N°
289
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 31 mars 1999
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention sur la sécurité du personnel des Nations unies et du personnel associé ,
Par M.
Aymeri de MONTESQUIOU,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Xavier de Villepin,
président
; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait,
Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle
Bidard-Reydet,
vice-présidents
; MM. Michel Caldaguès,
Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès,
secrétaires
; Bertrand Auban, Michel Barnier, Jean-Michel Baylet,
Jean-Luc Bécart, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy
Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Hubert
Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean
Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel,
Roger Husson, Christian de La Malène, Philippe Madrelle,
René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Jean-Luc
Mélenchon, René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano,
Charles Pasqua, Michel Pelchat, Alain Peyrefitte, Xavier Pintat, Bernard
Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas,
André Rouvière.
Voir le numéro :
Sénat
:
23
(1998-1999).
Traités et conventions. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le présent projet de loi vise à autoriser la ratification de la
convention sur la sécurité du personnel des Nations-Unies et du
personnel associé, conclue le 9 décembre 1994 dans le cadre
de l'ONU.
Cette convention répond à un
besoin évident
, compte
tenu, d'une part, de la multiplication des interventions onusiennes liée
à la fin de l'affrontement Est-Ouest, et d'autre part, d'un risque
croissant pour les personnels participant à des opérations
désormais complexes, associant des éléments de coercition
et des aspects humanitaires.
*
* *
Le
développement des actions en faveur de la paix mises en oeuvre sous
l'égide des Nations-Unies constitue l'une des caractéristiques de
l'évolution des relations internationales depuis la fin de la guerre
froide.
Alors que cinq opérations de maintien de la paix étaient
déployées au 31 janvier 1988, on en dénombrait onze
quatre ans plus tard, puis dix-sept au 16 décembre 1994, seize au
31 juillet 1996 et dix-neuf actuellement.
Il est désormais bien connu que, entre 1988 et 1992, les Nations-Unies
ont créé autant d'opérations de maintien de la paix que
pendant les quarante années précédentes. Le budget
consacré par l'ONU à ces opérations est ainsi passé
de 230 millions de dollars en 1988 à 3,6 milliards de dollars en 1994.
La fin de l'affrontement Est-Ouest s'est, en effet, traduite par la
multiplication de conflits locaux -pour la plupart des guerres civiles. Une
certaine banalisation des interventions onusiennes a, depuis la disparition de
l'ordre bipolaire, été encouragée par le repli des deux
supergrands, par la sensibilisation des opinions publiques aux
conséquences humaines des conflits, et par la volonté de
promouvoir un nouvel ordre mondial fondé sur le respect des principes
démocratiques et des droits de l'homme.
Cette évolution est allée de pair avec une multiplication
récente de graves incidents de sécurité. Ceux-ci ont
concerné tant les personnels de l'ONU que les personnels d'organisations
humanitaires associées à des interventions de l'ONU.
Ainsi, la Résolution 49/59 de l'Assemblée générale
des Nations-Unies, inspirée par la préoccupation liée au
" nombre croissant d'attaques ayant provoqué la mort ou des
blessures graves qui ont été lancées contre le personnel
des Nations-Unies et le personnel associé ", concluait-elle
à la " nécessité de renforcer (...) les dispositions
régissant la protection " de ces personnels. Cette prise de
conscience remonte d'ailleurs à 1992, le Secrétaire
général des Nations-Unies ayant relevé, dans l'Agenda pour
la Paix, les cas nombreux dans lesquels le personnel de l'ONU opérait
" dans des conditions qui peuvent mettre sa vie en danger ".
La France est directement concernée par la question de la
sécurité des personnels des Nations Unies, compte tenu des
effectifs mis à disposition de l'ONU pour des interventions prises en
compte par la présente convention. Nos troupes participent, en effet,
à ce jour, à neuf des opérations constituant le champ
d'application de la convention du 9 décembre 1994, soit un total de
680 hommes environ sur un effectif global de quelque 13 159 " casques
bleus ". Le déplorable enlèvement de M. Vincent Cochetel,
responsable du Haut commissariat des Nations-Unies pour les
réfugiés en Ossetie du Nord, confirme également la
vulnérabilité des
personnels civils
envoyés par
l'ONU dans les régions aujourd'hui dites à risques.
