EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est appelé à examiner en première lecture
deux propositions de loi de MM. Laurent Fabius, président de
l'Assemblée nationale, et Jean-Paul Bret, adoptées par
l'Assemblée nationale lors de la séance publique du
19 novembre 1998.
La proposition de loi ordinaire n° 76 (Sénat, 1998-1999) tend
à instituer un Médiateur des enfants, tandis que la proposition
de loi organique n° 77 (Sénat, 1998-1999) tend à
prévoir son inéligibilité.
Ces deux propositions de loi sont issues des conclusions adoptées en mai
1998, sur le rapport de M. Jean-Paul Bret, par la commission d'enquête
sur " l'état des droits de l'enfant en France, notamment au regard
des conditions de vie des mineurs et de leur place dans la cité ",
constituée à l'Assemblée nationale et
présidée par M. Laurent Fabius.
Votre rapporteur tient à saluer cette initiative, qui s'inscrit dans un
mouvement plus vaste de reconnaissance des droits de l'enfant. En particulier,
la
recommandation du Conseil de l'Europe
n° 1121 (1990) relative
aux droits de l'enfant, adoptée en février 1990, tend à
"
inviter les Etats membres à envisager, s'ils ne l'ont pas
encore fait, de nommer un médiateur spécial pour les enfants, qui
pourrait les informer de leurs droits, les conseiller, intervenir et,
éventuellement, ester en justice des poursuites en leur nom
".
Votre commission des Lois souhaite que les améliorations du texte
qu'elle vous soumettra permettent
de faciliter et de hâter la
création d'un Médiateur des enfants
.
En effet, la proposition de loi ordinaire instituant un Médiateur des
enfants, issue des travaux de l'Assemblée nationale, pourrait ne pas
donner toute sa mesure si elle devait créer une concurrence entre le
Médiateur des enfants et le Médiateur de la République,
autorité dont la qualité des travaux et des interventions n'est
plus à démontrer.
C'est pourquoi votre commission des Lois vous proposera une solution permettant
de donner toute sa signification à la création d'un
Médiateur des enfants, afin que celui-ci n'exerce pas sa mission au
détriment de celle du Médiateur de la République, et
dispose immédiatement des réels moyens de fonctionnement qui sont
ceux de la Médiature.
I. LES TRAVAUX DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE CRÉENT UN MÉDIATEUR DES ENFANTS CALQUÉ SUR LE MÉDIATEUR DE LA RÉPUBLIQUE
A. LE MÉDIATEUR DES ENFANTS, AUTORITÉ INDÉPENDANTE, AU STATUT COMPARABLE À CELUI DU MÉDIATEUR DE LA RÉPUBLIQUE.
a) Le statut du Médiateur des enfants.
Les
dispositions relatives au Médiateur des enfants s'inspirent largement de
la loi n° 73-6 du 3 janvier 1973 instituant un Médiateur de la
République.
L'article 1
er
de la proposition de loi ordinaire vise à
conférer au Médiateur des enfants le statut d'autorité
indépendante.
L'article 2, qui organise la nomination solennelle du Médiateur des
enfants par décret en Conseil des ministres, lui confère une
légitimité équivalente à celle du Médiateur
de la République. Elle lui garantit qu'il ne pourra être mis fin
à ses fonctions qu'en cas d'empêchement dûment
constaté. Enfin, son mandant n'étant pas renouvelable, il ne sera
pas soumis au pouvoir politique qui l'aura nommé.
Les articles 9 à 11 tendent à limiter l'exercice conjoint des
fonctions de Médiateur des enfants et des mandats de conseiller
municipal, conseiller général ou conseiller régional.
Cependant, une certaine souplesse est maintenue, le Médiateur des
enfants ayant la possibilité de présenter à nouveau sa
candidature s'il était détenteur d'un mandat local au moment de
sa nomination. L'article unique de la proposition de loi organique régit
l'inéligibilité du Médiateur des enfants aux
élections législatives, sénatoriales et
européennes. Ces dispositions sont identiques à celles
applicables au Médiateur de la République.
b) Un champ de compétences identique à celui du Médiateur de la République.
