Proposition de loi relative au pacte civil de solidarité

GELARD (Patrice)

RAPPORT 258 (98-99) - commission des lois

Table des matières




N° 258

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 10 mars 1999

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relative au pacte civil de solidarité ,

Par M. Patrice GÉLARD,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Michel Duffour, vice-présidents ; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Robert Bret, Guy-Pierre Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, François Marc, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 1118 , 1119 , 1120 , 1121 , 1122 , 1138 , 1143 et T.A. 207 .

Sénat : 108 (1998-1999).


Droit civil.

LES TRAVAUX DE LA COMMISSION DES LOIS

27 janvier 1999

Auditions publiques

Mme Irène Théry , sociologue

M. Jean Hauser , professeur de droit

M. Guy Coq , philosophe

M. Eric Fassin , sociologue

Mgr Vingt-trois , président de la commission de la famille à la conférence épiscopale catholique

M. Olivier Abel , président de la commission éthique de la fédération protestante de France

M. le rabbin Senior , membre du cabinet du grand rabbin de France

M. Dalil Boubakeur , recteur de la Mosquée de Paris

Mme Geneviève Delaisi , psychanalyste

M. Samuel Lepastier , pédopsychiatre et psychanalyste

M. Denis Quinqueton , secrétaire général du collectif pour le contrat d'union social et le pacte civil de solidarité

Mme Marguerite Delvolvé , présidente de l'Association pour la promotion de la famille

Me Xavier Tracol , collectif pour l'union libre

Mme Renée Labbat , présidente de l'Union nationale des groupes d'action des personnes qui vivent seules (UNAGRAPS)

Mme Dominique Blanchon , responsable de la commission mariage et égalité des droits de Act-up Paris

M. Daniel Borrillo , responsable du groupe juridique de AIDES (fédération nationale)

Mme Martine Gross , vice-présidente de l'Association des parents et futurs parents gay et lesbiens (APGL)

M. Dominique Touillet , Lesbian and Gay pride

Mme Chantal Lebatard , administrateur de l'Union nationale des Associations familiales

Mme Dominique Marcilhacy , Familles de France

M. Jean-Marie Andrès , Confédération nationale des Associations familiales catholiques

Mme Claudine Rémy , vice-présidente de Familles rurales

M. Bernard Teper , chargé de la communication à l'Union des familles laïques

9 mars 1999

Auditions en commission

Mme Elisabeth Guigou , garde des sceaux, ministre de la justice

M. Christian Sautter , secrétaire d'Etat au budget

M. Bernard Kouchner , secrétaire d'Etat à la santé

Me Hélène Poivey Leclerck , avocat, conseil de l'ordre de Paris

Me Marie-Elisabeth Breton , avocat, membre du bureau de la conférence des bâtonniers

Mme Claudette Boccara , vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris

Me Jacques Combret , rapporteur du 95 ème congrès des Notaires " Demain la famille "

10 mars 1999

Adoption du rapport

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Après avoir procédé, le 27 janvier 1999, à des auditions publiques de représentants de la société civile et entendu en son sein, le 9 mars 1999, les ministres concernés et des représentants de professions juridiques (voir ci-contre), la commission des Lois du Sénat, réunie le mercredi 10 mars 1999, sous la présidence de M. Jacques Larché, président , a examiné, sur le rapport de M. Patrice Gélard , la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au pacte civil de solidarité.

Elle a regretté en préalable que cette proposition vienne en discussion de manière prématurée au moment où un groupe de travail était chargé, à la chancellerie, de proposer une réforme générale du droit de la famille.

Elle a souhaité en premier lieu affirmer dans le code civil que chacun est libre de sa vie personnelle précisant ainsi la notion de respect de la vie privée figurant à l'article 9 de ce code ( article additionnel avant l'article premier ).

Considérant que le mariage républicain devait rester l'institution de référence, et constatant qu'il ne faisait l'objet d'aucune définition légale, elle a souhaité définir le mariage dans le code civil comme " l'union d'un homme et d'une femme célébrée par un officier de l'état civil ", affirmant ainsi le caractère hétérosexuel de cette institution ( article additionnel avant l'article premier ).

Considérant qu'il n'y avait pas de place entre l'union libre et le mariage pour un statut intermédiaire inapplicable qui ne pourrait manquer de porter atteinte au mariage tout en laissant de côté les concubins qui n'y souscriraient pas, elle a décidé de supprimer l'article premier de la proposition de loi créant le PACS.

Estimant en revanche qu'il était justifié d'attacher les mêmes conséquences juridiques à la situation de fait que constituait la vie commune de couples homosexuels et hétérosexuels , elle a décidé, pour aller à l'encontre de la jurisprudence de la Cour de cassation, de constater dans la loi l'existence du concubinage tant hétérosexuel qu'homosexuel ( article additionnel avant l'article premier ).

Elle a donc introduit dans le code civil un nouveau titre relatif au concubinage comprenant trois articles tendant respectivement à :

- définir le concubinage comme " le fait pour deux personnes de vivre en couple sans être unies par les liens du mariage " ;

- définir le régime de la preuve en conférant une valeur de présomption légale à des actes de notoriété délivrés de manière facultative par les officiers d'état civil, les juges ou les notaires, mais en permettant comme actuellement de la rapporter par tout autre moyen ;

- préciser que les concubins peuvent passer un contrat pour régler tout ou partie de leurs relations pécuniaires et patrimoniales et organiser leur vie commune, de manière à lever l'hypothèque de l'annulation d'un contrat entre concubins pour cause illicite.

Elle a enfin adopté des mesures fiscales et successorales de nature à favoriser les liens de solidarité et la liberté testamentaire.

Concernant l' impôt sur le revenu elle s'est déclarée défavorable à l'imposition commune en dehors du mariage, estimant qu'il convenait d'encourager celui-ci en réservant aux époux le bénéfice du quotient conjugal non plafonné.

Dans une optique de solidarité, elle a préféré ouvrir la possibilité d' abattements d'un montant égal à celui accordé pour le rattachement d'un enfant majeur à charge (20 370 F actuellement) au titre :

- d' une personne à charge , qui peut être le concubin, vivant sous le toit du contribuable et bénéficiant de faibles revenus, les enfants à charge de cette personne ouvrant droit à l'application du quotient familial pour le contribuable ( art. 2 ) ;

- des aides versées à tout collatéral jusqu'au troisième degré (frères et soeurs, oncles et tantes, neveux et nièces) isolés et bénéficiant de faibles revenus ( article additionnel après l'article 2 ) ;

En matière successorale , elle a voulu favoriser la liberté de tester :

- elle a institué " le legs électif " permettant à tout personne de léguer à une personne de son choix (une seule) une somme de 300 000 F en franchise totale de droit, sans toutefois porter atteinte aux règles de la réserve successorale ( art. 3) ;

- elle a amélioré la situation successorale des frères et soeurs ayant vécu avec le défunt en portant de 100 000 F à 150 000 F l'abattement auquel ils ont droit et en supprimant les conditions restrictives actuellement posées pour ne garder qu'une obligation de cohabitation d'un an ( article additionnel après l'article 3 ) ;

- elle a relevé de 500 000 F à 1 million de francs le seuil de la valeur de l' habitation principale achetée par deux personnes en tontine permettant de bénéficier des droits de mutation à titre onéreux et a permis l'application de ces droits, quelle que soit la valeur de l'habitation, pour la part de sa valeur inférieure au seuil ( article additionnel après l'article 4) .

En conséquence des votes intervenus, elle a proposé d'intituler le texte : " proposition de loi relative au mariage, au concubinage et aux liens de solidarité ".

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi en première lecture de la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité, adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture le 9 décembre dernier, après des débats passionnés.

Ce pacte, dont l'appellation évoque plus le droit international que le droit civil, se propose d'offrir un nouveau cadre juridique " aux personnes qui ne veulent pas ou ne peuvent pas se marier ", selon l'expression employée de manière récurrente lors des débats à l'Assemblée nationale. Il s'adresserait ainsi de manière indifférenciée aux couples composés de personnes de même sexe ou de sexe différent mais également aux personnes qui souhaiteraient organiser leur vie commune en dehors de toute relation charnelle.

Force est de constater que les unions de fait hors mariage se sont beaucoup développées dans les vingt dernières années. Un sixième des couples vit en effet en union libre et donne naissance à 40% des enfants.

Par ailleurs, les drames personnels générés par l'épidémie de SIDA ont montré qu'il convenait non seulement d'éliminer les discriminations dont avaient souffert les homosexuels mais également de leur garantir des droits sociaux au quotidien.

Enfin, dans un monde où la précarité a gagné du terrain, il semble souhaitable de développer de nouvelles formes de solidarité dans le milieu familial ou en dehors de celui-ci.

D'après les promoteurs de ce texte, il serait " attendu impatiemment " par cinq millions de personnes. Il apparaît en fait que cette impatience est surtout perceptible au sein d'une partie de la communauté homosexuelle dont la revendication de reconnaissance a été relayée depuis 1990 par des initiatives parlementaires.

Or, l'insertion d'une nouvelle forme d'union dans le livre 1 er du code civil relatif aux personnes ne va pas sans poser d'importantes questions de principe.

A l'heure où le mariage connaît un relatif déclin, y a-t-il place pour une nouvelle institution située à mi-chemin entre le mariage et l'union libre, au risque de porter atteinte au premier et de rejeter la seconde dans le non-droit d'où elle commence à émerger ?

Faut-il instituer le couple comme entité génératrice de droits, au détriment relatif des personnes seules et de la famille alors que le dixième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 impose à la Nation d'assurer " à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement " ?

Peut-on légiférer sur le couple indépendamment des enfants qui peuvent en être issus et associer dans un même statut des couples qui ont vocation à procréer et des couples homosexuels qui ne le peuvent pas, sans conséquences à venir sur la définition de la parentalité ?

Et enfin était-il opportun de légiférer sur le couple au moment où une réforme d'ensemble du droit de la famille est en cours dans le cadre des travaux de la commission installée au mois d'août dernier à la chancellerie sous la présidence de Mme Dekeuwer-Defossez ?

Votre commission des Lois a essayé de répondre sans parti pris et de manière dépassionnée à ces questions. Pour éclairer sa réflexion, elle a souhaité entendre tous les courants de pensée de la société civile dans sa journée d'auditions publiques du 27 janvier dernier et elle a procédé, le 9 mars dernier, à des auditions des ministres concernés et de représentants des professions juridiques 1( * ) .

Elle a souhaité promouvoir des solutions permettant de régler les situations concrètes dans un cadre de solidarité, sans porter atteinte à la conception traditionnelle du mariage et de la famille et en évitant de créer de nouvelles discriminations relatives à l'encontre des personnes qui vivent seules ou en union libre.

Elle vous exposera ses propositions après avoir procédé à l'analyse du contexte juridique et sociologique dans lequel s'inscrit l'examen de cette proposition et avoir rappelé les travaux menés par l'Assemblée nationale.

I. LE CONTEXTE SOCIOLOGIQUE ET JURIDIQUE DANS LEQUEL S'INSCRIT L'EXAMEN DU TEXTE

A. LES DONNÉES SOCIOLOGIQUES

1. La multiplication des unions de fait

Le concubinage hétérosexuel devient un fait de société impossible à ignorer. Depuis les vingt dernières années, le nombre de couples non mariés a constamment augmenté pour atteindre la proportion d'un couple sur six .

D'après la dernière enquête de l'INSEE publiée en janvier 1999, le nombre de couples non mariés s'élève en 1998 à 2,4 millions, le nombre de couples mariés se stabilisant quand à lui autour de 12,3 millions . Le mariage demeure donc la référence, nombre de couples non mariés étant destinés à se marier ou à se remarier.

La signification et les motivations du concubinage ont évolué. A côté des personnes qui, traditionnellement, réfutaient l'institution du mariage et vivaient en union libre par idéal pour garder un caractère privé à leur engagement, sont apparus dans les années 70 des jeunes couples cohabitant en prélude au mariage. Dans les années 1980, cette cohabitation s'est installée dans la durée sans pour autant exprimer un refus explicite et définitif du mariage. Hésitent pour leur part à se remarier des personnes divorcées, découragées par un divorce difficile ou qu'un remariage priverait du bénéfice d'une pension alimentaire ou d'une pension de réversion.

Les couples de concubins sont en majorité jeunes. Ils sont plus nombreux que les personnes mariées jusqu'à l'âge de 26 ans pour les femmes et de 28 ans pour les hommes. Plus de 90% des mariages sont précédés par une période de cohabitation. Mais celle-ci tend à s'allonger : 16% des unions commencées en 1980 se poursuivent sans mariage au bout de dix ans, contre 4% de celles commencées en 1970. Les unions hors mariage sont néanmoins moins stables que le mariage, 50% d'entre elles étant rompues au bout de dix ans contre 30% des mariages .

Plus d'un million de couples non mariés vivent avec un ou plusieurs enfants. La naissance d'un enfant n'entraîne plus nécessairement le mariage. Marginale dans les deux premiers tiers du siècle, la part des naissances hors mariage ne cesse en effet d'augmenter depuis une trentaine d'année avec une très nette accélération au début des années 80. De 6% en 1967 elle s'élevait à 39% en 1996 , concernant plus de la moitié des premières naissances , 29% des secondes et seulement 20% des suivantes . Trois enfants nés hors mariage sur quatre en 1996 ont été reconnus par leur père dès la naissance. Il ne fait aucun doute que la réforme de la filiation ayant aligné en 1972 le statut des enfants naturels conçus hors mariage sur celui des enfants légitimes explique en grande partie l'évolution des comportements, le mariage n'étant plus impératif pour éviter à un enfant de naître privé de droits.

Parallèlement, le nombre de mariages qui avait atteint son maximum en 1972 (416 500) a notablement diminué, s'établissant à 254 000 en 1994, remariages compris. En 1996, a été enregistrée une augmentation brusque de 10% , du nombre des mariages, accompagnée d'une hausse importante du nombre d'enfants légitimés (112 000). Ce sursaut a sans aucun doute résulté du vote dans le projet de loi de finances pour 1996 de l'amendement présenté par M. Charles de Courson supprimant la demi-part supplémentaire pour enfant à charge dont les couples de concubins bénéficiaient pour le calcul de leur impôt sur le revenu. Il apparaît, là encore, que la législation peut avoir une incidence certaine sur les comportements privés. En 1997 , le nombre des mariages est évalué à 285 000, en augmentation de 1% par rapport à 1996.

Contrairement à ce qui est parfois indiqué, il n'y a donc pas de fatalité du déclin de l'institution du mariage et le législateur peut jouer un rôle important pour le faire évoluer, pour le conforter ou le fragiliser.

2. Une évolution des modes de vie homosexuels

Il ressort d'après diverses enquêtes menées en France ou à l'étranger que 4% des hommes (et 2 à 3% des femmes) auraient eu des rapports sexuels avec un partenaire du même sexe au cours de leur vie et 1% au cours d'une année donnée. Les renseignements statistiques fiables sur les comportements de la communauté homosexuelle française résultent principalement d'une analyse publiée en 1992 sur le comportement sexuel des français. Des données plus parcellaires issues d'enquêtes menées par la presse gay permettent de se faire néanmoins une idée de l'évolution du mode de vie des homosexuels.

Il apparaît que les relations stables resteraient plus rares chez les homosexuels que chez les hétérosexuels et qu'elles ne présenteraient que plus rarement un caractère exclusif, les modes de vie homosexuels conduisant fréquemment au multipartenariat. De plus, les relations stables ne se traduiraient par une cohabitation que dans la moitié des cas contre plus de 90 % des cas pour les hétérosexuels.

Il semble cependant qu'une nette évolution se soit dessinée depuis 1985 conduisant à une valorisation de la vie de couple stable. Cette transformation, liée notamment à la prise de conscience de l'ampleur de l'épidémie du SIDA, a entraîné concomitamment une revendication de reconnaissance d'un statut du couple homosexuel. Les drames résultant de la mort de partenaires jeunes ont montré que le survivant bénéficiait d'une protection juridique insuffisante, étant considéré comme un étranger par rapport au défunt, notamment en matière de droit au bail ou de droit des successions. Les survivants, après avoir été parfois privés du droit de soigner leur compagnon dans ses derniers instants, ont pu se voir obligés de quitter le logement commun et être dépouillés de biens acquis lors de la vie de couple, par des familles ayant parfois coupé tous les liens avec le défunt du fait de leur refus de son homosexualité.

B. LES ÉVOLUTIONS JURIDIQUES2( * )

1. L'élimination des discriminations à l'égard des personnes homosexuelles

La demande de reconnaissance sociale du couple homosexuel s'est affirmée au terme d'une évolution juridique qui, dans les années 80, a permis d'éliminer les discriminations légales fondées sur l'orientation sexuelle des individus.

La loi n° 82-683 du 4 août 1982 a fait disparaître du code pénal la dernière disposition réprimant spécifiquement l'homosexualité. Elle a en effet abrogé le deuxième alinéa de l'article 331 de l'ancien code pénal qui réprimait les attentats à la pudeur sans violence sur mineur du même sexe alors que la majorité sexuelle pour les relations hétérosexuelles était fixée à quinze ans.

Considérée comme un crime sous l'ancien régime, l'homosexualité avait pourtant été dépénalisée par la révolution française, même si, dans les faits, les homosexuels étaient au 19 ème siècle indirectement sanctionnés sous le chef d'outrage public à la pudeur ou d'attentat à la pudeur sur mineur. A partir de 1942, avaient été successivement insérées dans le code pénal des dispositions réprimant spécifiquement l'homosexualité (majorité sexuelle plus élevée, circonstance aggravante de l'outrage public à la pudeur, incrimination des relations entre mineurs).

En matière de logement, la loi Quilliot du 22 juin 1982 a substitué à l'obligation de « jouir des locaux en bon père de famille » celle d'en jouir paisiblement. L'homosexualité cessait ainsi d'être une cause d'annulation d'un bail. S'agissant de la fonction publique, la loi du 13 juillet 1983, a supprimé les notions de « bonne moralité » et de « bonne moeurs » du statut général des fonctionnaires.

Parallèlement, en 1981, le Gouvernement retirait l'approbation française à l'article 302 de la classification de l'organisation mondiale de la santé faisant entrer, depuis le début des années 60, l'homosexualité dans la catégorie des pathologies.

Les homosexuels se sont ensuite vu reconnaître légalement le droit de ne pas subir de discriminations en raison de leurs moeurs.

La loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 a complété le code pénal en prévoyant des dispositions, reprises à l'article 225-1 du nouveau code pénal, sanctionnant les discriminations liées aux moeurs.

La loi n° 86-76 du 17 janvier 1986 a introduit dans l'article L. 122-35 du code du travail une disposition précisant que le règlement intérieur ne peut léser les salariés en raison de leurs moeurs et la loi n° 90-602 du 12 juillet 1990 a modifié l'article L. 122-45 du même code pour protéger le salarié d'une sanction ou d'un licenciement opéré en raison de ses moeurs. Cet article vise aujourd'hui également les refus de recrutement.

Mais au-delà du respect de leur comportement individuel, les homosexuels revendiquent la reconnaissance sociale de leur couple, ce qui a pu faire dire que sortis du code pénal, ils aspiraient à rentrer dans le code civil.

2. Une prise en compte juridique du concubinage

" Les concubins se passent de la loi, la loi se désintéresse d'eux ". Ce mot de Bonaparte explique l'indifférence du code civil de 1804 à l'égard du concubinage, laquelle s'est poursuivie pendant tout le 19 ème siècle. Aujourd'hui encore, le mot lui-même n'apparaît que quatre fois dans le code civil 3( * ) et aucune définition légale n'en est donnée.

Défini étymologiquement par la " communauté de lit ", le concubinage est appréhendé par la jurisprudence en fonction de divers critères se combinant différemment en fonction des cas d'espèces : communauté de toit, stabilité et durée des relations, communauté d'intérêt. La " communauté de toit " se révèle être l'élément central du concubinage, mais il arrive que les juges ne l'imposent pas, à l'exemple de l'article 340-4 du code civil qui, en matière d'action en recherche de paternité, n'exige pas de communauté de vie mais des " relations stables ou continues ". La loi vise souvent le caractère notoire du concubinage ou, expression couramment utilisée, de " la vie maritale " pour éviter les atteintes excessives à la vie privée.

a) Une prise en compte légale

Des dispositions législatives, intervenues principalement dans le domaine social, attachent maintenant des effets juridiques au concubinage . On peut, sans être exhaustif, en citer quelques unes 4( * ) :

- En matière de logement, l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989 , permet à un concubin notoire depuis un an de bénéficier de la continuation ou du transfert du bail en cas d'abandon du logement ou de décès du preneur ;

- l'article L. 161-14 du code de la sécurité sociale permet au concubin notoire d'être ayant droit d'un assuré au titre des prestations en nature de l'assurance maladie et l'article L. 361-4 du même code lui permet de bénéficier du capital décès ;

- En matière civile, l'exercice commun de l'autorité parentale a été reconnu aux concubins sous les conditions posées à l'article 372 du code civil . L'assistance médicale à la procréation, au contraire de l'adoption, leur a été ouverte ( art. L. 152-2 du code de la santé publique ).

- le droit pénal reconnaît au concubin notoire une immunité pour non dénonciation d'infractions impliquant l'autre concubin ( articles 434-1, 434-6 et 434-11 du code pénal ou, en matière d'aide au séjour irrégulier d'un étranger, article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ) ; en revanche le concubinage avec la victime est une circonstance aggravante de plusieurs infractions ( art. 222-3, 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13 du code pénal ) ;

- en matière de procédure civile, un décret du 28 décembre dernier a autorisé le concubin à représenter les parties devant le tribunal d'instance et devant le juge de l'exécution ( art. 828 du nouveau code de procédure civile et art. 12 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 ).

