CHAPITRE VI
L'INDEMNISATION
Article 35
Fondement de l'indemnisation
Cet
article prévoit que les commissaires-priseurs sont indemnisés
"
en raison du préjudice subi du fait de la
dépréciation de la valeur pécuniaire de leur droit de
présentation résultant de la suppression du monopole (...) dans
le domaine des ventes volontaires
. "
Il pose le problème du fondement juridique de l'indemnisation.
*
Le
droit de présentation
des commissaires-priseurs résulte de
l'article 91 de la loi du 28 avril 1816 sur les finances qui a
reconnu aux officiers ministériels le droit de présenter leurs
successeurs à l'agrément du Roi (aujourd'hui le Garde des Sceaux)
"
pourvu qu'ils réunissent les qualités
exigées par les lois
"
. Sur ce fondement, est ouverte
aux officiers ministériels la possibilité de convenir d'un prix
en échange de cette présentation, ce qui confère une
valeur patrimoniale au droit de présentation.
La jurisprudence de la Cour de Cassation a toujours reconnu cette
valeur
patrimoniale,
propriété susceptible de faire l'objet d'une
vente dans le cadre de la cession de l'office par l'exercice du droit de
présentation.
Un arrêt du 23 mai 1854 a consacré la transmission du
droit de présentation aux héritiers du titulaire
décédé, évoquant une
"
propriété d'une nature exceptionnelle et soumise
à des règles qui en circonscrivent et limitent
l'exercice
"
.
Un autre arrêt du 11 novembre 1857 réaffirme que le droit de
présentation constitue pour les officiers ministériels une
"
propriété de nature
spéciale
"
, en précisant
"
qu'ils
ne peuvent disposer de cette propriété que sous les restrictions
et aux conditions que comporte la nécessité de maintenir le
contrôle qui appartient au Gouvernement sur la transmission des offices,
et d'assurer l'indépendance des fonctions publiques attachées aux
titres sur lesquels s'exerce le droit de présentation
"
.
Ultérieurement, un arrêt du 9 décembre 1946
confirme la valeur pécuniaire du droit de présentation.
Encore récemment, un arrêt de la première chambre civile du
22 mars 1983 a jugé que
"
l'indemnité
mise par le Garde des Sceaux à la charge du successeur du notaire
destitué et consignée au profit des créanciers de celui-ci
représente la valeur de l'étude et fait partie du patrimoine du
notaire destitué
"
, consacrant ainsi le droit de
propriété de l'officier ministériel sur la valeur de son
office (la
"
finance de l'office
"
).
La valeur patrimoniale de l'office est d'ailleurs traditionnellement garantie
lorsqu'une décision de l'Etat entraîne une modification de son
"
périmètre
"
. Un droit à
indemnisation est en effet reconnu en cas de suppression, de transfert ou de
création d'office :
- en cas de suppression d'office, les officiers ministériels
exerçant sur le territoire sur lequel l'office supprimé
était compétent, et donc bénéficiaires de la
suppression, doivent indemniser l'officier ministériel concerné
de la valeur pécuniaire de l'office supprimé ;
- en cas de création ou de transfert d'office, le titulaire du
nouvel office doit indemniser les autres officiers ministériels qui
subissent un préjudice du fait de la création ou du transfert.
Ces règles sont précisées, pour les commissaires-priseurs,
par l'article 1
er
-3 de l'ordonnance du 26 juin 1816.
D'autre part, lorsqu'une suppression du droit de présentation de
l'ensemble d'une catégorie d'officiers ministériels a
été décidée dans le passé, le principe d'une
indemnisation de la perte du droit de présentation, correspondant
à la valeur de l'office, a été reconnu et pris en charge
par l'Etat. Tel a été le cas pour les greffiers des juridictions
civiles et pénales, puis pour les avoués près les
tribunaux de grande instance, qui ont été respectivement
indemnisés en application des lois n° 65-1002 du
30 novembre 1965 et n° 71-1130 du
31 décembre 1971.