D'après l'article 1
er
de la proposition de
loi
ordinaire, le Médiateur de la République et le futur
Médiateur des enfants auront un champ de compétences identiques,
celui de la médiation institutionnelle.
Ils seront tous les deux compétents pour recevoir les
réclamations individuelles concernant le fonctionnement des
administrations de l'Etat, des collectivités territoriales et de tout
autre organisme investi d'une mission de service public.
Le Médiateur de la République a déjà eu
l'occasion de traiter des affaires concernant des mineurs
. En effet, la
rédaction actuelle de la loi du 3 janvier 1973 ne lui interdit pas
de connaître des difficultés que peuvent rencontrer des enfants
dans leurs relations avec les administrations.
A titre d'exemple, le Médiateur de la République a
suggéré, dans la proposition de réforme n° 98-R013 du
22 juillet 1998, un aménagement du dispositif organisant actuellement le
partage amiable d'une succession, lorsqu'un des copartageants est un mineur.
Par ailleurs, le Médiateur des enfants serait, comme le Médiateur
de la République, compétent sur l'ensemble du territoire de la
République
1(
*
)
.
c) Une saisine facilitée.
L'article 1
er
de la proposition de loi ordinaire
permet
la saisine directe du Médiateur des enfants par les mineurs ou leurs
représentants légaux. L'absence de filtre parlementaire pour la
saisine du Médiateur des enfants distingue celui-ci du Médiateur
de la République.
De même, l'absence de recours préalable obligatoire auprès
de l'autorité administrative constitue la seconde innovation de nature
à élargir la saisine du Médiateur des enfants.
d) Les relations entre les deux Médiateurs ne sont pas clairement définies.
La
proposition de loi ordinaire, dans sa rédaction initiale, ne comportait
aucune disposition régissant les relations entre les deux
Médiateurs.
Or, le rapport de la commission des Lois de l'Assemblée
nationale
2(
*
)
a bien mis en
évidence le conflit de compétences entre les deux
Médiateurs : "
si elle venait à concurrencer
directement le Médiateur de la République, la nouvelle
institution porterait préjudice aux intérêts mêmes
des enfants, puisque ceux-ci ou leurs représentants auraient à
s'interroger sur le choix de l'autorité compétente
".
Le rapporteur ajoute même que "
la similitude des pouvoirs que
détient le Médiateur de la République et de ceux qu'il est
proposé de donner au Médiateur des enfants peut conduire
à se demander s'il n'aurait pas été envisageable
d'élargir simplement les compétences du Médiateur de la
République
".
Cependant, cette solution a été écartée par
l'Assemblée nationale, qui a considéré que la mise en
place d'une institution nouvelle "
s'inscrivait mieux dans la
dynamique
" créée par la Convention de New York.
La commission des Lois de l'Assemblée nationale a tenté de
préciser les relations entre les deux Médiateurs, afin de
préserver l'efficacité des deux institutions ainsi placées
en concurrence.
Elle a donc proposé que le Médiateur des enfants confie au
Médiateur de la République les dossiers entrant dans le champ de
ses attributions et lui signale les dysfonctionnements administratifs auxquels
les enfants ou leurs représentants légaux auraient
été confrontés. La procédure réciproque est
prévue, selon laquelle le Médiateur de la République
saisit le Médiateur des enfants des dossiers relevant exclusivement de
la compétence de ce dernier.
e) L'évaluation de la loi.
Consciente des difficultés d'application que ne
manquera pas
de soulever le dispositif ainsi proposé, la commission des Lois de
l'Assemblée nationale a souhaité organiser l'évaluation du
dispositif dans un délai de trois ans suivant la promulgation de la loi
instituant un Médiateur des enfants.
Cette évaluation devrait permettre d'ajuster le dispositif en fonction
des difficultés rencontrées. Selon une procédure pour le
moins inédite, elle serait confiée par la loi à l'Office
parlementaire d'évaluation de la législation, créé
par la loi n° 96-516 du 14 juin 1996.