II. UN INSTRUMENT JURIDIQUE IMPARFAIT MAIS OPPORTUN
Le
préambule de la convention du 9 décembre 1994 justifie
l'élaboration de ce texte par le nombre croissant de victimes
causé, parmi les membres du personnel de l'ONU et du personnel
associé, par des
attaques
délibérées
,
et par le caractère insuffisant des mesures prises à ce jour par
les organes des Nations Unies. Le préambule qualifie les
"
atteintes et autres mauvais traitements contre les personnels qui
agissent au nom des Nations Unies
"
d' "
inacceptables
" et
"
injustifiables
", d'autant que les personnels
concernés contribuent aux "
efforts des Nations Unies dans les
domaines de la diplomatie préventive, du rétablissement, du
maintien et de la consolidation de la paix et des opérations
humanitaires
".
L'objectif de la présente convention est donc de contribuer à
l'adoption des "
mesures appropriées et efficaces pour la
prévention des atteintes contre le personnel des Nations Unies et le
personnel associé, ainsi que pour le châtiment des auteurs de
telles atteintes
".
Dans cet esprit, la convention du 9 décembre 1994 :
- définit un champ d'application lié à la nature des
interventions onusiennes visées et au personnel concerné,
- précise les obligations incombant à l'ONU elle-même,
ainsi qu'aux Etats qualifiés de pays hôte et pays de transit,
- prévoit des stipulations pénales destinées à
assurer le châtiment d'auteurs des infractions définies à
l'encontre du personnel des Nations Unies et du personnel associé.
L'analyse du contenu de la convention du 9 décembre 1994 met en
évidence de regrettables ambiguïtés, qui ne remettent
cependant pas en cause la pertinence de la ratification de la présente
convention. Son
objet premier demeure, il convient de le souligner, la
possibilité de mettre en oeuvre des sanctions appropriées
à l'encontre des responsables d'agressions contre les personnels des
Nations Unies.
1. Genèse de la convention du 9 décembre 1994
Les
négociations qui ont conduit à l'adoption de la présente
convention ont pour origine un Mémorandum élaboré par la
Nouvelle-Zélande en juin 1993. Ce document relevait l'imparfaite
protection des personnels des Nations Unies face à une
insécurité croissante, et suggérait l'élaboration
d'une convention destinée à
permettre la poursuite des auteurs
d'atteintes à la sécurité des personnels de l'ONU.
Le comité ad hoc chargé de rédiger un projet de convention
sur la sécurité du personnel des Nations Unies et du personnel
associé fut constitué dès mars 1994. Ouvert à la
participation de tous les Etats-membres, il accepta la
participation,
à titre d'observateur, du Comité international de la
Croix-Rouge
. Notons, sur ce point, le souci du CICR de préserver son
indépendance à l'égard de l'ONU
- de même,
d'ailleurs, que toutes les organisations non gouvernementales - et de
défendre l'application du droit international humanitaire lorsque les
forces des Nations Unies ont à recourir à l'usage de la force.
Les travaux du comité ad hoc furent conclus en octobre 1994. La
rapidité de ces négociations invite à s'interroger sur la
pertinence de certaines stipulations. L'élaboration de la
présente convention s'est appuyée sur un projet
élaboré conjointement par la Nouvelle-Zélande et
l'Ukraine. Ses stipulations d'ordre pénal sont très nettement
inspirées d'autres instruments juridiques internationaux -et, notamment,
de la convention internationale de 1979 contre la prise d'otages-, ce qui peut
contribuer à expliquer la relative
brièveté des
négociations
préalables à l'adoption de la convention
sur la sécurité du personnel des Nations Unies.
2. Contenu de la convention du 9 décembre 1994
a) Champ d'application
(1) Définition des personnels concernés
Les
personnels visés par la présente convention relèvent,
selon l'article premier, de différentes catégories :
Il s'agit tout d'abord des personnels des Nations-Unies, c'est-à-dire
des membres des éléments militaires, de police ou civils d'une
opération des Nations Unies, ainsi que des autres fonctionnaires et
experts en mission présents dans une zone où est conduite une
opération des Nations Unies. Sont donc expressément visés
-ce qui constitue une tautologie compte tenu de l'intitulé de la
convention -les casques bleus, les membres des agences onusiennes telles que le
Haut commissariat aux réfugiés, les personnels civils
présents sur un théâtre opérationnel, ainsi que les
experts de l'Agence internationale de l'énergie atomique engagés
pour constater le désarmement nucléaire de l'Irak, dans le cadre
de la résolution 687 du Conseil de sécurité.
