II. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION
Le doyen
Carbonnier notait que "
La question du concubinage pourrait bien cacher
la question du mariage
"
6(
*
)
. Il en est de même du pacs,
statut hybride destiné à rassembler des personnes qui pourraient
se marier mais ne le souhaitent pas, et d'autres qui ne peuvent pas le faire
mais cherchent une reconnaissance. Irène Théry a
considéré devant votre commission que par cette proposition de
loi "
ceux qui ne veulent pas se marier ont été pris en
otage du désir d'union de ceux qui n'ont pas accès au
mariage
"
7(
*
)
.
En considération des dangers que représente ce statut pour le
mariage et l'union libre ainsi que des risques qu'il comporte en matière
de filiation du fait qu'il s'adresse indifféremment à des couples
qui ont vocation à procréer et à d'autres qui ne le
peuvent pas, votre commission sera amenée à ne pas l'accepter. Il
n'a pas sa place, pour les hétérosexuels, entre le mariage et
l'union libre ; il n'est pas justifié pour les homosexuels dont
l'orientation sexuelle est d'ores et déjà respectée en
tant que comportement individuel ce qui n'implique pas nécessairement la
mise en oeuvre d'un statut du couple par le législateur.
Désireuse de marquer le respect qu'il faut avoir pour les comportements
individuels, votre commission vous proposera de préciser l'article 9 du
code civil relatif au respect de la vie privée par une disposition
protégeant la
liberté de la vie personnelle de chacun
.
Votre commission a estimé que le
mariage républicain doit
rester l'institution de référence.
Pour affirmer comme Irène Théry que "
le mariage n'est
pas un simple outil de gestion du couple mais une institution de l'ordre
symbolique dans lequel se différencient les sexes et les
générations
",
8(
*
)
votre commission s'attachera à
donner, ce qui n'existe pas à l'heure actuelle, une
définition
du mariage
faisant ressortir son caractère
d'institution
hétérosexuelle
.
Autant il lui est apparu inopportun de créer un statut hybride pour
répondre en fait au besoin de reconnaissance des couples homosexuels,
autant il lui est apparu justifié de reconnaître que
la vie en
commun
de deux personnes de même sexe
présente des
similitudes avec celle de partenaires de sexe différent et que les
mêmes conséquences juridiques peuvent en découler. Allant
à l'encontre de la jurisprudence de la Cour de cassation, votre
commission vous propose donc l'
assimilation de fait des concubins
homosexuels aux concubins hétérosexuels
. Pour ce faire, elle
vous propose de
donner une définition du concubinage dans le code
civil
.
L'alternative que vous propose ainsi votre commission mettra sur un
véritable pied d'égalité concubins homosexuels et
concubins hétérosexuels (sous réserve de la situation
à l'égard des enfants) sans exiger des premiers qu'ils concluent
un contrat pour bénéficier des mêmes droits que les seconds.
Enfin, en vous proposant
l'adoption de mesures fiscales et successorales
spécifiques, votre commission vous démontrera que la
solidarité, entre concubins ou non, peut s'exprimer en dehors du statut
proposé.
A. RECONNAÎTRE LA LIBERTE DE LA VIE PERSONNELLE DE CHACUN
Votre commission souhaite en préalable marquer l'attachement du Sénat au respect de la vie privée de chacun. En conséquence, elle vous propose de compléter l'article 9 du code civil relatif au respect de la vie privée par la reconnaissance de la liberté de la vie personnelle de chacun, dans la ligne de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme fondée sur l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
B. DÉFINIR LE MARIAGE RÉPUBLICAIN COMME UNE INSTITUTION HÉTÉROSEXUELLE
Votre
commission regrette que le Gouvernement n'ait pas assumé ses
responsabilités en déclarant prioritaire cette proposition de loi
plutôt que de rédiger un projet d'ensemble sur la famille, le
mariage et le concubinage. Votre commission a voulu quant à elle
replacer le débat ouvert par la présente proposition de loi dans
le contexte juridique et sociologique qui demeure majoritaire
(12,3 millions de couples mariés et 2,3 millions de concubins).
