C. UNE RÉFLEXION AUTOUR DE L'ORDONNANCE ORGANIQUE DE 1959

1. Un certain vieillissement conceptuel

L'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances est, en principe, à la base du fonctionnement des finances publiques.

Elle n'en constitue néanmoins pas un cadre strict, une épure budgétaire, limitant les pouvoirs du Parlement en la matière et amputant le cas échéant la portée des mesures que celui-ci pourrait préconiser. Ainsi votre commission des finances a fait de la baisse des prélèvements sa priorité : or les dispositions conjuguées de l'article 40 de la Constitution et de l'article 42 de l'ordonnance précitée lui interdisent de baisser globalement le niveau de la pression fiscale puisque toute baisse d'impôt doit être gagée par l'augmentation du même montant d'une autre imposition. De la même façon, cette ordonnance ne permet que de " dépenser moins ", mais pas de " dépenser mieux " et de redéployer les moyens. S'il est possible de diminuer le montant de certains crédits budgétaires, il n'est pas possible de réaffecter, en tout ou partie l'économie ainsi réalisée ou d'accroître des chapitres que l'on jugerait insuffisamment dotés.

Par ailleurs, eu égard à la " montée en puissance " des lois de financement social et au développement de liens complexes unissant désormais les deux lois financières ladite loi organique semble souffrir d'un certain vieillissement conceptuel, les principes d'universalité ou d'unité budgétaires étant, à tout le moins, mis à mal.

Il serait donc nécessaire, à ce titre, de repenser le contenu de cette ordonnance compte tenu de l'évolution du domaine des finances publiques ainsi que de leur indispensable modernisation. S'agissant de la dette de l'Etat, on doit rappeler que le Parlement n'en a qu'une " vision tronquée ", selon l'expression du rapporteur général de l'Assemblée nationale puisque les ressources et remboursements d'emprunts font partie des opérations de trésorerie et ne figurent pas en tant que tels dans la définition de l'équilibre général du budget. De même, il pourrait être envisagé de mieux distinguer entre le fonctionnent et l'investissement ou d'adapter les règles, souvent contournées, qui entourent la publication des décrets d'avance et des arrêtés d'annulation.

2. La limitation de la rétroactivité fiscale

Le principe de sécurité juridique est une condition essentielle de bon fonctionnement des sociétés. Il implique que chaque citoyen puisse connaître, à l'avance et de manière précise, les avantages et les inconvénients de ses actes eu égard aux règles juridiques qui s'imposent à lui.

Concrètement, la sécurité juridique implique que la norme juridique soit accessible, claire et prévisible. Elle garantit donc la stabilité des situations juridiques, notamment en s'opposant à leur remise en cause par des normes rétroactives.

Or, la multiplication, au cours de ces dernières années, de dispositions fiscales soit rétroactives, soit rétrospectives a contribué à développer un sentiment d'insécurité juridique fort parmi les contribuables.

Longtemps cette exigence n'a concerné que les lois de finances dans la mesure où celles-ci détenaient un quasi-monopole de fait sur la fiscalité . Ce n'est plus le cas aujourd'hui, à l'image du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 qui contient les principales mesures fiscales préconisées par le gouvernement.

A ce titre, si l'on souhaite faire évoluer l'état du droit, il est indispensable de ne pas seulement inscrire un tel principe au sein de l'ordonnance organique de 1959, et cela afin de lui donner une portée générale.

Les propositions de votre rapporteur général pour limiter le recours
aux dispositions fiscales rétroactives

Le principe de sécurité juridique est une condition essentielle de bon fonctionnement des sociétés.

Or, la multiplication, au cours de ces dernières années, de dispositions fiscales soit rétroactives, soit rétrospectives (comme l'abrogation par anticipation d'avantages fiscaux concernant des opérations étalées sur plusieurs années) a contribué à développer un sentiment d'insécurité juridique fort parmi les contribuables.

Cette situation entraîne deux effets pervers.

D'une part, elle altère l'esprit d'entreprise des contribuables : si l'environnement juridique de l'entreprise ou du patrimoine devient instable, toute prévision tend à devenir impossible et les agents économiques ne sont plus encouragés à développer leurs activités.

D'autre part, l'utilisation intempestive de la rétroactivité affaiblit la crédibilité et l'efficacité de la politique fiscale. En effet, les contribuables sont moins réceptifs aux incitations fiscales de l'Etat dès lors que celles-ci peuvent être effacées ou remises en cause après quelques années.

Le 2 mars 1999, la commission des finances du Sénat et le Centre d'études de fiscalité des entreprises ont organisé un colloque intitulé " loi fiscale rétroactive et sécurité juridique : quelle conciliation ? ". L'objectif de ce colloque était notamment de proposer des pistes de réflexion pour renforcer la sécurité fiscale. Les intervenants ont admis le rôle de la jurisprudence pour limiter le recours aux dispositions rétroactives.

Toutefois, ils ont estimé que cette évolution serait facilitée si un principe général du droit relatif à la non rétroactivité était introduit dans la Constitution.


L'article 2 du code civil pose le principe selon lequel la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a pas d'effet rétroactif. Toutefois, la simple valeur législative du principe de non rétroactivité, confirmée par le Conseil constitutionnel, ne permet pas de l'imposer au législateur.

C'est la raison pour laquelle votre rapporteur général a souhaité faire évoluer l'état du droit applicable.

Il a, à ce titre, déposé deux propositions de loi, n° 53 et n° 54 (1999-2000), pour limiter le recours aux dispositions fiscales rétroactives.

En effet, compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel concernant le domaine des lois organiques, une révision constitutionnelle préalable apparaît nécessaire
puisqu'il estime qu'une loi organique ne peut intervenir que dans les domaines et pour les objets limitativement énumérés par la Constitution.

Or, aucune disposition constitutionnelle ne fait référence au principe de non rétroactivité. C'est la raison pour laquelle une proposition de loi constitutionnelle a été déposée qui modifie le sixième alinéa de l'article 34 de la Constitution qui dispose que la loi fixe les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures. Il s'agit de préciser que les règles relatives à l'assiette et au taux ne sont pas rétroactives sauf dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique.

Par ailleurs, votre rapporteur général a également déposé une proposition de loi organique qui tend à circonscrire, en droit, les cas où le recours à une loi rétroactive est admissible tout en tenant compte non seulement de la tradition juridique de la France, mais aussi de la spécificité de la technique fiscale. Ainsi, les règles d'application dans le temps des dispositions incluses dans les lois de finances sont maintenues.

Le vecteur juridique retenu est une loi organique afin que le champ d'application de la présente proposition s'étende aux dispositions fiscales contenues non seulement dans les lois, mais également dans les lois de finances et dans les lois de financement de la sécurité sociale.

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