D. IL N'EST MAÎTRISÉ NI DANS SON COÛT NI DANS SES CONSÉQUENCES
Au
printemps 1998, le Gouvernement avait annoncé que le présent
projet de loi et le projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 1999 seraient déposés simultanément,
c'est-à-dire en octobre 1998. Puis, il s'était engagé,
dans le rapport annexé à l'article premier de cette loi de
financement, à déposer ce projet de loi au cours de l'automne
1998. La loi de financement a été promulguée le 23
décembre sans que cet engagement ait été tenu.
Les délais supplémentaires pris par le Gouvernement -le texte n'a
été déposé en définitive que le 3 mars 1999-
auraient dû lui permettre d'analyser dans le détail l'impact du
projet de loi. Force est de constater que le résultat est de ce point de
vue décevant.
1. Il est sous-estimé quant à ses coûts financiers
Le
chiffrage du projet de loi par le Gouvernement repose sur une
arithmétique simple : le produit d'un coût unitaire par un
nombre de bénéficiaires.
Ainsi, le coût de l'extension de la couverture de base est estimé
à 600 millions de francs (
4.000 francs x
150.000 bénéficiaires
) et celui de la couverture
complémentaire gratuite à 9 milliards de francs (
1.500 francs
x 6 millions de bénéficiaires
).
a) Le financement de la couverture de base repose sur des transferts financiers complexes et pèse en définitive lourdement sur l'assurance maladie
La
suppression de l'assurance personnelle et la prise en charge par la CNAMTS de
la couverture de base sur le critère de la résidence
entraîne une modification profonde des flux financiers.
Le financement de l'assurance personnelle fait en effet intervenir aujourd'hui
plusieurs acteurs :
- les
départements
prennent en charge les cotisations des
bénéficiaires de l'aide médicale gratuite (allocataires du
RMI, de l'allocation veuvage, jeunes de 17 à 25 ans remplissant les
conditions de ressources et de résidence du RMI). Cette prise en charge
peut être totale ou partielle ;
- les
caisses d'allocations familiales
prennent en charge, de
manière totale ou partielle, les cotisations des titulaires de
prestations familiales non couverts par un régime d'assurance maladie
et, de manière totale, celles des bénéficiaires de
l'allocation parent isolé et des personnes veuves ou divorcées
ayant eu au moins trois enfants à charge ;
- le
fonds de solidarité vieillesse
assure la prise en
charge des cotisations des titulaires de l'allocation spéciale,
c'est-à-dire les personnes qui ne bénéficient d'aucun
avantage versé par les régimes d'assurance vieillesse et qui, en
outre, ne sont pas affiliés, en tant qu'ayants droit, à un
régime d'assurance maladie ;
-
l'Etat
acquitte les cotisations des bénéficiaires
de l'aide médicale sans résidence stable (SDF) ;
- les
assurés, qui ne sont pas pris en charge,
s'acquittent
d'une cotisation en fonction de leur niveau de revenu ;
- enfin, le
déficit structurel de l'assurance personnelle
est pris en charge par les régimes d'assurance maladie.
L'arrêté du 10 décembre 1998
1(
*
)
, permet de mesurer l'ampleur du
déficit actuel (4,5 milliards de francs) :
Répartition 1997 du déficit de l'assurance
personnelle
(Extrait de l'arrêté du 10 décembre 1998)
Art.
1
er
. - Le solde déficitaire de la section comptable
prévue à l'article R. 741-40 du code de la sécurité
sociale s'élève pour l'exercice 1997 à 4.538.733.446,05
francs.
Art. 2. - Le solde déficitaire mentionné à l'article
précédent est réparti comme suit entre les régimes
obligatoires d'assurance maladie maternité :
1. Régime général des salariés : 3.760.700.854,80
francs ;
2. Salariés agricoles : 141.171.478,08 francs ;
3. Exploitants agricoles : 208.012.327,83 francs ;
4. Travailleurs non salariés des professions non agricoles :
233.730.045,45 francs ;
5. Société nationale des chemins de fer français :
58.302.659,30 francs ;
6. Régie autonome des transports parisiens : 9.169.621,68 francs ;
7. Caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines :
32.500.559,05 francs ;
8. Etablissement national des invalides de la marine : 12.483.772,51 francs ;
9. Caisse nationale militaire de sécurité sociale : 71.029.798,48
francs ;
10. Caisse de retraite et de prévoyance des clercs et employés de
notaires : 7.189.637,88 francs ;
11. Banque de France : 3.761.840,22 francs ;
12. Chambre de commerce et d'industrie de Paris : 680.850,77 francs.
Le déficit pris en charge par la CNAMTS s'élève à
3.972 millions de francs soit 3.760 millions de francs au titre du
régime général et 212 millions de francs en raison de
l'intégration financière du régime des salariés
agricoles (141 millions de francs) et de la Caisse nationale militaire de
sécurité sociale (71 millions de francs).
