VI. SÉANCE DU MERCREDI 19 MAI 1999
A. AUDITION DE M. MICHEL MERCIER, PRÉSIDENT, ET M. BERNARD CAZEAU, VICE-PRÉSIDENT, DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES DE L'ASSEMBLÉE DES DÉPARTEMENTS DE FRANCE (ADF)
Elle
a d'abord entendu
M. Michel Mercier, président, et M. Bernard Cazeau,
vice-président,
de la commission des affaires sociales de
l'Assemblée des départements de France (ADF).
M. Michel Mercier
a tout d'abord évoqué la position
générale de l'Assemblée des départements de France
(ADF) concernant la couverture maladie universelle (CMU).
Il a tout d'abord rappelé que s'agissant de la couverture de base, les
départements étaient essentiellement cantonnés à un
rôle passif d'organisme payeur au vu des demandes d'aide médicale
gratuite qui étaient transmises par les caisses d'allocations familiales.
Il a souligné en outre que les droits à l'assurance maladie
étaient difficiles à établir, ce qui rendait
particulièrement complexe la gestion administrative de cette
compétence.
S'agissant de la couverture complémentaire,
M. Michel Mercier
a
souligné que les départements avaient pris un certain nombre
d'initiatives positives qui devaient être conservées. Il a
évoqué également l'aspect positif du traitement
personnalisé des demandes d'aide médicale.
D'une manière générale, il a souligné que l'ADF
était favorable au principe de la CMU prévue par le projet de loi
dans la mesure où les conseils généraux regrettaient la
fracture entre la protection médico-sociale accordée aux
travailleurs cotisant à la sécurité sociale et la
situation de précarité des personnes qui n'était pas
intégrées au monde du travail et ne remplissaient pas les
conditions légales pour bénéficier de la
sécurité sociale.
Il a tenu à rappeler que le projet de loi " ne partait pas de
rien " et bénéficiait de l'expérience et des
initiatives prises par les collectivités locales, notamment par les
départements, afin d'assurer l'accès aux soins des personnes en
difficulté.
Sur le plan financier, il a rappelé que la mise en oeuvre de la CMU
soulevait divers problèmes relatifs à l'évaluation du
coût actuel de l'aide médicale gratuite, aux transferts financiers
consécutifs aux transferts de compétences en matière
d'aide médicale et aux relations financières entre les diverses
catégories de collectivités territoriales.
Soulignant qu'il convenait de ne pas opposer artificiellement les communes et
les départements sur la question du contingent communal d'aide sociale,
il a rappelé que l'ADF souhaitait la suppression de ce contingent tout
en demandant que soit préservée la neutralité
financière indispensable à l'exercice des compétences
d'action sociale.
M. Charles Descours
s'est interrogé sur la situation des
départements qui avaient adopté des barèmes d'aide
médicale plus avantageux que le minimum légal, sur le
bien-fondé de l'imputation des dépenses facultatives d'aide
médicale financée par les départements en diminution de la
dotation générale de décentralisation (DGD), sur les
conséquences pour les départements de l'effet de seuil pour les
personnes dépassant le plafond de ressources de 3.500 francs
fixé au titre de la CMU, sur l'évaluation du coût unitaire
de la prise en charge à 100 % des personnes en difficulté,
et sur les modalités concrètes de la réforme des
contingents communaux d'aide sociale.
M. Michel Mercier
, concernant le transfert financier consécutif
au transfert de compétence en matière d'aide médicale, a
tout d'abord rappelé que pour de nombreux départements, la mise
en oeuvre de la CMU aboutirait à un calcul de DGD
" négative ", c'est-à-dire à des reversements au
profit du budget de l'Etat.
Après avoir rappelé qu'une dizaine de départements avaient
mis en oeuvre une couverture complémentaire pour des niveaux de
ressources plus élevés que le seuil de 3.500 francs retenu
pour la CMU, il a estimé que l'ADF n'avait pas vocation à revenir
sur des décisions prises au niveau local et qu'il lui appartenait, dans
le cadre de son avis sur la compensation financière, de respecter le
contenu des délibérations prises par chacun des
départements.
En revanche, il a considéré que, dès lors que la
réforme serait entrée en application, il n'incomberait pas aux
départements de créer un barème spécifique d'aide
médicale pour les personnes dépassant le niveau de ressources de
3.500 francs par mois et qui ne bénéficieront pas de la CMU.
Il a souligné néanmoins que les départements
conserveraient une capacité d'intervention au titre de l'action sociale
générale qui relève de leur compétence.
S'agissant de l'effet de seuil au-delà du plafond de ressources, il a
rappelé que celui-ci avait toujours existé, même s'il
était variable selon les départements, et il a observé que
l'effet de seuil était amplifié par l'objectif même du
projet de loi, qui est d'instituer une couverture complémentaire au
niveau national.
Il a considéré que si le seuil de 3.500 francs paraissait
trop bas, il appartiendrait à l'Etat de prendre les mesures
nécessaires pour relever le niveau du plafond de ressources, mais que
les départements n'avaient pas pour rôle de pallier les
insuffisances du dispositif d'Etat.