*
* *
Le présent rapport s'appuie essentiellement sur des informations recueillies auprès d'acteurs " de terrain " des interventions onusiennes ou d'opérations à vocation humanitaire. Votre rapporteur a ainsi eu un entretien avec le Dr Jacky Mamou, président de Médecins du monde. Il a également, au cours d'une brève mission à Genève, eu l'occasion de rencontrer des responsables du Comité international de la Croix-Rouge, ainsi que des principales agences de l'ONU (Haut commissariat aux réfugiés, aux droits de l'homme, ONUSIDA..., Organisation mondiale pour les migrations, ...). Que S. Exc. M. Philippe Petit, ambassadeur à la représentation de la France auprès de l'Office des Nations-Unies à Genève, soit vivement remercié, ainsi que ses collaborateurs, pour sa disponibilité et pour l'excellente organisation de ce séjour.
I. UN CONTEXTE CARACTÉRISÉ PAR UN RISQUE CROISSANT POUR LES PERSONNELS PARTICIPANT AUX INTERVENTIONS DE L'ONU
La convention du 9 décembre 1994 s'inscrit dans un contexte caractérisé par une complexité croissante des interventions onusiennes, liée à la multiplication de conflits internes, observée depuis la fin de la guerre froide. Il est résulté de cette mutation récente des opérations de l'ONU une vulnérabilité certaine pour les personnels qui participent à celles-ci.
1. La difficile typologie des opérations de maintien de la paix1( * )
La
pratique et les fondements juridiques des opérations de maintien de la
paix mises en oeuvre par l'ONU ont profondément évolué
depuis la fin de la guerre froide.
.
Jusqu'à l'effondrement du communisme, les opérations de
maintien de la paix (dont la création remonte, si l'on fait exception de
l'envoi d'observateurs en Palestine en 1948, à la FUNU(Force d'urgence
des Nations Unies) , créée lors de l'affaire de Suez en 1956)
avaient pour vocation de s'inscrire dans le cadre d'une stratégie de
diplomatie préventive
. Conçues dans la logique pacifique
de l'article 14 de la Charte, les OMP de la première
génération devaient obéir aux conditions suivantes :
- être acceptées par l'Etat hôte,
- respecter les principes de neutralité et d'impartialité
(autonomie à l'égard des parties au conflit, non-ingérence
dans les affaires intérieures, recours à la force
subordonné à la légitime défense).
La FUNU en 1956 et l'ONUC (Opération des Nations-Unies au Congo), en
1960-1964, s'inscrivent dans cette logique, de même que l'UNFYCIP (Force
des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre),
lancée en 1964.
.
La fin de la guerre froide mit en évidence le besoin de moyens
d'action capables de régler les
nombreux conflits internes aux
Etats
qui sont apparus parallèlement au retrait des deux supergrands.
Les opérations de la " deuxième
génération " se distinguent ainsi des
précédentes en ce que "
leur rôle ne se
ramène plus à la simple interposition d'un tiers neutre entre
deux parties belligérantes au stade de la cessation des
hostilités armées en vue de la gestion -à un niveau
d'affrontement aussi limité que possible- d'un conflit demeurant
politiquement non résolu. L'objectif du maintien de la paix (...) a fait
place à celui du rétablissement, voire de l'édification
d'une paix ferme et durable
"
2(
*
)
. Le recours à un
dispositif
coercitif
a pour objectif une paix durable, fondée désormais
sur la réconciliation nationale, la démocratisation interne et la
protection de l'assistance humanitaire.