Les régimes d'assurance maladie autres que le régime
général contribuent à hauteur du reliquat soit
566 millions de francs.
Les dépenses résultant de l'assurance personnelle se sont
élevées en 1997 à environ 12 milliards de francs.
Cette évaluation n'est qu'indirecte puisqu'elle est la somme des
recettes et des déficits.
L'assurance personnelle en 1997
Financement |
Millions de francs |
Public |
Nombre |
Conseils généraux |
3.766 |
Bénéficiaires de l'aide médicale |
374.078 |
Etat |
285 |
Bénéficiaires de l'aide médicale sans résidence stable |
29.618 |
CAF |
2.386 |
Titulaires de prestations familiales |
136.534 |
FSV |
610 |
Bénéficiaires de l'allocation spéciale du minimum vieillesse |
47.014 |
Personnes acquittant leurs cotisations |
440 |
personnes acquittant leurs cotisations |
57.028 |
TOTAL financement |
7.487 |
TOTAL |
644.272 |
Déficit pris en compte par la CNAMTS |
3.972 |
|
|
Déficit pris en compte par les autres régimes d'assurance maladie |
566 |
|
|
Coût total (1) |
12.025 |
|
|
(1)
Cotisations et déficits
L'article R. 741-40 du code de la sécurité sociale
dispose que
" les opérations de recettes ou de
dépenses de l'assurance personnelle, qu'elles soient effectuées
par le régime général ou par d'autres régimes, sont
suivies dans une section comptable distincte du fonds national de l'assurance
maladie géré par la caisse nationale de l'assurance
maladie ".
Les résultats 1997 de cette section comptable ont été
communiqués à votre rapporteur. Ils corroborent un déficit
de l'assurance personnelle de 4,5 milliards de francs, mais portent sur un
total de charges de 10,4 milliards de francs, ce qui apparaît
contradictoire avec les chiffres fournis par l'étude d'impact.
• Des réaffectations de recettes complexes et incertaines
Le projet de loi affecte à la CNAMTS de nouvelles recettes afin de
compenser la suppression des cotisations d'assurance personnelle aujourd'hui
prises en charge par les différentes collectivités publiques.
• Pour compenser la suppression de la prise en charge par le
Fonds de
solidarité vieillesse
(FSV) d'une partie des cotisations d'assurance
personnelle, le projet de loi prévoit de modifier la répartition
des droits de consommation sur les alcools (" droits 403 ").
Cette répartition serait désormais de :
- 55 % pour le FSV (au lieu de 60 %) ;
- 40 % pour les régimes obligatoires d'assurance maladie (situation
inchangée) ;
- 5 % pour la seule CNAMTS.
• Pour compenser la suppression de la prise en charge d'une partie des
cotisations d'assurance personnelle par les
caisses d'allocations
familiales
, le projet de loi modifie l'affectation du
prélèvement social de 2 % sur les revenus du patrimoine,
réparti aujourd'hui pour moitié entre la CNAF et la CNAVTS.
Il prévoit l'attribution d'une partie de ce prélèvement
à une troisième branche du régime général :
la CNAMTS. La répartition serait de 50 % pour la CNAVTS (situation
inchangée), 28 % pour la CNAMTS et 22 % pour la CNAF.
Le rendement estimé du prélèvement social de 2 % est de
l'ordre de 9,7 milliards de francs, soit 4,8 milliards de francs pour la
CNAF, selon le rapport de la commission des comptes de la
sécurité sociale de septembre 1998.
La perte de recettes serait pour la CNAF de 2,7 milliards de francs, pour une
moindre dépense de 2,4 milliards de francs.