Concernant le coût réel de la prise en charge de la couverture
complémentaire des personnes, relevant actuellement de l'aide
médicale, il a indiqué tout d'abord que le montant de
5,5 millions de francs retenus au titre des dépenses
départementales devait être manié avec prudence dans la
mesure où il s'agissait de dépenses brutes qui
n'intégraient pas certaines compensations. En outre, prenant l'exemple
du département du Rhône, il a rappelé que les
bénéficiaires de l'aide médicale gratuite
présentaient un profil de consommation médicale et pharmaceutique
inférieur à la moyenne. Il a estimé toutefois que le
montant de 1.500 francs retenu pour estimer le coût de la couverture
complémentaire au titre de la CMU était sans doute
sous-évalué, sans même prendre en compte l'effet induit par
la mise en place d'une couverture généralisée sur le plan
national.
S'agissant des relations entre les départements et les communes, il a
rappelé que l'aide médicale devait représenter globalement
en moyenne un peu plus de 10 % de l'assiette du contingent communal d'aide
sociale et il a souligné que les conseils généraux ne
pourraient pas durablement continuer à demander aux communes de
participer à des dépenses liées à une
compétence que les départements n'exerceraient plus.
Constatant par ailleurs qu'il était impossible de déterminer pour
chaque commune quelle était la part du contingent communal imputable
à l'aide médicale, il a estimé inévitable de
supprimer le dispositif des contingents communaux d'aide sociale, qui
apparaissait comme une source potentielle de conflit entre les communes et les
départements.
Il a considéré que l'argument selon lequel le dispositif des
contingents communaux jouerait le rôle d'un " ticket
modérateur des dépenses communales " ne correspondait plus
à la réalité en raison du caractère quasi
automatique des admissions à l'aide sociale.
Il a regretté que l'opacité des modalités de calcul des
contingents ouvre la voie aux critiques de la part des communes.
Il a donc estimé que l'Etat devait organiser la suppression des
contingents communaux d'aide sociale, en assurant une compensation au travers
de la DGD et de la dotation globale de fonctionnement (DGF), afin
d'éviter le risque d'une augmentation de la pression fiscale locale.
M. Bernard Cazeau
a apporté une nuance sur la question de la mise
en place d'aide médicale complémentaire sur l'initiative des
départements, en rappelant que certains conseils généraux
considéraient qu'il ne leur était pas interdit de prendre en
compte l'effet de seuil pour les personnes dont les ressources
excéderaient 3.500 francs de ressources et de traiter sur le
terrain, au cas par cas, ce type de problème.
Concernant le contingent communal d'aide sociale, il a souligné que
cette question devait être traitée rapidement, en même temps
que la mise en oeuvre de la CMU, tout en soulignant qu'il était
impossible de distinguer à l'intérieur du contingent versé
par chaque commune la part relevant de l'aide médicale.
M. Jean Delaneau, président,
a rappelé qu'à la
suite de la délibération du comité des finances locales du
17 mars dernier, un groupe de travail avait été constitué
entre la direction générale des collectivités locales et
les associations d'élus locaux. Il a estimé nécessaire de
se référer aux résultats de ces travaux de concertation.
M. Jean Chérioux
a souligné que le mode de calcul retenu
pour compenser financièrement les transferts de compétence
résultant de la CMU pénalisait les départements qui
avaient mis en place des dispositifs de " carte-santé " en
faveur des personnes à faibles revenus au-delà du montant de
ressources prévu pour l'attribution du RMI. Il a souligné que
l'application de la CMU risquait de défavoriser les personnes qui
entraient dans le champ des dispositifs départementaux actuels mais dont
le niveau de ressources excédait le plafond mis en place par la CMU.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard
, après avoir constaté que
la majorité des départements s'était
déclarée favorable à la recentralisation de l'aide
médicale, s'est demandé si la décentralisation de cette
compétence en 1983 avait été, dès l'origine, une
erreur ou si le dispositif décentralisé avait été
fragilisé par l'aggravation de la pauvreté dans notre pays. Elle
s'est interrogée sur la mise en place de fonds locaux d'aide sociale
adossés à des crédits versés par les communes, les
départements et les caisses de sécurité sociale, qui
permettraient de gommer les effets de seuil.
Elle a noté que la prise en compte d'un coefficient de réduction
de 5 % sur le montant des dépenses nettes d'aide médicale
pour le calcul du transfert au titre de la DGD permettrait aux
départements de disposer de crédits pour renforcer les mesures
d'action sociale générale. Elle s'est interrogée sur le
coût de la mise en oeuvre d'un troisième niveau d'aide en faveur
des personnes, au-dessus du seuil de ressources de 3.500 francs.
