proposition de loi tendant à
assurer un service minimum en cas de grève dans les services et les
entreprises publics.
Ensuite,
un accord national a été signé le 7 juin 1999
sur l'application des trente-cinq heures.
Son coût devrait
être de l'ordre de 1,5 milliard de francs pour l'entreprise. La
conséquence directe des 35 heures sera un retour à la hausse du
nombre d'agents de la SNCF, après plusieurs années d'effort de
compression des effectifs. En 1997, la SNCF comptait 175.000 agents, en 1998,
elle en comptait 174.960 avec 1.050 emplois-jeunes, en 1999, l'entreprise
devrait voir ses effectifs repartir nettement à la hausse, pour
atteindre 179.600 agents (+2,6%) et 1.800 emplois jeunes. Le paradoxe tient
donc à l'augmentation concomitante des effectifs, l'absence de
résorption des conflits sociaux et l'augmentation des jours de
grève.
Enfin, en matière de fret ferroviaire et de transport
combiné, deux éléments clefs pour l'avenir de la SNCF, les
résultats de l'entreprise et les moyens budgétaires ne sont pas
à la hauteur des déclarations du gouvernement.
Des mesures ont été prises en 1998 et 1999 pour ouvrir le
réseau ferroviaire français à l'Europe. Le décret
n°98-1190 du 23 décembre 1998 a ouvert aux regroupements
internationaux et aux entreprises ferroviaires exploitant des services
internationaux de transport combiné la possibilité
d'accéder au réseau ferré national. Un corridor de fret
Est-Ouest a également été ouvert entre Glasgow, Dunkerque,
Metz (avec une branche au Havre) et Sopron (frontière austro-hongroise)
en 1999.
Dans ce contexte d'ouverture, il apparaît que la
SNCF risque de ne
pas être prête pour faire face au défi européen dans
les années à venir, notamment en matière de fret
ferroviaire.
S'agissant du fret, le
transport ferroviaire
a légèrement
reculé par rapport à 1997 (-0,1%). Alors que la progression du
trafic fret en 1997 résultait pour partie d'un transfert temporaire
lié aux mouvements sociaux ayant affecté le transport routier en
novembre 1997, le mouvement inverse peut être constaté en
1998. Ceci est dû aussi à une tension sur les moyens de
production, qui entraîne une dégradation de la qualité du
service. La part de marché de la SNCF a donc recommencé à
chuter en 1998. L'activité fret recule encore de 4,7% au premier
semestre 1999.
Dans ce contexte, les prévisions de trafic fret pour 2000 et 2001 (+3%)
et surtout l'objectif de doublement du trafic fret d'ici 2010 semblent
inaccessibles. Seule la réalisation d'infrastructures importantes, comme
l'a souligné la commission d'enquête du Sénat, permettrait
de répondre à ces objectifs ambitieux mais, en l'état
actuel des équipements ferroviaires, irréalistes.
Le gouvernement annonce que le transport combiné est une de ses
priorités, ce qui va entièrement dans le sens
préconisé par le Sénat. Cependant, les moyens
d'investissement qui y sont consacrés sont dérisoires
:
les dotations du FITTVN servent essentiellement aux lignes à grande
vitesse et à la mise à niveau du réseau, la part
consacrée au transport combiné représentait 430 millions
de francs en 1999, dont seulement 120 millions de francs pour des chantiers de
transport combiné. Pour 2000, aucune donnée chiffrée ne
permet de connaître avec exactitude les dotations au transport
combiné.
D'une manière générale,
l'examen des budgets
d'investissement de la SNCF et de RFF pour 2000 traduit un recul des ambitions
pour 2000
. L'investissement total de la SNCF devrait atteindre 8.462
millions de francs en 2000, contre 8.637 millions de francs en 1999 (- 2 %)
alors que la contribution de l'entreprise augmentera de 5.625 millions de
francs à 5.900 millions de francs (+ 4,8 %). Le budget d'investissement
de RFF traduit les mêmes orientations : le budget total
régresse de 11,9 milliards de francs à 11,64 milliards de
francs (- 2,1 %) mais la contribution de RFF recule également, de 9,28
milliards de francs à 8,85 milliards de francs.
L'accroissement des péages de la SNCF à RFF était
réclamée l'an dernier par votre rapporteur, qui souhaitait
permettre à RFF de rapprocher progressivement ses péages du
coût d'usage réel des infrastructures, quitte à
réduire les dotations à RFF au profit d'une subvention
équivalente à la SNCF.
Cependant, l'augmentation des contributions à RFF ne semble pas
avoir pour effet, conformément aux voeux de votre rapporteur,
d'accélérer la modernisation du réseau existant, ainsi que
les travaux visant à remédier à la saturation des
infrastructures sur certains noeuds ferroviaires stratégiques pour le
fret, dont la commission d'enquête du Sénat sur les
infrastructures de transports a pourtant montré le caractère
prioritaire.
En conclusion, la priorité donnée au fret ferroviaire par le
gouvernement apparaît comme une déclaration d'intention sans
début de mise en pratique, alors même que l'alourdissement des
charges de personnel pesant sur la SNCF, bien que non déclarée,
est réelle.