L'APRONUC (Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge)
paraît représentative des missions ambitieuses impartie aux OMP de
deuxième génération : désarmement des forces
en présence, réinstallation des réfugiés,
organisation d'élections libres, voire la réorganisation de
l'administration locale. Les opérations de maintien de la paix sont donc
désormais susceptibles d'incorporer des objectifs d'assistance
humanitaire qui ne sont pas nécessairement prévus dans la
définition initiale des missions.
.
L'
Agenda pour la paix
élaboré par le
secrétaire général de l'ONU en 1992 à la demande du
Conseil de Sécurité, tient compte de cette récente
diversification des OMP en s'appuyant sur quatre principes d'action :
- la
diplomatie préventive
vise à éviter qu'un
différend lourd se transforme en conflit ouvert, et, si un conflit
éclate, à faire en sorte qu'il s'étende le moins possible.
Elle comporte notamment le déploiement de casques bleus et la
création de zones démilitarisées.
- Le
rétablissement de la paix
vise à rapprocher les
parties hostiles, essentiellement par les moyens pacifiques prévus au
chapitre VI de la Charte (négociations, enquêtes,
médiations, arbitrage...), tout en intégrant parfois des
dispositions du chapitre VII (sanctions économiques) et en faisant
intervenir une action internationale d'assistance aux personnes. Le recours
à la force armée peut enfin être autorisé par le
Conseil de Sécurité, conformément à l'article 42 de
la Charte, en cas d'échec des moyens pacifiques.
- Le
maintien de la paix
consiste à déployer des effectifs
militaires ou de police des Nations Unies.
- La
consolidation de la paix après les conflits
vise à
éviter la reprise des hostilités, et peut prendre diverses
formes : aide économique, déminage, rapatriement des
réfugiés, surveillance des élections...
.
Le
Supplément à l'agenda pour la paix
,
présenté par le secrétaire général de l'ONU
en 1995 au Conseil de Sécurité, tire les conséquences des
difficultés rencontrées dans le cadre des premières
opérations de maintien de la paix de l'après- guerre froide.
Les Opérations de maintien de la paix se déroulent, en effet, le
plus souvent dans un contexte local rendu incertain par l'effondrement des
institutions étatiques locales. Les forces multilatérales n'ont
donc plus à s'interposer entre armées régulières,
mais entre milices ou bandes armées à la discipline
aléatoire, tandis que la vulnérabilité croissante des
populations civiles impose l'organisation d'interventions humanitaires
parallèlement aux missions de rétablissement de la paix. Les
forces d'intervention sont ainsi de plus en plus communément
confrontées à des problèmes d'ordre civil :
contrôle du cessez-le-feu, déminage, destruction des armes,
rapatriement des personnes déplacées, assistance humanitaire,
mise en place de nouvelles forces de police...
Le Supplément à l'agenda pour la paix a confirmé les trois
principes fondamentaux de consentement des parties, d'impartialité et de
non-usage de la force (sauf en cas de légitime défense), qui
doivent caractériser les interventions de l'ONU. Ce texte souligne ainsi
que le maintien de la paix et l'emploi de la force ne doivent pas être
considérés comme des éléments d'un " continuum
permettant de passer de l'un à l'autre ", mais que l'emploi de la
force exige l'établissement d'un nouveau mandat.
Le Supplément à l'agenda pour la paix envisage également
l'organisation d'actions coercitives en cas d'actes d'agression, de menace
contre la paix ou de rupture de la paix. Dans cette hypothèse, l'ONU
mandaterait certains Etats-membres en vue d'objectifs très variables, de
l'organisation d'opérations à vocation humanitaire (Somalie,
Rwanda) à un conflit interétatique du type de la guerre du Golfe.
Il semble donc qu'aujourd'hui existe une ligne de partage
" mouvante "
3(
*
)
entre
opérations de maintien de la paix et coercition, alors qu'était
initialement exclue toute interférence entre l'une et l'autre. Certaines
opérations de maintien de la paix peuvent, en effet, être
fondées sur le chapitre VI relatif au règlement pacifique des
conflits, tout en recourant à des éléments du chapitre VII
(1)
.
