B. IL S'ATTAQUE DOUBLEMENT AUX PRINCIPES FONDATEURS DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
D'une part, en mettant un terme au monopole des organismes de protection complémentaire pour la couverture complémentaire, il conduit à s'interroger sur la justification du monopole des organismes d'assurance maladie pour la couverture de base. D'autre part, il institue une couverture maladie " sous condition de ressources ", contraire au principe assurantiel et au caractère d'universalité affirmés sans discontinuer depuis la création de la sécurité sociale.
1. Supprimant le monopole de la couverture complémentaire, il conduit à s'interroger tôt ou tard sur la légitimité du monopole de l'assurance de base
Renonçant au scénario dit
" partenarial "
proposé par M. Jean-Claude Boulard, parlementaire en mission, qui
était également unanimement souhaité par les organismes de
sécurité sociale de base, les mutuelles, les institutions de
prévoyance et les sociétés d'assurance, le projet de loi
propose une solution qui fait intervenir les régimes de base dans la
couverture complémentaire de 10 % de la population française.
Désormais, les CPAM comme les organismes de protection sociale
complémentaire qui le souhaitent -ou qui n'ont pas d'autre choix, si la
création de la CMU conduisait à leur faire perdre un nombre
significatif de cotisants désormais susceptibles d'en
bénéficier- proposeront un produit identique, se
caractérisant par des prestations gratuites financées par un
fonds alimenté par des subventions de l'Etat c'est-à-dire par
l'impôt.
Quelle sera donc, demain, la différence de nature entre, d'un
côté, un régime de base servant des prestations
financées par la collectivité solidaire et un régime
complémentaire servant aux bénéficiaires de la CMU
d'autres prestations financées par la même collectivité
solidaire ?
Or, c'est bien une différence de nature entre les deux catégories
d'assurance de base et complémentaire, qui a conduit la cour de justice
des communautés européennes (arrêt Garcia, 26 mars
1999) à limiter le champ d'application du principe de la liberté
d'assurance au seul domaine de l'assurance complémentaire.
En créant la CMU, il est à craindre que le Gouvernement ait
ouvert une brèche dans le monopole des régimes obligatoires pour
l'assurance maladie de base.
C'est probablement les conséquences d'un tel " mélange des
genres " que craignent aujourd'hui les représentants des
régimes de base en émettant des réserves sur les
modalités de gestion de la CMU telle que prévue par le projet de
loi.
2. Il instaure une assurance maladie " sous condition de ressources "
Comme
l'a affirmé M. Jean-Marie Spaeth, président de la CNAMTS, devant
votre commission, les personnes bénéficiaires de la CMU qui
auront choisi, par souci de simplicité, que la CPAM assure leur
couverture complémentaire, ne se souviendront pas que celle-ci,
juridiquement, n'interviendra que par " délégation de
l'Etat " : ils constateront simplement qu'ils sont " couverts
à 100 % " par la sécurité sociale.
Cette nouveauté induit un bouleversement majeur dans les principes
fondateurs de la sécurité sociale qui, depuis la
Libération, associent assurance et universalité.
Le principe d'assurance sociale repose sur une logique d'indemnisation du
risque : plus celui-ci est élevé, plus le remboursement est
important. C'est l'application de ce principe qui a conduit à instituer
des remboursements proportionnels aux dépenses engagées. C'est ce
principe aussi qui justifie que les dépenses d'hospitalisation, qui
correspondent à un risque élevé, sont mieux
remboursées que les dépenses de ville. C'est enfin en vertu de ce
principe qu'a été institué le remboursement à
100 % des dépenses liées au traitement des affections de
longue durée.
Le principe d'universalité garantit des remboursements identiques pour
tous : les remboursements ne dépendent ni de la personne, ni de son
lieu de résidence, ni de ses revenus.
La combinaison de ces deux principes conduit, pour les maladies de longue
durée, à un " 100 % sur critère
médical ". Elle ne saurait autoriser un " 100 %
social ", comme le fait la CMU, sauf à faire de la
sécurité sociale, non plus un assureur, mais un instrument de
redistribution des revenus.
Lorsqu'en 1997, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la
solidarité, a voulu placer les allocations familiales sous condition de
ressources, de nombreux parlementaires, de nombreux gestionnaires de la
sécurité sociale, s'opposant à cette mesure, ont
lancé un avertissement, en disant que, si l'on n'y prenait garde,
l'assurance maladie aussi pourrait être placée sous condition de
ressources !
De ce point de vue, la création de la CMU remet en cause l'un des
fondements du contrat social mis en oeuvre à la Libération, ainsi
que les institutions de protection sociale qui en sont dépositaires.