• Pour compenser la suppression de la prise en charge par les
départements
et
l'Etat
d'une partie des cotisations
d'assurance personnelle, le projet de loi prévoit, dans son
exposé des motifs et dans l'étude d'impact, une
recette
virtuelle
: une modification de la clef de répartition des
droits sur les tabacs en faveur de la sécurité sociale qui
n'interviendra qu'en loi de finances pour 2000.
• Pour compenser la suppression du système de la
répartition du déficit de l'assurance personnelle
, le
projet de loi propose d'affecter l'intégralité de la cotisation
sur les véhicules à moteur -dont le produit est aujourd'hui
réparti entre les régimes d'assurance maladie- à la seule
CNAMTS. Le surcroît de recettes attendu est de 830 millions de
francs.
• Une dérive du coût qui sera supportée par
l'assurance maladie
Aux termes de cette modification des flux financiers, il ressort que la charge
supportée par la CNAMTS s'aggrave avant même que l'on s'interroge
sur la pertinence des évaluations fournies par le Gouvernement.
Le
financement de la couverture maladie de base
Projet du gouvernement
(en millions de francs)
DÉPENSES |
RECETTES |
||
Dépenses actuelles |
12.025 |
Tabacs |
3.500 |
Extension du champ |
600 |
28 % prélèvement social |
2.700 |
|
|
Droits alcools |
600 |
|
|
Cotisations assurés |
100 |
|
|
Cotisations VTAM |
830 |
TOTAL |
12.625 |
|
7.730 |
SOLDE- 4.895 |
L'Etat apparaît bénéficiaire de la mise en place du premier étage de la CMU aux dépens essentiellement de la CNAMTS mais également de la CNAF.
Conséquences sur le budget de l'Etat
(en millions de francs)
|
Dépenses |
Recettes |
Diminution DGD |
- 3.766 |
Tabacs - 3.500 |
Suppression des cotisations d'assurance personnelle |
- 285 |
|
Compensations autres régimes d'assurance maladie |
+ 200 |
|
TOTAL |
- 3.851 |
- 3.500 |
SOLDE + 351 |
La
" compensation aux autres régimes d'assurance maladie "
constitue une partie de la différence entre la perte de recettes
liée à la CVTAM (830 millions de francs) et la moindre
dépense liée à la suppression de la participation de ces
régimes au déficit de l'assurance personnelle (566 millions
de francs). Cette subvention semble être principalement affectée
au régime de protection sociale agricole, la CANAM ne recevant à
l'heure actuelle aucune subvention d'équilibre de la part de l'Etat.
Pour la CNAMTS
,
le surcoût net de la couverture de base
est estimé à
900 millions de francs,
sans prendre
en compte les coûts supplémentaires de gestion, qui ne sont pas
estimés par l'étude d'impact du projet de loi :
Conséquences sur l'équilibre de la CNAMTS
(en millions de francs)
Dépenses |
Recettes |
||
Extension du champ |
+ 600 |
Pertes
des cotisations
|
- 7.487 |
|
|
Etat |
- 285 |
Intégralité déficit assurance personnelle |
+ 566 |
Départements |
- 3.766 |
|
|
CNAF |
- 2.336 |
|
|
FSV |
- 610 |
|
|
Assurés |
- 440 |
|
|
Tabacs |
+ 3.500 |
|
|
Prélèvement social |
+ 2.700 |
|
|
Droits alcools |
+ 600 |
|
|
Cotisations assurés |
+ 100 |
|
|
Affectation intégralité CVTAM |
+ 830 |
TOTAL |
+ 1.166 |
TOTAL |
+ 243 |
SOLDE - 923 |
Au total, les transferts entraînés par la couverture maladie de base sont les suivants :
Transferts entraînés par la couverture de base
(en millions de francs)
|
Economie +
|
Recettes en plus (+)
|
Solde
|
Etat |
+ 3.851 |
- 3.500 |
+ 351 |
Départements |
+ 3.766 |
- 3.766 |
- |
CNAF |
+ 2.386 |
- 2.700 |
- 314 |
FSV |
+ 610 |
- 600 |
+ 10 |
Assurés |
+ 340 |
- |
+ 340 |
CNAMTS |
- 1.166 |
+ 243 |
- 923 |
Autres régimes assurance maladie |
+ 566 |
- 630 |
- 64 |
La
CNAMTS supportera donc,
a priori,
un déficit de près de
5 milliards de francs, soit 3,9 milliards de francs au titre du
déficit actuel de l'assurance personnelle et 0,9 milliard de francs au
titre du présent projet de loi.