A l'occasion de l'examen de cette dernière loi, le rapporteur de la
commission des Lois du Sénat avait rappelé que
"
le droit de présenter un successeur à
l'agrément du Garde des Sceaux qui est reconnu aux avoués par la
loi du 2 avril 1816, leur confère en fait (...) des
prérogatives à caractère patrimonial constituant un
véritable droit de propriété
"
et qu'il
n'était donc pas concevable que les avoués ne soient pas
indemnisés de la suppression de leurs offices, faisant
référence aux conditions prévues par l'article 17 de
la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du
26 août 1789
50(
*
)
.
*
De
même, pour les commissaires-priseurs, la perte du droit de
présentation de leur successeur en matière de ventes volontaires
qui résultera de la suppression du monopole dans ce domaine constitue
une atteinte au droit de propriété reconnu aux officiers
ministériels sur la valeur patrimoniale de ce droit de
présentation. Les commissaires-priseurs se trouveront en effet
dépossédés contre leur gré d'une large part de la
valeur patrimoniale attachée à leur office qui ne subsistera que
pour ce qui concerne les seules ventes judiciaires.
Bien entendu, l'Etat est fondé à réorganiser les
conditions d'exercice de la profession de commissaire-priseur pour des raisons
d'intérêt général, mais il doit indemniser de
manière juste ceux dont il affecte le droit de propriété.
A cet égard, il est indispensable de rappeler les termes de
l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, de
valeur constitutionnelle :
" La propriété
étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être
privé si ce n'est lorsque la nécessité publique
légalement constatée l'exige évidemment, et sous la
condition d'une
juste et préalable
indemnité
"
.
Le Conseil constitutionnel exerce par sa jurisprudence un contrôle
vigilant de l'application de ce principe, et plus généralement du
respect du droit de propriété, ainsi que l'illustre notamment la
décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982.
*
Les
commissaires-priseurs doivent donc être indemnisés sur le
fondement de l'expropriation. Cette indemnisation trouve son origine dans la
perte du droit de présentation en matière de ventes volontaires
et la suppression du monopole dans ce domaine.
Votre commission vous propose donc d'adopter l'article 35 dans une
nouvelle rédaction résultant d'un
amendement
tendant
à préciser que les commissaires-priseurs sont indemnisés
en raison de la perte du droit de présentation de leur successeur en
matière de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques,
et de la suppression du monopole qui leur était conféré
dans ce domaine.
Article 36
Estimation de la valeur de l'office
Cet article a pour objet de définir les modalités de calcul qui seront utilisées pour déterminer la valeur de l'office (limitée à l'activité de ventes volontaires) en vue de l'indemnisation des commissaires priseurs.
*
Traditionnellement, la valeur des offices ou études des
professions réglementées est estimée, dans le cadre des
cessions, par référence à la notion de
"
produit demi-net
"
défini par la
différence entre le produit (revenu) brut et certaines charges admises
en déduction : le loyer des locaux professionnels, les salaires et
charges sociales et enfin la taxe professionnelle.
Aussi ce critère du
"
produit demi-net
"
avait-il été utilisé pour déterminer le montant de
l'indemnisation allouée aux greffiers titulaires de charges, puis aux
avoués, à l'occasion de la suppression de leur droit de
présentation par les lois n° 65-1002 du 30 novembre 1965 et
n° 71-1130 du 31 décembre 1971.
Les membres de ces professions avaient en effet été
indemnisés sur la base de la moyenne des produits demi-nets des cinq
années précédentes, affectée d'un coefficient
multiplicateur compris entre 7 et 9 pour les greffiers et entre 4 et 5,5 pour
les avoués.
Le critère du produit demi-net était également retenu par
le projet de loi présenté par M. Jacques Toubon, alors Garde des
Sceaux, qui se situait dans le droit fil des précédents de 1965
et de 1971 en prévoyant une indemnisation des commissaires-priseurs
"
calculée sur la moyenne des produits demi-nets de
l'office des cinq années 1991 à 1995, selon un coefficient
fixé entre 3 et 4, en fonction de la situation particulière
propre à chaque office, et en vertu de critères
déterminés par décret en Conseil d'Etat
"
.