- en matière fiscale, le concubin peut bénéficier de la déduction des frais de transport ( art. 83, 3° du code général des impôts et avis du Conseil d'Etat du 10 décembre 1993) ;

En matière sociale, le montant de diverses prestations est augmenté du fait de la présence d'un concubin au foyer. Mais en revanche, les ressources du concubin sont prises en compte pour la détermination des ressources ouvrant droit aux allocations et les concubins ne peuvent cumuler le montant de deux allocations. Ainsi ne percevront-ils que 1,5 fois le montant du RMI et non 2 fois ce montant ( art. premier du décret n° 88-1111 du 12 décembre 1988 ).

Le concubinage peut également jouer au détriment des concubins :

- en matière civile, dans le cadre d'un divorce prononcé pour rupture de la vie commune, il entraîne ainsi la fin du versement de la pension alimentaire ( art. 283 du code civil ) ainsi que du bail forcé du logement appartenant à l'ex conjoint ( art. 285-1 ) ;

- en matière sociale, il peut entraîner la suppression de certaines allocations telles l'allocation veuvage ( art. L. 356-3 du code de la sécurité sociale ), l'allocation de soutien familial ( art. L. 523-2 ) et de l'allocation de parent isolé ( art. R 524-1 ). Le versement de la pension de réversion des fonctionnaires et des militaires est suspendu en cas de concubinage notoire, contrairement à la pension de réversion des salariés qui ne l'est qu'en cas de remariage ( art. L. 46 du code des pensions civiles et militaires de retraite ).

- en matière fiscale, les concubins font l'objet d'une imposition commune à l'impôt sur la fortune ( art. 885 E du code général des impôts ) et pour l'impôt sur le revenu, ils ne peuvent bénéficier de la demi-part supplémentaire accordée aux personnes qui élèvent seules un enfant ( art. 194, II du code général des impôts ).

b) une construction jurisprudentielle

La liberté est l'essence même du concubinage. Les concubins ne sont pas astreints aux obligations du mariage et peuvent en principe rompre à tout moment la relation. Leurs biens ne sont soumis à aucun régime légal et, sauf dispositions particulières, leurs patrimoines restent séparés. La jurisprudence a cependant élaboré une construction juridique du concubinage permettant d'atténuer les effets de cette liberté et de cette indépendance des patrimoines, principalement en cas de cessation du concubinage .

Elle a ainsi eu recours à la théorie de la société de fait ou de l'enrichissement sans cause pour permettre respectivement le partage de biens à l'exploitation desquels un concubin aurait participé ou l'indemnisation d'un concubin qui aurait permis leur valorisation. Elle a également admis l'existence d'une obligation naturelle permettant de rendre effectif l'engagement pris par un concubin après la rupture de subvenir aux besoins de son compagnon. Vis-à-vis des créanciers, elle utilise la théorie de l'apparence pour établir une solidarité pour dettes entre concubins qui se seraient présentés comme des époux. Elle accepte de mettre en jeu la responsabilité délictuelle d'un concubin en cas de rupture fautive. Depuis 1970, la Cour de cassation admet l'indemnisation d'un concubin en cas de décès accidentel de son compagnon.

3. Le refus de reconnaissance du concubinage homosexuel

La Cour de cassation a refusé d'accorder aux couples homosexuels les droits reconnus par la loi aux concubins hétérosexuels.

Dans deux décisions du 11 juillet 1989 rendues en matière sociale, la Cour de cassation a en effet considéré que les couples homosexuels ne pouvaient bénéficier des avantages reconnus aux concubins par des textes faisant référence à la notion de vie maritale, à travers laquelle elle a considéré que le législateur avait entendu viser la « situation de fait consistant dans la vie commune de deux personnes ayant décidé de vivre comme des époux sans pour autant s'unir par le mariage, ce qui ne peut concerner qu'un couple formé d'un homme et d'une femme ». Cette jurisprudence a été confirmée le 17 décembre 1997 en matière de droit au bail, contre l'avis de l'avocat général, M. Weber.

Les homosexuels se sont ainsi vu refuser l'accès à des droits que l'épidémie de SIDA avait mis au premier rang des préoccupations de leur communauté : transfert du droit au bail en vertu de l'article 14 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, affiliation à la sécurité sociale en tant qu'ayant droit de leur compagnon en application de l'article L. 161-14 du code de la sécurité sociale.

Allant ponctuellement à l'encontre de cette jurisprudence, la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d'ordre social a modifié l'article L. 161-14 du code de la sécurité sociale pour accorder au concubin homosexuel de l'assuré la qualité d'ayant droit pour l'assurance maladie en tant que personne à charge, un délai de cohabitation (fixé par décret à un an), non imposé aux concubins hétérosexuels, étant cependant exigé.

Une deuxième disposition tendant au transfert du droit au bail, en cas de décès du preneur, à toute personne vivant depuis un an avec lui figurait dans la même loi mais a été annulée comme cavalier par le Conseil constitutionnel.

Hormis l'assurance maladie au bout d'un an, les couples homosexuels ne bénéficient actuellement d'aucun droit découlant de leur vie commune .

Cette situation présente parfois un côté positif, les couples homosexuels ne risquant pas de perdre des avantages dont les textes prévoient le retrait en cas de concubinage (minima sociaux, pensions alimentaires, pension de réversion).

En matière de responsabilité, le tribunal de grande instance de Belfort a néanmoins accepté en 1995 de reconnaître pour la première fois le droit à indemnisation d'un concubin homosexuel à la suite du décès accidentel de son compagnon.

La jurisprudence restrictive de la Cour de cassation sur le concubinage homosexuel est en phase avec la jurisprudence européenne.

Le traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre 1997, ajoute au traité instituant la Communauté européenne un article 6 A (futur article 13) qui, après l'entrée en vigueur du traité, permettra au Conseil de prendre, à l'unanimité sur proposition de la commission et après consultation du Parlement européen, les mesures nécessaires à l'élimination de toute forme de discrimination, et notamment de celles fondées sur l'orientation sexuelle.

En attendant, la Cour de justice des communautés européennes, par une décision du 17 février 1998, a refusé de considérer comme une discrimination au sens de l'article 119 du Traité le refus à des concubins du même sexe d'une réduction sur le prix des transports accordée à des concubins de sexe opposé, relevant qu'en « l'état actuel du droit au sein de la Communauté, les relations stables entre deux personnes du même sexe ne sont pas assimilées aux relations entre personnes mariées ou aux relations stables hors mariage entre personnes de sexe opposé ».

De son côté la Commission européenne des droits de l'Homme a régulièrement considéré que, en dépit de l'évolution contemporaine des mentalités vis-à-vis de l'homosexualité, des relations homosexuelles durables ne relèvent pas du droit au respect de la vie familiale protégée par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

4. Les difficultés patrimoniales auxquelles se heurtent les couples hors mariage

La principale difficulté à laquelle se heurtent les couples hors mariage, hétérosexuels comme homosexuels, est d'ordre patrimonial et successoral.

Leurs biens n'étant pas soumis à un régime légal, ils peuvent utiliser plusieurs techniques pour se constituer un patrimoine commun . Ils peuvent procéder à des achats en indivision (art. 815 et suivants du code civil) et passer des conventions d'indivision (art. 1873-1 et suivants du code civil). Ils peuvent procéder à des achats en tontine en vertu desquels les biens reviennent en totalité au dernier vivant. Plus rarement, ils procèdent à des achats croisés entre la nue propriété et l'usufruit. Ils peuvent enfin constituer des sociétés civiles ou à responsabilité limitée.

Mais la transmission de ce patrimoine se heurte aux règles successorales civiles et fiscales qui considèrent les concubins comme des étrangers l'un à l'égard de l'autre . En conséquence, en l'absence de testament, ils n'héritent pas l'un de l'autre. En cas de dispositions testamentaires, leurs droits sont limités par la réserve légale. Ils ne peuvent donc pas, contrairement à l'époux survivant, recueillir plus que la quotité disponible définie aux articles 913 et 914 du code civil. De plus, sur la part dont ils héritent, les droits de mutation sont extrêmement élevés : ils ne bénéficient que d'un abattement de 10 000 F (contre 400 000 F en 1999 pour les conjoints) et le taux applicable est de 60% (contre 5% à 40% pour les conjoints).

L'adage selon lequel il faut " vivre en union libre mais mourir marié " prend ici tous son sens, surtout si l'on considère que les concubins, contrairement aux époux, ne touchent pas de pension de réversion, sauf au titre de certains régimes complémentaires de retraite. Mais la solution du mariage n'est ouverte qu'aux concubins hétérosexuels.

Les concubins souhaitent souvent avant tout pouvoir laisser le logement commun au survivant . La souscription d'une assurance-vie permet au bénéficiaire de toucher en franchise de droit un capital échappant en grande partie à la succession du prédécédé et pouvant être utilisé pour payer les droits de succession. Peuvent également être effectués des legs en usufruit qui permettent au légataire de conserver la jouissance d'un bien en acquittant des droits moindres.

La tontine a longtemps eu la faveur des concubins. Elle permet d'acquérir des biens considérés comme n'ayant jamais appartenu au défunt et ne rentrant donc pas dans sa succession. Le survivant ne rentre donc pas en concurrence avec les éventuels héritiers légaux. Jusqu'en 1980, la transmission des biens achetés sous cette clause bénéficiait d'un régime fiscal très avantageux puisque seuls étaient perçus les droits de mutation à titre onéreux. Depuis, ce régime favorable est limité à l'habitation principale de deux personnes ne dépassant pas une valeur de 500 000 F (art. 594 A du code général des impôts), ce qui a considérablement diminué l'intérêt de la tontine.

Concernant les droits extrapatrimoniaux, en cas de maladie ou de décès d'un concubin et en l'absence de volonté exprimée par lui, son compagnon peut se voir exclu par la famille des choix thérapeutiques ou de l'organisation des funérailles, ce qui a été mis cruellement en lumière par l'épidémie de SIDA.

5. Les transformations de la parentalité hors mariage

Les règles et les conditions d'exercice de la fonction parentale hors mariage se sont beaucoup modifiées ces dernières années, se rapprochant de celles attachées au mariage. Par ailleurs, si, individuellement, un homosexuel peut être parent, les couples homosexuels n'accèdent pas conjointement à cette possibilité.

L'accueil de l'enfant est l'élément central du mariage. La présomption de paternité énoncée à l'article 312 du code civil a souvent été considérée comme le coeur même de cette institution. En se mariant les époux souscrivent à l'obligation de nourrir, entretenir et éduquer leurs enfants ( art. 203 du code civil ) et de pourvoir à l'éducation et à l'avenir des enfants ( art. 213 du code civil ). Les parents mariés exercent en commun l'autorité parentale ( art. 372 du code civil ).

Il n'y a pas de présomption de paternité résultant du concubinage. Cependant celui-ci est admis par la jurisprudence comme une présomption ou indice grave exigé par l'article 340 du code civil pour admettre une demande de recherche en paternité. Le délai de l'action est d'ailleurs repoussé deux ans après la cessation d'un état de concubinage ayant impliqué, à défaut de communauté de vie, des relations stables ou continues ( art. 340-4 du code civil ).

Depuis la loi du 3 janvier 1972 sur la filiation et celle du 8 janvier 1993 qui a modifié les règles de l'autorité parentale, les relations des parents légitimes et naturels avec leurs enfants se sont beaucoup rapprochées.

L'autorité parentale commune peut ainsi être exercée en commun par les parents d'un enfant naturel si la reconnaissance intervient avant l'âge d'un an et que les parents vivent en commun au moment de cette reconnaissance ( art. 372 du code civil ). Le juge aux affaires familiales délivre un acte justifiant de cette communauté de vie ( art. 372-1 du code civil ).

En cas de séparation d'un couple marié, le juge fixe les conséquences du divorce pour les enfants concernant l'autorité parentale, qui en principe reste exercée en commun, la résidence habituelle de l'enfant, les droits de visite et d'hébergement et la pension alimentaire qui devra être versée pour lui ( art. 286 à 295 du code civil ). Le juge n'intervient pas en principe en cas de rupture du concubinage. Mais il peut, comme en cas de mariage, être saisi par les parents en cas de désaccord sur l'exercice de l'autorité parentale ( art. 372-1-1 du code civil ).

L'homosexualité ne prive pas en tant que telle de l'exercice des droits parentaux sur des enfants légitimes ou naturels. Certes, le concubinage homosexuel d'un parent a pu être cause du retrait de l'autorité parentale, d'un refus par le juge de fixer la résidence de l'enfant chez ledit parent ou même de lui autoriser un droit de visite. Mais la jurisprudence se détermine dans chaque cas d'espèce en fonction de l'intérêt de l'enfant. Il ressort de l'analyse des décisions récentes que les juges sont de moins en moins réticents à fixer la résidence d'un enfant chez le parent homosexuel.

L'adoption plénière est réservée par l'article 343 du code civil aux époux mariés depuis plus de deux ans ou âgés l'un et l'autre de plus de vingt-huit ans. L'adoption conjointe n'est donc pas possible à un couple de concubins, hétérosexuels comme homosexuels. Un des deux concubins pourra cependant adopter seul un enfant, en tant que célibataire de plus de vingt-huit ans en application de l'article 343-1 du code civil . Rien n'interdit donc à un homosexuel de demander légalement à adopter un enfant. La pratique administrative, validée par un arrêt du Conseil d'Etat en date du 9 octobre 1996, refuse cependant en général aux homosexuels l'agrément exigé par l'article 63 du code de la famille et de l'aide sociale, au motif que ces personnes ne présentent pas toutes les " garanties suffisantes sur les plans psychologique, familial et éducatif pour accueillir un enfant ".

L'adoption simple de l'enfant du partenaire homosexuel avec l'autorisation des parents légitimes ou naturels a pu être obtenue. Mais cette procédure entraîne la perte de l'autorité parentale du partenaire consentant à l'adoption au profit de l'adoptant.

La procréation médicalement assistée est réservée par l'article L. 152-2 du code de la santé publique à un homme et une femme mariés ou en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans.

C. LA GENESE DU PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ (PACS)

1. Une revendication de la communauté homosexuelle relayée par des initiatives parlementaires

Au début des années 1990, a pris corps au sein de la communauté homosexuelle la revendication d'un statut unifiant pour l'ensemble des couples non mariés, que les partenaires soient de même sexe ou de sexe différent, ou même pour des personnes ayant un projet de vie en commun en dehors de tout lien charnel.

Une première proposition de loi tendant à instituer un contrat de partenariat civil est déposée au Sénat dès cette époque par M. Jean-Luc Mélenchon. Sous l'impulsion du collectif pour le contrat d'union civile, animé par MM. Jan-Paul Pouliquen et Gérard Bach Ignasse, de nombreuses autres propositions relayées par des parlementaires de gauche vont voir le jour à partir de 1992, sous les appellations successives de contrat d'union civile, de contrat d'union sociale ou de contrat d'union civile et sociale. Elles prévoyaient toutes l'enregistrement des unions devant l'officier d'état civil, définissaient en se référant au mariage les devoirs et le régime des biens des cocontractants et leur attribuaient des droits directement calqués sur le mariage en matière de logement, de sécurité sociale, d'impôt sur le revenu et de succession. En 1996, la Lesbian and Gay pride a réuni plusieurs dizaines de milliers de personnes autour de la revendication du contrat d'union sociale.

Parallèlement, les parlementaires communistes des deux assemblées proposaient de reconnaître aux couples en union de fait les droits des couples mariés.

Des associations telles AIDES ou ACT-UP que votre commission a entendues soutiennent ces projets de statut. Elles réclament, en outre, à terme l'élimination de toute différence entre les couples homosexuels et hétérosexuels par l'ouverture pure et simple du mariage et du concubinage aux homosexuels . Elles revendiquent également le droit pour les couples homosexuels d'être parents et d'élever leurs enfants.

Allant dans ce sens, le Parlement européen a adopté, le 8 février 1994, une résolution sur l'égalité des droits des homosexuels et des lesbiennes dans la Communauté européenne invitant la Commission des communautés européennes à présenter un projet de recommandation devant chercher, notamment à mettre un terme à :

« - l'interdiction faite aux couples homosexuels de se marier ou de bénéficier de dispositions juridiques équivalentes : la recommandation devrait garantir l'ensemble des droits et des avantages du mariage, ainsi qu'autoriser l'enregistrement de partenariats,

« - toute restriction au droit des lesbiennes et des homosexuels d'être parents ou bien d'adopter ou d'élever des enfants. »


A l'inverse, il apparaît que nombre d'homosexuels réfutent tout statut, se refusant à officialiser leur vie privée.

Propositions de loi parlementaires
ayant précédé le PACS

Date

Sénat

Assemblée nationale

 

IXème législature

10 mai 1989

 

Relative à l' union de fait [ M. Favien Thième et plusieurs de ses collègues, n° 669 ]

25 juin 1990

Tendant à créer un contrat de partenariat civil [ M. Jean-Luc Mélenchon et plusieurs de ses collègues, n° 422 (89-90)]

 

17 juillet 1992

Tendant à créer un contrat de partenariat civil [ M. Jean-Luc Mélenchon et plusieurs de ses collègues, n° 503 (91-92)]

 

25 novembre 1992

 

Tendant à créer un contrat d'union civile
[ MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Pierre Michel et six de leurs collègues, n° 3066 ]

 

Xème législature

21 décembre 1993

 

Tendant à créer un contrat d'union civile
[ MM. Jean-Pierre Michel, Jean-Pierre Chevènement et Georges Sarre , n° 880 ]

23 janvier 1997

 

Relative au contrat d'union sociale
[ M. Laurent Fabius et les membres du groupe socialiste et apparentés, n° 3315 ]

19 mars 1997

Relative au contrat d'union sociale
[ MM. Claude Estier, Franck Sérusclat et les membres du groupe socialiste et apparentés, n° 274 (96-97)]

 
 

XIème législature

23 juillet 1997

 

Visant à créer un contrat d'union civile et sociale [ M. Jean-Pierre Michel et plusieurs de ses collègues, n° 88 ]

23 juillet 1997

 

Relative au contrat d'union sociale
[ M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste et apparentés, n° 94 ]

30 septembre 1997

 

Relative aux droits des couples non mariés
[ M. Georges Hage et les membres du groupe communiste et apparentés, n° 249 ]

1 er décembre 1997

Relative aux droits des couples non mariés
[ Mme Nicole Borvo et plusieurs de ses collègues, n° 138 (97-98)]

 

2. Des solutions alternatives

Deux rapports, remis à la Chancellerie au printemps 1998, respectivement par M. Jean Hauser et par Mme Irène Théry, ont proposé des solutions alternatives pour régler les questions de vie commune hors mariage.

Le groupe " Mission de recherche droit et justice ", présidé par M. Jean Hauser , professeur de droit, a adopté, pour régler les problèmes de la vie en commun hors mariage, une approche purement patrimoniale , à travers le projet de pacte d'intérêt commun (PIC). Inséré dans le livre III du code civil, entre les dispositions relatives à la société et celles relatives à l'indivision, ce pacte permettrait la mise en commun de biens par deux personnes souhaitant organiser leur vie commune, sans considération de leur sexe ou du type de relation existant entre elles, qu'elles soient familiales, amicales ou de couple.

Le PIC était un acte sous seing privé mais il était néanmoins proposé que puissent en découler, éventuellement, sous condition de durée du pacte, de nombreuses conséquences civiles, sociales et fiscales liées à la présomption de communauté de vie qu'il impliquait.

Cette approche avait donc pour ambition " d'éliminer la charge idéologique de la question " en éludant la question de la reconnaissance du couple homosexuel.

Le rapport de Mme Irène Théry , sociologue, élaboré à la demande conjointe de Mme Martine Aubry, ministre des affaires sociales et de Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, intitulé " couple, filiation et parenté aujourd'hui " et portant sur l'ensemble du droit de la famille, a choisi une approche fondée sur la reconnaissance du concubinage homosexuel accompagnée de l'extension des droits sociaux reconnus à l'ensemble des concubins . Appréhendant le concubinage comme une situation de fait génératrice de droits résultant de la communauté de vie, il a proposé d'inscrire dans le code civil que le " concubinage se constate par la possession d'état de couple naturel, que les concubins soient ou non de sexe différent ".

3. Les exemples étrangers

La réflexion en France s'inscrit dans un contexte international en évolution dont il est impossible de faire abstraction.

De nombreux pays étrangers ont déjà adopté des législations accordant un statut juridique aux seuls couples homosexuels, à l'ensemble des couples non mariés ou à toute personne cohabitant sous le même toit. La question fait également l'objet de débats dans plusieurs pays voisins qui n'ont pas encore adopté de législation 5( * ) .

Les pays nordiques ont adopté des législations réservées aux partenaires de même sexe . Le Danemark fut le premier pays en 1989 à adopter une loi permettant à deux personnes du même sexe de faire enregistrer leur union. La Norvège a adopté une législation comparable en 1993, la Suède en juin 1994, et l'Islande en juin 1996. Toutes ces lois posent le principe de l'identité des droits et devoirs résultant de l'union enregistrée et du mariage , à l'exception de l'adoption conjointe et de la procréation médicalement assistée qui restent refusées aux partenaires. En Islande et en Norvège toutefois, deux partenaires peuvent bénéficier de l'autorité parentale conjointe sur un enfant. Il s'agit donc d'un statut spécifique aux homosexuels distinct du mariage.