Mais elle supportera également toute dérive du coût par
rapport à l'estimation du Gouvernement.
Or, un calcul simple consiste à rapprocher le nombre de personnes
couvertes aujourd'hui par l'assurance personnelle (644.000 selon l'étude
d'impact jointe au projet de loi) du coût de ce dispositif (12,02
milliards de francs -
voir supra
).
Le coût actuel de l'assurance personnelle à laquelle se substitue
le nouveau régime prévu par le titre I du projet de loi est
d'environ 18.000 francs par assuré, chiffre dont il convient de
préciser qu'il ne prend pas en compte, en sus de 644.000 assurés,
leurs ayants droit sur lesquels l'étude d'impact ne fournit aucune
indication.
Autre estimation : le coût moyen de la couverture de base
s'établit à 12.000 francs pour le régime
général.
Or, Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité, interrogée
sur cette question par votre rapporteur, a précisé que le
coût de 600 millions de francs avancé par le Gouvernement
reposait sur une double hypothèse :
" - une population à l'écart de toute couverture sociale
estimée à 150.000 personnes (source INSEE) ;
" - un coût de couverture d'environ 4.000 francs par personne
(prenant en compte le fait qu'une part de cette population était en
partie soignée dans les hôpitaux - et donc déjà
à la charge partielle de l'assurance maladie). "
Votre rapporteur ne conteste pas qu'une partie de ces 150.000 personnes
puisse, d'ores et déjà, engendrer des coûts pour
l'assurance maladie. Mais l'estimation d'un coût de 4.000 francs
apparaît pour le moins optimiste.
Ainsi, le coût de 600 millions de francs risque fort d'être
dépassé sauf si le nombre de bénéficiaires n'est
pas celui annoncé.
En résumé, les mécanismes financiers dont est assortie
l'extension de la couverture de base :
- ne règlent pas le déficit actuel supporté par la
CNAMTS de l'assurance personnelle (3,9 millions de francs) ;
- aggravent ce déficit de près de 1 milliard de francs.
En outre, cette évaluation :
- s'appuie sur des données déjà anciennes (1997) ;
- repose sur une estimation du coût de la couverture de base
accordée à 150.000 personnes supplémentaires pour le
moins optimiste ;
- fait le pari d'une évaluation des recettes affectées
à la CNAMTS parallèle et cohérente avec celles des
dépenses qu'elle prend en charge.
Or, c'est la CNAMTS, et elle seule, qui supportera les conséquences
financières des hypothèses énoncées et des
sous-évaluations alors même qu'il est d'ores et déjà
acquis qu'elle supportera une charge de près de 5 milliards de
francs.
b) Le coût de la couverture complémentaire gratuite comporte de nombreuses incertitudes
Aujourd'hui, la prise en charge de la couverture
complémentaire des plus démunis relève essentiellement de
l'aide médicale des départements qui y consacrent
5,4 milliards de francs et marginalement de l'Etat (200 millions de
francs). Le nombre de bénéficiaires serait d'environ
2,5 millions de personnes.
Le coût de la couverture maladie complémentaire gratuite mise en
place par le titre II du projet de loi est évalué à
9 milliards de francs pour 6 millions de bénéficiaires.
• Un financement net à parité entre l'Etat et les
organismes de protection complémentaire
Deux acteurs ont été retenus pour financer
" le fonds de
financement de la protection complémentaire de la couverture universelle
du risque maladie "
, prévu à l'article 25 du projet de
loi. Les organismes de protection complémentaire seront taxés
à hauteur de 1,75 % de leur chiffre d'affaires santé, ce qui
devait rapporter, sur la base d'une assiette d'environ 100 milliards de
francs, 1,8 milliard de francs.
Le
financement de la couverture complémentaire
selon le projet de loi
(en millions de francs)
Subvention au fonds de financement de la part de l'Etat |
7.200 |
Organismes complémentaires |
1.800 |
Total |
9.000 |
L'Etat
doit, au moyen d'une dotation budgétaire, équilibrer le
financement de ce fonds. Cette subvention a été
évaluée à 7,2 milliards de francs.
Il ne s'agit pas d'un coût net pour l'Etat, puisqu'il
bénéficie d'une diminution de la DGD équivalente à
l'effort que réalisaient les départements en matière de
couverture complémentaire et d'une diminution des dépenses d'aide
médicale liées à la couverture complémentaire des
SDF.
