C. IL EST INÉGALITAIRE ET DÉRESPONSABILISANT
La solution proposée par le projet de loi pour répondre au grave problème posé par les difficultés de l'accès aux soins rencontrées par les personnes titulaires de faibles revenus est inégalitaire et déresponsabilisante.
1. Il induit des inégalités
Les inégalités induites par le projet de loi sont nombreuses et graves.
a) Les inégalités entre résidents liées à l'effet de seuil
Le
projet de loi crée une nouvelle inégalité entre les
personnes dont les revenus se situent en dessous du seuil et celles dont les
revenus sont également voisins du seuil, mais au-dessus.
Ces personnes, qui ne sont pas favorisées, ont les mêmes
conditions de vie : ce n'est pas, en effet, une différence de
revenus de 100, 200 ou 300 francs qui est de nature à modifier
sensiblement les conditions d'existence.
Pourtant, ces personnes seront traitées différemment par le
projet de loi : au-dessus du seuil, elles paieront des cotisations
mutualistes ou des primes d'assurance pour obtenir une couverture
complémentaire qui ne couvrira pas toutes leurs dépenses de
santé alors qu'en dessous du seuil, elles seront gratuitement prises en
charge à 100 %.
Le projet de loi crée aussi une inégalité entre les
résidents en fonction de la connaissance plus ou moins précise de
leurs revenus : avec un tel effet de seuil, il peut être assez
tentant, lorsqu'on en a la possibilité, de dissimuler des revenus
à hauteur de quelques centaines de francs...
b) Les inégalités entre organismes de protection sociale complémentaire et les CPAM
En
laissant aux bénéficiaires de la CMU le choix de s'adresser, pour
leur protection complémentaire, aux CPAM ou aux organismes de protection
sociale complémentaire, le projet de loi n'a pas pour autant
créé des conditions de concurrence égalitaires entre ces
différents organismes.
D'abord, en effet, il est probable que, par souci de simplicité, les
bénéficiaires de la CMU préféreront, en grande
majorité, s'adresser au même organisme que celui qui assure aussi
leur couverture de base : il y a là une première atteinte
à l'égalité, tous les organismes ne pouvant pas offrir les
mêmes produits.
Ensuite, le projet de loi ne prévoit pas un même système de
remboursement, par le fonds, des dépenses engagées au titre de la
couverture complémentaire des bénéficiaires de la
CMU : alors que les régimes d'assurance maladie seront
remboursés au franc le franc, les organismes de protection sociale
complémentaire recevront un forfait de 1.500 francs par personne et
par an supposé être représentatif du montant des
prestations versées.
Il faut rappeler, enfin, que seuls les organismes de protection sociale
complémentaire seront appelés à acquitter la contribution
de 1,75 % du chiffre d'affaires santé instituée par la
présente loi.
c) Les inégalités entre organismes de protection sociale complémentaire
Les
représentants des organismes de protection sociale complémentaire
entendus par votre commission ont affirmé qu'un nombre significatif de
leurs adhérents ou souscripteurs relèveront, à compter de
la promulgation de la loi, de la CMU. Cette proportion de
bénéficiaires potentiels de la CMU dans le nombre total
d'adhérents a été estimée, en moyenne, à
10 %, certains organismes devant perdre jusqu'à 20 ou 30 % de
leurs ressortissants " payants ". Il est clair que ces organismes
n'auront pas le choix, et devront s'inscrire sur la liste de ceux qui
participent au dispositif CMU, sauf à perdre le quart ou le tiers de
leurs adhérents.
Plus grave, certains organismes complémentaires sont, en pratique,
spécialisés dans la couverture complémentaire des artisans
et commerçants. Or, compte tenu du niveau de remboursement de la CANAM,
qui est plus faible que celui de la CNAMTS, la couverture complémentaire
d'un artisan ou d'un commerçant coûte plus cher que celle d'un
salarié.
Elle coûtera donc beaucoup plus cher que le forfait de 1.500 francs,
déjà sous-estimé en moyenne (cf. infra) : ces
organismes de protection complémentaire se verront donc imposer
d'importantes charges nouvelles, s'ajoutant à la contribution de
1,75 % du chiffre d'affaires instituée par le projet de loi. Le
poids de ces charges nouvelles les mettra sans nul doute en difficulté
et pourrait même menacer leur avenir.
2. Il est déresponsabilisant
" Il est vrai qu'une contribution, dans bien des
domaines,
est un moyen de faire appel à la responsabilité. "
(Mme
Martine Aubry, JO Débats AN, 2
ème
séance du 27
avril 1999, p. 3652).
Le Gouvernement a choisi, dans le présent projet de loi, d'assurer
gratuitement, sans aucune contribution de leur part, une couverture
complémentaire à 100 % à 6 millions de
Français, soit 10 % de la population.
Cette solution ne correspond pas aux propositions qui avaient été
faites au Gouvernement par M. Jean-Claude Boulard, parlementaire en mission.
Celui-ci avait en effet affirmé sa préférence, comme votre
commission le fait ici, pour une allocation personnalisée à la
santé qui "
ne doit pas nécessairement couvrir la
totalité du coût de la couverture
".
M. Jean-Claude Boulard indiquait d'ailleurs, dans son rapport, que
" l'effort contributif, même limité, est une valeur du
monde mutualiste qu'il convient de prendre en compte. Contribuer, même
faiblement, est une composante de l'insertion ".
Cette solution n'a pas été retenue par le Gouvernement, qui a
avancé, pour s'y opposer, des prétextes d'ordre technique. Le
ministre a ainsi (justement) affirmé qu'il serait très
onéreux de tenter de recouvrer 30 ou 40 francs par mois, et que
l'on ne pourrait "
refuser des soins à une famille au motif
qu'elle n'aurait pas déboursé les 30 ou 40 francs qu'elle devrait
payer par mois
".
Ces obstacles techniques ne valent, en fait, que si l'on renonce à la
création d'une allocation personnalisée à la santé
reçue par les bénéficiaires, même avec
possibilité d'affectation, et que si l'on raisonne en termes de
" droits ouverts ", sans démarche responsabilisante
d'adhésion à une couverture complémentaire, avec
simplement une facture de 30 francs à payer chaque mois.