En réponse,
M. Michel Mercier
a tout d'abord noté que si
l'action des départements au titre de l'aide médicale avait
parfois pu faire l'objet de critiques en raison d'une certaine disparité
des niveaux de prise en charge, la mise en oeuvre de la CMU montrait
aujourd'hui qu'un système d'aide au niveau national soulevait
également des problèmes. A cet égard, il a souligné
que les départements avaient réalisé un effort important
pour assurer un traitement personnalisé des demandeurs de l'aide
médicale et il s'est demandé si l'administration de la
sécurité sociale était aujourd'hui apte à
opérer le " changement culturel " qui serait nécessaire
pour accompagner efficacement les personnes en difficulté qui
demanderaient la CMU.
Concernant le coefficient de réduction de 5 % sur le
prélèvement au titre de la DGD, il a rappelé que la somme
correspondante n'était pas un " gain " pour les
départements mais qu'elle compensait le coût des
dysfonctionnements du dispositif actuel qui aboutissait à ce que les
départements prennent en charge les cotisations d'assurance personnelle
de personnes qui avaient en réalité un droit à prestation
de la sécurité sociale, mais qui avaient dû renoncer
à obtenir l'application de ce droit, du fait de sa complexité
administrative.
De ce point de vue, il a estimé que la mise en place de la CMU pourrait
provoquer des économies si la sécurité sociale effectuait
bien les rapprochements nécessaires pour éviter les doubles
prises en charge.
S'agissant de l'hypothèse de la mise en place de fonds locaux pour
pallier les effets de seuil, il a considéré qu'instaurer de tels
dispositifs reviendrait à contester implicitement le projet de loi et
à souligner ses insuffisances.
M. Charles Descours
s'est demandé si le personnel des caisses de
la sécurité sociale serait motivé pour prendre en charge
dans de bonnes conditions les futurs titulaires de la couverture maladie
universelle.
M. Jean Delaneau, président,
s'est interrogé sur le risque
d'une " sécurité sociale à deux vitesses ", plus
défavorable pour les couches moyennes que pour les personnes
bénéficiant des effets de seuil induits par le RMI ou par la CMU.
M. Bernard Cazeau
a souligné que le mécanisme de la CMU
connaîtrait une période de rodage et qu'il fallait éviter
une approche caricaturale de l'action des services de la sécurité
sociale.
M. Jean Delaneau, président,
a rappelé que la CMU
n'était pas un dispositif expérimental, et qu'il serait
intégralement appliqué au 1
er
janvier 2000.
M. Gilbert Chabroux
a rappelé que l'objectif de la loi
était positif, même si ses modalités étaient
perfectibles. Il a rappelé que la réforme des contingents
communaux d'action sociale devait impérativement éviter
d'entériner les disparités actuelles en matière de calcul
des contingents communaux entre départements et communes.
Prenant l'exemple du département du Rhône où une politique
généreuse en matière d'aide sociale avait produit ses
effets au cours des deux dernières années, il s'est
demandé si le choix de l'année de 1997, pour l'année de
référence d'évaluation des dépenses d'aide
médicale, était la plus réaliste.
M. Alain Vasselle
s'est interrogé sur les conditions dans
lesquelles l'ADF avait pris sa délibération à propos de la
CMU et a rappelé que dans le département de l'Oise, 10 % des
bénéficiaires de l'aide médicale devrait être exclu
du champ de la CMU du fait du seuil de ressources. Il a évoqué le
problème du maintien du personnel administratif à la charge des
départements en soulignant les difficultés de reconversion. Il a
insisté sur la nécessité d'une instruction communale des
dossiers afin de maintenir une analyse personnalisée des demandes.
M. Alain Gournac
a souligné l'importance d'une approche de
proximité pour les plus démunis tout en faisant valoir les effets
pervers du texte pour les personnes au-dessus du seuil de ressources de
3.500 francs. Il a rappelé que les Français devaient
continuer à être conscients du rôle important qui
était joué par les départements en matière d'aide
sociale.
M. Michel Mercier
a rappelé que la concertation au sein des
groupes de travail mis en place par la direction générale des
collectivités locales (DGCL) du ministère de l'intérieur
se poursuivait, en souhaitant que ces travaux puissent déboucher sur une
traduction concrète dans l'actuel projet de loi. Il a souligné
l'avantage que retireraient progressivement les communes, dès lors que
la suppression des contingents communaux serait gagée par une diminution
de la DGF dont le taux d'évolution était beaucoup plus
modéré que celui des dépenses sociales.
Concernant la position de l'ADF, il a rappelé qu'il serait impossible de
demander aux départements, qui avaient respecté les obligations
légales, de supporter une baisse de leur DGD qui serait
supérieure au niveau réel de leurs dépenses d'aide
médicale. Il a donc estimé qu'il était raisonnable de s'en
tenir au respect des décisions qui avaient été prises au
niveau de chaque département.
Il a souligné qu'il serait important que les départements
continuent à jouer un rôle d'action sociale de proximité en
travaillant en amont de la demande de couverture au titre de la CMU.
Il a rappelé, en outre, que l'ADF était très
attachée à l'article 37 novodecies du projet de loi tendant
à imposer un taux directeur opposable aux dépenses des
établissements sociaux médico-sociaux financés par les
départements.