*
Le
rapport du groupe de travail constitué à la demande de
Mme Elisabeth Guigou, Garde des Sceaux, a néanmoins
suggéré l'abandon de la référence au produit
demi-net pour le calcul de l'indemnisation des commissaires-priseurs.
Les membres de ce groupe de travail : MM. François Cailleteau,
inspecteur général des finances, Jean Favard, conseiller à
la Cour de cassation et Charles Renard, président de chambre à la
Cour des comptes, ont en effet estimé, aux termes de leur rapport, que
le produit demi-net
"
ne constitue pas un critère pour
apprécier la valeur comptable de l'office et sa valeur économique
est tout aussi incertaine
"
, compte tenu notamment du fait que
les charges prises en compte pour le calcul du produit demi-net varient en
partie avec les choix de gestion de l'officier ministériel et les
décisions qu'il prend d'externaliser ou non les prestations que requiert
le fonctionnement de son office.
Au surplus, ils ont fait observer que, depuis une circulaire du 21 mai
1976, la Chancellerie laisse désormais les parties
"
déterminer librement le montant de la finance de
l'office, en se référant uniquement aux usages de la profession
et aux considérations économiques
"
. La
circulaire du 21 mai 1976 soulignait en effet que les transformations
intervenues en matière économique et financière avaient
rendu
"
incertaines les modalités permettant de fixer le
montant de la finance de l'office
"
et qu'il n'existait
"
aucune règle précise permettant de calculer de
façon scientifique la valeur d'un office
"
.
Le critère du produit demi-net continue cependant d'être
utilisé comme mode de calcul du prix de cession des offices.
Les
"
trois sages
"
se sont néanmoins
prononcés en faveur de l'abandon de ce critère au profit d'autres
critères leur paraissant mieux prendre en compte la
réalité économique des offices.
Après avoir exprimé le souci que les modalités
d'évaluation retenues permettent de parvenir à un résultat
comparable à celui d'une vente dans le cadre du statut actuel, ils ont
proposé que le calcul de l'indemnité soit fondé sur deux
données de base communément utilisées pour
l'évaluation de la valeur d'une entreprise et traduisant respectivement
son activité et son résultat, à savoir :
- d'une part, les recettes nettes de l'office ;
- et d'autre part, le solde d'exploitation net des charges et produits
financiers divers.
Les moyennes de ces deux données auraient été
calculées pour les années 1991 à 1995 sur la base des
déclarations fiscales annuelles, puis affectées d'un
"
coefficient correspondant aux valeurs moyennes
constatées dans les cessions d'office au cours de la période de
référence
"
51(
*
)
en vue d'en faire la moyenne
arithmétique.
Afin de tenir compte de l'effort d'investissement de l'office, les
"
trois sages
"
suggéraient en outre d'ajouter
à ce résultat le montant des immobilisations corporelles (autres
que les immeubles) non encore amorties, sur la base de l'actif du bilan.
Les
"
trois sages
"
aboutissaient ainsi à la
formule de calcul suivante pour évaluer la valeur de
l'office :
Valeur
de l'office =
|
2 |
+ valeur des immobilisations corporelles (autres que les immeubles) |
*
L'article 36 du projet de loi reprend les modalités de
calcul
proposées par les
"
trois sages
"
sous
réserve de trois adaptations :
- les années de référence retenues sont celles
correspondant aux exercices 1992 à 1996 ;
- au lieu d'un coefficient uniforme de 0,5 pour la moyenne
arithmétique pondérée des valeurs moyennes des recettes et
des soldes d'exploitation, un coefficient différent est retenu pour les
offices de province (affectés du coefficient 0,5) et les offices
parisiens, affectés d'un coefficient plus élevé (soit 0,6)
afin de tenir compte de la valeur moyenne de cession substantiellement plus
élevée des offices parisiens ;
- enfin, un abattement est prévu afin de ramener la valeur de
l'office à la part correspondant à l'activité de ventes
volontaires qui fait seule l'objet de l'indemnisation (soit en moyenne environ
70 % en province, 90 % à Paris et 80 % pour la France
entière).