Cette diminution des dépenses constituée de l'aide
médicale d'Etat est difficile à évaluer à partir de
l'étude d'impact, mais une réponse au questionnaire
adressé par votre rapporteur à Mme la ministre de l'emploi et de
la solidarité permet de la préciser :
" La dotation budgétaire de l'aide médicale d'Etat
s'élève, en 1997, à 0,8 milliard de francs. Les
économies réalisées sur cette dotation correspondent
à la disparition des cotisations d'assurance personnelle actuellement
prises en charge par l'Etat (0,3 milliard de francs) et à la majeure
partie des autres dépenses d'aide médicale (couverture
complémentaire des SDF). Le coût futur de l'aide médicale
d'Etat -attaché à la couverture maladie universelle- est
estimé à 0,3 milliards de francs. (...) L'écart entre ces
deux coûts correspond au gain net pour l'Etat "
.
Cette réponse fait apparaître une économie pour l'Etat de
500 millions de francs, légèrement supérieure
à celle figurant dans l'étude d'impact
2(
*
)
(400 millions de francs). Par
déduction, si la prise en charge des cotisations d'assurance personnelle
des SDF s'élève à 285 millions de francs, le coût de
l'aide médicale complémentaire dont l'Etat va faire
l'économie est évalué à environ 200 millions
de francs.
Conséquences du volet complémentaire
pour le
budget de l'Etat
(en millions de francs)
Subvention au fonds de financement |
7.200 |
Diminution DGD (1) |
- 4.924 |
Economie sur l'aide médicale d'Etat (1) |
- 200 |
Total |
- 2.076 |
(1)
hors prise en compte de la suppression de l'assurance personnelle (voire
couverture de base)
L'analyse des transferts liés à la mise en place d'une
couverture complémentaire permet de faire apparaître une
" parité de financement " de la couverture
complémentaire entre Etat et organismes privés.
Transferts liés à la mise en place d'une couverture
complémentaire
(en millions de francs)
|
Economie +
|
Recettes en plus (+)
|
Solde
|
Etat |
- 2.076 |
- |
- 2.076 |
Départements |
+ 5.379 (1) |
- 4.924 (2) |
+ 455 |
Organismes complémentaires |
- 1.800 |
(3) |
- 1.800 |
(1)
Suppression de l'aide
médicale
des départements (sommes consacrées en sus de la prise en charge
des cotisations à l'assurance personnelle : 9.145 MF - 3.766 MF =
5.379 MF).
(2)
Diminution de la DGD (reliquat) (8.690 MF - 3.766 MF =
4.924 MF).
(3)
Perte de recettes non chiffrée au titre des pertes
de cotisations actuellement perçues.
• Une sous-estimation manifeste du coût par
bénéficiaire
Le Gouvernement annonce un coût de 1.500 francs par
bénéficiaire de la couverture complémentaire
gratuite : ce chiffre est une
évaluation
prévisionnelle
mais également une
référence
législative
pour le remboursement forfaitaire des organismes de
protection complémentaire.
Selon une étude du CREDES, le coût moyen de la couverture
complémentaire d'un Français varie entre 1.775 et 1.915 francs
selon les sources et les méthodes d'estimation. Le Gouvernement a retenu
le chiffre de 1.500 francs en raison, d'une part, de la structure d'âge
de la population visée par la CMU, nettement plus jeune que la
population totale, et ce qui en fait un public moins dépensier, et ses
comportements spécifiques de consommation. Les analyses
réalisées dans les départements montraient une
sous-consommation de l'ordre de 10 %. Il est très difficile
d'estimer si cette sous-consommation est une donnée structurelle,
dépendant étroitement d'un comportement socio-éducatif, ou
si la CMU conduira à une banalisation de la consommation médicale
des plus démunis.
De toute évidence, le chiffre de 1.500 francs mentionné dans le
rapport Boulard a été retenu selon une méthode
contestable ; il porte sur une année déjà ancienne
(1995), sans avoir été réévalué, et sur une
population (moins de 65 ans) qui n'est finalement pas celle retenue.
Le rapport Boulard
3(
*
)
évoquait
" un coût moyen du ticket modérateur et du
forfait hospitalier de 1.150 francs et 113 francs, auxquels il faut ajouter le
coût de l'amélioration de prise en charge des soins dentaires, des
prothèses auditives et optiques "
.