C'est ainsi que certaines OMP, comme la FORPRONU (Force de protection des
Nations Unies en ex-Yougoslavie), ont été, après leur
création, dotées de moyens coercitifs résultant du
chapitre VII de la Charte. D'autres, comme l'UNUSOM (opération des
Nations Unies en Somalie), la MINUAR (Mission des Nations Unies pour
l'assistance au Rwanda) ou la MINUHA (Mission d'observation des Nations Unies
en Haïti) ont été précédées ou
relayées par une intervention militaire multinationale autorisée
par le Conseil de Sécurité. D'autres encore se sont
déroulées parallèlement à des mesures de coercition
économique.
2. Une demande d'intervention humanitaire croissante
La
croissance des besoins d'ordre humanitaire tient essentiellement aux
caractéristiques des récents conflits internes aux Etats,
mentionnées ci-dessus par votre rapporteur: affrontements entre bandes
armées désorganisées, augmentation du banditisme sur fond
d'effondrement de l'Etat, et importance du facteur identitaire conduisant
à multiplier les victimes civiles.
Les interventions onusiennes à vocation strictement humanitaire sont
conduites par les diverses agences (Haut Commissariat pour les
réfugiés, Fonds des Nations-Unies pour l'enfance, Programme
alimentaire mondial, Organisation mondiale de la santé, Organisation des
Nations-Unies pour le développement) qui couvrent l'ensemble des crises
dans le monde.
La coordination de ces actions relève d'un
Comité permanent
interagences
qui associe aux agences onusiennes spécialisées
dans l'aide humanitaire, le Comité international de la Croix-Rouge
,ainsi que les principales
organisations non gouvernementales
agissant
dans certains cas pour le compte de l'ONU.
Parmi les pays ayant fait l'objet d'une assistance humanitaire de l'ONU depuis
1997, on peut citer l'Angola, le Rwanda, la Sierra Leone, la Somalie, le
Soudan, la Tanzanie, le Burundi, l'Ouganda, la République
démocratique du Congo, le Tadjikistan, l'Afghanistan, les territoires de
l'ex-Yougoslavie et la République populaire démocratique de
Corée.
Ainsi, le Haut commissariat pour les réfugiés a-t-il depuis 1997
organisé des actions d'assistance aux populations de la région
des Grands lacs et d'Afrique centrale, des opérations de déminage
en ex-Yougoslavie, en coopération avec le PNUD (Programme des Nations
Unies pour le développement), ainsi que des interventions plus
ponctuelles au Mali, en Afghanistan, en Angola et au Libéria.
L'aide humanitaire est également, à l'évidence, devenue un
élément de la mission des
casques bleus
. Les forces des
Nations-Unies au Congo (ONUC) et à Chypre (UNFICYP), la Mission
d'assistance au Rwanda (MINVAR), la FORPRONU et l'ONUSOM témoignent de
l'interférence ci-dessus évoquée entre opération de
maintien de la paix et action humanitaire. Cette superposition des
interventions onusiennes -militaires et humanitaires- a d'ailleurs
été qualifiée avec regret de " militarisation des
aides " par différents responsables d'organisations humanitaires,
inquiets de l'imprécision de mandats définis par les Nations
Unies .
De l'ambiguïté du statut des casques bleus -militaires ou acteurs
d'une intervention humanitaire ?- témoignent, entre autres
exemples, les hésitations sur le statut des casques bleus faits
prisonniers par les Serbes de Bosnie -liées d'ailleurs aux incertitudes
sur la portée de leur mission. Le CICR considérait, en effet, ces
militaires comme des prisonniers de guerre au sens de la Convention de
Genève, car les Nations-Unies étaient impliquées dans les
hostilités avec les Serbes. Le tribunal des crimes de guerre en
Yougoslavie accusait les Serbes, au contraire, d'utiliser les casques bleus
comme otages et comme boucliers humains, mettant ainsi en évidence une
approche différente de la nature de ces personnels
4(
*
)
.