Le partenariat enregistré, entré en vigueur le 1 er janvier 1998 au Pays-Bas , s'adresse aux couples homosexuels comme aux couples hétérosexuels . Le principe de l'identité du partenariat enregistré et du mariage n'est pas posé dans la loi mais en pratique, après modification d'une centaine de lois existantes, le régime du partenariat se trouve être très proche celui du mariage, l'exception principale concernant les relations avec les enfants. Le partenariat n'a en effet pas de conséquence sur le statut des enfants qui en sont le fruit et l'adoption conjointe par un couple homosexuel n'est pas possible. Toutefois, depuis le 1 er janvier 1998, un partenaire, sans distinction de moeurs, peut se voir attribuer par le juge une autorité sur l'enfant , qualifiée, non pas de parentale, mais de « commune ». Les autorités néerlandaises ont dénombré 3 700 partenariats enregistrés entre le 1 er janvier et le 30 septembre 1998, dont 70% entre partenaires du même sexe. La situation aux Pays-Bas pourrait évoluer, la coalition au pouvoir s'étant engagée à présenter avant la fin 1999 un projet de loi ouvrant le mariage aux homosexuels .

En Belgique , la loi sur la cohabitation légale a été publiée au moniteur belge du 12 janvier dernier. Elle s'adresse à deux personnes qui, même si elles ne forment pas un couple, désirent établir entre elles une communauté de vie. L'enregistrement par l'officier d'état civil d'une déclaration officielle de cohabitation leur permet de bénéficier d'une protection juridique minimale, les modalités de la cohabitation pouvant être réglées par convention notariée.

En 1997, des propositions de loi tendant à reconnaître les unions de fait, homosexuelles ou hétérosexuelles, ont été débattues et repoussées par le Parlement en Espagne et au Portugal . De nouvelles propositions de loi ont été présentées. La communauté autonome de Catalogne accorde depuis juin 1998 aux couples stables, hétérosexuels ou homosexuels, un statut comparable à celui des couples mariés dans les domaines qui relèvent de sa compétence.

Des projets concernant les seuls couples homosexuels sont en cours d'élaboration en Allemagne et en Finlande .

Aux Etats-Unis où le droit des personnes ne relève pas de la législation fédérale, la situation est très contrastée. Une controverse juridique a commencé à se développer à Hawaï au début des années 1990, après la décision de la Cour suprême de cet Etat du 5 mai 1993 estimant que le refus du mariage civil à un couple d'homosexuels constituait une discrimination. A la suite cette décision, et après de nombreux rebondissements, un amendement à la Constitution de Hawaï a été adopté par référendum le 4 novembre dernier pour réserver le mariage à des personnes de sexe différent.

En réaction de la situation à Hawaï, le président Clinton a signé en septembre 1996 une loi sur la défense du mariage définissant explicitement le mariage comme l'union entre un homme et une femme et permettant à un Etat de ne pas reconnaître la loi d'un autre Etat qui autoriserait les mariages entre homosexuels. Plus de la moitié des Etats ont modifié leur législation en ce sens. Mais à ce jour aucun des Etats de l'Union ne reconnaît le mariage homosexuel et de plus en plus d'initiatives locales sont prises pour dénier aux couples homosexuels les droits des couples hétérosexuels.

En décembre 1997, deux homosexuels ont néanmoins obtenu de l'Etat du New Jersey le droit d'adopter conjointement un enfant et une douzaine d'Etats permettent l'adoption par le partenaire du parent légal. Des municipalités, telles San Francisco en Californie ou Denver dans le Colorado ont institué des formes de partenariat domestique entre personnes du même sexe qui leur garantissent des avantages sociaux et des facilités administratives. De nombreuses grandes entreprises accordent aux couples homosexuels la même protection sociale qu'à leurs autres salariés. LES TRAVaux de l'assemblée nationale LEs conditions du vote de la proposition

4. Un débat initial occulté...

Au printemps 1998, Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des Lois, a souhaité qu'un texte commun puisse être établi à partir des deux propositions de lois déposées le 23 juillet 1997, au début de la 11 ème législature, par M. Jean-Pierre Michel et plusieurs de ses collègues visant à créer un contrat d'union civile et sociale (n° 88) et par M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste relative au contrat d'union sociale (n° 94). MM. Jean-Pierre Michel et Patrick Bloche, nommés respectivement rapporteur de la commission des Lois et de la commission des Affaires sociales sur ces propositions, ont été mandatés à cet effet. Leur travaux, dont le résultat a été rendu public fin mai 1998, ont donné naissance au concept de « pacte civil de solidarité ».

Sur un sujet de société de cette importance et compte tenu des réflexions qu'il avait lui-même initiées, on aurait pu s'attendre au dépôt d'un projet de loi du Gouvernement faisant l'objet de consultations officielles, éventuellement du Conseil économique et social, et en tout état de cause, du Conseil d'Etat. Néanmoins, la voie de l'initiative parlementaire a été choisie, dans des conditions telles que l'impression a été donnée que voulait être évité un véritable débat public sur une question de société intéressant chacun de nos concitoyens.

Alors que pas une audition n'avait été effectuée en commission , les rapporteurs ayant mené seuls leurs travaux, l'examen des propositions de lois n° 88 et 94 auxquelles a été jointe la proposition de loi n° 249 de M. Georges Hage et des membres du groupe communiste relative aux droits des couples non mariés, a été inscrit à l'ordre du jour de la commission des Lois le 23 septembre 1998, avant la reprise de la session parlementaire fixée au 1 er octobre.

La discussion en séance publique n'a pas été inscrite à l'ordre du jour prioritaire, bien que le Premier ministre lui même ait apporté un soutien public au texte. La discussion a ainsi été programmée le vendredi 9 octobre, avant le début de la discussion budgétaire, sur le temps réservé à la « niche parlementaire ».

Il est compréhensible, dans ces conditions, que l'opposition, qui n'avait pas été associée à la réflexion, ait décidé de se mobiliser contre le texte.

Au lieu d'être adopté à la sauvette, comme l'espéraient ses promoteurs, le texte a, compte tenu d'une mobilisation insuffisante des députés de la majorité, été repoussé par l'adoption de l'exception d'irrecevabilité défendue pendant 2 heures 30 à la tribune par M. Jean-François Mattei, 900 amendements ayant été déposés sur le texte.

Procédure d'adoption du PACS
à l'Assemblée nationale

 

PACS 1

23 septembre 1998

Adoption par la commission des Lois de la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité - [Rapport n° 1097 de M. Jean-Pierre Michel sur les propositions de loi 88 , 94 et 249]

Cette proposition reprend le résultat des travaux, rendus publics en mai 1998, menés par les rapporteurs de la commission des Lois et de la commission des Affaires sociales, MM. Jean-Pierre Michel et Patrick Bloche, sous l'égide de Mme Tasca, présidente de la commission des Lois.

1 er octobre 1998

Avis n° 1102 de M. Patrick Bloche au nom de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales.

Vendredi
9 octobre 1998

Discussion en séance publique et rejet de la proposition par adoption d'une exception d'irrecevabilité défendue par M. Jean-François Mattei

 
 

3 heures 49 de discussion
900 amendements déposés

 
 
 
 

PACS 2

 

Propositions de loi relatives au pacte civil de solidarité :

13 octobre 1998

- n° 1118 de M. Jean-Pierre Michel

 

- n° 1119 de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues

 

- n° 1120 de M. Alain Bocquet et plusieurs de ses collègues

 

- n° 1121 de M. Guy Hascoët et cinq de ses collègues

14 octobre 1998

- n° 1122 de M. Alain Tourret

14 octobre 1998

Adoption par la commission des Lois d'une nouvelle proposition de loi relative au pacte civil de solidarité - [Rapport n° 1138 de M. Jean-Pierre Michel sur les propositions n° 1118 à 1122]

(Proposition similaire à celle repoussée le 9 octobre)

22 octobre 1998

Rapport n° 1143 de M. Patrick Bloche au nom de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales.

3, 7 et 8 novembre
1 er , 2, 8 et
9 décembre 1998

Discussion en séance publique et adoption de la proposition de loi par 316 voix contre 249 et 3 abstentions .

 
 


62 heures 34 de discussion dont :

- exception d'irrecevabilité : 5 h 30

- question préalable : 3 h 18

- renvoi en commission : 1 h 22

- discussion des articles : 41 h 27

 



1174 amendements déposés

35 amendement adoptés

 
 
 
 
 
 
 

5. ...Suivi d'une stratégie de passage en force

Alors que l'article 84 alinéa 3 du Règlement de l'Assemblée nationale dispose que « les propositions repoussées par l'Assemblée nationale ne peuvent être reproduites avant un délai d'un an », ont été immédiatement déposées, les 13 et 14 octobre 1998, cinq propositions de loi relatives au pacte civil de solidarité (n° 1118 à 1122), les deux premières, identiques, émanant respectivement de M. Jean-Pierre Michel et de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste.

Le 14 octobre 1998 , la commission des Lois a adopté, en l'absence des députés de l'opposition qui avait quitté la salle, une nouvelle proposition en tout point identique aux propositions n° 1118 et 1119 mises en distribution le jour même. Mais il convient de noter que le rapport de M. Jean-Pierre Michel portait également sur trois autres propositions, déposées respectivement par MM. Alain Bocquet et les membres du groupe communiste (n° 1120), Guy Hascoët (n° 1121) et Alain Tourret (n° 1122), dont la mise en distribution officielle n'est intervenue, pour les deux premières, que le lendemain de la réunion de la commission, et, pour la dernière, que le surlendemain ... La commission des affaires sociales, dans sa réunion du 23 octobre, a donné un avis favorable à cette nouvelle proposition.

Cette deuxième proposition sur le pacte civil de solidarité est très similaire à celle qui avait été rejetée le 9 octobre. Outre des modifications formelles, ont notamment été supprimés ou introduits divers délais, la seule différence substantielle résultant dans l'ajout d'un article permettant aux fratries de bénéficier de certains avantages du pacs. L'opposition a donc à juste titre relevé la violation des dispositions du Règlement de l'Assemblée nationale que constituait la présentation dans un délai si rapproché d'un texte semblable « à quelques virgules près », selon les termes employés par M. Jean-Louis Debré, à celui qui avait été repoussé le 9 octobre et d'annoncer la saisine du Conseil constitutionnel sur ce point.

La discussion en séance publique de la deuxième proposition de loi s'est ouverte le mardi 3 novembre. Plus de mille amendements et trois motions de procédure ont été déposés, l'opposition ayant décidé de poursuivre sa mobilisation pour mettre en lumière les nombreuses interrogations soulevées par une telle réforme, même si la qualité des débats devait parfois en souffrir.

Plutôt que de prendre acte du fait qu'il fallait dégager , pour un débat de cette importance, le temps nécessaire à la discussion , le Gouvernement a « saucissonné » l'examen du texte, dégageant des créneaux, y compris des samedi et dimanche, et tard la nuit, au milieu de la discussion de la loi de finances.

Cette discussion s'est ainsi poursuivie pendant plus de 60 heures les samedi 7 et dimanche 8 novembre, le mardi 1er décembre (jusqu'à 7 H du matin), le mercredi 2 décembre (jusqu'à 6 H 35 du matin) et les mardi 8 et mercredi 9 décembre.

Une exception d'irrecevabilité a été défendue le 3 novembre par Mme Christine Boutin pendant 5 heures 30. Le 7 novembre, M. Jean-Claude Lenoir a exposé une question préalable pendant 3 heures 20 et M. Patrick Devedjian, une motion de renvoi en commission pendant 1 heure 20, le règlement de l'Assemblée nationale ne limitant pas le temps de parole en l'occurrence.

La proposition a été adoptée au scrutin public le mercredi 9 décembre par 316 voix contre 249 et 3 abstentions.

Les groupes de la majorité ont ainsi appliqué une stricte discipline de vote . Sur un tel sujet de société, il aurait pourtant été souhaitable que chaque parlementaire puisse se prononcer en conscience. Les groupes de l'opposition ont autorisé leurs membres à voter et même à exprimer en séance publique des opinions divergentes. Il est regrettable que le groupe socialiste n'ait pas adopté la même attitude.

Au terme de ce récapitulatif, on ne peut que s'associer au regret émis le 17 décembre dernier par M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste de l'Assemblée nationale, s'exprimant en ces termes sur LCI : " Je regrette d'avoir accepté que soient inscrits à l'ordre du jour trop de textes notamment sur des réformes de société alors que la session d'automne est constitutionnellement consacrée à l'examen de la loi de finances et de financement de la sécurité sociale " . Il poursuivait en soulignant que l'Assemblée nationale " va trop vite, fait du mauvais travail, travaille dans de mauvaises conditions ".

D. LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE LOI ADOPTÉE

La proposition de loi de 16 articles au total crée un nouveau statut dans le livre 1er du code civil relatif aux personnes avant d'en tirer diverses conséquences dans différents domaines, principalement fiscal et social.

1. La création d'un nouveau cadre juridique

Le pacte civil de solidarité est inséré dans le livre Ier du code civil relatif aux personnes. L'article premier de la proposition complète en effet ce livre Ier par un titre XII comprenant les articles 515-1 à 515-8 .

Le pacte civil de solidarité (pacs) peut être conclu par deux personnes physiques majeures, de même sexe ou de sexe différent , pour organiser leur vie commune ( art. 515-1 ). Sont ainsi visés les couples hétérosexuels ou homosexuels, mais également des personnes n'entretenant pas de relations charnelles ayant un projet de vie en commun.

Sont prévus des empêchements, calqués sur ceux du mariage, résultant de la parenté ou de l'existence d'une autre union : à peine de nullité, le pacs ne peut être conclu entre parents ou alliés en ligne directe, entre collatéraux jusqu'au troisième degré ou entre des personnes ayant déjà contracté un autre pacte ou étant mariées ( art. 515-2 ).

Les partenaires doivent remettre une déclaration au greffe du tribunal d'instance de leur lieu de résidence (à l'étranger, aux agents diplomatiques et consulaires) . Celle-ci fait l'objet d'un enregistrement sur un registre spécial, avec transcription au greffe du tribunal du lieu de naissance de chaque partenaire. Les modifications du pacte font également l'objet d'un dépôt au greffe du tribunal qui a reçu l'acte initial ( art. 515-3 ).

Le lieu d'enregistrement du pacs a été fixé au greffe du tribunal d'instance, après de nombreuses hésitations, à la suite de l'adoption d'un amendement présenté par M. Alain Tourret. La commission des Lois avait en effet opté pour l'enregistrement à la préfecture, après avoir abandonné, en raison de l'opposition exprimée par de nombreux maires, l'idée d'un enregistrement en mairie.

Les partenaires s'apportent une aide mutuelle et matérielle dont les modalités sont fixées par le pacte et ils sont tenus solidairement à l'égard des tiers des dettes contractées par l'un deux pour les besoins de la vie courante ( art. 515-4 ). A défaut de stipulation contraire, le régime des biens acquis à titre onéreux est l' indivision ( art. 515-5 ).

Le pacte peut être rompu d'un commun accord ou unilatéralement par un partenaire. Il prend fin automatiquement au mariage ou au décès de l'un des partenaires. En cas de rupture d'un commun accord, une déclaration est remise et enregistrée au greffe du tribunal d'instance du lieu où un partenaire a sa résidence. En cas de rupture unilatérale, la décision doit être signifiée par huissier au partenaire, le pacte prenant fin trois mois après la signification. Dans tous les cas, la mention de la fin du pacte doit être inscrite en marge de l'acte initial et en marge du registre tenu au lieu de naissance de chaque partenaire ( art. 515-8 ).

A défaut d'accord entre les partenaires, les conséquences de la rupture du pacte sont réglées par le juge ( art. 515-8 ).

Un décret en Conseil d'Etat , pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, déterminera les conditions dans lesquelles sont traitées et conservées les informations relatives à la formation, la modification ou la dissolution des pactes (art. 11).

Les dispositions insérées dans le code civil relative au pacte sont étendues dans les territoires d'outre-mer (art. 12).

2. Les conséquences de la souscription d'un pacs

La proposition tire les conséquences de la souscription d'un pacs dans différents domaines.

Droit civil :

En cas de dissolution d'un pacs, s'appliquent les règles du code civil concernant l'attribution préférentielle du logement , de l'exploitation agricole ou des locaux professionnels (article premier, art. 515-6 du code civil ).

Aucune des autres dispositions du code civil applicables aux époux, notamment en matière de succession ou de libéralité, n'est transposée aux partenaires liés par un pacs. La proposition ne contient de plus aucune disposition relative à la filiation, l'adoption ou la procréation médicalement assistée.

Fiscalité :

- imposition commune sur le revenu
au bout de la troisième année (revenus de l'année du troisième anniversaire du pacs) (art. 2) ;

- diminution des droits de successions et donations , sous condition d'une durée de deux ans de pacs à la date du décès ou de la donation (art. 3) :

. diminution des taux : au lieu du taux de 60% applicable aux personnes étrangères l'une à l'autre, application d'un taux de 40% jusqu'à 100 000 F taxables et de 50% au delà, ces droits restant beaucoup moins avantageux que ceux des personnes mariées compris, en fonction de sept tranches de revenu, entre 5% jusqu'à 50 000 F et 40% au delà de 11 200 000 F ;

. augmentation de l'abattement : au lieu de l'abattement de 10 000 F applicable aux personnes étrangères l'une à l'autre sur les successions uniquement, application d'un abattement s'élevant à 300 000 F en 1999 et à 375 000 F à partir du 1 er janvier 2000 (les couples mariés bénéficient de 400 000 F en 1999 et de 500 000 F en 2000).

Le délai de deux ans n'est pas applicable , en cas de legs, quand le testateur est reconnu atteint d'une affection de longue durée au sens du code de la sécurité sociale ;

- imposition commune à l'impôt de solidarité sur la fortune , comme les concubins actuellement (art. 4).

Sécurité sociale :

- Attribution, sans condition de durée du pacs, de la qualité d'ayant droit pour l'assurance maladie au partenaire à charge d'un assuré. (A l'heure actuelle, une durée d'un an de vie commune est exigée des personnes à charge autres que les concubins hétérosexuels) (art. 4 bis) ;

- Fin du versement de l'allocation de soutien familial et de l'allocation veuvage pour un partenaire engagé dans un pacs (art. 5 bis et 5 ter).

Droit du travail :

Assimilation des partenaires aux personnes mariées pour le choix des dates de congés payés, le droit à congé pour décès du partenaire et les droits du salarié partenaire du chef d'entreprise (art. 5).

Étrangers :

Le pacs rentre en ligne de compte sans délai dans l'appréciation des liens personnels en France qui peuvent justifier l'attribution d'un titre de séjour « vie privée et familiale » (art. 6).

Les dispositions de la proposition qui prévoyaient, à l'article 7, la prise en compte d'un pacs en matière de naturalisation, ont été supprimées par l'Assemblée nationale.

Fonction publique :

Prise en compte du pacs dans les décisions de mutation de manière à permettre le rapprochement des fonctionnaires séparés de leur partenaire pour des raisons professionnelles (art. 8).

Logement :

Sans condition de durée du pacs, transfert du droit au bail au partenaire survivant en cas de décès du titulaire du bail ou d'abandon du logement et droit de reprise du bailleur au profit de son partenaire (art. 9).

Les frères et soeurs , qui ne peuvent souscrire un pacs ( art. 515-2 du code civil ), peuvent néanmoins bénéficier des dispositions prévues par la proposition, à l'exception de celles relatives aux donations et successions, dans la limite de deux personnes, et à condition de justifier d'une résidence commune durant les délais exigés pour l'ouverture des droits (art. 10).

II. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION

Le doyen Carbonnier notait que " La question du concubinage pourrait bien cacher la question du mariage " 6( * ) . Il en est de même du pacs, statut hybride destiné à rassembler des personnes qui pourraient se marier mais ne le souhaitent pas, et d'autres qui ne peuvent pas le faire mais cherchent une reconnaissance. Irène Théry a considéré devant votre commission que par cette proposition de loi " ceux qui ne veulent pas se marier ont été pris en otage du désir d'union de ceux qui n'ont pas accès au mariage " 7( * ) .

En considération des dangers que représente ce statut pour le mariage et l'union libre ainsi que des risques qu'il comporte en matière de filiation du fait qu'il s'adresse indifféremment à des couples qui ont vocation à procréer et à d'autres qui ne le peuvent pas, votre commission sera amenée à ne pas l'accepter. Il n'a pas sa place, pour les hétérosexuels, entre le mariage et l'union libre ; il n'est pas justifié pour les homosexuels dont l'orientation sexuelle est d'ores et déjà respectée en tant que comportement individuel ce qui n'implique pas nécessairement la mise en oeuvre d'un statut du couple par le législateur.

Désireuse de marquer le respect qu'il faut avoir pour les comportements individuels, votre commission vous proposera de préciser l'article 9 du code civil relatif au respect de la vie privée par une disposition protégeant la liberté de la vie personnelle de chacun .

Votre commission a estimé que le mariage républicain doit rester l'institution de référence.

Pour affirmer comme Irène Théry que " le mariage n'est pas un simple outil de gestion du couple mais une institution de l'ordre symbolique dans lequel se différencient les sexes et les générations ", 8( * ) votre commission s'attachera à donner, ce qui n'existe pas à l'heure actuelle, une définition du mariage faisant ressortir son caractère d'institution hétérosexuelle .

Autant il lui est apparu inopportun de créer un statut hybride pour répondre en fait au besoin de reconnaissance des couples homosexuels, autant il lui est apparu justifié de reconnaître que la vie en commun de deux personnes de même sexe présente des similitudes avec celle de partenaires de sexe différent et que les mêmes conséquences juridiques peuvent en découler. Allant à l'encontre de la jurisprudence de la Cour de cassation, votre commission vous propose donc l' assimilation de fait des concubins homosexuels aux concubins hétérosexuels . Pour ce faire, elle vous propose de donner une définition du concubinage dans le code civil .