Le mariage, ce n'est pas seulement un couple, mais selon Irène
Théry, "
l'institution qui lie la différence des sexes
à la différence des générations
".
Le code civil ne contient aucune définition du mariage. Plus curieux, il
n'y est nulle part explicitement précisé qu'il concerne un homme
et une femme.
Son caractère hétérosexuel peut être implicitement
déduit des articles 144 (âge de l'homme et la femme), 75
(déclaration des parties qu'ils veulent se prendre pour mari et femme),
162 et 163 (prohibition des mariages entre frère et soeur, oncle et
nièce et tante et neveu).
L'absence de différence des sexes n'est pas mentionnée dans les
causes de nullité du mariage énumérées aux articles
180 et suivants du code civil. Le caractère hétérosexuel
de l'institution du mariage ne fait cependant aucun doute pour la doctrine qui,
après avoir vu dans le non respect de la différence des sexes une
cause d'inexistence du mariage, s'accorde maintenant pour y voir une cause de
nullité absolue.
La jurisprudence, pour sa part, a régulièrement affirmé
que l'
absence de sexe
ou l'impossibilité de reconnaître le
sexe d'un époux sont susceptibles d'entraîner la nullité du
mariage (Nîmes, 29 novembre 1869, Douai, 1
er
mai 1901). Les
questions qui se posent quant à l'admission du mariage des transsexuels
se situent dans la même problématique.
Mais à l'heure où la notion de différence des sexes semble
s'affaiblir, étant considérée par certaines personnes que
la commission a entendues comme "
une illusion
anthropologique
" et où, dans certains pays voisins, il est
question d'ouvrir l'institution du mariage aux homosexuels, il n'est pas
inutile
d'affirmer clairement le principe du caractère
hétérosexuel du mariage
.
Aux Etats-Unis, de nombreux Etats ont modifié leur législation
dans ce même sens après l'arrêt de la cour suprême de
Hawaï qui, en mai 1993, a jugé que l'interdiction du mariage civil
aux homosexuels constituait une discrimination.
Votre commission vous propose donc de définir le mariage à
l'article 144 du code civil
comme "
l'union d'un homme et d'une
femme
".
Afin de bien distinguer le mariage de l'union libre qui reste une simple
situation de fait, et
marquer son caractère d'institution
, il
convient de plus de préciser que l'union est
"
célébrée par un officier de l'état
civil "
.
C. NE PAS ACCEPTER UN STATUT HYBRIDE ET INAPPLICABLE
1. Un texte dangereux dans ses principes
a) Le risque de porter atteinte au mariage
Le pacs
s'inscrit à mi-chemin entre le mariage et l'union libre. Calqué
sur le mariage, il n'en présente cependant que des
caractéristiques édulcorées et risque de porter atteinte
à celui-ci.
Inséré dans le livre 1
er
du code civil relatif aux
personnes, le régime du pacs se réfère à celui du
mariage concernant tant les empêchements résultant de la
parenté et de l'alliance ou d'une autre union en cours, que les devoirs
imposés aux partenaires. Son enregistrement au greffe du tribunal
d'instance lui confère un caractère officiel, le distinguant d'un
simple contrat.
Mais les devoirs qu'il implique se limitent à un aspect purement
matériel, " l'aide mutuelle et matérielle " et la
solidarité pour dettes. Ils peuvent de plus être minimaux, les
modalités de l'aide étant fixées par le pacte. La vie
commune ne semble pas exiger comme pour les époux une communauté
de vie impliquant le choix d'une résidence commune. Enfin, rien n'est
prévu concernant les devoirs des partenaires à l'égard de
leurs enfants alors qu'il est ouvert à des couples susceptibles de
procréer.
En cas de rupture, aucune protection n'est accordée au plus faible. La
rupture est possible unilatéralement à tout moment sans
intervention du juge, sauf vraisemblablement pour le partenaire
délaissé la possibilité d'obtenir des dommages et
intérêts pour rupture abusive de contrat.
Impliquant des devoirs minimaux, le pacs permet de bénéficier
d'avantages sociaux, fiscaux et successoraux se rapprochant de ceux du mariage
et dont le plus significatif est certainement l'imposition commune.