Les
personnels associés
sont les personnes
déployées par une organisation non gouvernementale humanitaire en
vertu d'un accord avec le secrétaire général des Nations
Unies. Certaines ONG peuvent, en effet, être chargées par des
agences de l'ONU (Haut commissariat pour les réfugiés, Programme
alimentaire mondial, Haut commissariat aux droits de l'homme), de la livraison
et de la distribution de l'aide humanitaire aux populations locales. Ainsi, le
CICR était-il engagé, à la fin de 1994, dans 17
opérations avec les forces de maintien de la paix des
Nations-Unies
11(
*
)
.
(2) Définition des opérations des Nations Unies conditionnant l'application de la convention
La
présente convention ne saurait s'appliquer à toutes les
agressions commises à l'encontre de personnels des Nations Unies ou de
personnels associés. Les conditions posées par l'article ler
renvoient, de manière générale, à l'existence d'une
opération "
établie par l'organe compétent de
l'ONU
" et "
menée sous l'autorité et le
contrôle des Nations Unies
".
Deux autres conditions se réfèrent :
- à l'existence, déclarée par le Conseil de
sécurité ou par l'Assemblée générale, d'un
" risque exceptionnel " pour la sécurité du personnel,
- ou aux objectifs de ladite opération, qui doit viser à
maintenir ou à rétablir la paix et la sécurité
internationale.
Par ailleurs, le convention ne s'applique pas aux opérations coercitives
au sens du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, quand les personnels
sont engagés "
en tant que combattants contre des forces
armées organisées
". Le droit applicable est alors le
droit des conflits armés internationaux (article 2).
(3) Infractions visées
L'article 3 de la convention renvoie tout d'abord aux
atteintes
aux personnes
: meurtre, enlèvement ou " toute autre
atteinte ". Il vise également les atteintes contre les locaux
officiels, le domicile privé ou les moyens de transport d'un membre du
personnel des Nations Unies ou du personnel associé, quand ces atteintes
sont "
accompagnées de violences de nature à mettre sa
personne ou sa liberté en danger
". L'article 9 étend
ces infractions à la menace, à la tentative et à la
complicité de telles atteintes.
Notons que le statut de Rome de la
Cour pénale internationale
qualifie de crimes de guerre, induisant la compétence de cette
juridiction, " le fait de lancer des attaques
délibérées contre le personnel, les installations, le
matériel, les unités ou les véhicules employés dans
le cadre d'une mission d'aide humanitaire ou de maintien de la paix
conformément à la Charte des Nations Unies, pour autant qu'ils
aient droit à la protection que le droit international des conflits
armés garantit aux civils et aux biens de caractère
civil ".
b) Obligations définies à l'égard des personnels concernés, de l'" Etat hôte " et de l' " Etat de transit "
.
Les
personnels
des Nations Unies et le personnel associé ont
l'obligation de porter sur eux des documents d'identification. Les
éléments militaires et de police d'une opération des
Nations Unies (personnels et véhicules, navires et aéronefs)
doivent porter une marque distinctive d'identification (article 3).
Par ailleurs, les personnels sont invités à se conformer aux lois
et règlements de l'Etat de transit et de l'Etat-hôte, et à
respecter le caractère impartial de leur mission.
.
L'
Etat de transit
a pour obligation de faciliter le passage du
personnel des Nations Unies et du personnel associé, ainsi que de leur
matériel, à destination et en provenance de l'Etat-hôte.
.
L'
Etat-hôte
est invité à conclure avec
l'ONU un accord sur le statut de l'opération et de l'ensemble du
personnel, précisant notamment les dispositions relatives aux
privilèges et immunités des éléments militaires et
de police (article 4).
.