L'alternative que vous propose ainsi votre commission mettra sur un véritable pied d'égalité concubins homosexuels et concubins hétérosexuels (sous réserve de la situation à l'égard des enfants) sans exiger des premiers qu'ils concluent un contrat pour bénéficier des mêmes droits que les seconds.

Enfin, en vous proposant l'adoption de mesures fiscales et successorales spécifiques, votre commission vous démontrera que la solidarité, entre concubins ou non, peut s'exprimer en dehors du statut proposé.

A. RECONNAÎTRE LA LIBERTE DE LA VIE PERSONNELLE DE CHACUN

Votre commission souhaite en préalable marquer l'attachement du Sénat au respect de la vie privée de chacun. En conséquence, elle vous propose de compléter l'article 9 du code civil relatif au respect de la vie privée par la reconnaissance de la liberté de la vie personnelle de chacun, dans la ligne de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme fondée sur l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

B. DÉFINIR LE MARIAGE RÉPUBLICAIN COMME UNE INSTITUTION HÉTÉROSEXUELLE

Votre commission regrette que le Gouvernement n'ait pas assumé ses responsabilités en déclarant prioritaire cette proposition de loi plutôt que de rédiger un projet d'ensemble sur la famille, le mariage et le concubinage. Votre commission a voulu quant à elle replacer le débat ouvert par la présente proposition de loi dans le contexte juridique et sociologique qui demeure majoritaire (12,3 millions de couples mariés et 2,3 millions de concubins).

Le mariage, ce n'est pas seulement un couple, mais selon Irène Théry, " l'institution qui lie la différence des sexes à la différence des générations ".

Le code civil ne contient aucune définition du mariage. Plus curieux, il n'y est nulle part explicitement précisé qu'il concerne un homme et une femme.

Son caractère hétérosexuel peut être implicitement déduit des articles 144 (âge de l'homme et la femme), 75 (déclaration des parties qu'ils veulent se prendre pour mari et femme), 162 et 163 (prohibition des mariages entre frère et soeur, oncle et nièce et tante et neveu).

L'absence de différence des sexes n'est pas mentionnée dans les causes de nullité du mariage énumérées aux articles 180 et suivants du code civil. Le caractère hétérosexuel de l'institution du mariage ne fait cependant aucun doute pour la doctrine qui, après avoir vu dans le non respect de la différence des sexes une cause d'inexistence du mariage, s'accorde maintenant pour y voir une cause de nullité absolue.

La jurisprudence, pour sa part, a régulièrement affirmé que l' absence de sexe ou l'impossibilité de reconnaître le sexe d'un époux sont susceptibles d'entraîner la nullité du mariage (Nîmes, 29 novembre 1869, Douai, 1 er mai 1901). Les questions qui se posent quant à l'admission du mariage des transsexuels se situent dans la même problématique.

Mais à l'heure où la notion de différence des sexes semble s'affaiblir, étant considérée par certaines personnes que la commission a entendues comme " une illusion anthropologique " et où, dans certains pays voisins, il est question d'ouvrir l'institution du mariage aux homosexuels, il n'est pas inutile d'affirmer clairement le principe du caractère hétérosexuel du mariage .

Aux Etats-Unis, de nombreux Etats ont modifié leur législation dans ce même sens après l'arrêt de la cour suprême de Hawaï qui, en mai 1993, a jugé que l'interdiction du mariage civil aux homosexuels constituait une discrimination.

Votre commission vous propose donc de définir le mariage à l'article 144 du code civil comme " l'union d'un homme et d'une femme ".

Afin de bien distinguer le mariage de l'union libre qui reste une simple situation de fait, et marquer son caractère d'institution , il convient de plus de préciser que l'union est " célébrée par un officier de l'état civil " .

C. NE PAS ACCEPTER UN STATUT HYBRIDE ET INAPPLICABLE

1. Un texte dangereux dans ses principes

a) Le risque de porter atteinte au mariage

Le pacs s'inscrit à mi-chemin entre le mariage et l'union libre. Calqué sur le mariage, il n'en présente cependant que des caractéristiques édulcorées et risque de porter atteinte à celui-ci.

Inséré dans le livre 1 er du code civil relatif aux personnes, le régime du pacs se réfère à celui du mariage concernant tant les empêchements résultant de la parenté et de l'alliance ou d'une autre union en cours, que les devoirs imposés aux partenaires. Son enregistrement au greffe du tribunal d'instance lui confère un caractère officiel, le distinguant d'un simple contrat.

Mais les devoirs qu'il implique se limitent à un aspect purement matériel,  " l'aide mutuelle et matérielle " et la solidarité pour dettes. Ils peuvent de plus être minimaux, les modalités de l'aide étant fixées par le pacte. La vie commune ne semble pas exiger comme pour les époux une communauté de vie impliquant le choix d'une résidence commune. Enfin, rien n'est prévu concernant les devoirs des partenaires à l'égard de leurs enfants alors qu'il est ouvert à des couples susceptibles de procréer.

En cas de rupture, aucune protection n'est accordée au plus faible. La rupture est possible unilatéralement à tout moment sans intervention du juge, sauf vraisemblablement pour le partenaire délaissé la possibilité d'obtenir des dommages et intérêts pour rupture abusive de contrat.

Impliquant des devoirs minimaux, le pacs permet de bénéficier d'avantages sociaux, fiscaux et successoraux se rapprochant de ceux du mariage et dont le plus significatif est certainement l'imposition commune.

Le pacs apparaît bien comme un " sous-mariage " générant des droits en contrepartie d'obligations minimales .

Il est à craindre que l'apparition de ce statut intermédiaire ne dissuade les candidats au mariage . La relative désaffection à l'égard de ce dernier ne pourrait que s'amplifier en présence d'une nouvelle institution apparaissant comme une source de droits sans véritable contrepartie .

Le mariage républicain, institué en 1792, a été décrit par le doyen Carbonnier comme une des institutions qui divise le moins les Français. Il serait pour le moins paradoxal qu'il ne soit plus recherché que par les candidats au mariage religieux, obligés légalement de passer devant l'officier d'état civil avant que leur union ne soit consacrée religieusement, ou par des couples homosexuels désirant obtenir une reconnaissance officielle.

Or, même s'il connaît un déclin relatif, et si le divorce touche désormais un couple sur trois (120 000 divorces par an), le mariage demeure la structure la plus protectrice tant des membres du couple que des enfants qui en sont issus .

A l'heure où une plus grande " responsabilisation des familles " est recherchée dans l'éducation des enfants, il importe, non pas de porter atteinte au mariage, mais au contraire de le renforcer.

Plutôt que de créer une union de deuxième zone , il conviendrait d'apporter au régime du mariage les adaptations de nature à revivifier cette institution . L'examen de la présente proposition de loi apparaît particulièrement prématuré au moment où est engagée à la chancellerie, par le groupe de travail présidé par Mme Dekeuwer-Defossez, une réflexion d'ensemble sur la réforme de la famille . A la suite des auditions auxquelles elle avait procédé le 8 avril 1998 sur le droit de la famille , votre commission des Lois avait déjà tenu à affirmer qu'il était essentiel de " ne pas se tromper de réforme 9( * ) ".

En conséquence votre commission estime qu'il n'y a pas de place dans le code civil pour une nouvelle institution entre le mariage et l'union libre .

b) La création de nouvelles discriminations.

Les avantages reconnus aux personnes ayant souscrit un pacs le seront au détriment des personnes vivant en union libre, des familles et des personnes seules.

Sous-mariage de nature à porter atteinte au mariage, le pacs risque de plus de renvoyer dans le non-droit les personnes vivant en union libre qui ne souscriraient pas de pacs. Il est pour le moins paradoxal qu'un statut présenté comme devant bénéficier aux concubins en arrive à disqualifier ceux qui ne désireraient pas sortir du concubinage pour adopter un statut alternatif au mariage.

De surcroît, la jurisprudence pourrait continuer à refuser aux homosexuels n'ayant pas conclu de pacs les droits accordés à l'heure actuelle aux concubins. Le pacs laisserait ainsi de côté les couples de fait n'y ayant pas recours.

Les avantages fiscaux et sociaux reconnus aux pacsés le seraient au détriment relatif des familles et des 7 millions de personnes seules .

En matière d'impôt sur le revenu, il est extrêmement choquant qu'il soit envisagé, par l'intermédiaire de l'imposition commune, de permettre à des partenaires de bénéficier du quotient conjugal, dont l'avantage fiscal n'est pas plafonné, alors que le Gouvernement n'a pas hésité, dans la loi de finances pour 1999, à diminuer à hauteur de 4,5 milliards de francs, les avantages en faveur des familles, principalement par le biais de l'abaissement de 16 380 F à 11 000 F du plafond de l'avantage maximal procuré par une demi-part, donc au titre d'un enfant.

Les 7 millions de personnes seules, qui, d'après les études de l'INSEE, ont, à revenu égal, un niveau de vie inférieur de 30% aux personnes vivant en couple, ne comprennent pas au nom de quelle logique des avantages fiscaux devraient être accordés aux pacsés ou pourquoi, dans la fonction publique, la création d'une nouvelle priorité de mutation en faveur des fonctionnaires séparés de leur partenaire pour des raisons professionnelles empêcherait les célibataires de revenir au pays pour soigner un parent malade.

c) Des inquiétudes concernant l'enfant et la parentalité

La proposition de loi reste totalement silencieuse sur la situation de l'enfant né de parents liés par un pacs, tant concernant les devoirs que les parents auraient à son égard que son sort en cas de séparation. Or, il ne semble pas cohérent de donner un statut au couple en faisant complètement abstraction de l'enfant qui peut en être le fruit.

En second lieu, le texte contient des potentialités inquiétantes concernant la parentalité des couples homosexuels .

Proposer un même statut aux couples hétérosexuels et homosexuels n'est-ce pas en effet ouvrir la voie à la reconnaissance juridique de la parentalité conjointe d'un couple homosexuel ? Au nom de quoi refuser à un couple homosexuel soumis au même statut qu'un couple hétérosexuel le droit à la procréation médicalement assistée à laquelle a accès le second ? Une éventuelle ouverture du droit à l'adoption aux partenaires hétérosexuels s'accompagnerait inéluctablement de l'extension du même droit aux couples homosexuels.

Plusieurs associations que votre commission a entendues n'ont pas caché que le pacs n'était à leurs yeux qu'une première étape symbolique devant conduire à terme à l'obtention du droit des couples homosexuels d'être parents. Le rapporteur de la proposition à l'Assemblée nationale a lui-même estimé que le pacs conduirait inévitablement à accorder dans l'avenir le droit à l'adoption à tous les couples contractants. Ainsi, aux Pays-Bas, l'adoption par les couples homosexuels est-elle maintenant envisagée.

Or, la famille doit rester le lieu de la " différenciation symbolique " des sexes, selon l'expression employée par Irène Théry. Il pourrait être dangereux de nier les conséquences sur la filiation de la différence biologique des parents , même si celle-ci est considérée par certaines personnes que la commission a entendues comme une " illusion anthropologique ".

2. Un texte source d'importantes difficultés pratiques et juridiques

a) Les lourdeurs et les incohérences d'un état civil bis

La procédure d'enregistrement au tribunal d'instance implique une procédure très lourde exigeant de nombreuses transmissions d'informations entre les greffes (lieu du dépôt du pacs, lieu de naissance, lieu de rupture) et la tenue de nombreux registres, multipliant ainsi les risques d'erreurs . Aucune étude d'impact sur le fonctionnement des greffes ne semble avoir été réalisée et chacun sait qu'ils sont surchargés. Les greffiers auront-ils les moyens d'opérer un véritable contrôle sur le respect des conditions de la conclusion du pacs, notamment sur les empêchements ?

Les délais d'enregistrement pourront être longs du fait que tous les tribunaux d'instance ne disposent pas d'un greffier à temps plein. D'importantes incertitudes existeront ainsi sur la date de prise d'effet du pacs et de fin du pacs à l'égard des parties et des tiers.

L'absence de lien avec l'état civil complique la tâche des greffes et conduit à s'interroger sur les modalités de communication aux tiers des informations, aucune publicité n'étant organisée. Les tiers créanciers ou autres pourront-ils savoir qu'un pacs a été conclu ? N'aurait-il pas été plus rationnel de prévoir un lien, si ce n'est avec l'état civil, du moins avec le répertoire civil que les professionnels ont l'habitude de consulter ?

b) Une incertitude sur le régime juridique applicable

L'insertion du pacs dans le livre 1 er du code civil relatif aux personnes conduit à s'interroger sur sa nature juridique et sur ses conséquences éventuelles sur l'état des personnes. Faisant l'objet d'un enregistrement officiel au greffe du tribunal d'instance, le pacs ne peut être présenté comme un banal contrat. Nulle part dans le texte il n'est explicitement dit que le droit commun des contrats devra s'appliquer. Le rapporteur à l'Assemblée nationale a qualifié le pacs de " convention solennelle ", cette appellation ne suffisant pas à obtenir une certitude juridique. Il a également indiqué à plusieurs reprises que les partenaires ne seraient pas considérés comme des célibataires.

Il résulte de cette imprécision une incertitude sur le régime juridique applicable. Quelles règles le juge devra-t-il appliquer s'il est saisi en cas de rupture ? Devra-t-il se contenter de faire jouer la responsabilité contractuelle ou pourra-t-il également accorder des dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité délictuelle ? Un incapable pourra-t-il conclure un pacs comme un banal contrat et comment pourra-t-il le résilier ?

Les empêchements, calqués sur ceux du mariage, n'ont pas de raison d'être pour les personnes n'ayant pas de liens charnels et encore moins s'il s'agit d'un simple contrat.

L'incertitude sur le droit applicable sera encore accrue en matière de droit international privé dans la mesure où il n'est pas certain que le pacs pourra avoir un effet à l'étranger. En général, la loi personnelle des intéressés s'applique en matière de droit des personnes mais les biens sont soumis à la loi du lieu de leur situation. Quel sera le droit applicable en cas de pacs conclu avec un partenaire étranger ou en cas de biens situés à l'étranger ?

c) Les dangers de sa mise en oeuvre pour les contractants

Le pacs ne procure aux partenaires qu'une protection illusoire . Les devoirs sont minimaux et la rupture unilatérale est possible à tout moment, au mépris des dispositions de l'article 1134 du code civil, s'apparentant à une véritable répudiation. Le plus faible n'est pas protégé, aucune aide ne subsistant de manière obligatoire après la rupture.

En cas de mariage d'un partenaire, le pacte peut même prendre fin sans que l'autre partenaire en soit informé.

La solidarité pour dettes est plus contraignante que celle prévue pour le mariage, n'étant pas tempérée par la notion de dépenses manifestement excessives ni par l'interdiction des achats à tempérament ou des emprunts.

Quant au régime des biens, le texte de la proposition de loi est extrêmement pénalisant pour les contractants car, à défaut de stipulation contraire établie pour chaque bien, il impose l'indivision, au lieu de se contenter de prévoir une simple présomption d'indivision pour les biens dont la propriété ne pourrait pas être déterminée. Il ne prévoit de plus aucun mécanisme de remploi de fonds propres .

En cas de rupture unilatérale, est-il normal que la solidarité pour dettes et l'indivision se poursuivent pendant le délai de trois mois de préavis ?

La facilité très grande de conclusion et de rupture d'un pacte et l'absence de délai exigé entre la conclusion de deux pactes risque d'engendrer enfin des difficultés insurmontables dues à la conclusion de pactes successifs rapprochés dont l'indivision n'aurait pas été liquidée.

Il apparaît par ailleurs que la conclusion d'un pacs serait pénalisante pour des personnes de revenus modestes . En matière sociale, les partenaires pourraient perdre d'emblée le droit à certains minima sociaux (allocation veuvage, allocation de soutien familial, fin du cumul des allocations de RMI). En matière fiscale, l'imposition commune pourrait faire perdre aux partenaires l'avantage qu'ils tirent chacun de la décote du fait de l'imposition séparée.

d) Les risques de fraude

La facilité de conclusion et de rupture d'un pacs et le fait que, d'après les débats à l'Assemblée nationale, la cohabitation ne semblerait pas exigée , fait craindre la conclusion de " pacs blancs " conclus dans le seul but de profiter des avantages procurés.

Des délais de carence ont été introduits pour l'imposition commune sur le revenu et l'aménagement des droits de succession et de donation, limitant ainsi les risques.

En matière de succession, il apparaîtrait cependant plus judicieux de supprimer tout délai que d'en prévoir l'exonération en seul cas de maladie grave du testateur. Cette condition introduit en effet, outre l'obligation de rompre le secret médical, une curieuse discrimination entre le survivant d'un mort par maladie et celui d'un mort par accident, alors même que ce dernier, à l'opposé du premier, ne peut anticiper le décès.

La conclusion de pacs blancs resterait profitable pour effectuer des donations déguisées par le biais du partage à parts égales en fin de pacs de biens qui, acquis sans stipulations spéciales par un seul partenaire pendant la durée du pacs, ou avant le pacs, seraient de facto tombés dans l'indivision . Elle pourrait également intervenir dans l'espoir, pour un fonctionnaire, d'obtenir une mutation et, pour un étranger, d'obtenir un titre de séjour. Par ce biais, un bailleur pourrait reprendre un bail sans aucune condition de durée de pacs .

Opposée au principe même d'un statut regroupant des bénéficiaires placés dans des situations différentes, votre commission vous propose donc de supprimer l'article du projet de loi instaurant le pacs.

D. RECONNAÎTRE LE CONCUBINAGE HÉTÉROSEXUEL OU HOMOSEXUEL, EN TANT QU'UNION DE FAIT

Autant il est inopportun de créer un statut hybride pour répondre en réalité à la situation des couples homosexuels, comme se propose de le faire la présente proposition de loi, autant est justifiée l' assimilation de leur situation de fait à celle des concubins hétérosexuels .

La Cour de cassation, comme on l'a vu plus haut, refuse de considérer les couples homosexuels comme des concubins. Sa jurisprudence du 11 juillet 1989 a récemment été confirmée le 17 décembre 1997, contre l'avis de l'avocat général.

Les couples homosexuels se voient ainsi privés dans leur vie quotidienne du bénéfice des mesures légales prises en faveur des couples hétérosexuels non mariés.

Il est tout à fait compréhensible que le juge, en l'absence de volonté exprimée par le législateur, n'ait pas souhaité procéder lui-même à l'assimilation des couples homosexuels à des concubins.

En pratique, il semble que le législateur puisse sans inconvénient reconnaître que la vie en commun de deux personnes de même sexe présente des similitudes avec celle de partenaires de sexe différent, justifiant que les mêmes conséquences juridiques puissent en découler.

Votre commission vous propose de créer dans le livre premier du code civil relatif aux personnes, à la suite des titres relatifs au mariage et au divorce, un titre VI bis relatif au concubinage.

Ce titre comprendra trois dispositions :

Il reconnaîtra le concubinage comme une situation de fait constituée par la vie en couple de deux personnes hors mariage . Il s'appliquera ainsi à l'ensemble des couples, homosexuels, comme hétérosexuels.

Il disposera que le concubinage se prouve par tout moyen mais reconnaîtra une valeur de présomption légale à des actes de notoriété délivrés par l'officier d'état civil, le juge ou le notaire. Les pratiques actuelles de délivrance de certificats de concubinage seront ainsi légalisées, sans qu'aucune obligation de délivrance de ces certificats ne soit pour autant instituée.

Il précisera que les concubins peuvent passer contrat pour régler tout ou partie de leurs relations pécuniaires et patrimoniales et organiser leur vie commune. Cette possibilité existe déjà mais les dispositions de l'article 1133 du code civil sur la cause illicite des conventions contraires aux bonnes moeurs laisse subsister une menace sur les conventions entre concubins, même si, dans les faits, ne sont plus actuellement annulées que les conventions qui auraient pour objet la poursuite ou la continuation des relations, présentant de ce fait un caractère vénal.

Ainsi les couples homosexuels pourront-ils bénéficier des droits accordés par la loi aux couples hétérosexuels dans leur vie quotidienne . Ils pourront notamment devenir sans délai ayant droit pour la sécurité sociale et bénéficier au bout d'un an du transfert ou de la continuation du bail en cas d'abandon du domicile ou de décès du preneur.

Pas plus que le pacs, l'assimilation des concubins homosexuels à des concubins hétérosexuels n'a pas de conséquences, en l'état actuel du droit, sur la parentalité des couples homosexuels. L'adoption n'est en effet ouverte, en application des articles 343 et 343-1 du code civil, qu'à des couples mariés ou à des célibataires, et la procréation médicalement assistée est réservée, par l'article L. 152-2 du code de la santé publique, aux couples formés d'un homme et d'une femme.

E. ADOPTER DES DISPOSITIONS FAVORISANT LE LIEN SOCIAL, INDÉPENDAMMENT DE TOUT STATUT

1. La suppression de dispositions figurant dans le texte

Certaines dispositions de la proposition qui étendaient aux partenaires ayant souscrit un pacs des mesures déjà applicables aux concubins hétérosexuels deviendront inutiles du fait de l'assimilation proposée des concubins hétérosexuels aux concubins homosexuels. Ainsi :

- le concubin homosexuel deviendra sans délai ayant droit pour la sécurité sociale de son concubin à la charge de qui il se trouve (art. 4 bis) ;

- en cas de décès ou d'abandon du domicile, il bénéficiera du transfert ou de la continuation du bail après un an de concubinage, comme actuellement le concubin hétérosexuel (art. 9) ;

- l'allocation veuvage et l'allocation de soutien familial pourront lui être retirées comme au concubin hétérosexuel (art. 5 bis et 5 ter) ;

- il fera l'objet d'une imposition commune avec son concubin à l'impôt sur la fortune (art. 4).