Le pacs apparaît bien comme un
" sous-mariage "
générant des droits en contrepartie d'obligations minimales
.
Il est à craindre que l'apparition de ce statut intermédiaire
ne dissuade les candidats au mariage
. La relative désaffection
à l'égard de ce dernier ne pourrait que s'amplifier en
présence d'une nouvelle institution apparaissant comme
une source de
droits sans véritable contrepartie
.
Le mariage républicain, institué en 1792, a été
décrit par le doyen Carbonnier comme une des institutions qui divise le
moins les Français. Il serait pour le moins paradoxal qu'il ne soit plus
recherché que par les candidats au mariage religieux, obligés
légalement de passer devant l'officier d'état civil avant que
leur union ne soit consacrée religieusement, ou par des couples
homosexuels désirant obtenir une reconnaissance officielle.
Or, même s'il connaît un déclin relatif, et si le divorce
touche désormais un couple sur trois (120 000 divorces par an),
le mariage demeure la structure la plus protectrice tant des membres du
couple que des enfants qui en sont issus
.
A l'heure où une plus grande " responsabilisation des
familles " est recherchée dans l'éducation des enfants, il
importe, non pas de porter atteinte au mariage, mais au contraire de le
renforcer.
Plutôt que de créer une union de deuxième zone
, il
conviendrait
d'apporter au régime du mariage les adaptations de
nature à revivifier cette institution
. L'examen de la
présente proposition de loi apparaît particulièrement
prématuré
au moment où est engagée à
la chancellerie, par le groupe de travail présidé par Mme
Dekeuwer-Defossez, une
réflexion d'ensemble sur la réforme de
la famille
. A la suite des auditions auxquelles elle avait
procédé le 8 avril 1998 sur le droit de la famille , votre
commission des Lois avait déjà tenu à affirmer qu'il
était essentiel de " ne pas se tromper de réforme
9(
*
)
".
En conséquence votre commission estime
qu'il n'y a pas de place dans
le code civil pour une nouvelle institution
entre le mariage et l'union
libre
.
b) La création de nouvelles discriminations.
Les
avantages reconnus aux personnes ayant souscrit un pacs le seront au
détriment des personnes vivant en union libre, des familles et des
personnes seules.
Sous-mariage de nature à porter atteinte au mariage, le pacs risque de
plus de renvoyer dans le non-droit les
personnes vivant en
union
libre
qui ne souscriraient pas de pacs. Il est pour le moins paradoxal
qu'un statut présenté comme devant bénéficier aux
concubins en arrive à disqualifier ceux qui ne désireraient pas
sortir du concubinage pour adopter un statut alternatif au mariage.
De surcroît, la jurisprudence pourrait continuer à refuser aux
homosexuels
n'ayant pas conclu de pacs les droits accordés
à l'heure actuelle aux concubins. Le pacs laisserait ainsi de
côté les couples de fait n'y ayant pas recours.
Les avantages fiscaux et sociaux reconnus aux pacsés le seraient au
détriment relatif des
familles
et des
7 millions de personnes
seules
.
En matière d'impôt sur le revenu, il est extrêmement
choquant qu'il soit envisagé, par l'intermédiaire de
l'imposition commune, de permettre à des partenaires de
bénéficier du quotient conjugal, dont l'avantage fiscal n'est pas
plafonné, alors que le Gouvernement n'a pas hésité, dans
la loi de finances pour 1999, à
diminuer
à hauteur de
4,5 milliards de francs,
les avantages en faveur des familles,
principalement par le biais de l'abaissement de 16 380 F à
11 000 F
du plafond de l'avantage maximal procuré par une
demi-part, donc au titre d'un enfant.