Le coût de ces soins dentaires ou des prothèses auditives et
optiques est très difficile à estimer. Il apparaît
néanmoins justifié de prévoir, dans ce domaine, un
phénomène de rattrapage émanant des
bénéficiaires de la CMU.
Enfin, une référence existe aujourd'hui : 5,5 milliards
de francs sont actuellement consacrés par les départements
à la couverture complémentaire de 2,5 millions de personnes,
soit un coût unitaire de l'ordre de 2.200 francs.
Cette somme, " recyclée " pour financer la couverture
complémentaire gratuite instituée par le projet de loi, permettra
au " tarif " retenu par la CMU de financer la couverture de
3,6 millions de personnes.
" La multiplication des pains "
|
Coût
|
Nombre de personnes couvertes |
Coût unitaire apparent
|
Aujourd'hui |
5.500 |
2.500.000 |
2.200 |
Demain |
9.000 |
6.000.000 |
1.500 |
Pour résumer, le financement proposé par le Gouvernement repose sur un phénomène observé il y a deux mille ans aux noces de Cana 4( * ) , mais qui ne s'est malheureusement jamais reproduit : la multiplication des pains.
*
* *
Le Gouvernement ayant, dans les évaluations financières qu'il a fournies, fait un bloc de la couverture de base (titre I) et de la couverture complémentaire (titre II) bien que ces deux mécanismes soient pourtant très différents dans leur implication financière, on trouvera ci-dessous, pour information, le chiffrage global de la CMU.
COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE
(BASE ET
COMPLÉMENTAIRE)
(en millions de francs)
|
Economie +
|
Recettes en plus (+)
|
Solde
|
Etat |
+ 1.775 |
- 3.500 |
- 1.725 |
Départements |
+ 9.145 |
- 3.766 |
+ 455 |
CNAF |
+ 2.386 |
- 2.700 |
- 314 |
FSV |
+ 610 |
- 600 |
+ 10 |
Assurés |
+ 340 |
- |
+ 340 |
CNAMTS |
- 1.166 |
+ 243 |
- 923 |
Autres régimes assurance maladie |
+ 570 |
- 630 |
- 60 |
Organismes complémentaires |
- 1.800 |
- |
- 1.800 |
2. Il n'est pas maîtrisé dans ses conséquences
Un ensemble de phénomènes, et non des moindres, n'a pas été pris en compte pour analyser les conséquences du projet de loi et mesurer l'impact réel.
a) Des conséquences pourtant prévisibles n'ont pas été prises en compte, constituant le " coût caché " de la CMU
Ces
conséquences sont liées principalement à la suppression du
lien entre cotisations et prestations et à l'effet de seuil massif
qu'introduit le projet de loi.
• l'effet sur les recettes de la protection sociale
L'instauration d'une couverture complémentaire gratuite doit
être rapprocher de deux autres dispositions du projet de loi.
- l'exonération de cotisation consentie aux bénéficiaires
de la couverture de base sur le critère de la résidence ;
- l'interdiction qui vise l'ensemble des régimes de suspendre les
prestations en cas de non-paiement des cotisations.
Ces trois éléments cumulés constituent une
véritable " onde de choc " dans notre système
d'assurance sociale. Des difficultés sont prévisibles pour
" faire rentrer " les cotisations de ceux qui devront encore en payer
dès lors que le lien entre prestation et cotisation est si
évidemment rompu. Les difficultés seront particulièrement
graves pour les cotisations qui ne sont pas prélevées à la
source. Cette conséquence n'a pas totalement échapper aux auteurs
du projet de loi qui ont dû mettre en place à l'article 14 un
renforcement des procédures de recouvrement des cotisations.
En second lieu, les organismes de protection complémentaire qui
devront s'acquitter en espèce ou " en nature " d'un
impôt nouveau de 1,8 milliard de francs (1,73 % de leur chiffre
d'affaires santé) devront le financer d'une façon ou d'une autre
et majorer le taux des cotisations et primes de leurs adhérents au
moment où une partie d'entre eux basculeront vers la CMU et seront
dispensés de toute contribution.
Ces deux phénomènes, perte d'adhérents dispensés
par la CMU de cotisations et départ d'adhérents face aux
majorations des cotisations et primes résultant de la mise en place de
la CMU, constituent une " contribution " non chiffrée des
organismes complémentaires.