Votre commission vous proposera de supprimer d'autres dispositions du texte prévues au bénéfice d'un partenaire d'un pacs. Il en sera ainsi de la disposition sur la délivrance des titres de séjour " vie privée et familiale " qu'il convient de laisser, comme à l'heure actuelle, à l'appréciation de l'administration (art. 6) ou des mutations des fonctionnaires pour rapprochement, qu'elle souhaite réserver en priorité aux personnes mariées (art. 8).

Concernant les droits à congé, elle vous proposera d'étendre au concubin le droit à deux jours de congé pour le décès de son compagnon (art. 5).

2. Un dispositif fiscal et successoral favorisant la solidarité et la liberté

Concernant les dispositions fiscales et successorales , la commission vous proposera, en plein accord avec la commission des Finances saisie pour avis, d'adopter un dispositif de nature à favoriser les relations de solidarité familiale et à renforcer le lien social ainsi qu'à répondre à de nombreuses attentes en matière successorale. Certaines dispositions pourront bénéficier à tous, donc au concubin, d'autres seront prévues spécifiquement en faveur des frères et soeurs ou également des oncles et tantes, neveux et nièces.

a) L'impôt sur le revenu

En matière d'impôt sur le revenu , votre commission n'est pas favorable à l'imposition commune en dehors du mariage, estimant qu'il convient d'encourager le mariage en réservant aux époux le quotient conjugal non plafonné.

Mais dans une optique de solidarité, elle vous proposera d'étendre la notion de personne à charge pour l'imposition sur le revenu à une personne vivant sous le toit du contribuable et bénéficiant de faibles ressources . Cette personne ouvrira droit à un abattement spécifique , et non à l'application du quotient familial. Le plafond de cet abattement sera identique à celui en vigueur pour la prise en charge des enfants majeurs mariés ou ayant des enfants ( 20 370 F ).

Les enfants à charge de cette personne seraient rattachés au foyer fiscal du contribuable et ouvriraient droit à l'application du quotient familial au même titre que les enfants de ce dernier.

Cet avantage ne serait ouvert que pour une seule personne par contribuable.

Ainsi un contribuable hébergeant un concubin, parent ou ami ayant de faibles ressources pourra-t-il opérer un abattement de 20 370 F sur son revenu imposable et prendre fiscalement en charge les enfants de ladite personne.

Pour renforcer la solidarité dans le milieu familial , votre commission vous propose de plus de permettre, dans la même limite de 20 370 F , la déduction des sommes versées à des collatéraux jusqu'au troisième degré (frères et soeurs, oncles et tantes, neveux et nièces) isolés et disposant de faibles ressources. Ces personnes ne sont pas bénéficiaires de l'obligation alimentaire prévue par le code civil. Mais il importe dans un monde où la précarité a gagné du terrain de favoriser l'expression d'une solidarité familiale élargie .

b) Les successions

En matière successorale, votre commission considère que les droits de succession entre personnes étrangères l'une à l'autre sont excessifs , portant atteinte au droit de propriété. Elle estime de plus que les règles relatives à la réserve successorale limitent trop la liberté du testateur et qu'il convient d'améliorer la situation du conjoint survivant. Elle souhaite voir intervenir la réforme d'ensemble du droit des successions annoncée depuis plusieurs années, dans la continuité du projet de loi déposé par M. Pierre Méhaignerie au Sénat en 1995, à la suite des travaux de MM. Carbonnier et Catala.

Dans l'attente de cette réforme, elle ne vous proposera pas de modifier l'échelle des taux applicables ni les règles de la réserve. En revanche, elle vous proposera un aménagement de l'abattement successoral susceptible de répondre à l'attente de nombre de nos concitoyens.

Votre commission estime que chacun devrait pouvoir laisser en franchise de droits une certaine somme à une seule personne de son choix, indépendamment des liens familiaux ou des liens de concubinage. Ce " legs électif " pourrait être d'un montant de 300 000 F , identique à l'abattement opéré sur la part des enfants ou d'une personne handicapée. Il pourrait bien évidemment profiter au concubin. Il ne pourrait toutefois déroger aux règles de la réserve successorale.

Cette somme de 300 000 F semble cohérente avec le montant moyen des successions reçues par les Français. En 1994, sur 95 271 successions effectuées à des non-parents ou collatéraux à partir du troisième degré, 79 422, soit 83%, ont été taxées pour une part inférieure à 300 000 F .

Ce montant est identique à celui de l'abattement prévu par la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, au bénéfice des partenaires liés par un pacs, pour l'année 1999.

Par ailleurs, votre commission estime que la situation successorale de l'ensemble des frères et soeurs ayant vécu avec le défunt doit être améliorée, sans préjudice de la possibilité pour l'un d'entre eux de recevoir un " legs électif ".

A l'heure actuelle, les frères et soeurs ne bénéficient en effet d'aucun abattement propre à l'exception d'un abattement de 100 000 F, à condition qu'ils soient célibataires, veufs, divorcés ou séparés de corps, qu'ils aient plus de 50 ans ou soient atteints d'une infirmité les rendant incapables de subvenir à leurs besoins et qu'ils aient été domiciliés pendant cinq ans avec le défunt avant sa mort (art. 788 du CGI).

Votre commission vous propose, d'une part, de supprimer les conditions restrictives permettant aux frères et soeurs qui cohabitaient avec un défunt de bénéficier de l'abattement de 100 000 F sur la part qu'ils reçoivent, en ne gardant qu'une condition de durée de cohabitation d'un an avant le décès, et, d'autre part, de porter cet abattement à 150 000 F .

Enfin, dans le but de permettre dans les meilleures conditions la transmission de l'habitation principale de deux personnes cohabitantes , quelle que soient leurs relations , elle vous propose de redonner un caractère attractif à la clause de tontine . La transmission de l'habitation principale est effectivement un souci majeur auquel il faut répondre.

Le seuil permettant de bénéficier des droits de mutation à titre onéreux pour la transmission d'une habitation principale achetée en tontine serait ainsi relevé à 1 million de francs et l'application de ces droits serait possible quelle que soit la valeur de l'habitation pour la part de sa valeur inférieure au seuil.

L'ensemble des mesures proposées permet donc, d'une part de prendre en compte de nouvelles solidarités dans le cadre de l'impôt sur le revenu, et, d'autre part, d'accroître la liberté effective de tester et de transmettre son patrimoine .

TABLEAU COUPLE (14 PAGES)

EXAMEN DES ARTICLES

Article additionnel avant l'article premier
(art. 9 du code civil)
Liberté de la vie personnelle

L'article 9 du code civil , dans sa rédaction issue de la loi n° 70-643 du 17 juillet 1990 énonce que " chacun a droit au respect de sa vie privée ". Dans un second alinéa, il prévoit que les juges peuvent prendre toutes mesure pour faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée.

Cette notion de vie privée est directement dérivée de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme qui dispose que " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale " et qu'il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit.

C'est sur le fondement de cet article 8 que la Cour européenne des droits de l'Homme a reconnu que l'homosexualité constituait un élément de la vie privée qui méritait protection. Elle a ainsi jugé que la législation d'Irlande du Nord incriminant les actes homosexuels entre deux adultes consentants constituait une ingérence permanente dans la vie privée, disproportionnée par rapport au but poursuivi (Dudgeon contre Royaume-Uni, 22 octobre 1981). Cette jurisprudence a été confirmée depuis (Norris contre Irlande , 26 octobre 1988 ; Modinos contre Chypre, 22 avril 1993).

En France, l'article 9 du code civil, a été presque toujours uniquement utilisé pour condamner des atteintes à l'intimité de la vie privée. Pourtant, c'est sur la base combinée de l'article 8 de la convention européenne et de l'article 9 du code civil, que la Cour de cassation a reconnu en 1991, le droit au changement d'état civil d'un transsexuel qui se comportait comme une femme dans sa vie personnelle.

En 1991 la Cour de cassation avait jugé que le licenciement d'un sacristain ne saurait être fondé uniquement sur ses moeurs en l'absence de trouble caractérisé au sein de l'association religieuse qui l'employait. Depuis, quelques décisions intervenues en matière de droit du travail ont confirmé que " la vie personnelle " ne pouvait justifier un licenciement en l'absence d'interférence avec la vie professionnelle .

Dans le prolongement de cette jurisprudence française et européenne, votre commission vous propose de garantir expressément à l'article 9 du code civil le principe de la " liberté de la vie personnelle " de chacun, élargissant ainsi la notion plus restrictive de respect de la vie privée figurant à cet article.

Ainsi serait marqué l'attachement du Sénat au respect des différents choix de vie individuels.

Pour reprendre l'expression exacte figurant dans la convention européenne des droits de l'Homme, elle vous proposera de plus de remplacer à l'article 9 l'expression vie privée par celle de " vie privée et familiale ", notion déjà utilisée par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat en matière de droit au séjour et introduite par la loi " RESEDA " dans l'ordonnance du 2 novembre 1945.

Votre commission vous propose d'adopter cet article additionnel .

Article additionnel avant l'article premier
(art. 144 du code civil)
Définition du mariage

Le code civil ne contient aucune définition du mariage. Plus curieux, il n'y est nulle part explicitement précisé qu'il concerne un homme et une femme.

L'hétérosexualité du mariage peut cependant être déduite à travers trois articles :

- l'article 75 énonce que l'officier d'état civil doit recevoir de chaque partie la déclaration qu'elles veulent se prendre pour " mari et femme " ;

- l'article 144 donne l'âge minimal que l'homme et la femme doivent avoir pour contracter un mariage mais sans toutefois préciser que l'homme et la femme se marient entre eux ;

- l'article 162 prohibe le mariage entre le " frère et la soeur " et l'article 163 le mariage entre " l'oncle et la nièce " ou la " tante et le neveu ".

L'absence de différence des sexes n'est pas mentionnée dans les causes de nullité du mariage énumérées aux articles 180 et suivants du code civil. Le caractère hétérosexuel de l'institution du mariage ne fait cependant aucun doute pour la doctrine qui, après avoir vu dans le non respect de la différence des sexes une cause d'inexistence du mariage, s'accorde maintenant pour y voir une cause de nullité absolue.

La jurisprudence, pour sa part, a régulièrement affirmé que l' absence de sexe ou l'impossibilité de reconnaître le sexe d'un époux sont susceptibles d'entraîner la nullité du mariage (Nîmes, 29 novembre 1869, Douai, 1 er mai 1901). Les questions qui se posent quant à l'admission du mariage des transsexuels se situent dans la même problématique.

Mais à l'heure où la notion de différence des sexes semble s'affaiblir, étant considérée par certaines personnes que la commission a entendue comme " une illusion anthropologique " et où, dans certains pays voisins, il est question d'ouvrir l'institution du mariage aux homosexuels, il n'est pas inutile d'affirmer clairement le principe du caractère hétérosexuel du mariage .

Aux Etats-Unis, de nombreux Etats ont modifié leur législation dans le même sens après l'arrêt de la cour suprême de Hawaï qui, en mai 1993, a jugé que l'interdiction du mariage civil aux homosexuels constituait une discrimination.

Votre commission vous propose donc d'adopter une nouvelle rédaction de l'article 144 du code civil , le premier article du titre consacré au mariage (titre V du livre 1 er ), pour définir le mariage comme " l'union d'un homme et d'une femme ".

Afin de bien distinguer le mariage de l'union libre qui reste une simple situation de fait, il convient de plus de préciser que l'union est " célébrée par un officier de l'état civil " .

Votre commission vous propose d'adopter cet article additionnel.

Article additionnel avant l'article premier
(art. 310-1 à 310-3 du code civil)
Définition du concubinage

Le code civil ne contient que peu de références au concubinage, et en tout cas pas de définition, quatre articles seulement reprenant l'expression (voir tableau figurant en annexe).

La jurisprudence a donné divers critères du concubinage qui se combinent différemment en fonction des cas d'espèces : communauté de toit, stabilité et durée des relations, communauté d'intérêts.

Dans ses deux décisions du 11 juillet 1989 rendues en matière sociale, la Cour de cassation a considéré que les couples homosexuels ne pouvaient bénéficier des avantages reconnus aux concubins par des textes faisant référence à la notion de vie maritale à travers laquelle elle a considéré que le législateur avait entendu viser la « situation de fait consistant dans la vie commune de deux personnes ayant décidé de vivre comme des époux sans pour autant s'unir par le mariage, ce qui ne peut concerner qu'un couple formé d'un homme et d'une femme ». Cette jurisprudence a été confirmée le 17 décembre 1997 en matière de droit au bail, contre l'avis de l'avocat général, M. Weber.

Les homosexuels se sont ainsi vus refuser l'accès aux droits reconnus par la loi aux concubins de sexe différent : transfert du droit au bail en vertu de l'article 14 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, affiliation à la sécurité sociale en tant qu'ayant droit de leur compagnon. La loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d'ordre social, en introduisant un deuxième alinéa dans l'article L. 161-14 du code de la sécurité sociale, leur a cependant reconnu cette qualité d'ayant droit pour la sécurité sociale en tant que personne à charge.

La Cour de justice des communautés européennes, elle-même, dans une décision du 17 février 1998, n'a pas considéré comme une discrimination au sens de l'article 119 du Traité le refus opposé à des concubins du même sexe d'une réduction sur le prix des transports accordée à des concubins de sexe opposé, relevant qu'en « l'état actuel du droit au sein de la Communauté, les relations stables entre deux personnes du même sexe ne sont pas assimilées aux relations entre personnes mariées ou aux relations stables hors mariage entre personnes de sexe opposé ».

Il est tout à fait compréhensible que le juge, en l'absence de volonté exprimée par le législateur, n'ait pas souhaité procéder lui-même à l'assimilation des couples homosexuels à des concubins.

En pratique, il semble que le législateur puisse sans inconvénient reconnaître que la vie en commun de deux personnes de même sexe présente des similitudes avec celle de partenaires de sexe différent, justifiant que les mêmes conséquences juridiques puissent en découler.

Autant il est inopportun de créer un statut hybride pour répondre en réalité à la situation des couples homosexuels, comme se propose de le faire la présente proposition de loi, autant est justifiée leur assimilation de fait aux concubins hétérosexuels .

Votre commission vous propose de créer dans le livre premier du code civil relatif aux personnes, à la suite des titres relatifs au mariage et au divorce, un titre VI bis relatif au concubinage comprenant trois articles.

L'article 310-1 donnerait une définition du concubinage permettant d'inclure les couples homosexuels. Le concubinage serait défini comme le fait pour deux personnes de vivre en couple sans être unies par les liens du mariage . Le recours à la notion de couple permettrait de différencier les concubins des simples cohabitants. Elle permettrait également de répondre aux conditions de stabilité et de continuité exigées par la jurisprudence -la cohabitation qui est pourtant généralement l'élément central du concubinage n'étant pas quant à elle impérative.

A côté du mariage, qui a été défini comme l'union officialisée d'un homme et d'une femme, le concubinage serait donc défini comme l'union de fait de deux personnes, sans qu'il soit utile de préciser que les partenaires peuvent être de même sexe ou de sexe différent puisque les deux cas de figure seraient admis.

L'article 310-2 préciserait le régime de la preuve , en énonçant que le concubinage se prouve par tous moyens et en conférant une valeur de présomption légale aux certificats de concubinage actuellement délivrés. Un acte de notoriété délivré par l'officier de l'état civil, le juge ou le notaire ferait ainsi foi jusqu'à preuve du contraire.

Aucune obligation de délivrance de ces certificats n'est cependant instituée.

Le code civil prévoit déjà l'intervention d'actes de notoriété en matière de filiation (art. 311-3), d'acte de naissance des époux (art. 71), d'indivision (art . 815-11). De tels actes sont régulièrement délivrés par les notaires en matière successorale pour prouver la qualité d'héritier.

L'article 310-3 préciserait que les concubins peuvent passer un contrat pour régler leurs relations patrimoniales. Cette possibilité existe actuellement, sous réserve de la jurisprudence sur la cause illicite résultant de l'application combinée des articles 1131 et 1133 du code civil en vertu desquels une cause contraire aux bonnes moeurs est une cause illicite supprimant tout effet à une obligation. Dans le passé, de nombreux contrats entre concubins ont été annulés sur la base de ces dispositions. La jurisprudence s'est beaucoup assouplie, même en cas de concubinage homosexuel ou adultérin, ne maintenant plus un caractère illicite qu'aux libéralités qui auraient pour objet la poursuite ou la continuation des relations. De plus, la preuve du caractère illicite de la convention revient au demandeur de l'annulation, ce qui lui rend l'action plus difficile. Il n'en demeure pas moins qu'une menace peut subsister en l'état actuel du droit sur les conventions passées entre concubins.

Par ailleurs l'affichage de la possibilité d'un tel contrat dans un titre sur le concubinage peut être une incitation positive pour les concubins à organiser leurs relations. Une étude a révélé qu'en 1994, si 39% des couples non mariés étaient titulaires d'un certificat de concubinage délivré en mairie, 3% seulement d'entre eux avaient passé un contrat devant notaire.

Un tel contrat pourrait par exemple fixer les modalités de participation des concubins à la vie commune, constater le patrimoine de chacun, organiser des moyens de preuve de propriété des biens, convenir une présomption de propriété indivise, organiser une indivision et tenter de prévoir les conditions de la rupture.

A l'heure actuelle, pas plus que le pacs, l'assimilation des concubins homosexuels aux concubins hétérosexuels n'auraient pas de conséquences sur la parentalité des premiers.

L'adoption n'est pas ouverte aux concubins mais seulement aux couples ou aux célibataires en application des articles 343 et 343-1 du code civil. Un homosexuel célibataire peut donc demander légalement à adopter un enfant. La pratique administrative, validée par un arrêt du Conseil d'Etat en date du 9 octobre 1996, a refusé systématiquement aux homosexuels l'agrément exigé par l'article 63 du code de la famille et de l'aide sociale, au motif que ces personnes ne présentent pas toutes les " garanties suffisantes sur les plans psychologique, familial et éducatif pour accueillir un enfant ".

La procréation médicalement assistée, quand à elle, peut bénéficier à des concubins, mais elle est expressément réservée par l'article L. 152-2 du code de la santé publique à " l'homme et la femme formant le couple ".

Votre commission vous propose d'adopter cet article additionnel .

Article premier
(art. 515-1 à 515-8 du code civil)
Création d'un pacte civil de solidarité

Cet article insère à la fin du livre premier du code civil relatif aux personnes un nouveau titre XII relatif au pacte civil de solidarité et comprenant les articles 515-1 à 515-8.

La place choisie pour l'insertion du pacs dans le code conduit à s'interroger sur sa nature juridique et sur ses conséquence sur l'état des personnes.

Lors des débats à l'Assemblée nationale, le rapporteur et le garde des Sceaux ont affirmé à maintes reprises que le pacs était un contrat. Le rapporteur l'a qualifié de « convention solennelle ». Mais il a également affirmé à plusieurs reprises que les partenaires ne seraient plus considérés comme des célibataires, ce que le garde des Sceaux n'a pas confirmé.

La lecture des règles posées par le texte rend difficile d'assimiler le pacs à un simple contrat soumis dans son intégralité aux règles posées aux articles 1101 et suivants du code civil. Le régime du pacs semble être à mi-chemin entre celui du contrat et celui d'une institution régissant l'état des personnes. Le texte étant très elliptique, il en résulte de multiples incertitudes sur le droit applicable .

Ces interrogations se retrouveront en matière de droit international privé quand il s'agira de déterminer la loi applicable en cas de pacte conclu avec un partenaire étranger ou de biens situés à l'étranger.

Il est donc important de savoir si le pacs, placé dans le livre Ier relatif aux personnes a des incidences sur l'état des personnes. Dans la négative, il trouverait mieux sa place dans le livre III du code civil.

Article 515-1 du code civil
Définition du pacte civil de solidarité

Le pacs peut être conclu par deux personnes physiques majeures (à l'exclusion donc, du fait d'une modification introduite à l'Assemblée nationale, des mineurs émancipés). Ces personnes peuvent être « de même sexe ou de sexe différent ». Le pacs doit leur permettre « d'organiser leur vie commune ».

Le pacs s'adresse ainsi à des couples hétérosexuels ou homosexuels. Mais seraient également concernés d'après les promoteurs du texte des « duos de solidarité » souhaitant établir une vie commune en dehors de toute relation charnelle. Dans ces conditions, il est permis de s'interroger sur sa limitation à deux personnes.

Si le pacs est un contrat, il peut sembler étrange d'éprouver le besoin de préciser l'identité ou la différence des sexes des partenaires. En l'absence de toute indication, la loi s'applique à tous, indépendamment du sexe des contractants.

Un mineur émancipé ne pourra pas conclure un pacs. Mais la question des incapables n'est pas évoquée. En l'absence de toute mention spécifique, il ne semble pas que le pacs leur soit fermé. Mais quelles seraient les règles applicables ? Faudra-t-il se référer aux pouvoirs du tuteur ou du curateur en matière de passation d'un banal contrat ? En matière de mariage, il est prévu une intervention spécifique du Conseil de famille (art. 506 du code civil).

La notion de vie commune semble très floue. Le texte ne fait pas référence expressément à une obligation de cohabitation. Une simple communauté d'intérêt serait-elle suffisante ? Le rapporteur à l'Assemblée nationale a d'ailleurs plusieurs fois souligné au cours des débats que la cohabitation n'était pas obligatoire, ce que n'a pas véritablement confirmé le garde des sceaux. Au contraire des couples hétérosexuels stables qui cohabitent dans la plupart des cas, les couples homosexuels ne cohabitent que dans la moitié des cas. Dans le cadre du mariage, les époux, même s'ils peuvent avoir deux domiciles distincts (art. 108 du code civil) doivent fixer la résidence commune de la famille (art. 215).