La formule de calcul proposée par l'article 36 du projet de loi est donc
la suivante :
Valeur de l'office
(limitée à l'activité de
ventes volontaires) =
(
recette
nette
52(
*
)
moyenne x
1
)
+ (
solde
moyen
d'exploitation
53(
*
)
x
3
)
x
0,5
(pour la province)
ou 0,6
(pour Paris)
+ valeur nette des
immobilisations corporelles
autres que les immeubles
x (
chiffre d'affaires moyen correspondant aux
ventes volontaires
)
chiffre d'affaires global moyen
*
Votre commission vous propose d'adopter cet article sous réserve de deux amendements tendant à modifier la période de référence retenue pour le calcul de la valeur des offices servant de base à l'indemnisation, de manière à retenir la période la plus récente, à savoir les cinq derniers exercices pour lesquels les données fiscales et comptables seront connues à la date de la promulgation de la présente loi ( au lieu de 1992 à 1996 comme le prévoyait le projet de loi).
Article 37
Evaluation du montant de
l'indemnité
Cet
article évalue le préjudice subi par les commissaires-priseurs du
fait de la dépréciation de la valeur pécuniaire de leur
droit de présentation à 50 % de la valeur de leur office,
limitée à l'activité des ventes volontaires et
déterminée selon les critères fixés à
l'article précédent ; il prévoit en outre la
modulation de plus ou moins 15 % de l'indemnisation correspondante en
fonction de la situation particulière de chaque office et de son
titulaire.
Contrairement au projet de loi qui avait été
présenté par M. Jacques Toubon, alors Garde des Sceaux, le
présent projet de loi ne prévoit donc pas l'indemnisation de
l'intégralité de la valeur des offices
54(
*
)
, mais seulement de 50 % de cette
valeur, limitée à l'activité de ventes volontaires.
La limitation à l'activité de ventes volontaires se justifie par
le maintien du monopole et du droit de présentation dans le secteur des
ventes judiciaires.
Pour ce qui concerne les ventes volontaires, l'exposé des motifs du
projet de loi considère que
"
l'indemnisation
représente 50 % du montant ainsi calculé (à l'article
36) dans la mesure où la diminution de la valeur pécuniaire du
droit de présentation sera compensée par le fait que les
commissaires-priseurs, qui pourront continuer à exercer leur
activité dans le secteur des ventes volontaires, auront la
faculté, lorsqu'ils se retireront, de céder les parts qu'ils
détiendront dans les sociétés de ventes volontaires de
meubles aux enchères publiques
"
.
S'il peut être admis que la possibilité de poursuivre
l'activité de ventes volontaires justifie qu'un abattement soit
appliqué à la valeur de l'office pour le calcul de
l'indemnisation, le commissaire-priseur restant en quelque sorte
propriétaire de son
"
fonds de commerce
"
, force
est cependant de constater qu'aucune justification précise n'est
apportée à la fixation à 50 % du quantum de cet
abattement, qui présente un caractère quelque peu arbitraire.
Cette fixation du montant de l'indemnisation à 50 % seulement de la
valeur de l'office résulte d'une décision du Gouvernement prise
sur l'arbitrage du Premier ministre, mais non des propositions formulées
par les
"
trois sages
"
dans leur rapport remis au
Garde des Sceaux.
Il est à souligner que ceux-ci prévoyaient pour leur part
d'indemniser l'intégralité de la valeur estimée de
l'office
55(
*
)
dans
l'hypothèse où la possibilité de poursuivre les ventes
volontaires dans le cadre du statut actuel ne serait pas ouverte aux
commissaires-priseurs, ce qui correspond au choix retenu par le projet de
loi
56(
*
)
.
Cette valeur aurait été estimée sur la base des recettes
et du solde d'exploitation, en prenant également en compte le montant
des immobilisations corporelles non amorties (cf. commentaire de
l'article 36).
Considérant qu' "
il serait sans doute excessif de donner
un caractère trop absolu au résultat du calcul
", les
"
trois sages
"
proposaient toutefois que la commission
d'indemnisation puisse le modifier dans une fourchette de plus ou moins
15 %.
