AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
La loi n° 98-145 du 6 mars 1998 a habilité le Gouvernement à
prendre, par ordonnances, avant le 15 septembre 1998, sur le fondement de
l'article 38 de la Constitution, des mesures législatives
nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit
applicable outre-mer. En application de cette habilitation, le Gouvernement a
publié, entre le 24 juin et le 2 septembre 1998, vingt ordonnances
modernisant le droit applicable outre-mer.
Le présent projet de loi, adopté en première lecture par
l'Assemblée nationale le 10 juin dernier, vise à ratifier trois
de ces ordonnances relatives aux questions sanitaires et sociales. Il propose
en outre d'apporter des modifications permettant de rectifier des erreurs
matérielles.
Les trois ordonnances visées par le présent projet de loi
sont :
- l'ordonnance n° 98-522 du 24 juin 1998 portant actualisation et
adaptation du droit du travail dans les territoires, collectivités et
départements d'outre-mer ;
- l'ordonnance n° 98-731 du 20 août 1998 portant adaptation aux
départements d'outre-mer, à la Nouvelle-Calédonie et
à la collectivité territoriale de Saint Pierre-et-Miquelon de
diverses dispositions relatives aux affaires sanitaires et sociales ;
- l'ordonnance n° 98-773 du 2 septembre 1998 portant extension et
adaptation en Nouvelle-Calédonie du titre III intitulé
" Des organes, tissus, cellules et produits du corps humain "
du livre VI du code de la santé publique.
Ces trois ordonnances, d'aspect quelque peu technique, permettent d'adapter ou
d'étendre la législation applicable outre-mer dans les domaines
variés, touchant aussi bien le droit du travail que la santé
publique ou la protection sociale.
Votre commission des Affaires sociales est particulièrement attentive
à la situation sociale de l'outre-mer qui apparaît aujourd'hui
préoccupante. Elle considère également que le droit
applicable outre-mer doit prendre en considération les diverses
spécificités locales et ne pas se limiter à une simple
transposition des normes applicables en métropole, transposition qui
peut aboutir,
in fine
, à des aberrations dans la
réglementation en décalage total avec les besoins de l'outre-mer.
Elle a donc examiné avec la plus extrême attention le contenu de
ces ordonnances. Elle estime qu'elles contiennent un grand nombre d'adaptations
utiles au droit applicable outre-mer, pour la plupart d'ailleurs
demandées par les acteurs locaux.
Ce rapport examinera d'abord la procédure de ratification, avant
d'examiner le contenu des ordonnances.
I. UNE PROCÉDURE DE RATIFICATION ORIGINALE, METTANT TOUTEFOIS EN LUMIÈRE CERTAINES AMBIGUITÉS LIÉES À L'ADAPTATION DE LA LÉGISLATION APPLICABLES OUTRE-MER
A. UNE PROCÉDURE FRÉQUENTE, MAIS ICI ORIGINALE
1. Un recours fréquent aux ordonnances s'agissant de l'outre-mer
a) Un recours qui répond à des contraintes particulières
Le
recours à la procédure des ordonnances est très
fréquent pour opérer les modifications législatives
nécessaires à l'outre-mer.
Cela tient avant tout à
la spécificité du régime
législatif applicable aux collectivités d'outre-mer.
En
réalité, deux régimes coexistent. Pour les
départements d'outre-mer et pour Saint-Pierre-et-Miquelon, les lois
métropolitaines sont applicables de plein-droit, même si la
Constitution prévoit, dans son article 73, que les lois
" peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation
nécessités par leur situation particulière "
. En
revanche, les territoires d'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie et Mayotte
sont régis par le principe de spécialité
législative. Les lois n'y sont alors applicables que si elles le
mentionnent expressément.
Ce régime explique largement le recours à une législation
spécifique concernant l'outre-mer. Cette législation peut prendre
deux formes : soit le recours à une loi d'habilitation comme ce fut
le cas en l'espèce, soit le vote d'une loi portant dispositions diverses
relatives à l'outre-mer (ou " DDOM ") comme ce fut le cas pour
l'importante loi du 5 juillet 1996. Ces textes répondent dès lors
à une double logique : adapter la loi métropolitaine dans
les DOM, étendre et adapter les lois métropolitaines dans les
collectivités où le régime de spécialité
législative s'applique.
Le recours à la loi d'habilitation est de plus en plus fréquent.
Ainsi, depuis 1976, neuf lois d'habilitation ont été
votées concernant l'outre-mer, la dernière en date étant
celle du 25 octobre 1999
. Il semble donc y avoir une
accélération sensible du recours aux ordonnances en ce domaine.
Une nouvelle loi d'habilitation est votée par le Parlement, alors que
les ordonnances prises en application de la loi d'habilitation
précédente n'ont pas encore été ratifiées
par le Parlement.
b) Un recours trop fréquent ?