Les 7 millions de personnes seules, qui, d'après les études de
l'INSEE, ont, à revenu égal, un niveau de vie inférieur de
30% aux personnes vivant en couple, ne comprennent pas au nom de quelle logique
des avantages fiscaux devraient être accordés aux
pacsés ou pourquoi, dans la fonction publique, la création
d'une nouvelle priorité de mutation en faveur des fonctionnaires
séparés de leur partenaire pour des raisons professionnelles
empêcherait les célibataires de revenir au pays pour soigner un
parent malade.
c) Des inquiétudes concernant l'enfant et la parentalité
La
proposition de loi reste totalement silencieuse sur la situation de l'enfant
né de parents liés par un pacs, tant concernant les devoirs que
les parents auraient à son égard que son sort en cas de
séparation. Or, il ne semble pas cohérent de
donner un statut
au couple en faisant complètement abstraction de l'enfant
qui peut
en être le fruit.
En second lieu, le texte contient
des potentialités
inquiétantes concernant la parentalité des couples
homosexuels
.
Proposer un même statut aux couples hétérosexuels et
homosexuels n'est-ce pas en effet ouvrir la voie à la reconnaissance
juridique de la parentalité conjointe d'un couple homosexuel ? Au
nom de quoi refuser à un couple homosexuel soumis au même statut
qu'un couple hétérosexuel le droit à la procréation
médicalement assistée à laquelle a accès le
second ? Une éventuelle ouverture du droit à l'adoption aux
partenaires hétérosexuels s'accompagnerait inéluctablement
de l'extension du même droit aux couples homosexuels.
Plusieurs associations que votre commission a entendues n'ont pas caché
que le pacs n'était à leurs yeux qu'une première
étape symbolique devant conduire à terme à l'obtention du
droit des couples homosexuels d'être parents. Le rapporteur de la
proposition à l'Assemblée nationale a lui-même
estimé que le pacs conduirait inévitablement à accorder
dans l'avenir le droit à l'adoption à tous les couples
contractants. Ainsi, aux Pays-Bas, l'adoption par les couples homosexuels
est-elle maintenant envisagée.
Or, la famille doit rester le lieu de la "
différenciation
symbolique
" des sexes, selon l'expression employée par
Irène Théry.
Il pourrait être dangereux de nier les
conséquences sur la filiation de la différence biologique des
parents
, même si celle-ci est considérée par certaines
personnes que la commission a entendues comme une "
illusion
anthropologique
".
2. Un texte source d'importantes difficultés pratiques et juridiques
a) Les lourdeurs et les incohérences d'un état civil bis
La
procédure d'enregistrement au tribunal d'instance implique une
procédure très lourde exigeant de
nombreuses transmissions
d'informations
entre les greffes (lieu du dépôt du pacs, lieu
de naissance, lieu de rupture) et la tenue de nombreux registres,
multipliant ainsi les risques d'erreurs
. Aucune étude d'impact sur
le fonctionnement des greffes ne semble avoir été
réalisée et chacun sait qu'ils sont surchargés. Les
greffiers auront-ils les moyens d'opérer un véritable
contrôle sur le respect des conditions de la conclusion du pacs,
notamment sur les empêchements ?
Les délais d'enregistrement pourront être longs du fait que tous
les tribunaux d'instance ne disposent pas d'un greffier à temps plein.
D'importantes
incertitudes existeront ainsi sur la date
de prise d'effet
du pacs et de fin du pacs à l'égard des parties et des tiers.
L'absence de lien avec l'état civil
complique la tâche des
greffes et conduit à s'interroger sur les modalités de
communication aux tiers
des informations, aucune
publicité
n'étant organisée. Les tiers créanciers ou autres
pourront-ils savoir qu'un pacs a été conclu ? N'aurait-il
pas été plus rationnel de prévoir un lien, si ce n'est
avec l'état civil, du moins avec le répertoire civil que les
professionnels ont l'habitude de consulter ?
b) Une incertitude sur le régime juridique applicable
L'insertion du pacs dans le livre 1
er
du code civil
relatif aux personnes conduit à
s'interroger sur
sa nature
juridique
et sur ses conséquences éventuelles sur
l'état des personnes. Faisant l'objet d'un enregistrement officiel au
greffe du tribunal d'instance, le pacs ne peut être
présenté comme un banal contrat. Nulle part dans le texte il
n'est explicitement dit que le droit commun des contrats devra s'appliquer. Le
rapporteur à l'Assemblée nationale a qualifié le pacs de
"
convention solennelle
", cette appellation ne suffisant pas
à obtenir une certitude juridique. Il a également indiqué
à plusieurs reprises que les partenaires ne seraient pas
considérés comme des célibataires.