Cette suggestion est reprise par le second alinéa de l'article 37
du projet de loi qui prévoit en effet la possibilité d'une
modulation de plus ou moins 15 % par la commission d'indemnisation
prévue à l'article 43
"
en fonction de la
situation particulière de chaque office et de son
titulaire
"
.
L'étude d'impact
57(
*
)
réalisée par le Gouvernement à partir de l'exploitation
des données fiscales des années 1992 à 1996 évalue
à 443 millions de francs le montant total de l'indemnisation
prévue par le projet de loi en faveur des commissaires-priseurs,
résultat à comparer à l'évaluation
réalisée par les
"
trois sages
"
,
également sur la base de l'exploitation des données fiscales, qui
estimait à 865 millions de francs le montant total de
l'indemnisation des commissaires-priseurs.
*
Votre
commission considère qu'il est justifié de prévoir un
abattement sur la valeur vénale de l'office pour l'évaluation du
montant de l'indemnisation, compte tenu du fait que les commissaires-priseurs
pourront continuer à exercer leur activité de ventes volontaires
et par la suite céder les parts qu'ils détiendront dans les
sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères
publiques.
Elle vous propose donc de préciser que l'évaluation du
préjudice indemnisé en application de l'article 35 sera
faite sur la base de la valeur de l'office déterminée à
l'article 36, en tenant compte des éléments d'actifs
incorporels (par exemple le nom ou la clientèle) qui resteront la
propriété du titulaire de l'office et qui pourront faire l'objet
d'une cession lorsque celui-ci mettra fin à son activité de
ventes volontaires.
Il appartiendra à la commission nationale d'indemnisation
instituée à l'article 43 d'évaluer au cas par cas le
montant de cette indemnisation en fonction de la situation particulière
de chaque office.
Votre commission juge toutefois opportun de laisser aux commissaires-priseurs
qui le souhaiteraient le bénéfice de l'indemnisation forfaitaire
prévue par le projet de loi, qui serait fixée à 50 %
de la valeur déterminée à l'article 36.
Elle vous propose d'adopter l'article 37
dans la rédaction
résultant d'un amendement rédigé en ce sens.
Article 38
Indemnisation des huissiers de justice
et
des notaires
Cet
article prévoit l'indemnisation des huissiers de justice et des notaires
qui pourront apporter la preuve d'avoir subi, dans le secteur des ventes
volontaires, un
"
préjudice anormal et
spécial
"
du fait de la présente loi.
Compte tenu du caractère accessoire de leur activité de ventes
volontaires aux enchères publiques, le projet de loi ne reconnaît
pas en faveur des huissiers de justice et des notaires un droit à
indemnisation systématique comparable à celui reconnu aux
commissaires-priseurs. En effet, il subordonne leur indemnisation à la
preuve d'un préjudice qui devra être apportée à
l'expiration d'un délai de trois ans à compter de l'entrée
en vigueur de la loi.
Ce préjudice devra présenter un caractère
"
anormal et spécial
"
, termes à
interpréter au sens de la jurisprudence du Conseil d'Etat concernant la
responsabilité du fait des lois.
Le Conseil d'Etat, comme d'ailleurs le Conseil constitutionnel,
considère en effet que les personnes publiques qui, sans faute de leur
part, ont causé un préjudice anormal et spécial à
un particulier, en lui interdisant l'exercice d'une activité ou en lui
imposant des sacrifices au nom de l'intérêt général,
lui doivent réparation.
Selon cette jurisprudence, un préjudice
"
anormal
"
constitue un préjudice
atteignant un certain degré d'importance, d'une gravité
supérieure aux gênes et inconvénients ordinaires de la vie
en société.
Quant au caractère
"
spécial
"
du
préjudice, il signifie que celui-ci n'atteint qu'un nombre limité
de membres de la collectivité.
Comme les demandes d'indemnisation présentées par les
commissaires-priseurs, les demandes d'indemnisation des huissiers de justice et
des notaires devront être portées devant la commission nationale
d'indemnisation prévue à l'article 43, qui sera
chargée d'évaluer le montant de l'indemnisation correspondant au
préjudice subi.