3. La vulnérabilité des personnels de l'ONU et des organisations non gouvernementales engagés dans des interventions onusiennes5( * ) : un phénomène récent
.
Jusqu'à la fin de la guerre froide, il était
communément admis que travailler sous le drapeau des Nations Unies
valait sauf-conduit, et constituait pour le personnel une garantie
non-écrite de protection.
.
La nette augmentation du nombre de victimes parmi les
personnels
civils
engagés sur les différents
théâtres opérationnels par les Nations Unies
dans les
conflits de l'après-guerre froide remonte au
début des
années 1990
.
Désormais, l'insécurité est devenue un enjeu majeur pour
les organismes à vocation humanitaire. Le HCR estimait en 1997 que plus
de 3000 membres de son personnel travaillaient dans des zones
désignées comme dangereuses, ce chiffre s'élevant à
10 000 compte tenu des ONG associées. Ainsi relève-t-on, entre
autres témoignages, l'assassinat en Tchétchénie, en
décembre 1996, de six collaborateurs du Comité international de
la Croix-rouge, de trois collaborateurs de Médecins du monde au Rwanda,
en janvier 1997, de trois délégués du CICR au Burundi en
juin 1996, l'exécution d'un délégué du CICR
à Sarajevo, en mai 1992, ainsi que de secouristes de la Croix-rouge
zaïroise, en mai 1997. Alors que, par le passé, les pertes subies
étaient en majorité accidentelles, le personnel des Nations Unies
et des organismes humanitaires fait aujourd'hui fréquemment l'objet
d'attaques délibérées, destinées dans de nombreux
cas à déstabiliser le fonctionnement de l'opération dans
laquelle il est engagé. Rappelons que, pour la seule année 1993,
le nombre de morts parmi les personnels de l'ONU s'est élevé
à 1 074, dont 202 militaires
6(
*
)
.
D'autres agressions, sans se traduire par la mort des victimes, n'en
témoignent pas moins d'une volonté délibérée
de s'en prendre aux personnels de la Croix-rouge, des Nations-Unies ou
d'organismes non gouvernementaux à vocation humanitaire.
L'enlèvement de notre compatriote Vincent Cochetel, qui dirigeait le
bureau du Haut Commissariat des Réfugiés à Vladikavkaz,
retenu en Ossétie du Nord pendant plus de 300 jours, s'inscrit dans une
évolution choquante qui tend à prendre comme cibles les acteurs
de l'intervention humanitaire, en dépit de la nécessaire
neutralité de ceux-ci.
.
Ces nombreuses atteintes à la sécurité du
personnel des Nations-Unies ont provoqué une prise de conscience de ce
phénomène nouveau au sein de l'ONU, qui s'est tout d'abord
traduite par des
prises de position ponctuelles
. L'Assemblée
Générale de l'ONU a ainsi lancé un appel à tous les
partis, mouvements et factions somalis pour qu'ils "
respectent
totalement la sûreté et la sécurité du personnel des
Nations-Unies, des institutions spécialisées et des organisations
non gouvernementales et garantissent leur totale liberté de mouvement
dans l'ensemble du pays
" (résolution 47/160). Des positions
comparables ont été adoptées à l'égard de
l'Afghanistan (résolution 51/195) et du Libéria
(résolution 51/30 B). Dans le même esprit, des résolutions
du Conseil de sécurité ont exigé que soient
créées par les Parties aux différents conflits les
conditions nécessaires à une distribution et à un
acheminement sans obstacle de fournitures humanitaires, et que les dispositions
soient prises pour assurer la sécurité des personnels des
Nations-Unies (ex-Yougoslavie, Rwanda, Somalie). La présente convention
constitue une tentative d'inscrire le problème de la
sécurité des personnels onusiens dans un cadre plus large et plus
ambitieux, de même que, au niveau communautaire, les recommandations
formulées en mai 1998 par la Commission sur la sécurité du
personnel humanitaire
7(
*
)
, qui
traduisent une prise de conscience du problème au niveau communautaire.
