II. UN PROJET DE LOI QUI COMPORTE QUATRE DÉFAUTS MAJEURS

Le projet de loi présenté par le Gouvernement, et que l'Assemblée nationale n'a modifié qu'à la marge, présente quatre défaut majeurs :

- il propose des solutions qui révèlent une erreur d'analyse ;

- il s'attaque aux fondements de la sécurité sociale ;

- il induit inégalités et déresponsabilisation ;

- il n'est maîtrisé ni dans son coût ni dans ses conséquences.

A. IL PROPOSE DES SOLUTIONS QUI RÉVÈLENT UNE DOUBLE ERREUR D'ANALYSE

1. Il place hors de notre système de protection sociale, au lieu de les y intégrer, un ensemble de 6 millions de personnes, alors qu'elles ne constituent pas un groupe homogène de personnes " à part "

Le projet de loi propose de placer 10 % de la population dans un système de protection sociale " bis ", dont tous les éléments sont dérogatoires au droit commun.

Il s'agit d'un système de couverture complémentaire :

- entièrement gratuit,

- mis en oeuvre, au choix du bénéficiaire, par les organismes de protection sociale complémentaire ou par les organismes de base (CPAM, organismes de la CANAM, MSA) ;

- qui rembourse à 100 %, non seulement le ticket modérateur, le forfait journalier sans aucune limitation de durée, et des biens médicaux sélectionnés par l'Etat, qui seront proposés aux bénéficiaires de la CMU ;

- qui contraint les producteurs de biens et services médicaux à proposer des tarifs en fonction du revenu de leur client ;

- qui prévoit la résiliation de plein droit des contrats souscrits par des personnes qui, avant de bénéficier de la protection complémentaire en matière de santé, avaient fait le choix d'adhérer ou de souscrire à une protection complémentaire de droit commun.

Cette couverture complémentaire bénéficiera, selon le Gouvernement, à 6 millions de personnes, soit 10 % de la population.

Cette estimation repose sur l'exploitation de l'enquête " Panel européen " de l'INSEE, qui évalue à 5,7 millions le nombre de personnes qui disposent, aujourd'hui, d'un revenu par unité de consommation inférieur à 3.500 francs, et l'intégration d'une estimation du nombre de personnes dans cette situation qui résident dans les DOM.

Ces 10 % de la population ne constituent pas, pour votre commission, un groupe homogène de personnes " accidentées de la vie " qu'un souci de justice sociale justifierait qu'on les plaçât dans un régime hors du droit commun.

Ainsi, parmi ces six millions de personnes, on trouve les personnes rémunérées au-delà du SMIC (jusqu'à 6.300 francs net) avec un enfant, des ménages dont les deux personnes qui le constituent travaillent à temps partiel (le plafond retenu par le Gouvernement est de 5.250 francs pour deux personnes), des retraités agricoles ou de l'artisanat...

C'est aussi bien sûr dans ces six millions de personnes que se trouvent les bénéficiaires du RMI et les personnes les plus pauvres, les plus désocialisées, auxquelles il faut apporter des solutions spécifiques.

Mais en aucun cas, ces six millions de personnes ne sont placées dans une situation qui justifierait qu'on leur propose une solution hors du droit commun : l'immense majorité de ce groupe ne demande qu'une chose, l'intégration au droit commun, avec une solvabilisation leur permettant d'être " comme les autres ", y compris dans le domaine de la protection sociale.

2. En raisonnant d'une manière statique, les auteurs du projet de loi estiment que la CMU comblera les carences de notre système de protection sociale, alors qu'elle contribuera à emballer le cercle vicieux qui la mine

Depuis des années, faute de réformes structurelles suffisantes, à l'exception des ordonnances d'avril 1996 dont la mise en oeuvre mériterait d'être accélérée, notre protection sociale est minée par un cercle vicieux qui n'a pas, pour l'instant, été stoppé : l'augmentation continue des dépenses et le tassement des recettes dus au chômage concourent à l'aggravation des déficits de la sécurité sociale, qui se traduit par des déremboursements et donc des difficultés accrues d'accès aux soins ainsi que par des augmentations de cotisations qui contribuent à aggraver le chômage, et donc les déficits...

La sécurité sociale devient de plus en plus dépensière et de plus en plus chère, donc de moins en moins efficace, tout en contribuant à dégrader la situation de l'environnement économique extérieur à la protection sociale.

En raisonnant de manière statique, on pourrait penser qu'il suffit, à la date " t ", de proposer une solution à tous les exclus de l'assurance maladie et de la couverture complémentaire pour apporter une solution au problème posé.

Or, la solution que dessine le présent projet de loi doit être intégrée dans un raisonnement dynamique. Celui-ci montre que, non seulement la CMU n'apportera pas de réponse satisfaisante au problème posé, mais qu'elle contribuera à aggraver le cercle vicieux qui marque l'évolution de la sécurité sociale depuis de nombreuses années.

D'une part, en effet, la création de la CMU et donc, l'existence d'une solution pour toutes les personnes qui ne peuvent pas s'offrir de protection complémentaire, amoindrira les scrupules des gouvernements lorsqu'ils seront tentés, en raison de la persistance des déficits, à décider des " déremboursements " ou des diminutions des taux de remboursement de la sécurité sociale, ce qui rendra, non seulement de plus en plus nécessaire de bénéficier d'une couverture complémentaire, mais aussi de plus en plus onéreux les contrats de couverture complémentaire.

Deux autres facteurs contribueront au renchérissement de ces contrats : la taxe instituée par le projet de loi sur les organismes complémentaires, fixée pour l'instant à 1,75 % de leur chiffre d'affaires santé, et l'éventuel surcoût de la couverture complémentaire CMU par rapport au forfait de 1.500 francs par personne et par an que le projet de loi prévoit de rembourser aux organismes de protection sociale complémentaire. De plus en plus de personnes seront, en pratique, exclues de la couverture complémentaire.

Il ne faut pas négliger non plus les effets désincitatifs au travail, et au travail déclaré, induits par l'effet de seuil massif que provoquera la création de la CMU : en deçà d'un revenu de 3.500 francs par unité de consommation, la santé sera gratuite sans cotisation alors qu'au-delà, elle sera " payante " avec cotisation. Cet effet désincitatif aura un impact sur la situation du chômage, et aussi sur celui des recettes de l'assurance maladie, renforçant ainsi le cercle vicieux qui conduit à des cotisations de plus en plus élevées et des remboursements de plus en plus faibles...

En proposant une mauvaise solution au problème posé, le projet de loi va aggraver les défauts de notre système et créer un besoin de " toujours plus de CMU ".

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