D'autres obligations sont susceptibles de s'appliquer à
l'ensemble des membres de l'ONU (mais pourraient concerner essentiellement,
pour des raisons pratiques, les Etats hôtes sur le territoire desquels se
déroule une opération onusienne). Il s'agit :
- de "
prendre toutes les mesures appropriées pour assurer la
sécurité des personnels
" engagés dans une telle
opération (article 7.2) ;
- de relâcher promptement les membres du personnel des Nations Unies et
du personnel associé qui auraient été capturés et
détenus dans l'exercice de leurs missions, et dont l'identité
aurait été établie, de s'abstenir de les soumettre
à un interrogatoire, et de les traiter conformément à
l'esprit des conventions de Genève de 1949 ;
- de coopérer avec l'ONU et avec les autres Etats parties(dans
l'hypothèse où l'Etat-hôte ne serait pas en mesure de
prendre lui-même les mesures requises (article 7.3) ).
c) Stipulations pénales, engageant l'ensemble des Parties à la convention
Les
clauses pénales de la convention visant à assurer la
coopération entre les Parties en matière pénale, et
à permettre l'exercice de l'extradition ou l'action pénale contre
les auteurs présumés d'infractions, ainsi que la
répression des coupables.
.
L'article 11 encourage les Parties à prendre toutes les mesures
susceptibles de
prévenir les infractions
définies à
l'article 9.
.
La
coopération pénale entre les Parties
à
la présente convention relève :
- de l'échange de renseignements (article 12) concernant l'auteur
présumé d'une infraction visée à l'article 9 ;
- de la "
communication de tous les éléments de preuves
nécessaires aux fins de poursuites
" (article 16) ;
- de l'engagement de notifier le résultat des éventuelles
poursuites au secrétaire général de l'ONU, qui transmet
ces renseignements aux autres Parties (article 18).
.
L'article 10 invite les Parties à
établir leur
compétence
pour connaître des infractions définies par
l'article 9. Les critères mentionnés par l'article 10 sont
classiques (nationalité de l'auteur présumé de
l'infraction, territoire, nationalité de la victime, objectif de
l'infraction dirigé contre un Etat).
.
L'Etat ayant établi sa compétence s'engage, en vertu du
principe " aut dedere aut judicare ", à extrader le coupable
présumé ou à soumettre l'affaire aux autorités
judiciaires pour l'
exercice de l'action pénale.
S'agissant de
l'
extradition
, l'article 15 stipule, de manière classique, que la
présente convention peut constituer la base juridique d'une
décision d'extradition, dans l'hypothèse où un Etat
subordonnerait une telle décision à l'existence d'un
traité spécifique.
.
Enfin, les Etats s'engagent à faire bénéficier
les auteurs présumés d'infractions d'un traitement et d'un
procès équitables, et de la pleine protection de leurs droits
" à tous les stades de l'enquête ou des poursuites "
(article 17).
d) Clauses de sauvegarde
L'article 20 préserve notamment l'applicabilité,
non
seulement du
droit international humanitaire
, mais aussi les droits et
obligations des Etats, en ce qui concerne l'entrée des personnes sur
leur territoire, ainsi que "
le droit à une indemnisation
appropriée en cas de décès, d'invalidité,
d'accident ou de maladie de personnes affectées volontairement à
une opération des Nations Unies imputable à l'exercice de
fonctions de maintien de la paix
".
De même, la présente convention ne peut-elle être
interprétée, selon l'article 21, comme restreignant le
droit
de légitime défense
.
e) Clauses finales
.
L'article 22 invite, de manière par ailleurs classique, les Parties
à soumettre leurs éventuels
différends concernant
l'interprétation ou l'approbation de la convention
à un
arbitrage
et, en cas d'échec de celui-ci, à la
Cour
internationale de justice.
Le même article (paragraphe 2) autorise
les Parties à formuler à cet égard des réserves
-susceptibles d'être retirées à tout moment par
notification écrite au secrétaire général des
Nations-Unies.
C'est ainsi qu'un projet de réserve portant sur l'application de
l'article 22, paragraphe 1, est jointe au présent projet de loi
autorisant la ratification de la convention sur la sécurité du
personnel des Nations-Unies. Notons que la France a traditionnellement
opposé une réserve aux clauses relatives au règlement des
différends contenues dans les conventions auxquelles notre pays est
Partie.
La position de la France sur ces stipulations a cependant récemment
changé. En effet, la France a accepté ces procédures
classiques de règlement des différends en signant la convention
du 12 janvier 1998 pour la répression des attentats terroristes à
l'explosif, ainsi que la convention du 17 décembre 1979 contre la
prise d'otages. Le projet de réserve joint au présent projet de
loi paraît donc désormais caduc, et la France n'assortira le
dépôt de ses instruments de ratification d'aucune réserve.