Il résulte de cette imprécision une
incertitude sur le
régime juridique
applicable. Quelles règles le juge
devra-t-il appliquer s'il est saisi en cas de rupture ? Devra-t-il se
contenter de faire jouer la responsabilité contractuelle ou pourra-t-il
également accorder des dommages et intérêts sur le
fondement de la responsabilité délictuelle ? Un
incapable
pourra-t-il conclure un pacs comme un banal contrat et comment
pourra-t-il le résilier ?
Les empêchements, calqués sur ceux du mariage, n'ont pas de raison
d'être pour les personnes n'ayant pas de liens charnels et encore moins
s'il s'agit d'un simple contrat.
L'incertitude sur le droit applicable sera encore accrue en matière de
droit international privé
dans la mesure où il n'est pas
certain que le pacs pourra avoir un effet à l'étranger. En
général, la loi personnelle des intéressés
s'applique en matière de droit des personnes mais les biens sont soumis
à la loi du lieu de leur situation. Quel sera le droit applicable en cas
de pacs conclu avec un partenaire étranger ou en cas de biens
situés à l'étranger ?
c) Les dangers de sa mise en oeuvre pour les contractants
Le pacs
ne procure aux partenaires qu'une
protection illusoire
. Les devoirs sont
minimaux et la
rupture unilatérale
est possible à tout
moment, au mépris des dispositions de l'article 1134 du code civil,
s'apparentant à une véritable répudiation. Le plus faible
n'est pas protégé, aucune aide ne subsistant de manière
obligatoire après la rupture.
En cas de mariage d'un partenaire, le pacte peut même prendre fin sans
que l'autre partenaire en soit informé.
La
solidarité pour dettes
est plus contraignante que celle
prévue pour le mariage, n'étant pas tempérée par la
notion de dépenses manifestement excessives ni par l'interdiction des
achats à tempérament ou des emprunts.
Quant au régime des biens, le texte de la proposition de loi est
extrêmement pénalisant
pour les contractants car, à
défaut de stipulation contraire établie pour chaque bien, il
impose l'indivision,
au lieu de se contenter de prévoir une
simple
présomption
d'indivision pour les biens dont la
propriété ne pourrait pas être déterminée. Il
ne prévoit de plus aucun mécanisme de
remploi de fonds
propres
.
En cas de rupture unilatérale, est-il normal que la solidarité
pour dettes et l'indivision se poursuivent pendant le délai de trois
mois de préavis ?
La facilité très grande de conclusion et de rupture d'un pacte et
l'absence de délai exigé entre la conclusion de deux pactes
risque d'engendrer enfin des
difficultés insurmontables
dues
à la
conclusion de pactes successifs
rapprochés dont
l'indivision n'aurait pas été liquidée.
Il apparaît par ailleurs que la conclusion d'un pacs
serait
pénalisante pour des personnes de revenus modestes
. En
matière sociale, les partenaires pourraient perdre d'emblée le
droit à certains minima sociaux (allocation veuvage, allocation de
soutien familial, fin du cumul des allocations de RMI). En matière
fiscale, l'imposition commune pourrait faire perdre aux partenaires l'avantage
qu'ils tirent chacun de la décote du fait de l'imposition
séparée.
d) Les risques de fraude
La
facilité de conclusion et de rupture d'un pacs et le fait que,
d'après les débats à l'Assemblée nationale,
la
cohabitation ne semblerait pas exigée
, fait craindre la conclusion
de " pacs blancs " conclus dans le seul but de profiter des avantages
procurés.
Des
délais de carence
ont été introduits pour
l'imposition commune sur le revenu et l'aménagement des droits de
succession et de donation, limitant ainsi les risques.
En matière de succession, il apparaîtrait cependant plus judicieux
de supprimer tout délai que d'en prévoir l'exonération en
seul cas de maladie grave du testateur. Cette condition introduit en effet,
outre l'obligation de rompre le secret médical, une curieuse
discrimination entre le survivant d'un mort par maladie et celui d'un mort par
accident, alors même que ce dernier, à l'opposé du premier,
ne peut anticiper le décès.