Article 515-2 du code civil
Empêchements à la conclusion d'un pacte civil de solidarité

Sont prévus des empêchements résultant de la parenté (ascendants et descendants et alliés en ligne directe et collatéraux jusqu'au troisième degré inclus) ou d'une union en cours pour l'un des partenaires, à savoir un mariage ou un pacs. Un pacs conclu malgré ces empêchements est nul.

Concernant la parenté, sont ainsi prohibés les pacs en ligne directe entre parents ou grands parents et enfants ou petits enfants, mais également entre beaux parents et beaux enfants. En ligne collatérale, l'interdiction s'applique entre frères et soeurs et aux oncles et tantes avec leurs neveux ou nièces par le sang. Ces empêchements sont exactement calqués sur ceux prévus pour le mariage aux articles 161 à 163 du code civil mais ils sont encore plus rigoureux, n'étant pas susceptibles de bénéficier de la dispense prévue à l'article 164 du code civil pour les mariages entre beaux parents et beaux enfants et entre oncle et nièce et tante et neveu.

En tout état de cause, ces empêchements familiaux peuvent sembler curieux dans le cadre d'une institution qui n'implique pas obligatoirement des relations charnelles. Interrogé sur la question, le garde des sceaux a répondu que les relations charnelles étaient présupposées, justifiant que soit éliminé tout risque d'inceste. Mais en tout état de cause, des relations entre collatéraux au troisième degré ou entre alliés en ligne directe ne devraient pas subir cette rigueur.

L'empêchement résultant des unions en cours se réfère à l'interdiction de la bigamie prévue à l'article 147 du code civil.

Le texte sanctionne le non respect des empêchements par la nullité du pacs . Mais rien n'est dit, alors que cela semblerait indispensable, sur les conditions de mise en oeuvre d'une éventuelle action en nullité, tant concernant les personnes qui seraient susceptibles de l'invoquer que sur les délais de prescription. Concernant le mariage, un chapitre entier est consacré aux demandes en nullité et à leurs conséquences (articles 180 à 201). Lors du débat à l'Assemblée nationale, le garde des sceaux a réfuté la notion de nullité absolue pouvant être invoquée pendant trente ans par tout intéressé ainsi que par le ministère public, ce qui semblerait pourtant logique.

Par ailleurs, aucune sanction n'est prévue pour des partenaires qui enfreindraient sciemment un des empêchements prévus. En matière de mariage d'ailleurs, seule la bigamie est sanctionnée pénalement ( art. 433-20 du code pénal ).

Article 515-3 du code civil
Réception, inscription et conservation
du pacte civil de solidarité

Une déclaration écrite conjointe organisant leur vie commune doit être remise par les partenaires au greffe du tribunal d'instance dans le ressort duquel ils fixent leur résidence.

Doivent être joints à cette déclaration une copie de l'acte de naissance de chaque partenaire et un certificat du greffe du tribunal d'instance du lieu de naissance (ou du tribunal de grande instance de Paris en cas de naissance à l'étranger) attestant qu'ils ne sont pas liés par un pacs.

Un registre des déclarations est tenu par le greffier qui assure également la conservation de la déclaration. L'inscription de la déclaration sur le registre assure date certaine au pacs. les modifications du pacte font également l'objet d'un dépôt, d'une inscription et d'une conservation au greffe du tribunal qui a reçu l'acte initial.

Mention de la déclaration est faite sur un registre tenu au greffe du tribunal d'instance du lieu de naissance de chaque partenaire (ou au tribunal de grande instance de Paris, en cas de naissance à l'étranger).

A l'étranger, l'ensemble des opérations concernant le dépôt, l'enregistrement et la conservation du pacte, est assuré par les agents diplomatiques et consulaires, étant précisé qu'un des partenaires doit être français.

Cet article soulève de nombreuses questions tenant tant au choix du lieu qu'à la procédure d'enregistrement du pacs ou à sa publicité concernant les tiers.

Le lieu d'enregistrement du pacs a été fixé au greffe du tribunal d'instance, après de nombreuses hésitations, à la suite de l'adoption d'un amendement présenté par M. Alain Tourret. Les propositions de loi initiales prévoyaient un enregistrement par l'officier d'état civil. Le texte rendu public au printemps 1998 confiait cette responsabilité aux services de la mairie. Devant l'opposition formulée par de nombreux maires, la commission des Lois avait finalement opté pour un enregistrement à la préfecture. Cette dernière solution avait quant à elle fait l'objet d'une opposition résolue de la part de l'ensemble de la communauté homosexuelle, l'image de la préfecture étant trop associée dans son esprit à des pratiques de fichage dangereuses pour les libertés individuelles.

Le but des promoteurs de la proposition était de choisir une autorité publique facilement accessible aux intéressés, permettant ainsi d'obtenir une reconnaissance officielle du couple en limitant les complications procédurales. Le greffe du tribunal d'instance a été considéré par eux comme un compromis acceptable. Les associations homosexuelles que votre commission a entendues se sont toutes néanmoins déclarées attachées à un enregistrement par l'officier d'état civil, principalement pour son caractère symbolique faisant référence à la célébration du mariage, mais également pour des considérations pratiques.

Il existe actuellement 473 tribunaux d'instance en France, soit en moyenne 4 à 6 par département. Leurs greffes exercent déjà des attributions en matière de compte de tutelle ou de délivrance de certificats de nationalité. Mais chacun sait qu'ils sont surchargés. Aucune étude d'impact n'ayant été réalisée, il est impossible de connaître les conséquences du texte sur leur fonctionnement ni les moyens supplémentaires qu'il conviendra de leur accorder.

Or, si la déclaration, qui semble devoir être remise en personne par les intéressés, peut être reçue par tout agent du greffe, l'enregistrement qui donne date certaine au pacte, est accompli par un greffier. D'après les renseignements obtenus par votre rapporteur, tous les tribunaux d'instance ne disposeraient pas d'un greffier à temps plein. Le délai d'enregistrement de la déclaration peut en être allongé d'autant, la date du pacs dépendant ainsi curieusement de la célérité de son enregistrement par un fonctionnaire. Il est à supposer que les partenaires disposeront d'un acte officiel leur précisant cette date. Mais s'ils n'en sont pas informés sans délai, les effets du pacs concernant le régime des biens et des dettes pourraient commencer à courir sans qu'ils en soient informés.

En tout état de cause, le texte n'indique pas clairement si le pacs peut produire des effets entre les parties dès sa signature sous seing privé où s'il prend effet, à l'égard des tiers comme des parties, à la date de son enregistrement. Cette incertitude peut être source d'importantes difficultés.

Il convient de s'interroger sur les moyens dont disposeront les greffiers pour vérifier la régularité d'un pacs et la latitude qu'ils auront pour refuser un enregistrement. Contrairement au mariage, aucune opposition n'est prévue, et certains empêchements seront impossibles à constater simplement vu de l'acte de naissance (alliés, oncle et tante, nièce et neveu). Les greffiers ne semblent donc pas armés pour faire respecter les empêchements .

Aucun contrôle n'est exercé sur le contenu de la déclaration déposée et conservée au greffe. Il ne ressort d'ailleurs pas clairement du texte si cette déclaration constitue elle-même le pacte ou si le pacte existe par ailleurs. Les clauses pouvant figurer dans la déclaration et les règles d'ordre public auxquelles les partenaires ne pourraient pas déroger ne sont pas indiquées. Cette déclaration pourrait-elle, par exemple, contenir une clause de non-responsabilité permettant aux partenaires de rompre sans aucune responsabilité l'un envers l'autre ?

Le pacs, contrairement au mariage ne fait l'objet d'aucune publicité . Rien n'est indiqué concernant l'information des tiers ou sur la possibilité pour eux de se faire communiquer le contenu de la déclaration. Des tiers pourront-ils au moins se renseigner, pour savoir si une personne a conclu un pacte ? Quelles seront les possibilités d'accès à ce nouveau registre, notamment pour les personnes s'apprêtant à se marier et qui voudraient connaître les liens contractés par leur futur conjoint ? Une publicité sera-t-elle organisée pour les commerçants au registre du commerce et des sociétés ?

L'information des tiers est cependant essentielle dans la mesure ou le pacte implique une indivision et une solidarité pour dettes. Le pacs sera le seul acte sous seing privé à obtenir date certaine contre les tiers en dehors des conditions habituelles énoncées à l'article 1328 du code civil que sont l'enregistrement, la mort de l'un des contractants ou un acte dressé par un officier public. Le respect de la vie privée doit être assuré mais ne doit pas conduire à négliger la sécurité juridique des tiers .

L'absence de tout lien avec l'état civil alourdit l'ensemble des procédures et conduit à la mise en place d'un véritable état civil bis exigeant de multiples transmissions d'informations sources d'erreurs entre différents tribunaux d'instance par ailleurs surchargés. N'aurait-il pas été préférable de pouvoir utiliser le répertoire civil tenu au tribunal de grande instance plutôt que de créer de nouveaux fichiers ?

Article 515-4 du code civil
Obligations résultant du pacte civil de solidarité

Les partenaires s'apportent « une aide mutuelle et matérielle », les modalités de cette aide étant fixées par le pacte.

Ils sont tenus solidairement à l'égard des tiers des dettes contractées par l'un d'eux pour les besoins de la vie courante.

Les obligations que contractent les partenaires apparaissent minimes si on les compare à celles incombant aux époux 10( * ) .

L'obligation d'aide mutuelle et matérielle peut être comparée à la formule figurant à l'article 212 du code civil énonçant que les époux se doivent mutuellement « fidélité, secours et assistance ».

Toute latitude est laissée aux partenaires pour définir les modalités de l'aide mutuelle qu'ils s'apportent. La déclaration pourrait contenir des dispositions minimales. Il n'est pas précisé, comme pour les époux, que les partenaires contribuent aux charges du ménage « à proportion de leurs facultés respectives » ( art. 214 du code civil ).

Mais, contrairement à ce que prévoit l'article 214 du code civil , rien n'est précisé quand aux moyens de faire respecter cette obligation par son partenaire. Le juge pourra-t-il s'appuyer sur le contenu du pacte pour obliger un partenaire à remplir son obligation d'aide ?

Les partenaires ne sont pas astreints à une communauté de vie comme le sont les époux par l'article 215 du code civil mais il est néanmoins précisé à l'article 515-1 que le pacte est conclu pour organiser la vie commune. Comme il a été indiqué plus haut, il ne ressort pas clairement des débats de l'Assemblée nationale si les partenaires sont soumis ou non à une obligation de cohabitation.

La solidarité pour dettes apparaît présenter un certain danger pour les partenaires car elle n'est pas tempérée comme celle des époux par la notion de « dépenses manifestement excessives », ni pour les achats à tempérament ou les emprunts ( art. 220 du code civil ).

Il n'est pas non plus précisé que les partenaires contractent comme les époux « l'obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants » ( art. 203 du code civil ) ni qu'ils « pourvoient à l'éducation des enfants et préparent leur avenir » ( art. 213 du code civil ). On s'aperçoit donc d'emblée que les enfants sont les grands absents du pacs .

Article 515-5 du code civil
Régime des biens acquis postérieurement
à la conclusion d'un pacte civil de solidarité

A défaut de stipulations contraires, les biens acquis à titre onéreux postérieurement à la conclusion du pacte sont soumis au régime de l'indivision. Les biens dont la date d'acquisition ne peut être établie sont soumis au même régime.

Le texte rendu public au printemps 1998 avait prévu l'application du régime de la communauté réduite aux acquêts, par assimilation avec le mariage.

Le régime désormais proposé est celui de l'indivision légale fixé par les articles 815 à 815-18 du code civil. Les partenaires pourraient vraisemblablement aménager ce régime en passant une convention d'indivision en application des articles 1873-2 et suivants du code civil. Mais il ne semble pas qu'il puisse adopter un autre régime de manière générale, les dérogations devant être précisées bien par bien.

A défaut d'autre stipulation ces biens seront réputés appartenir pour moitié à chacun des partenaires.

Le régime établi semble très dangereux, dans la mesure où le texte ne se borne pas à établir une simple présomption d'indivision pour les biens dont l'origine ne peut être déterminée. Or, si l'acquisition d'un immeuble fait l'objet d'un acte, il n'est pas certain que les partenaires penseront à s'exonérer de l'indivision. L'acquisition des meubles, quant à elle, fait rarement l'objet d'un acte. De plus les biens acquis rentreraient automatiquement dans l'indivision, même achetés avec les deniers propres d'un partenaire ou en remploi de la vente d'un bien propre. L'indivision semble avoir le même effet que la communauté réduite aux acquêts mais sans tous les mécanismes régulateurs de remplois ou de récompenses prévus par les régimes matrimoniaux.

Cette indivision, potentiellement dangereuse pour les partenaires, peut éventuellement être source de fraude pour permettre des donations déguisées de biens qui, acquis par un seul partenaire, éventuellement avant le début du pacs, se retrouveraient en indivision à la fin du pacs.

L'indivision peut de plus interférer avec le droit des sociétés ou le droit commercial. Un partenaire non commerçant pourrait ainsi se retrouver par le biais de l'indivision titulaire d'une partie d'un fond de commerce qu'il n'aurait pas le droit d'exploiter. Des parts de SARL pourraient devenir indivises au mépris des règles du droit des sociétés.

Article 515-6 du code civil
Régime des biens après dissolution
du pacte civil de solidarité

En cas de dissolution du pacte, les partenaires pourront demander l'attribution préférentielle d'une exploitation agricole, d'une entreprise, d'un local professionnel ou d'un logement, comme peut le faire le conjoint survivant (art. 832 à 832-4 du code civil) ou celui dont le régime matrimonial est liquidé.

L'attribution préférentielle est une vieille institution extrêmement complexe du droit successoral qui avait essentiellement pour objet à l'origine d'éviter le morcellement des exploitations agricoles en permettant à un héritier qui participait à l'exploitation de se voir attribuer tout ou partie de cette exploitation, à charge de versement d'une soulte aux autres héritiers. Cette institution a été étendue aux entreprises et aux locaux professionnels ainsi qu'au logement d'habitation au bénéfice d'un héritier qui y résidait au moment du décès.

Les articles 1476 et 1542 du code civil étendent la possibilité d'attribution préférentielle à la liquidation des régimes matrimoniaux, étant précisé qu'elle n'est jamais de droit.

Le présent article rend possible l'attribution préférentielle d'un bien à un partenaire aussi bien en cas de rupture que de décès du partenaire. Elle peut se révéler utile en cas de décès pour permettre par exemple à un partenaire en concurrence avec d'autres héritiers de rester dans le logement qu'il occupait. En cas de rupture, son intérêt semble moindre, un partenaire pouvant demander à acquérir les parts de l'autre au moment du partage de l'indivision. Quoiqu'il en soit, il n'est pas certain que les conséquences de l'extension en bloc aux pacsés des articles 832 à 832-4 du code civil aient été bien mesurées, ainsi que l'a indiqué le professeur Hauser s'exprimant en ces termes devant votre commission : « on ne peut certainement pas étendre d'un trait de plume, comme cela, la totalité de ces articles qui représentent sept ou huit pages du code civil Dalloz ».

Article 515-7 du code civil
Causes de dissolution du pacte civil de solidarité

Cet article, supprimé par l'Assemblée nationale, prévoyait que le pacs prenait fin par la volonté, le mariage ou le décès de l'un des partenaires. Ces trois causes subsistent mais sont énumérées en même temps que les modalités de dissolution, à l'article suivant.

Article 515-8 du code civil
Modalités de dissolution du pacte civil de solidarité

Il existe en fait quatre cas de dissolution du pacs qui engendrent des procédures de dissolution différentes :


• La volonté concordante des partenaires . Dans ce cas, ils remettent une déclaration au greffe du tribunal d'instance dans le ressort duquel l'un d'entre eux a sa résidence. Le greffier inscrit cette déclaration sur un registre et en assure la conservation. Il fait porter mention de cette déclaration en marge de l'acte initial. Le pacs prend fin dès que cette mention en marge de l'acte initial est effectuée ;


• La volonté unilatérale d'un partenaire . Dans ce cas l'intention de rompre doit être signifiée au partenaire par voie d'huissier et la copie de cette signification doit être transmise au greffe du tribunal d'instance qui a reçu l'acte initial. Le greffier fait porter mention de la fin du pacte sur l'acte initial. Le pacte prend fin 3 mois après la signification d'huissier à condition que cette dernière ait été transmise au greffe ;


• Le mariage de l'un des partenaires. Le pacte prend fin dès le mariage. La personne qui s'est mariée doit signifier par huissier son mariage à son partenaire et adresser copie de la signification et de son acte de naissance faisant état du mariage au greffe du tribunal qui a reçu l'acte initial ;


• Le décès de l'un des partenaires. Le pacte prend fin dès le décès. Le partenaire survivant ou tout intéressé doit adresser copie de l'acte de décès au greffe du tribunal d'instance qui a reçu l'acte initial.

Dans tous les cas, il semblerait, en toute logique et d'après les débats à l'Assemblée nationale, que le greffier doive faire procéder à la mention de la fin du pacte sur le registre tenu par le greffe du tribunal d'instance du lieu de naissance des partenaires (la fin du cinquième alinéa de l'article 515-8 comporte dans ce cas un visa erroné : pour viser le registre du lieu de naissance, il aurait fallu viser le quatrième alinéa et non le troisième alinéa de l'article 515-3).

A l'étranger, ce sont les agents diplomatiques et consulaires qui reçoivent la déclaration ou les actes et font procéder aux inscriptions nécessaires.

Dans tous les cas, les partenaires déterminent eux-mêmes les conséquences à leur égard de la rupture du pacs. En cas de désaccord, celles-ci sont réglées par le juge.

Les modalités de dissolution prévues présentent des incohérences et n'assurent de plus aucune protection au plus faible des partenaires .

Les modalités de dissolution résultant de la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale semblent manquer de cohérence :


• Dans le cas d'accord des partenaires, et seulement dans ce cas, la déclaration peut être effectuée dans un autre greffe que celui qui a reçu l'acte initial et fait l'objet d'un enregistrement spécial sur un registre. On se trouve donc en présence d'un registre supplémentaire qui aurait pu être évité.

Cette procédure a été prévue pour éviter aux partenaires, qui doivent se présenter en personne au greffe, d'avoir, en cas de déménagement, à se déplacer trop loin de leur domicile. Mais il convient de souligner qu'une telle facilité n'est pas prévue en cas de dépôt d'une modification du pacte tel que prévu à l'article 515-3.

La fin du pacte n'intervient qu'une fois la mention faite sur l'acte initial, donc, comme au début du pacte, à une date, que les partenaires ne connaissent pas et qui dépend uniquement de la diligence de services administratifs . Mais ici les délais risquent d'être encore allongés par la nécessité de transmission au greffe qui a reçu l'acte initial, et avec des conséquences importantes sur le régime des biens et des dettes. L'indivision et la solidarité continuent en effet jusqu'à la date d'enregistrement qui ne dépend pas des intéressés et dont il n'est même pas certain qu'ils puissent être informés sans délai.


• Dans les autres cas, les actes (signification d'huissier, acte de mariage ou de décès), sont directement adressés au tribunal qui a reçu l'acte initial et il n'est pas prévu d'enregistrement de la fin du pacte ailleurs qu'en marge de l'acte initial.


• En cas de rupture unilatérale , le pacs prend fin trois mois après la signification d'huissier. Il peut sembler anormal que pendant ce délai le régime des biens et des dettes ne soit pas modifié . Seule devrait se poursuivre l'aide mutuelle et les différents avantages sociaux liés au pacs. La signification par huissier (le texte précise que le partenaire signifie sa décision à l'autre, sans préciser qu'il le fait par huissier, ce que certains professionnels du droit entendus par votre rapporteur n'ont pas jugé suffisamment clair) a été considérée comme plus protectrice que l'envoi d'une simple lettre recommandée. Mais, en cas d'abandon du domicile par un partenaire, l'autre n'aura pas plus de chance de lui faire parvenir qu'une lettre recommandée. On peut penser que, dans ce cas, le délai de trois mois serait décompté à partir d'une signification en mairie ou au parquet, faute de quoi, il serait impossible de rompre le pacs.


• En cas de mariage d'un partenaire avec un tiers, la rupture est très brutale
. Pour préserver la liberté du mariage, aucun délai n'est prescrit entre la rupture d'un pacs et le mariage. Le mariage lui-même, et non l'information du partenaire et du greffe, met fin au pacte. L'information du partenaire peut être postérieure au mariage, celle du greffe l'étant obligatoirement. Mais l'omission de ces formalités n'est pas sanctionnée et semble être sans incidence sur la fin du pacte. Celui-ci pourrait ainsi, sans aucune sanction pour le nouveau marié, être rompu de plein droit sans que le partenaire n'en soit informé . Ne serait-il pas possible d'exiger que le partenaire soit prévenu (au minimum pendant le délai de dix jours de publication des bans) sous peine de voir l'obligation d'aide matérielle se poursuivre ?

Comme en matière de conclusion du pacs, rien n'est dit concernant les incapables , tant sur la possibilité de rompre un pacs que sur la protection qui pourrait éventuellement leur être accordée pour atténuer pour eux les effets d'une rupture brutale. Des dispositions spécifiques sont ainsi prévues en matière de mariage aux articles 249 et suivants du code civil.

La protection du plus faible n'est pas assurée alors que la possibilité de rupture unilatérale ouverte à tout moment peut être considérée comme un retour à la répudiation. L'article 1134 du code civil, énonce pourtant que les conventions ne peuvent être révoquées que par consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise.