.
L'
entrée en vigueur
de la présente convention,
subordonnée au
dépôt du vingt-deuxième instrument
de ratification
, est intervenue, conformément à l'article 27,
le 15 janvier 1999.
3. Une incertitude regrettable quant au champ d'application de la convention
Bien que
la convention du 9 décembre 1994 atteste une prise de conscience
particulièrement opportune des problèmes posés par
l'insécurité des personnels de l'ONU, force est de constater que
le champ d'application de celle-ci, tels que le définissent les articles
ler et 2, est susceptible de limiter l'influence effective de la
présente convention sur le renforcement de la sécurité des
personnels de l'ONU.
.
La
définition des opérations des Nations unies
fondant le champ d'application de celles-ci paraît, en effet,
relativement
ambiguë
.
L'article 1
er
semble signifier que la convention s'applique à
toute opération des Nations unies, quel que soit son fondement juridique
(chapitre VI ou chapitre VII de la Charte), pour peu qu'elle ait
été mise en oeuvre "
par l'organe
compétent
" des Nations unies, qu'elle soit conduite
"
sous l'autorité et le contrôle
" de l'ONU, et
que de surcroît :
- elle "
vise à maintenir ou à rétablir la paix et
la sécurité internationale
",
- ou qu'il ait été décidé par le Conseil de
sécurité ou l'Assemblée générale
"
qu'il existe un risque exceptionnel pour la sécurité
des personnels participant à l'opération
".
En revanche, l'article 2-2
exclut les " actions coercitives
",
c'est-à-dire les opérations fondées en tout ou partie sur
le chapitre VII et dans le cadre desquelles "
du personnel est
engagé comme combattant contre des forces armées
organisées
". Dans cet esprit, des interventions comme
" Tempête du désert " ou l'opération Alba (force
de protection de 6000 hommes déployée entre avril et août
1997 en Albanie) sont exclues du champ d'application de la convention, au
profit du droit des conflits armés internationaux.
La rédaction de l'article 2-2 ne résout donc pas les
difficultés posées par les
opérations hybrides
,
auxquelles participent des
personnes intervenant à titre militaire et
humanitaire
. Ces personnes seraient-elles exclues de la protection
liée à l'application de la présente convention, dès
lors qu'elles interviennent en vertu d'une mission intégrant des
éléments du chapitre VII ?
.
On peut, de surcroît, s'interroger sur la pertinence de la
condition relative au "
risque exceptionnel
" (défini
par l'article 1
er
c/ii) induit par une opération : il
paraît difficile, en effet, pour le Secrétaire
général des Nations unies, de requérir de
l'Assemblée générale ou du Conseil de
sécurité l'existence d'un risque exceptionnel pour la
sécurité du personnel des Nations unies dans une région du
monde donnée, compte tenu des pressions susceptibles d'être
exercées par de nombreux Etats pour éviter une telle
déclaration
12(
*
)
.
.
Enfin, il convient de rappeler que l'application de la présente
convention paraît supposer l'existence préalable d'une
opération des Nations unies. Ainsi l'enlèvement de M. Vincent
Cochetel, qui dirigeait le bureau du Haut commissariat de l'ONU aux
réfugiés à Vladikavkaz, n'aurait pas été
intégré dans le champ d'application de la convention, car il
n'existe pas d'opération des Nations unies en Ossétie du Nord
(Fédération de Russie), et que, par ailleurs, le Caucase n'est
pas classé parmi les régions du monde induisant un " risque
exceptionnel " pour les personnels qui y sont engagés.
.
Enfin, on constate quelques ambiguïtés terminologiques
dans les définitions des opérations onusiennes proposées
par les articles 1
er
et 2 de la présente convention.
L'article 1
er
renvoie ainsi aux opérations
" établies " par un organe compétent de l'ONU, alors
que l'article 2 exclut les opérations " autorisées par le
Conseil de sécurité " en tant qu'actions coercitives
fondées sur le chapitre VII de la Charte des Nations unies. Il convient
probablement de voir dans ces contradictions apparentes l'une des
conséquences de la précipitation dans laquelle a
été négociée la présente convention,
plutôt que d'en chercher une signification susceptible de compliquer
l'application de celle-ci.