La conclusion de pacs blancs resterait profitable pour effectuer des
donations déguisées
par le biais du partage à parts
égales en fin de pacs de biens qui, acquis sans stipulations
spéciales par un seul partenaire pendant la durée du pacs, ou
avant le pacs, seraient de facto
tombés dans l'indivision
. Elle
pourrait également intervenir dans l'espoir, pour un fonctionnaire,
d'obtenir une mutation et, pour un étranger, d'obtenir un titre de
séjour. Par ce biais, un
bailleur
pourrait
reprendre un
bail
sans aucune condition de durée de pacs
.
Opposée au principe même d'un statut regroupant des
bénéficiaires placés dans des situations
différentes,
votre commission vous propose donc de supprimer
l'article du projet de loi instaurant le pacs.
D. RECONNAÎTRE LE CONCUBINAGE HÉTÉROSEXUEL OU HOMOSEXUEL, EN TANT QU'UNION DE FAIT
Autant
il est inopportun de créer un statut hybride pour répondre en
réalité à la situation des couples homosexuels, comme se
propose de le faire la présente proposition de loi, autant est
justifiée l'
assimilation de leur situation de fait à celle des
concubins hétérosexuels
.
La Cour de cassation, comme on l'a vu plus haut, refuse de considérer
les couples homosexuels comme des concubins. Sa jurisprudence du 11 juillet
1989 a récemment été confirmée le 17
décembre 1997, contre l'avis de l'avocat général.
Les couples homosexuels se voient ainsi privés dans leur vie quotidienne
du bénéfice des mesures légales prises en faveur des
couples hétérosexuels non mariés.
Il est tout à fait compréhensible que le juge, en l'absence de
volonté exprimée par le législateur, n'ait pas
souhaité procéder lui-même à l'assimilation des
couples homosexuels à des concubins.
En pratique, il semble que le législateur puisse sans
inconvénient reconnaître que
la vie en commun
de deux
personnes de même sexe
présente des similitudes
avec
celle de partenaires de sexe différent, justifiant que les mêmes
conséquences juridiques puissent en découler.
Votre commission vous propose de créer dans le
livre premier du code
civil
relatif aux personnes, à la suite des titres relatifs au
mariage et au divorce,
un titre VI bis
relatif au concubinage.
Ce titre comprendra trois dispositions :
Il reconnaîtra le concubinage comme une
situation de fait
constituée par la
vie en couple
de
deux personnes
hors
mariage
. Il s'appliquera ainsi à l'ensemble des couples,
homosexuels, comme hétérosexuels.
Il disposera que le concubinage se
prouve par tout moyen
mais
reconnaîtra une valeur de présomption légale à des
actes de notoriété délivrés par l'officier
d'état civil, le juge ou le notaire. Les pratiques actuelles de
délivrance de certificats de concubinage seront ainsi
légalisées, sans qu'aucune obligation de délivrance de ces
certificats ne soit pour autant instituée.
Il précisera que les concubins peuvent
passer contrat
pour
régler tout ou partie de leurs relations pécuniaires et
patrimoniales et organiser leur vie commune. Cette possibilité existe
déjà mais les dispositions de l'article 1133 du code civil sur la
cause illicite des conventions contraires aux bonnes moeurs laisse subsister
une menace sur les conventions entre concubins, même si, dans les faits,
ne sont plus actuellement annulées que les conventions qui auraient pour
objet la poursuite ou la continuation des relations, présentant de ce
fait un caractère vénal.
Ainsi les couples homosexuels pourront-ils bénéficier des
droits accordés par la loi aux couples hétérosexuels dans
leur vie quotidienne
. Ils pourront notamment devenir sans délai
ayant droit pour la sécurité sociale et bénéficier
au bout d'un an du transfert ou de la continuation du bail en cas d'abandon du
domicile ou de décès du preneur.