.
La tendance à prendre pour cibles les personnels des
Nations-Unies et, plus particulièrement, les acteurs des interventions
spécifiquement humanitaires tient à différents facteurs.
On peut tout d'abord citer
le caractère relativement
immaîtrisable des conflits de l'après-guerre froide
, faute de
"
parrainage bipolaire des parties au conflit
"
8(
*
)
. Désormais les conflits
n'obéissent plus à des repères clairs (mouvement de
guérilla d'un côté, forces armées
régulières de l'autre), ni à des chaînes de
commandement structurées, qui permettaient auparavant aux organisations
humanitaires d'établir avec les diverses autorités en
présence les contacts nécessaires à l'accomplissement de
leurs missions, et au respect de leur sécurité.
Les acteurs de l'action internationale humanitaire interviennent aujourd'hui
dans un
contexte souvent anarchique
, qui expose le personnel humanitaire
à un banditisme difficilement maîtrisable, tandis que la
convoitise des bandes rivales est attisée par les biens
gérés par les organismes humanitaires (médicaments,
denrées alimentaires...).
Un autre facteur de risque a pour origine la
composante identitaire de
nombreux conflits
, qui tend à prendre les populations civiles comme
enjeu des affrontements. "
L'action humanitaire est alors perçue
comme une entrave aux objectifs ultimes des parties au conflit. Tout ce qui
s'oppose à la stratégie d'élimination, de marginalisation
ou de déplacement des populations civiles est compris comme une menace
contre l'affirmation de son propre droit au pouvoir, voire de son
existence
".
9(
*
)
De fait, de nombreux conflits récents (Rwanda, ex-Yougoslavie) se
caractérisent par un effacement de la distinction entre combattants et
non-combattants. De ce fait, devient possible l'assimilation à l'ennemi
du personnel humanitaire susceptible d'aider celui-ci.
La vulnérabilité des collaborateurs des organisations
humanitaires réside également dans la
confusion entre
objectifs militaires et humanitaires
, qui caractérise certaines
interventions internationales. De cette complexité témoigne,
entre autres exemples, le mandat des opérations Onusom I (observation du
cessez-le-feu entre parties somaliennes et convoyage et escorte de l'aide
humanitaire) et Onusom II (distribution de l'aide humanitaire et surveillance
du cessez-le-feu). Il est, en effet, difficile, dans les régions en
proie aux crises les plus violentes, d'éviter de mettre en place
parallèlement une intervention de nature militaire, destinée
à assurer les conditions de sécurité minimale pour des
opérations d'assistance à vocation humanitaire. Cette formule
n'est cependant pas sans risques pour les acteurs de celles-ci.
Ainsi le Haut Commissariat de l'ONU aux réfugiés, Mme Ogata,
relevait-elle en 1994, à propos de la FORPRONU, que l'apport des
militaires avait été évident s'agissant de livraisons
d'aides, de la sécurité de l'aéroport de Sarajevo, et du
parachutage de biens dans des endroits inaccessibles. Elle soulignait cependant
les risques courus par les personnels humanitaires du fait de frappes
aériennes de l'OTAN, qui avaient altéré l'image
d'impartialité qui doit caractériser une intervention humanitaire.
La multiplication des acteurs humanitaires (on comptait ainsi au Rwanda, en
1994, plus de 150 organisation actives simultanément) constitue ainsi un
défi évident sur le plan de la sécurité des
personnels humanitaires. En effet, cette évolution peut avoir pour
conséquence une compétition fâcheuse entre ceux-ci, un
théâtre opérationnel étant susceptible de se
transformer en un véritable "
marché humanitaire dans
lequel les organisations présentes sur le terrain, loin de servir
l'intérêt des victimes, ont finalement, bien involontairement,
alimenté la guerre en accentuant par leur action la convoitise des uns
et des autres, les secours devenant l'objet même des
affrontements
. "
10(
*
)
.