Aucun devoir de secours ne subsiste obligatoirement après la dissolution du pacs. Il faudrait que subsiste un devoir de secours au moins pendant une durée limitée. Les partenaires pourraient ainsi convenir du versement d'une pension provisoire à celui qui se trouverait démuni. En cas de désaccord, le juge pourrait fixer le montant et la durée de la pension.

La précision tendant à ce qu'en cas de désaccord sur les conséquences de la rupture le juge tranche semble complètement inutile, le juge étant toujours susceptible d'intervenir dans ce cas. A défaut de précision, il semble que la juridiction de droit commun, le tribunal de grande instance, devrait être saisie. En revanche, il aurait été indispensable de préciser les règles de droit applicables. Le juge devra-t-il se référer au droit des contrats et allouer des dommages et intérêts de nature contractuelle, sachant que jusqu'à présent les dommages et intérêts alloués en matière de concubinage l'étaient toujours sur le plan de la responsabilité délictuelle en application de l'article 1382 du code civil ?

En présence d'enfants, il est permis de se demander comment s'articulera l'intervention du juge, concernant notamment le logement, avec celle du juge aux affaires familiales qui se prononcerait sur la garde des enfants et sur l'autorité parentale.

Au terme de cet examen de l'article premier créant le pacs qui a permis d'en faire ressortir les insuffisances et les incohérences juridiques, votre commission des Lois ne peut que répéter son opposition au principe même du pacs, déjà développée dans l'exposé général.

Votre commission vous propose de supprimer l'article premier .

Article 2
(art. 6 du code général des impôts)
Imposition commune au titre de l'impôt
sur le revenu et des impôts directs

Cet article prévoit l' imposition commune des partenaires liés par un pacs au titre de l'impôt sur le revenu pour les revenus de l'année du troisième anniversaire de l'enregistrement du pacs.

Le paragraphe I complète à cet effet le paragraphe 6 de l'article 6 du code général des impôts. Il précise que l'imposition est établie aux deux noms, séparés par le mot : " ou ".

Le paragraphe II insère dans le même article 6 un paragraphe 7 prévoyant des dispositions applicables l'année de la fin d'un pacs : chaque partenaire est personnellement imposable pour les revenus dont il a disposé au cours de l'année de la rupture du pacs ; si deux partenaires liés par un pacs se marient, l'imposition commune continue sans que s'appliquent les règles spécifiques à l'imposition des revenus de la première année du mariage ; en cas de décès d'un partenaire, le survivant est personnellement imposable pour la période postérieure au décès.

Le paragraphe III assimile les partenaires aux époux concernant l'ensemble des autres règles d'imposition et d'assiette, de liquidation, de paiement et de contrôle de l'impôt sur le revenu et des impôts directs locaux. Les partenaires sont donc notamment tenus solidairement au paiement de l'impôt.

Actuellement seuls les époux font l'objet en application de l'article 6 du code général des impôts d'une imposition commune. Leur revenu global est divisé par le nombre de parts déterminé en application de l'article 194 du code général des impôts. Le taux de l'impôt est appliqué au quotient ainsi déterminé, dit quotient familial, ce qui permet de limiter la progressivité de l'impôt.

En application de l'article 194 du code général des impôts, les époux bénéficient de deux parts auxquelles s'ajoutent, pour chaque enfant mineur à charge, une demi-part pour les deux premiers et une part à partir du troisième. Les personnes titulaires de la carte d'invalidité et vivant sous le toit du contribuable peuvent être considérées comme à charge et ouvrir droit au bénéfice du quotient familial (art. 196 A bis). Les enfants majeurs de moins de 21 ans, ou de moins de 25 ans s'ils poursuivent des études, peuvent également demander leur rattachement au foyer fiscal de leur parents (art. 6) et les faire bénéficier du quotient familial ou, s'ils sont mariés ou ont des enfants, d'un abattement par personne à charge (art. 196 B).

L'avantage fiscal résultant de l'application du quotient familial aux deux premières parts attribuées au titre des époux n'est pas plafonné. On parle de " quotient conjugal ".

En revanche l'avantage en impôt résultant de chaque demi-part supplémentaire pour enfant à charge est plafonné. La loi de finances pour 1999 a diminué ce plafond de 16 380 F à 11 000 F, en contrepartie de l'abandon de la mise sous condition de ressources des allocations familiales qui avait été opérée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998.

Les concubins font l'objet d'une imposition séparée. Pour le calcul du quotient familial, ils ne bénéficient donc que d'une part à laquelle s'ajoutent éventuellement les parts au titre des enfants qu'ils déclarent à leur charge, déterminées dans les mêmes conditions que pour les époux. Ils ne bénéficient donc pas du quotient conjugal.

Le tableau de l'article 194 du code général des impôts fixant le nombre de parts en fonction du nombre de membres composant le foyer n'est pas modifié pour tenir compte du pacs. Il faudra donc se référer à la situation des personnes mariées. L'imposition commune des partenaires aboutirait donc à les faire bénéficier du système du quotient conjugal .

Il est extrêmement choquant qu'il soit envisagé de permettre à des partenaires de bénéficier du quotient conjugal dont l'avantage fiscal n'est pas plafonné alors que le Gouvernement n'a pas hésité à diminuer les avantages fiscaux en faveur des familles à hauteur de 4,5 milliards de francs.

Certes, l'imposition commune ne serait pas toujours profitable aux partenaires. Elle serait défavorable à deux partenaires ayant de faibles revenus leur permettant de bénéficier chacun de la décote en cas d'imposition séparée. Elle serait neutre pour des partenaires ayant des revenus équivalents. Elle serait en revanche très avantageuse dans le cas de grande différence entre le montant des revenus des partenaires, la division du revenu en deux parts permettant d'atténuer la progressivité de l'impôt qui, en cas d'imposition séparée, toucherait le revenu le plus élevé.

L'imposition commune serait également profitable aux partenaires dans le cas ou la prise en compte commune des enfants de chacun aboutirait à rattacher au foyer trois enfants ou plus permettant de bénéficier d'une part entière pour chaque enfant à partir du troisième.

Une personne ayant un revenu élevé aura tout intérêt à conclure un pacs avec une personne disposant de faibles revenus, puisque l'avantage fiscal résultant de l'imposition commune ne sera pas plafonné . Cette personne pourrait de manière paradoxale retirer de l'application du quotient familial un plus grand bénéfice fiscal qu'une personne élevant seule un enfant. Une telle personne bénéficie en effet pour le calcul de son impôt d'une part entière au titre de son enfant, au lieu d'une demi-part, mais le bénéfice fiscal qu'elle peut en retirer est plafonné à 20 270 F.

Le délai de carence de trois ans permet de limiter le risque de fraude. Ce délai est très critiqué par la communauté homosexuelle qui y voit une discrimination intolérable par rapport aux personnes mariées. Il semble cependant justifié du fait de l'extrême facilité de conclusion et de rupture d'un pacs et du peu d'obligations que celui-ci génère.

Votre commission estime qu'il n'y a pas de raison d'étendre le bénéfice de l'imposition commune en dehors du mariage . L'augmentation de 10% des mariages intervenue en 1996 à la suite du vote dans la loi de finances pour 1999 d'un amendement supprimant aux concubins la demi-part supplémentaire dont ils pouvaient bénéficier au titre d'un enfant à charge démontre que la loi fiscale peut avoir une incidence sur les choix personnels des individus. Or, votre commission estime qu'il convient avant tout d'encourager le mariage .

De plus l'imposition commune des couples hors mariage ne se justifie pas si l'on compare leur situation à celle des personnes seules qui, d'après les études de l'INSEE, bénéficient à revenu égal d'un train de vie de 30% inférieur aux personnes vivant en couple. Pourquoi accorder un avantage fiscal à des personnes qui ont moins de charges ?

Défavorable à l'imposition commune, votre commission considère que certaines situations de solidarité méritent néanmoins d'être prises en compte fiscalement .

Un contribuable hébergeant sous son toit une personne ayant de très faibles ressources devrait pouvoir bénéficier d'un abattement . Cette solution permettrait d'éviter l'application du quotient conjugal non plafonné tout en prenant en compte les charges générées par une personne qui ne bénéficie pas de la solidarité nationale.

Le niveau de cet abattement pourrait être le même que celui de 20 370 F accordé pour chaque enfant majeur de moins de 21 ans (ou 25 ans s'il continue ses études) marié ou ayant des enfants et ayant demandé le rattachement au foyer fiscal de ses parents (article 196  B du code général des impôts).

Les éventuels enfants à charge de cette personne, vivant également sous le toit du contribuable, lui permettraient de bénéficier du quotient familial au même titre des enfants recueillis au foyer du contribuable, visés à l'article 196 du code général des impôts.

Cet avantage ne pourrait être accordé qu'au titre d'une seule personne. Votre commission vous proposera ci-dessous un article additionnel prenant en compte de la situation des frères et soeurs, oncles et tantes, neveux et nièces isolés qui sont dans le besoin.

Ainsi, cette disposition permettrait à un contribuable de bénéficier d'un abattement, par exemple au titre d'une concubine sans ressources -les enfants éventuellement à charge de cette dernière donnant droit à l'application du quotient familial.

Votre commission vous propose donc une nouvelle rédaction de l'article 2 :

- Insérant dans le code général des impôts un article 196 A ter permettant à un contribuable de bénéficier d'un abattement de 20 370 F au titre d'une personne vivant sous son toit et touchant des revenus inférieurs au revenu minimum d'insertion ;

- Modifiant par coordination l'article 6 du code général des impôts pour prévoir le rattachement fiscal de cette personne au foyer du contribuable ;

- Modifiant l'article 196 du code général des impôts pour préciser que les enfants de cette personne donneront droit à l'application du quotient familial.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 2 ainsi rédigé .

Article additionnel après l'article 2
(art. 156, II 3° du code général des impôts)
Déduction des avantages consentis aux collatéraux dans le besoin

Les collatéraux sont considérés en tant que tels comme des étrangers au titre de l'impôt sur le revenu.

Ils peuvent, certes, être considérés comme personne à charge en tant qu'invalides vivant sous le toit d'un contribuable et ouvrir ainsi droit au bénéfice d'une demi-part supplémentaire (art. 196 A bis du CGI). S'ils vivent sous le toit du contribuable, sont âgés de plus de 75 ans et disposent de ressources inférieures à un certain plafond, ils peuvent ouvrir droit à une déduction au titre des avantages en nature qui leur sont consentis (art. 156, II 2° ter du CGI).

Les ascendants et les descendants peuvent ouvrir droit à la déduction des pensions alimentaires qui leur sont versées en application de l'obligation alimentaire définie aux articles 207 à 211 et 367 du code civil. Les pensions alimentaires versées entre époux ou ex-époux sont également déductibles (art. 156, II 2° bis du CGI).

En l'absence d'obligation alimentaire imposée par le code civil à l'égard des collatéraux, il n'est actuellement pas possible d'opérer une déduction au titre d'une aide versée à un frère ou une soeur, un oncle ou une tante ou un neveu ou une nièce dans le besoin, hors du cas mentionné ci-dessus.

Votre commission estime que la solidarité entre collatéraux, du moins jusqu'au troisième degré, doit être encouragée. Seraient concernés sans condition d'âge, et même s'il ne cohabite pas avec le contribuable, tout collatéral jusqu'au troisième degré non marié disposant de faibles revenus .

Elle vous propose à cet effet d'adopter un article additionnel insérant dans l'article 156, II du code général des impôts un paragraphe 3° prévoyant la possibilité de déduction des sommes versées aux collatéraux jusqu'au troisième degré, célibataires, veufs, divorcés ou séparés, dont le revenu serait inférieur au montant du revenu minimum d'insertion. Le plafond du montant de la déduction serait identique à celui de l'abattement institué à l'article 2 pour les personnes à charge, soit 20.370 F.

Un gage financier est prévu pour compenser la diminution prévisible des ressources fiscales résultant de cette disposition.

Votre commission vous propose d'adopter cet article additionnel .

Article 3
(art. 777 bis et 779 du code général des impôts)
Tarif et abattement applicables en matière de droits
sur les successions et donations

Cet article prévoit une diminution des droits de mutation à titre gratuit, en cas de legs ou de donation effectué au profit d'un partenaire lié au donateur ou au testateur par un pacs . Cette diminution résulte à la fois de la baisse des taux applicables et de l'augmentation de l'abattement opéré sur la part reçue. Mais elle est soumise au respect d'une durée de deux ans de pacs .

Le paragraphe I insère dans le code général des impôts un article 777 bis fixant le taux des droits de mutation à titre gratuit applicables sur la part taxable reçue par un partenaire.

Au lieu du taux de 60% prévu pour les personnes étrangères l'une à l'autre (taux applicable aux concubins), le taux est fixé à 40% jusqu'à 100 000 F imposables et à 50% au-delà.

Mais il n'est applicable que pour les personnes ayant conclu un pacs depuis au moins deux ans à la date du décès ou de la donation. Le délai de deux ans n'est pas applicable, pour les successions, en cas de maladie grave du testateur (maladies énumérées à l'article L. 322-3 du code de la sécurité sociale, dont l'infection par le virus HIV).

Les autres taux actuellement applicables sont les suivants (art. 777 du CGI) :


• conjoint survivant : de 5% jusqu'à 50 000 F à 40% au-delà de 11 200 000 F, selon un barème progressif de sept tranches ;


• ascendants et descendants : de 5% jusqu'à 50 000 F à 40% au-delà de 11 200 000 F, comme pour les conjoints mais avec des taux intermédiaires un peu moins favorables pour la fraction de la part taxable comprise entre 75 000 F et 200 000 F ;


• frères et soeurs : 35% jusqu'à 150 000 F et 45% au delà ;


• parents jusqu'au 4 ème degré : 55% ;


• parents au delà du 4 ème degré et non parents : 60%

Des réductions de droits sont opérées dans plusieurs cas, notamment pour les légataires ou donataires ayant trois enfants (art. 780 du CGI) ou pour les mutilés de guerre (art. 782). Les donations effectuées par des donateurs de moins de soixante-cinq ans bénéficient d'une réduction de 50% des droits et celles effectuées par un donateur âgé de soixante cinq à soixante quinze ans d'une réduction de 30% (35% en cas de donation partage).

Les taux applicables aux partenaires liés par un pacs seraient donc compris entre ceux réservés aux frères et soeurs et ceux applicables aux parents jusqu'au 4 ème degré.

Le paragraphe II opère une coordination dans l'article 780 du code général des impôts.

Le paragraphe III complète l'article 779 du code général des impôts pour fixer l' abattement applicable sur la part reçue par un légataire ou donataire de son partenaire.

Cet abattement est de 300 000 F en cas de donation ou de succession intervenant jusqu'à la fin de l'année 1999 entre partenaires liés par un pacs depuis au moins deux ans . Ce montant est porté à 375 000 F à partir du 1 er janvier 2000. La condition de durée du pacs n'est pas applicable au legs quand le testateur est reconnu atteint d'une maladie grave.

Actuellement les personnes étrangères l'une à l'autre (dont les concubins) n'ont droit à aucun abattement sur les donations et bénéficient d'un abattement de 10 000 F sur les successions (art. 788 du CGI).

Le conjoint survivant a droit, depuis la loi de finances pour 1999, à 400 000 F jusqu'à la fin de l'année 1999 et à 500 000 F à partir du 1 er janvier 2000 ; les ascendants et les enfants bénéficient d'un abattement de 300 000 F, inférieur à celui qui sera applicable aux signataires d'un pacs dès le 1 er janvier 2000. Une personne handicapée incapable de travailler peut également bénéficier d'un abattement de 300 000 F (art. 779 du CGI).

Les frères et soeurs ne bénéficient d'aucun abattement sauf, en matière de succession, d'un abattement de 100 000 F, à condition qu'ils soient célibataires, veufs, divorcés ou séparés de corps, qu'ils aient plus de 50 ans ou soient atteints d'une infirmité les rendant incapables de subvenir à leur besoins et qu'ils aient été domiciliés pendant cinq ans avec le défunt avant sa mort (art. 788 du CGI).

Le paragraphe IV gage financièrement l'article, le gouvernement ayant souhaité des délais plus importants de durée du pacs pour l'ouverture des droits.

Un délai de carence semble indispensable à respecter en matière de donation, pour limiter le réel risque de fraude. Il semble moins essentiel pour les successions.

La clause abrégeant les délais en cas de succession pour les maladies graves ne semble répondre à aucune logique, la situation d'un partenaire survivant d'une personne morte accidentellement étant aussi digne de considération que celle du partenaire d'une personne morte du SIDA et le risque de fraude bien moindre puisque le décès ne peut être anticipé. Les associations de défense des malades du SIDA que votre commission a entendues s'opposent fermement au délai de carence mais réfutent la clause d'exonération la considérant comme discriminatoire devant la mort et de plus susceptible d'obliger à violer le secret médical après la mort.

Votre commission considère que les droits de succession entre personnes étrangères l'une à l'autre, excessifs dans notre pays, portent véritablement atteinte au droit de propriété. Elle estime de plus que les règles relatives à la réserve successorale sont trop contraignantes et qu'il convient d'améliorer la situation des conjoints survivants. Elle ne peut que souhaiter voir intervenir, dans la continuité du projet de loi déposé au Sénat en 1995 par M. Pierre Méhaignerie, la réforme des successions annoncée depuis plusieurs années, à la suite des travaux de MM. Carbonnier et Catala.

Dans l'attente de cette réforme, et pour rester dans le cadre du texte en discussion, elle ne vous proposera pas de revoir dès à présent l'ensemble des taux, ni de modifier les règles du droit civil relatives à la réserve et à la vocation successorale de l'époux survivant. Elle vous proposera, en revanche, un aménagement de l'abattement successoral susceptible de répondre à l'attente de nombre de nos concitoyens.

Votre commission estime que chacun devrait pouvoir laisser en franchise de droits une certaine somme à une personne de son choix, indépendamment des liens familiaux ou des liens de concubinage. Ce " legs électif " pourrait être d'un montant de 300 000 F, identique à l'abattement opéré sur la part des enfants ou d'une personne handicapée. Il pourrait bien évidemment profiter au concubin. Il ne pourrait toutefois déroger aux règles de la réserve successorale.

Cette somme de 300 000 F semble cohérente avec le montant moyen des successions reçues par les Français. En 1994, sur 95 271 successions effectuées à des non-parents ou collatéraux à partir du troisième degré, 79 422, soit 83%, ont été taxées pour une part inférieure à 300 000 F .

Par ailleurs, votre commission vous proposera d'améliorer l'abattement successoral des frères et soeurs (voir article additionnel ci-dessous).

Votre commission vous propose donc une nouvelle rédaction de l'article insérant dans le code général des impôts un article 787 A bis permettant à toute personne de désigner un légataire et un seul qui pourrait bénéficier d'un abattement de 300 000 F sur la part qu'il recevrait. Cet abattement ne serait cumulable avec aucun autre abattement.

Ainsi, aucun délai de carence ou exception particulière pour les maladies graves ne seraient nécessaires.

Un gage financier serait introduit, ces dispositions étant susceptibles de générer une diminution des ressources fiscales par rapport à un aménagement des droits de mutation en faveur des seuls partenaires liés par un pacs.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 3 ainsi rédigé .

Article additionnel après l'article 3
(art. 788 du code général des impôts)
Abattement successoral des frères et soeurs

En matière successorale, les frères et soeurs ne bénéficient d'aucun abattement propre à l'exception d'un abattement de 100 000 F, à condition qu'ils soient célibataires, veufs, divorcés ou séparés de corps, qu'ils aient plus de 50 ans ou soient atteints d'une infirmité les rendant incapables de subvenir à leur besoins et qu'ils aient été domiciliés pendant cinq ans avec le défunt avant sa mort (art. 788 du CGI).

Un frère ou une soeur pourrait être bénéficiaire du "leg électif " de 300 000 F s'il est désigné par le testateur.

Mais, votre commission estime que la situation successorale de l'ensemble des frères et soeurs ayant vécu avec le défunt doit être améliorée.

Elle vous propose d'adopter un article additionnel modifiant l'article 788 du code général des impôts afin :

- de supprimer les conditions restreignant l'ouverture du droit à abattement, pour ne garder qu'une obligation de domiciliation avec le défunt durant l'année ayant précédé le décès ;

- de relever à 150 000 F le montant de cet abattement.

Un gage financier est prévu pour compenser la diminution prévisible des ressources fiscales résultant de cette disposition.

Votre commission vous propose d'adopter cet article additionnel .

Article 4
(art. 885 A, 885 W et 1723 ter-00B du code général des impôts)
Imposition commune au titre de
l'impôt de solidarité sur la fortune

Cet article prévoit l'imposition commune des partenaires du pacs au titre de l'impôt sur la fortune, ce qui est déjà le cas actuellement pour les concubins. Il devient inutile dès lors que le concubinage est défini comme incluant les couples homosexuels.

Votre commission vous propose de supprimer cet article par coordination.

Article additionnel après l'article 4
(art. 754 A du code général des impôts)
Revalorisation du seuil de la tontine

L'acquisition d'un bien en tontine permet à deux personnes d'acheter en commun un bien qui, au décès de la première personne, sera considéré comme ne lui ayant jamais appartenu, sa part revenant au survivant. L'acquisition peut également être réalisée par plusieurs personnes.

Le bien n'entre donc pas dans la succession du prédécédé. Ses héritiers ne peuvent y prétendre. Cette clause peut être intéressante à utiliser pour des concubins qui mettent la sécurité de leur partenaire au premier plan de leurs préoccupations.

Jusqu'en 1980, la tontine était très avantageuse fiscalement puisqu'au premier décès le fisc ne percevait que des droits de mutation à titre onéreux , considérablement moins élevés que les droits de mutation à titre gratuit. Elle était ainsi très utilisée.