Pas plus que le pacs, l'assimilation des concubins homosexuels à des
concubins hétérosexuels n'a pas de conséquences, en
l'état actuel du droit, sur la parentalité des couples
homosexuels. L'adoption n'est en effet ouverte, en application des
articles 343 et 343-1 du code civil, qu'à des couples mariés
ou à des célibataires, et la procréation
médicalement assistée est réservée, par
l'article L. 152-2 du code de la santé publique, aux couples
formés d'un homme et d'une femme.
E. ADOPTER DES DISPOSITIONS FAVORISANT LE LIEN SOCIAL, INDÉPENDAMMENT DE TOUT STATUT
1. La suppression de dispositions figurant dans le texte
Certaines dispositions de la proposition qui étendaient
aux
partenaires ayant souscrit un pacs des mesures déjà applicables
aux concubins hétérosexuels deviendront inutiles du fait de
l'assimilation proposée des concubins hétérosexuels aux
concubins homosexuels. Ainsi :
- le concubin homosexuel deviendra sans délai ayant droit pour la
sécurité sociale de son concubin à la charge de qui il se
trouve (art. 4 bis) ;
- en cas de décès ou d'abandon du domicile, il
bénéficiera du transfert ou de la continuation du bail
après un an de concubinage, comme actuellement le concubin
hétérosexuel (art. 9) ;
- l'allocation veuvage et l'allocation de soutien familial pourront lui
être retirées comme au concubin hétérosexuel
(art. 5 bis et 5 ter) ;
- il fera l'objet d'une imposition commune avec son concubin à
l'impôt sur la fortune (art. 4).
Votre commission vous proposera de supprimer d'autres dispositions du texte
prévues au bénéfice d'un partenaire d'un pacs. Il en sera
ainsi de la disposition sur la délivrance des titres de séjour
" vie privée et familiale " qu'il convient de laisser, comme
à l'heure actuelle, à l'appréciation de l'administration
(art. 6) ou des mutations des fonctionnaires pour rapprochement, qu'elle
souhaite réserver en priorité aux personnes mariées
(art. 8).
Concernant les droits à congé, elle vous proposera
d'étendre au concubin le droit à deux jours de congé pour
le décès de son compagnon (art. 5).
2. Un dispositif fiscal et successoral favorisant la solidarité et la liberté
Concernant les dispositions fiscales et successorales , la commission vous proposera, en plein accord avec la commission des Finances saisie pour avis, d'adopter un dispositif de nature à favoriser les relations de solidarité familiale et à renforcer le lien social ainsi qu'à répondre à de nombreuses attentes en matière successorale. Certaines dispositions pourront bénéficier à tous, donc au concubin, d'autres seront prévues spécifiquement en faveur des frères et soeurs ou également des oncles et tantes, neveux et nièces.
a) L'impôt sur le revenu
En
matière
d'impôt sur le revenu
, votre commission n'est pas
favorable à l'imposition commune en dehors du mariage, estimant qu'il
convient d'encourager le mariage en
réservant aux époux
le
quotient conjugal
non plafonné.
Mais dans une optique de solidarité, elle vous proposera
d'étendre la notion de
personne à charge
pour l'imposition
sur le revenu
à une personne
vivant sous le toit
du
contribuable et bénéficiant de
faibles ressources
. Cette
personne ouvrira droit à un
abattement spécifique
, et non
à l'application du quotient familial. Le plafond de cet abattement sera
identique à celui en vigueur pour la prise en charge des enfants majeurs
mariés ou ayant des enfants (
20 370 F
).
Les enfants à charge de cette personne seraient rattachés au
foyer fiscal du contribuable et ouvriraient droit à l'application du
quotient familial au même titre que les enfants de ce dernier.
Cet avantage ne serait ouvert que pour
une seule personne
par
contribuable.
Ainsi un contribuable hébergeant un concubin, parent ou ami ayant de
faibles ressources pourra-t-il opérer un abattement de
20 370 F sur son revenu imposable
et prendre fiscalement en
charge les enfants de ladite personne.