Pour
autant, le recours à une telle procédure n'est pas sans soulever
certaines interrogations. Le recours aux ordonnances contribue en effet
à dessaisir pour partie le Parlement de sa fonction législative.
Certes, le Parlement se prononce à la fois lors de l'habilitation et de
la ratification et conserve donc formellement son pouvoir législatif.
Toutefois, en pratique, force est de constater que le législateur
n'examine bien souvent que rapidement le contenu même des ordonnances.
Ainsi, lors de l'examen du présent projet de loi à
l'Assemblée nationale, le débat qui a eu lieu peut être
qualifié de bref s'agissant du fonds des ordonnances. Celui-ci n'a
été que brièvement abordé par le
rapporteur
1(
*
)
et trois des quatre
amendements adoptés furent présentés par le Gouvernement.
Votre commission considère à ce propos que le Parlement ne
peut se contenter d'être une simple chambre d'enregistrement lors de la
ratification.
Mais, à l'inverse, le recours aux ordonnances pour l'outre-mer
présente un avantage certain : il permet, après consultation
des assemblées locales, d'adapter le droit pour prendre en compte les
spécificités de l'outre-mer dans des domaines la plupart du temps
très techniques et donc très arides pour un débat
parlementaire.
En ce sens, le recours aux ordonnances pour l'outre-mer peut être utile.
Il n'en reste pas moins que votre commission ne peut que préconiser
une prise en compte plus en amont des spécificités de l'outre-mer
dans la procédure législative
. L'examen de textes comme le
projet de loi sur la couverture maladie universelle ou le projet de loi relatif
à la réduction du temps de travail a d'ailleurs bien
montré que le Gouvernement ne prenait pas en compte les
particularités de l'outre-mer dans la rédaction des projets de
loi qu'il soumet au Parlement.
Votre commission estime donc qu'il serait préférable de
prendre en compte très en amont, lors de la rédaction des projets
de loi, la spécificité de l'outre-mer pour prévoir les
conditions d'applicabilité
. Cela aurait notamment l'avantage de
permettre une application immédiate de certains textes outre-mer et de
limiter le recours aux ordonnances, qui apparaissent bien souvent comme des
" ordonnances-balais ". A ce propos, votre commission ne peut que
regretter le respect pour le moins lacunaire des circulaires du
11 avril 1988 et du 15 juin 1990 qui posent justement ces principes
et qui restent hélas largement lettre-morte.
2. Une procédure originale en l'espèce
L'originalité de la procédure tient autant à l'ampleur du champ de l'habilitation qu'au choix de la méthode de ratification.
a) Une habilitation étendue
La loi
d'habilitation du 6 mars 1998 a prévu un champ d'habilitation
particulièrement large.
Il touche en effet aussi bien le droit du travail, que le droit civil, le droit
pénal, les activités financières, l'urbanisme ou le droit
électoral. 17 domaines de délégation étaient
ainsi énumérés par la loi.
S'agissant du domaine social, l'habilitation était aussi
particulièrement large. M. Jean-Jack Queyranne avait d'ailleurs
insisté sur ce point au Sénat le 5 février 1998 en
présentant son projet de loi d'habilitation. Il avait indiqué
alors que
" le Gouvernement porte son attention sur le domaine social.
Son action est concentrée sur la modernisation du droit du travail et
sur les domaines de la santé publique et de la protection sociale. Il
est donc proposé de prendre diverses dispositions relatives à la
tarification des produits sanguins dans les départements d'outre-mer, au
prix des médicaments dans ces départements et à
Saint-Pierre-et-Miquelon, à la révision des accords de
coordination des régimes métropolitains et
néo-calédoniens de sécurité sociale, à
l'affiliation des non-salariés résidant à
Saint-Pierre-et-Miquelon à un régime de retraite
complémentaire et, à la suite d'un amendement parlementaire, au
remboursement des médicaments indispensables en matière de
prophylaxie et de thérapeutique contre le paludisme ".
b) Une méthode de ratification inédite
La
procédure de ratification qui vous est proposée est originale,
son caractère inédit étant sous doute lié à
l'ampleur même de l'habilitation.
La ratification des ordonnances a donné lieu au dépôt non
pas d'un seul, mais de quatre projets de loi de ratification qui feront l'objet
d'une discussion générale commune.
Ces quatre projets de loi regroupent de manière thématique les
différentes ordonnances et ont été renvoyés
à quatre commissions différentes, en vertu de leur
compétence sur le fonds des ordonnances. Ainsi, votre commission est
saisie au fond d'un projet de loi de ratification des trois ordonnances
touchant aux questions sociales.
Votre commission ne peut que se féliciter d'une telle démarche
qui a le mérite de privilégier une ratification portant sur le
fonds des questions abordées par les ordonnances, plutôt que sur
de simples questions de procédures.