Ce dispositif s'inspire de celui proposé par le rapport dit
"
des trois sages
"
qui considérait que, dans
l'hypothèse où la possibilité de poursuivre les ventes
volontaires dans le cadre du statut actuel était ouverte, le
préjudice subi par les huissiers de justice et les notaires,
n'étant au départ qu'éventuel, ne pouvait faire l'objet
que d'une indemnisation a posteriori. Ce rapport suggérait donc
d'indemniser la perte de valeur de l'office constatée du fait de la
réforme, en la mesurant comme la différence entre la valeur de
l'office calculée pour les trois dernières années
d'exploitation, d'une part, et celle correspondant aux années 1991
à 1995, d'autre part . Sur ces bases, le rapport évaluait
forfaitairement à 8 millions de francs l'indemnisation des
huissiers de justice et des notaires.
L'étude d'impact
58(
*
)
réalisée par le Gouvernement estime pour sa part à
7 millions de francs le montant total de l'indemnisation du
préjudice effectivement subi par les huissiers de justice et les
notaires du fait de la loi (dont 6 millions de francs pour les huissiers
et 1 million de francs pour les notaires).
Votre commission vous propose d'adopter cet article
sans modification
.
Article 39
Fonds d'indemnisation
Cet
article prévoit l'institution d'un fonds d'indemnisation chargé
du paiement des indemnités dues, d'une part, aux commissaires-priseurs
en application des articles 35 à 37 et, d'autre part, aux huissiers de
justice et aux notaires en application de l'article 38.
Les conditions de la création de ce fonds sont renvoyées à
la prochaine loi de finances.
Contrairement au fonds qui avait été mis en place pour
l'indemnisation des avoués, ce nouveau fonds d'indemnisation ne devrait
pas être doté de la personnalité morale.
La rédaction retenue par le projet de loi, renvoyant à une loi de
finances ultérieure, ne permet pas de faire apparaître
explicitement quelles seront les ressources du fonds d'indemnisation, au
détriment de la clarté du dispositif proposé.
Cependant, le fonds devrait être alimenté par le produit de la
taxe créée par l'article 40 du projet de loi au sein d'un
article 302 bis ZE nouveau du code général des
impôts, ainsi que par des avances provenant de dotations
budgétaires de l'Etat.
Dans l'attente de la mise en place de cette taxe, une dotation provisionnelle
de 450 millions de francs a d'ores et déjà été
inscrite en loi de finances rectificative pour 1998 sur un nouvel article du
chapitre 46-01 du budget du ministère de la justice,
intitulé
" Indemnisation liée à la réforme
du statut des commissaires-priseurs "
.
Votre commission vous propose d'adopter à cet article un
amendement
de coordination avec l'amendement qu'elle vous propose afin
d'insérer un article additionnel après l'article 44
prévoyant l'indemnisation des personnels salariés des
commissaires-priseurs qui seront licenciés en conséquence directe
de la réforme.
Il convient en effet de préciser que le fonds d'indemnisation sera
également chargé du paiement des indemnités dues aux
salariés licenciés.
Votre commission vous propose d'adopter l'article 39
ainsi
modifié
.
Article 40
Création d'une taxe sur les
ventes de meubles aux enchères publiques
Cet article a pour objet la création d'une taxe temporaire sur les ventes de meubles aux enchères publiques destinée à financer l'indemnisation des commissaires-priseurs en alimentant le fonds qui sera institué en application de l'article précédent.
*
L'article 40 du projet de loi tend donc à
insérer
un article 302 bis ZE nouveau dans le code général des
impôts
59(
*
)
afin de
préciser l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement de
la nouvelle taxe, conformément aux dispositions de l'article 34 de
la Constitution.
• Cette taxe, instituée pour une durée de cinq ans,
serait assise sur l'ensemble des ventes de meubles aux enchères
publiques, y compris les ventes judiciaires quoiqu'elles ne soient pas
directement concernées par la réforme. Toutefois, en seraient
exemptées les ventes aux enchères relevant de régimes
particuliers, qui sont placées hors du champ d'application de la
réforme par l'article 52 du projet de loi, à savoir les
ventes réalisées par les courtiers de marchandises
assermentés, ainsi que les ventes domaniales et douanières
respectivement effectuées par les agents des services des domaines et
par les agents des douanes.