Pour
renforcer la solidarité dans le milieu familial
, votre
commission vous propose de plus de permettre, dans la même limite de
20 370 F
, la
déduction des sommes versées
à des collatéraux jusqu'au troisième degré
(frères et soeurs, oncles et tantes, neveux et nièces)
isolés et
disposant de faibles ressources. Ces personnes ne
sont pas bénéficiaires de l'obligation alimentaire prévue
par le code civil. Mais il importe dans un monde où la
précarité a gagné du terrain de favoriser
l'expression
d'une
solidarité familiale élargie
.
b) Les successions
En
matière successorale, votre commission considère que
les
droits de succession entre personnes étrangères l'une à
l'autre sont excessifs
, portant atteinte au droit de
propriété. Elle estime de plus que les règles relatives
à la réserve successorale limitent trop la liberté du
testateur et qu'il convient d'améliorer la situation du conjoint
survivant. Elle souhaite voir intervenir la réforme d'ensemble du droit
des successions annoncée depuis plusieurs années, dans la
continuité du projet de loi déposé par
M. Pierre Méhaignerie au Sénat en 1995, à la
suite des travaux de MM. Carbonnier et Catala.
Dans l'attente de cette réforme, elle ne vous proposera pas de modifier
l'échelle des taux applicables ni les règles de la
réserve. En revanche, elle vous proposera un
aménagement de
l'abattement successoral
susceptible de répondre à l'attente
de nombre de nos concitoyens.
Votre commission estime que chacun devrait pouvoir laisser en
franchise de
droits
une certaine somme à une seule personne de son choix,
indépendamment des liens familiaux ou des liens de concubinage. Ce
"
legs électif
" pourrait être d'un
montant de
300 000 F
, identique à l'abattement
opéré sur la part des enfants ou d'une personne
handicapée. Il pourrait bien évidemment profiter au concubin. Il
ne pourrait toutefois déroger aux règles de la réserve
successorale.
Cette somme de 300 000 F semble cohérente avec le montant
moyen des successions reçues par les Français. En 1994, sur
95 271 successions effectuées à des non-parents ou
collatéraux à partir du troisième degré,
79 422, soit
83%, ont été taxées pour une part
inférieure à 300 000 F
.
Ce montant est identique à celui de l'abattement prévu par la
proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, au
bénéfice des partenaires liés par un pacs, pour
l'année 1999.
Par ailleurs, votre commission estime que la
situation successorale de
l'ensemble des frères et soeurs
ayant vécu avec le
défunt
doit être améliorée, sans
préjudice de la possibilité pour l'un d'entre eux de recevoir un
"
legs électif ".
A l'heure actuelle, les frères et soeurs ne bénéficient en
effet d'aucun abattement propre à l'exception d'un abattement de
100 000 F, à condition qu'ils soient célibataires,
veufs, divorcés ou séparés de corps, qu'ils aient plus de
50 ans ou soient atteints d'une infirmité les rendant incapables de
subvenir à leurs besoins et qu'ils aient été
domiciliés pendant cinq ans avec le défunt avant sa mort
(art. 788 du CGI).
Votre commission vous propose, d'une part, de supprimer les conditions
restrictives permettant aux
frères et soeurs
qui cohabitaient
avec un défunt de bénéficier de
l'abattement
de
100 000 F sur la part qu'ils reçoivent, en ne gardant qu'une
condition de durée de
cohabitation d'un an
avant le
décès, et, d'autre part, de porter cet abattement à
150 000 F
.
Enfin, dans le but de permettre dans les meilleures conditions la
transmission de l'habitation principale de deux personnes cohabitantes
,
quelle que soient leurs relations
, elle vous propose de redonner un
caractère attractif à
la clause de tontine
. La
transmission de l'habitation principale est effectivement un souci majeur
auquel il faut répondre.
Le seuil permettant de bénéficier des droits de mutation à
titre onéreux pour la transmission d'une habitation principale
achetée en
tontine
serait ainsi relevé à
1
million de francs
et l'application de ces droits serait possible
quelle
que soit la valeur de l'habitation
pour la part de sa valeur
inférieure au seuil.
L'ensemble des mesures proposées permet donc, d'une part de prendre
en compte de nouvelles solidarités dans le cadre de l'impôt sur le
revenu, et, d'autre part, d'accroître la liberté effective de
tester et de transmettre son patrimoine
.
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