Troisième élément pesant sur les recettes de la
protection sociale : le phénomène de
" désincitation " entraîné par l'effet de seuil
massif du projet. Autour de ce seuil, les enjeux financiers seront
considérables, en termes non seulement d'économie de cotisations
mais également de prestations reçues.
Il y a fort à parier que l'on assiste à une forme de
" réimmersion " d'un certain nombre d'activités ou de
revenus dont les conséquences se mesureront sur les recettes de la
sécurité sociale.
• Le recours à l'aide sociale
Prenant conscience du caractère massif et injuste de cet effet de seuil,
l'Assemblée nationale et le Gouvernement y ont répondu en
proposant... des solutions d'assistance aux personnes des classes moyennes dont
les revenus sont au-dessus du seuil : elles sont ainsi invitées
à s'adresser, pour demander une aide financière, à pas
moins de cinq guichets différents : les départements, les
communes, les fonds d'action sociale des CPAM, les fonds d'action sociale des
CAF, et un " fonds " que pourront créer, volontairement, les
organismes complémentaires pour aider les personnes disposant d'un
revenu faible, mais au-dessus du seuil, à obtenir une couverture
complémentaire...
Ainsi Mme Martine Aubry déclarait-elle lors de son audition par la
commission compétente de l'Assemblée nationale
5(
*
)
.
"
La compensation des effets de seuils pourra en revanche être
opérée par les caisses de sécurité sociale et les
collectivités locales grâce aux sommes précédemment
affectées à des dépenses de santé qui seront prises
en charge par la CMU. En effet, la CMU allégera les charges des fonds
d'action sociale des caisses : 650 millions de francs sont
distribués par les fonds d'action
sanitaire et sociale des CPAM
et 240
millions de francs par les fonds d'action sociale des
caisses d'allocations familiales. De même, les départements vont
conserver les personnels affectés auparavant à la gestion de
l'aide médicale ainsi que 5 % des sommes qui y étaient
consacrées en 1997. S'y ajoute la part des 12 milliards de francs
des contingents communaux d'aide sociale versés au titre de l'aide
médicale, c'est-à-dire 1,5 milliard. Cette question est
cependant encore en discussion entre le ministre de l'intérieur, l'APCG
et les représentants des maires. Au total, ce seront donc trois à
quatre milliards de francs, auparavant consacrés à l'aide
médicale, qui seront disponibles et pourront être
consacrés, au moins en partie, par les caisses et les
collectivités territoriales à des dépenses d'aide sociale
en direction des personnes se situant au-dessus du seuil retenu et se trouvant
pourtant dans une situation personnelle difficile
".
Après avoir ainsi considéré que l'aide médicale
était " stigmatisante ", le Gouvernement déplace en
quelque sorte cette " stigmatisation " qui affectera désormais
les populations légèrement au-dessus d'un seuil. Alors même
qu'au-dessous de ce seuil existera un " droit " et que l'organisation
de cette aide sociale " new-look " semble bien improvisée
puisque pas moins de 5 guichets seront ouverts.
Prétendre, en outre, que les sommes sont
"
disponibles
", que le Gouvernement veut
réquisitionner pour combattre les effets de seuils qu'il crée,
mériterait sinon un examen attentif, du moins mieux qu'une affirmation
péremptoire.
En ce qui concerne les conséquences du projet de loi sur les finances
locales, votre commission sera naturellement très attentive aux analyses
et aux propositions de la commission des Finances saisie pour avis.
Les départements financeront largement la CMU par un
prélèvement sur la dotation générale de
décentralisation (DGD) à hauteur du montant des dépenses
d'aide médicale en 1997, affecté d'un coefficient de
réduction de 5 %.
Certes, la question peut être posée d'une nouvelle
répartition entre les départements du bénéfice de
la déduction forfaitaire de 5 % : le dispositif toutefois n'a
pas pour but prioritaire d'assurer une péréquation entre
collectivités locales, comme on peut le faire au sein de la DGF par
exemple. Il s'agit d'abord de tirer les conséquences financières
d'un transfert de compétences en recherchant une compensation
intégrale appréciée département par
département, au franc le franc. A enveloppe budgétaire constante,
il est difficile de définir une solution de financement qui ne
susciterait pas plus de collectivités mécontentes que de
collectivités satisfaites.