La taxe serait en principe à la charge de l'acheteur adjudicataire.
Cependant, elle serait acquittée, pour le compte de celui-ci, par la
personne physique ou morale chargée de réaliser la vente qui
pourrait être, selon le cas, une société de ventes
volontaires de meubles aux enchères publiques, un commissaire-priseur
judiciaire, un autre officier ministériel compétent (notaire ou
huissier de justice), ou encore un ressortissant européen intervenant
dans le cadre de la libre prestation de services (comme Sotheby's ou
Christie's).
La taxe serait exigible non seulement lors de l'adjudication d'un bien, mais
également, le cas échéant, lors de la vente de gré
à gré d'un bien déclaré non adjugé à
l'issue des enchères, dans les conditions prévues à
l'article 8 du projet de loi, l'assiette étant constituée
par le prix d'adjudication ou de cession du bien.
L'assiette
de la taxe ainsi définie est évaluée,
pour l'année 1999, à 9,5 milliards de francs (y compris le
produit des ventes réalisées par les huissiers de justice et les
notaires évalué à 1 milliard de francs).
• Le
taux
de la taxe serait fixé à
1 %
, ce qui permettrait d'atteindre le montant nécessaire au
financement de l'indemnisation, évalué à 450 millions
de francs, en
cinq ans
, durée retenue pour la perception de la
taxe exigible (à compter du premier jour du mois suivant l'entrée
en vigueur de la présente loi).
• Enfin, les
modalités
de
recouvrement
et de contrôle de la nouvelle taxe sur les ventes volontaires de meubles
aux enchères publiques, ainsi que les règles applicables en cas
de contentieux, seraient définies par référence à
celles qui régissent la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
*
Votre commission des Lois a adopté l'article 40 sans modification . La commission des Finances, saisie pour avis, vous propose pour sa part de supprimer cet article, la mise en place d'une nouvelle taxe lui étant apparue alourdir encore la fiscalité pesant sur le marché de l'art, alors même que le rendement de cette taxe risque d'être faible au regard de son coût de perception.
Article 41
Conditions de versement des
indemnités
Cet
article a pour objet de préciser les délais dans lesquels devront
être présentées les demandes d'indemnité, puis
versées les indemnités allouées ; il subordonne en
outre ce versement à la production par le commissaire-priseur
indemnisé d'une attestation d'assurance et d'un quitus
délivré par sa compagnie.
Les demandes d'indemnité seront examinées par une commission
nationale spécialement constituée à cet effet (cf.
commentaire de l'article 43). Le délai accordé aux
commissaires-priseurs pour présenter leur demande est fixé
à deux ans à compter de la publication du décret en
Conseil d'Etat précisant la composition et le fonctionnement de cette
commission.
Celle-ci disposera d'un délai d'un an à compter du
dépôt de la demande pour statuer sur le montant de
l'indemnité, le texte précisant que l'indemnité devra
être versée
"
dans les douze mois suivant le
dépôt de la demande
"
.
Pour obtenir le versement de l'indemnité allouée par la
commission, le commissaire-priseur devra cependant justifier de la
régularité de sa situation en matière d'assurance
professionnelle et de cotisation à sa compagnie. A cette fin,
l'article 41 prévoit l'obligation pour l'intéressé de
produire une attestation d'assurance couvrant sa responsabilité encourue
à l'occasion de l'exercice des ventes volontaires au cours des dix
années antérieures à l'entrée en vigueur de la
loi
60(
*
)
, ainsi qu'un quitus
délivré par la compagnie de commissaires-priseurs
concernée.
Il ne peut toutefois être exigé d'un commissaire-priseur
installé depuis moins de dix ans une attestation d'assurance
correspondant à des années antérieures à sa prise
de fonctions.