Pour autant, il appartient à votre commission de faire part de son
inquiétude sur les conséquences ultérieures de la CMU pour
les finances locales en raison des demandes qu'elle ne manquera pas de
déclencher de la part des assurés sociaux.
En premier lieu, dans les départements où avait été
institué des barèmes d'admission calculés sur des niveaux
de ressources plus élevés que le plafond prévu au titre de
la CMU, la sollicitation sera forte de la part des assurés d'obtenir le
maintien de leurs droits en matière de couverture complémentaire
grâce à une aide spécifique départementale.
Au demeurant, cette demande risque de se généraliser dans la
mesure où la CMU génère un effet de seuil massif, d'autant
plus perceptible qu'il sera national. Dans un contexte où le
Gouvernement a toujours la tentation de dénoncer les disparités
de traitement de l'action sociale locale, pourtant inhérente à un
dispositif décentralisé, on imagine assez bien les pressions qui
s'exerceront en faveur de la création d'un barème
complémentaire de CMU. En tout état de cause, dans le cadre d'une
aide, au cas par cas, les départements et les communes seront
sollicités, alors même que les sommes actuellement investies
auront été recyclées vers la CMU sous forme d'une
diminution de la DGD.
Force est de constater que le Gouvernement ne va pas au bout de sa
démarche et ne tire pas les conséquences sur le dispositif des
contingents communaux d'action sociale du transfert de la compétence
d'aide médicale aux départements. Votre commission espère
que durant le débat au Sénat, les associations d'élus
locaux, sans doute en concertation étroite avec notre commission des
finances, puissent trouver un accord avec le Gouvernement.
Enfin, il importe de souligner que si le transfert de compétences est
muet sur le devenir des personnels et des travailleurs sociaux, jusqu'alors
chargés de la gestion de l'aide médicale départementale,
ces derniers devront être reconvertis par les conseils
généraux.
Le coût de cette reconversion devra à l'évidence être
mis au débit du dispositif lors de l'évaluation finale.
b) Des effets pervers n'ont pas été mesurés : l'exemple des étudiants issus des familles aisées
De plus
en plus, avec l'augmentation continue des prélèvements sociaux et
le développement de situations dans lesquelles " ceux qui
paient " ne reçoivent rien, ou reçoivent toujours beaucoup
moins que les autres, se développent des réactions condamnables
du point de vue de la morale et de la citoyenneté, tendant à
" récupérer " ce qui a été payé.
De tels comportements sont à attendre en ce qui concerne la
création de la couverture maladie dite " universelle " en ce
qui concerne les étudiants.
S'il est légitime que les personnes disposant de faibles revenus soient
aidées par la collectivité à financer les études
supérieures de leurs enfants, il n'est pas juste que les personnes
favorisées fassent de même, au prétexte de
" récupérer " une part des impôts
élevés qu'ils sont, de plus en plus, appelés à
acquitter.
Or, le projet de loi portant création d'une couverture maladie
" universelle " ne prévoit aucun verrou en la matière.
Sur le plan fiscal, il peut être intéressant, dans une famille, de
" sortir " du foyer fiscal un enfant étudiant, la pension
alimentaire qui lui est versée étant déductible du revenu
imposable.
Une telle solution est devenue encore plus intéressante avec le
" bouclage " de l'allocation logement.
Au 30 juin 1998, on dénombrait ainsi, en France métropolitaine et
dans les DOM :
- 528.778 étudiants bénéficiaires de l'allocation de
logement sociale,
- 118.780 étudiants bénéficiaires de l'allocation
personnalisée au logement,
- 10.428 étudiants bénéficiaires de l'allocation de
logement familiale,
soit un total de 657.986 étudiants bénéficiant d'une
allocation de logement. Sans que votre commission puisse, à cet
égard, citer d'études précises, il est probable que ces
657.986 étudiants ne sont pas tous issus de familles
défavorisées, ne serait-ce qu'en raison des
inégalités sociales qui demeurent dans l'accès aux
études supérieures.
Avec la création de la CMU, il est clair qu'il deviendra
" rationnel " que l'étudiant ne soit plus inclus dans le foyer
fiscal de ses parents, bénéficiant ainsi à la fois d'une
aide au logement et d'une couverture complémentaire maladie gratuite et
couvrant 100 % des dépenses.
Ceci pose aussi la question de l'avenir des régimes mutualistes
étudiants, dont une majorité de ressources proviendra, demain, de
fonds publics et non plus d'adhésions.