Votre commission vous propose donc d'adopter un
amendement
tendant
à préciser que l'attestation d'assurance exigée concerne
la responsabilité encourue par le commissaire-priseur à compter
de son entrée en fonctions et au plus pour les dix années
antérieures à la promulgation de la loi.
Elle vous propose
d'adopter l'article 41 sous réserve de cet
amendement de précision.
Article 42
Répartition des
indemnités dues
aux sociétés civiles
professionnelles
Cet
article a pour objet de préciser les modalités de la
répartition entre leurs membres des indemnités dues aux
sociétés civiles professionnelles (SCP) titulaires d'un office de
commissaire-priseur.
Il prévoit que ces indemnités sont réglées à
chacun de leurs membres en proportion de leurs droits d'associés et
" suivant les modalités concernant les différentes
catégories déterminées par la présente
loi "
.
Cette rédaction est très exactement calquée sur celle de
l'article 33 de la loi n° 71-1130 du
31 décembre 1971 portant réforme de certaines
professions judiciaires et juridiques, qui avait précisé la
répartition des indemnités dues aux SCP titulaires d'un office
d'avoué.
Cependant, en ce qui concerne les commissaires-priseurs, la notion de
" catégories "
n'apparaît pas clairement
définie à la lecture des autres articles du projet de loi. Votre
commission vous propose donc d'adopter un
amendement
tendant à
supprimer la référence à cette notion de catégories.
Elle vous propose d'adopter l'article 42
ainsi modifié
.
Article 43
Commission nationale
d'indemnisation
Cet
article concerne la commission nationale chargée d'examiner les demandes
d'indemnité présentées par les commissaires-priseurs et de
fixer le montant de l'indemnisation accordée à chaque office.
S'agissant de la composition de cette commission, le projet de loi se borne
à préciser qu'elle sera présidée par un magistrat
de la Cour des comptes. Les modalités de sa composition et de son
fonctionnement sont en effet renvoyées à un décret en
Conseil d'Etat, dont la publication constituera le point de départ du
délai de deux ans prévu par l'article 41 pour le
dépôt des demandes d'indemnisation.
Selon les informations recueillies par votre rapporteur, le Gouvernement
envisagerait une commission nationale d'indemnisation composée de hauts
fonctionnaires, à l'instar de la commission dite
"
des
sages
"
qui avait été chargée d'étudier
le problème de l'indemnisation.
Plutôt que de renvoyer la composition de la commission d'indemnisation
à un décret en conseil d'Etat, votre commission estime
préférable de préciser cette composition dans le texte de
la loi en prévoyant une représentation des professionnels
concernés, s'inspirant de la composition qui avait été
retenue pour les commissions d'indemnisation des avoués.
Elle vous propose donc d'adopter un
amendement
précisant que la
commission nationale d'indemnisation comprendra, outre un magistrat de l'ordre
judiciaire, président, un nombre égal de représentants des
commissaires-priseurs et de personnes qualifiées désignées
par le garde des Sceaux.
La commission nationale d'indemnisation aura pour mission d'évaluer le
montant de l'indemnisation allouée à chaque office en application
des règles prévues par les articles 35 à 38. Elle
serait notamment chargée de moduler le montant de l'indemnité
" en fonction de la situation particulière de chaque office et
de son titulaire "
, dans une fourchette de plus ou moins 15 %,
conformément aux dispositions de l'article 37.
L'article 43 prévoit par ailleurs que la commission établit
un rapport sur le déroulement de l'indemnisation et l'équilibre
financier du fonds. Votre commission vous propose de préciser par un
amendement
qu'il s'agit d'un rapport annuel.
Enfin, cet article précise que les décisions de la commission
d'indemnisation pourront faire l'objet d'un recours de pleine juridiction (et
non un simple recours en cassation) devant le Conseil d'Etat.
En matière d'expropriation, la compétence de la juridiction
judiciaire, gardienne de la propriété privée, est
traditionnellement consacrée.
Votre commission vous propose donc de prévoir par un
amendement
que les décisions de la commission d'indemnisation pourront faire
l'objet d'un recours devant la Cour d'appel de Paris.
Votre commission vous propose d'adopter l'article 43
ainsi
modifié
.