Mais l'article 69 de la loi n° 80-30 du 18 janvier 1980, codifié sous l'article 754 A du code général des impôts, a considérablement restreint l'intérêt de cette clause, réservant l'application des droits de mutation à titre onéreux à l'immeuble constituant l'habitation principale de deux acquéreurs, et à condition qu'il ait une valeur inférieure à 500 000 F .

Ce seuil, non réévalué depuis 1980, ne correspond plus aux conditions du marché immobilier dans de nombreuses villes de France, principalement à Paris. En outre, son application est très pénalisante puisqu'en cas de dépassement même minime, il est fait application des droits de mutation à titre gratuit sur l'ensemble de la valeur de l'immeuble.

Votre commission estime qu'il convient de redonner un intérêt fiscal à l'acquisition en tontine par deux personnes d'une habitation principale de manière à ce que le survivant puisse être sûr de rester dans un logement acheté en commun en payant des droits de mutation réduits et sans être en concurrence avec d'éventuels héritiers. Pourraient être concernés tant des concubins, que des membres d'une même familles ou de simples cohabitants.

Elle vous propose de modifier l'article 754 du code général des impôts à deux effets :

- réévaluer à 1 000 000 F le seuil, sachant qu'une actualisation par rapport à l'indice des prix depuis 1980 donnerait une valeur légèrement supérieure ;

- prévoir que l'application des droits de mutation à titre onéreux se fait sur la valeur de l'immeuble inférieure à ce seuil, quelle que soit la valeur de l'immeuble .

Un gage financier serait prévu pour compenser la diminution prévisible des ressources fiscales.

Votre commission vous propose d'adopter cet article additionnel .

Article 4 bis
(art. L. 161-14 du code de la sécurité sociale)
Qualité d'ayant droit pour la sécurité sociale

Cet article prévoit l'attribution sans délai de la qualité d'ayant droit d'un assuré pour les prestations en nature de l'assurance maladie-maternité de la sécurité sociale au partenaire qui ne peut en bénéficier à un autre titre.

Cette disposition figurait dans la proposition adoptée le 23 septembre 1998 par la commission des Lois mais avait été déclarée irrecevable par le bureau de la commission des finances. Elle a été réintégrée dans le texte par amendement du Gouvernement.

Actuellement, sont ayant droit d'un assuré au titre de l'assurance maladie :

• En application de l'article L. 313-3 du code de la sécurité sociale :

- son conjoint qui ne bénéficie pas d'un autre régime ;

- ses enfants à charge jusqu'à un âge limite variant de 16 à 20 ans en fonction de leur activité ;

- ses ascendants, descendants, collatéraux jusqu'au troisième degré ou allié au même degré vivant sous le toit et se consacrant exclusivement aux travaux du ménage et à l'éducation d'au moins deux enfants de moins de quatorze ans.

• En application de l'article L. 161-14, premier alinéa, du même code : la personne vivant maritalement avec lui et se trouvant à sa charge effective, totale et permanente.

Dans sa décision du 11 juillet 1989, la Cour de cassation (chambre sociale, caisse primaire d'assurance maladie de Nantes) avait jugé qu'en se référant à la vie maritale, le législateur avait entendu viser la « situation de fait consistant dans la vie commune de deux personnes ayant décidé de vivre comme des époux sans pour autant s'unir par le mariage, ce qui ne peut concerner qu'un couple formé d'un homme et d'une femme ». L'ayant droit ne pouvait donc être que le concubin hétérosexuel de l'assuré.

• En application du deuxième et du troisième alinéas du même article L. 161-14, précisés par l'article R. 161-8-1 : une personne vivant depuis un an sous le toit de l'assuré et se trouvant à sa charge effective totale et permanente. Cette disposition a été introduite par la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d'ordre social dans le but d'ouvrir au partenaire homosexuel le droit que la jurisprudence de la Cour de cassation lui refusait, mais elle peut bénéficier à une autre personne que le concubin homosexuel.

Le présent article complète l'article L. 161-14 en attribuant la qualité d'ayant droit, sans condition de durée du pacs, au partenaire qui ne peut bénéficier d'un autre régime.

En pratique, il revient à supprimer le délai d'un an pour les pacsés, les alignant ainsi sur les concubins hétérosexuels, le concubin homosexuel n'ayant pas souscrit un pacs se trouvant toujours obligé de justifier d'un an de vie commune.

La reconnaissance du concubinage homosexuel que votre commission vous a proposée rend cet article inutile, les droits des concubins homosexuels étant alignés sur ceux des concubins hétérosexuels. Ils bénéficieront donc sans délai de carence de la couverture sociale.

Les deuxièmes et troisièmes alinéas de l'article L. 161-14 du code de la sécurité sociale continueront à s'appliquer pour les personnes à charge autres que des concubins.

Votre commission vous propose en conséquence de supprimer cet article .

Article 5
(art. L. 223-7, L. 226-1, L. 784-1 du code du travail)
Droits à congé

Cet article étend aux personnes ayant conclu un pacs le bénéfice de dispositions du droit du travail bénéficiant aux conjoints, à savoir, le droit de prendre des congés payés en même temps que son partenaire, les droits à congé pour décès du partenaire, et les droits du conjoint salarié du chef d'entreprise, définis respectivement aux articles L. 223-7, L. 226-1, quatrième alinéa, et L. 784-1 du code du travail.

L'article L. 223-7 stipule que l'employeur fixe les dates de congé en tenant compte notamment des possibilités de congés du conjoint. Il accorde de plus aux conjoints travaillant dans une même entreprise le droit de bénéficier de congés simultanés.

Le quatrième alinéa de l'article L. 226-1 accorde au salarié deux jours de congé pour le décès de son époux

L'article L. 784-1 précise que le conjoint d'un chef d'entreprise est soumis au règles du droit du travail s'il participe effectivement et habituellement à l'activité de l'entreprise et perçoit au moins le SMIC.

Votre commission, vous ayant proposé de supprimer le pacs, il n'y a pas lieu de lui étendre l'application du code du travail.

Mais il semble tout à fait justifié que le salarié puisse bénéficier d'un congé pour le décès de son concubin au même titre que pour le décès d'un conjoint compte tenu de la banalisation de l'union libre.

Il vous est donc proposé une nouvelle rédaction de l'article modifiant directement le quatrième alinéa de l'article L. 226-1 du code du travail pour ajouter le concubin à la liste des personnes (conjoint, enfants) à l'occasion du décès desquelles le salarié peut bénéficier d'une autorisation exceptionnelle d'absence .

Votre commission vous propose d'adopter l'article 5 ainsi modifié.

Article 5 bis
(art. L. 523-2 du code de la sécurité sociale)
Cessation du versement de l'allocation de soutien familial

Cet article prévoit que l'allocation de soutien familial, attribuée à un parent qui assume la charge d'un orphelin cesse d'être due lorsqu'il conclut un pacs.

Il complète à cet effet l'article L. 523-2 du code de la sécurité sociale qui prévoit déjà la suppression de l'allocation en cas de mariage ou de vie maritale du parent. Il remplace au passage les termes " vit maritalement " par les mots "  vit en concubinage ".

La suppression du pacs rend cet article inutile. En tout état de cause la reconnaissance du concubinage pour les concubins homosexuels rendra cette mesure, à laquelle ils échappaient jusqu'à présent, applicable à leur égard, la notion de vie maritale et de concubinage étant employées indifféremment dans les textes législatifs.

Votre commission vous propose de supprimer l'article 5 bis .

Article 5 ter
(art. L. 356-3 du code de la sécurité sociale)
Cessation du versement de l'allocation veuvage

Cet article prévoit que l'allocation veuvage garantie à un conjoint survivant d'un assuré social répondant à certaines conditions cesse d'être due lorsque ce dernier conclut un pacs.

Il complète à cet effet l'article L. 356-3 du code de la sécurité sociale qui prévoit déjà la suppression de l'allocation en cas de remariage ou de vie maritale. Il remplace au passage les termes de « vit maritalement » par ceux de « vit en concubinage ».

La suppression du pacs rend cet article inutile. En tout état de cause, la reconnaissance du concubinage pour les concubins homosexuels rendra cette mesure, à laquelle ils échappaient jusqu'à présent, applicable à leur égard, la notion de vie maritale et de concubinage étant employées indifféremment dans les textes législatifs.

Votre commission vous propose de supprimer l'article 5 ter .

Article 6
Prise en compte du pacte civil de solidarité
pour l'attribution d'un titre de séjour

Cet article énonce que la conclusion d'un pacs sera considéré comme un lien personnel pour l'attribution d'un titre de séjour temporaire, " vie privée et familiale " au titre du 7° de l'article 12 bis de l'ordonnance de 1945.

Ledit 7° a été inséré dans l'ordonnance de 1945 par la loi n° 98-349 du 11 mai 1998, dite « loi RESEDA » afin de consacrer la jurisprudence du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel protégeant, conformément à l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme, le respect de la vie privée et familiale.

Il permet à un étranger non polygame, qui ne peut avoir droit au séjour à un autre titre, d'obtenir une carte de séjour « vie privée et familiale » lorsque ses « liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ».

Le présent article ne prévoit pas d'attribution automatique du titre de séjour. Il oblige seulement l'administration, sous le contrôle du juge, à tenir compte du pacs dans sa prise de décision.

Lors du débat sur la loi " RESEDA ", à l'Assemblée nationale le 12 décembre 1997, le ministre de l'intérieur avait clairement indiqué que les termes « personnels et familiaux » comme ceux « privée et familiale » étaient cumulatifs et ne pouvaient être dissociés « J'ai entendu des expressions fantasmatiques. Qui ne pourrait évoquer une situation personnelle ? Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. C'est d'une situation personnelle et familiale ou d'une situation privée et familiale. Le juge s'est refusé à dissocier ces deux notions et il aurait raison de continuer à le faire. Il faut donc en rester à cette position. Tout le reste n'est que pur fantasme ». Faut-il en conclure que le pacs est assimilable à la famille ?

Il convient de rappeler que l'étranger marié à un français obtient de plein droit et sans délai un titre de séjour, en application du 4° du même article 12 bis de l'ordonnance, à condition qu'il ne soit pas polygame et qu'il soit entré régulièrement sur le territoire français.

La circulaire d'application de la loi, en date du 12 mai 1998, tout en réservant la possibilité d'appréciation au cas par cas de l'administration, considère le concubinage comme un lien personnel pouvant donner lieu à attribution d'un titre de séjour à trois conditions cumulatives :

- Une certaine ancienneté de la communauté de vie en France, attestée par tous moyens, une durée de cinq ans étant donnée comme exemple ;

- la présence d'enfants issus de cette relation, sur lesquels le demandeur a l'autorité parentale ;

- la situation régulière du concubin.

La situation des partenaires homosexuels ne pouvant entrer dans cette épure, l'administration pourrait être conduite à modifier sa doctrine.

Les concubins homosexuels ne peuvent pas à l'heure actuelle se prévaloir des dispositions sur le respect de la vie privée et familiale, l'administration pouvant néanmoins toujours se réserver la possibilité de les admettre au séjour. D'après les renseignements obtenus par votre rapporteur auprès du cabinet du ministre de l'intérieur, le nombre de demandeurs faisant état d'une relation homosexuelle n'aurait pas dépassé une vingtaine lors de l'opération de régularisation entreprise en juin 1997.

Votre commission craint qu'une telle disposition ne puisse qu'encourager à la conclusion de pacs blancs dans l'espoir d'obtenir un titre de séjour.

En tout état de cause, votre commission ayant supprimé le pacs, vous propose de supprimer l'article 6 par coordination.

Article 7
Prise en compte du pacte civil de solidarité
dans l'examen d'une demande de naturalisation

Cet article qui prévoyait la prise en compte du pacs, au bout d'un an, pour apprécier l'assimilation du demandeur d'une naturalisation à la communauté française, au regard de l'article 21-24 du code civil, a été supprimé par l'Assemblée nationale, le garde des sceaux ayant annoncé son intention de prendre des mesures réglementaires à cet égard.

La procédure de naturalisation est actuellement, sauf exceptions, réservée aux personnes majeures en situation régulière, résidant en France depuis cinq ans, justifiant de leur assimilation à la communauté française, étant de bonne vie et moeurs et n'ayant pas fait l'objet de condamnations (articles 21-15 à 21-27 du code civil).

Il convient de rappeler que, en application de l'article 21-2 du code civil, le conjoint étranger d'un français peut acquérir de plein droit la nationalité française par déclaration au bout d'un an, sous réserve que la communauté de vie n'ait pas cessé, ce délai étant supprimé en cas de naissance d'un enfant du couple.

L'article 21-24 du code civil énonce que le demandeur doit justifier de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante de la langue française. En pratique, la connaissance de la langue est une condition suffisante pour justifier de l'assimilation, sauf s'il apparaît que le demandeur a gardé avec son pays d'origine des liens trop étroits ou a un mode de vie incompatible avec l'assimilation.

L'administration tient à l'heure actuelle peu compte du concubinage, et jamais pour juger de l'assimilation. Il peut intervenir en faveur d'un demandeur pour démontrer la réalité de sa résidence en France, ou en sa défaveur, en cas d'aide au séjour irrégulier d'un étranger par exemple.

Quoiqu'il en soit, la naturalisation, opérée par décret, n'est jamais un droit pour le demandeur. Le présent article n'impliquait aucune obligation pour l'administration de naturaliser un partenaire, mais seulement celle de tenir compte du pacs dans sa prise de décision. L'article se révélait donc une pétition de principe sans réel effet juridique.

Votre commission considère que la présence dans la loi d'une telle disposition n'aurait pu que favoriser la conclusion de pacs blancs dans l'espoir d'obtenir la nationalité française.

En tout état de cause, elle vous propose, par coordination, de confirmer la suppression de l'article 7.

Article 8
(art. 60 du titre II, art. 54 du titre III et art. 38 du titre IV
du statut général des fonctionnaires de l'Etat
et des collectivités territoriales)
Priorité de mutation des fonctionnaires

Cet article institue dans les trois fonctions publiques une priorité de mutation à fin de rapprochement des personnes ayant conclu un pacs avec leur partenaire dont elles seraient séparées pour des raisons professionnelles. Concernant les fonctions publiques hospitalière et territoriale, est également prévue une priorité en matière de détachement et de mise à disposition.

La proposition étend donc aux pacsés les dispositions actuelles du statut des trois fonctions publiques issues de la loi Roustan du 30 décembre 1921 qui prévoyait le rapprochement des époux séparés pour des raisons professionnelles, à l'exception, pour les fonctionnaires de l'Etat des possibilités de détachement ou de mise à disposition.

Paragraphe I : la fonction publique de l'Etat

L'article 60 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d'Etat prévoit actuellement la priorité de mutation des fonctionnaires :

- séparés de leur conjoints pour des raisons professionnelles ;

- ayant la qualité de travailleur handicapé ;

- exerçant leurs fonctions dans un quartier difficile.

L'article 62 de la même loi dispose que, si les possibilités de mutation sont insuffisantes, les fonctionnaires séparés de leur conjoint pour raisons professionnelles ou les fonctionnaires handicapés peuvent bénéficier en priorité d'un détachement ou d'une mise à disposition.

La proposition de loi étend aux pacsés la priorité de mutation prévue à l'article 60.

Paragraphe II : la fonction publique territoriale

L'article 54 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 prévoit, dans son premier alinéa, une priorité de mutation des fonctionnaires séparés de leur conjoint pour raisons professionnelles et des fonctionnaires handicapés et, dans son second alinéa, des priorités de détachement et de mise à disposition des mêmes fonctionnaires.

La proposition de loi étend le bénéfice de ces dispositions aux pacsés.

Paragraphe III : la fonction publique hospitalière

L'article 38 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 prévoit que les fonctionnaires hospitaliers séparés de leur conjoint pour raisons professionnelles et les fonctionnaires handicapés pourront bénéficier par priorité du changement d'établissement, du détachement ou de la mise à disposition.

La proposition de loi étend le bénéfice de ces dispositions aux pacsés.

Dans les trois cas, le souhait d'obtenir une mutation pourrait être une cause de conclusion d'un pacs blanc .

A l'heure actuelle, aucune priorité légale n'est prévue au bénéfice des concubins . Le Conseil d'Etat dans une décision du 25 novembre 1994 a jugé que les dispositions de la loi de 1921 encore applicables aux magistrats ne tendaient qu'au rapprochement des « fonctionnaires qui sont unis par le mariage » et que ni l'article 12 de la convention européenne des droits de l'homme (relatif au mariage), ni aucun principe général du droit n'imposait d'assimiler la situation des concubins à celle des conjoints

De nombreuses administrations prennent néanmoins en compte la situation des concubins, principalement de ceux ayant en charge d'enfants.

Votre commission constate qu'il est déjà difficile, sur un certain nombre de postes, de satisfaire les demandes des personnels prioritaires. Elle craint que l'adjonction d'une nouvelle priorité de rapprochement n'empêche les célibataires d'obtenir une quelconque mutation dans des zones géographiques très demandées. Or, le souhait d'un célibataire de revenir au pays pour s'occuper de ses parents âgés peut mériter d'être pris en compte autant que celui de se rapprocher d'un partenaire. Votre commission estime donc que les priorités légales de mutation doivent continuer à être réservées aux fonctionnaires mariés . Elle observe par ailleurs que le Conseil supérieur de la fonction publique ne semble pas, d'après les renseignements obtenus par votre rapporteur, avoir été consulté sur cette disposition.

Votre commission vous propose en conséquence de supprimer l'article 8.

Article 9
(art. 14 et 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989)
Continuation du contrat de location et
droit de reprise du bailleur

Cet article permet au partenaire ayant conclu un pacs de bénéficier de la continuation ou du transfert de bail en cas d'abandon du logement ou de décès du preneur. Symétriquement, il permet, sans condition de durée de pacs, la reprise du bail au profit d'un partenaire ou de ses ascendants ou descendants. Il modifie à cet effet les articles 14 et 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989.

L'article 14 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 que modifie le paragraphe I du présent article 9 permet actuellement, en cas d'abandon de domicile ou de décès du titulaire d'un bail, la continuation ou le transfert de ce bail au profit du concubin notoire ou de la personne à charge, qui vivait depuis au moins un an avec lui à la date de l'abandon ou du décès.

Cet article 14 ne fait que reprendre les dispositions figurant dans les lois Quilliot du 22 juin 1982 (art. 16) et Méhaignerie du 23 décembre 1986 (art. 13). Jusqu'en 1986, l'article 5-I de la loi du 1 er septembre 1948 reconnaissait un droit à maintien dans les lieux « aux personnes à charge », dans lesquelles la jurisprudence incluait le concubin, qui vivaient effectivement avec l'occupant depuis plus de six mois (durée portée à un an en 1970).

La Cour de cassation, à travers deux arrêts du 11 juillet 1989 intervenus en matière sociale, avait refusé d'assimiler les homosexuels vivant en couple à des concubins. Cette position a été récemment confirmée, précisément en matière de droit au bail, et contre les conclusions de l'avocat général, M. Weber, dans un arrêt du 17 décembre 1997. Il s'ensuit qu'un partenaire homosexuel qui n'est pas à la charge du titulaire du bail ne pourra bénéficier du transfert du bail .

Ces dispositions relatives au bail sont devenues emblématiques des difficultés de la vie courante rencontrées par les couples homosexuels . L'épidémie de SIDA a en effet entraîné le décès de nombreux partenaires jeunes, générant des situations cruelles pour les survivants obligés de quitter le logement commun.

Pour remédier à cette situation, l'article 62 de la loi du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d'ordre social, introduit par voie d'amendement à l'Assemblée nationale (amendement défendu par M. Le Guen), supprimait les mots « à charge » dans la partie de l'article 14 de la loi de 1989 visant le cas de décès du titulaire d'un bail. Cette rédaction aurait donc permis le transfert du bail à toute personne, donc au partenaire homosexuel, ayant vécu au moins un an avec le titulaire du bail avant le décès de ce dernier (le cas d'abandon de domicile n'était pas visé). Mais le Conseil constitutionnel a annulé cet article le considérant comme étant sans lien avec le texte en discussion.

Un partenaire homosexuel ne pourrait donc, aujourd'hui, bénéficier du transfert du bail qu'en tant, le cas échéant, que personne à charge du titulaire du bail, mais pas en tant que concubin.

Le paragraphe I du présent article 9 insère les personnes ayant conclu un pacs avec le locataire dans la liste des bénéficiaires de la continuation ou du transfert du bail. Aucun délai de cohabitation préalable n'est exigé. La situation du partenaire est ainsi alignée sur celle du conjoint. Mais la cohabitation ne semblant pas requise des partenaires ayant souscrit un pacs, il semble que le bail pourrait être ainsi transféré à une personne qui ne vivrait pas sous le toit du preneur , ce qui semble tout à fait anormal.

Quoiqu'il en soit, ce paragraphe devient inutile du fait de la reconnaissance du concubinage homosexuel proposé par votre commission qui permettra à tout concubin de bénéficier, après un an de cohabitation avec le preneur, de la continuation ou du transfert du bail.

En dehors des cas d'abandon de domicile et de décès, il convient de noter que les concubins, sauf s'ils ont souscrit un bail conjointement avec leur partenaire, ne sont pas, contrairement aux époux, protégés en cas de résiliation du bail par le preneur . La jurisprudence réserve en effet aux personnes mariées l'application de l'article 1751 du code civil qui répute les époux co-titulaires du bail du local leur servant d'habitation (TI Privas, 7 septembre 1993) et la règle qui empêche un époux de disposer seul du logement de la famille (art. 215 du code civil).

L'article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 que modifie le paragraphe II du présent article 9, accorde au bailleur un droit de reprise du logement au profit de son concubin notoire depuis un an, ou au profit des ascendants ou descendants de ce dernier.

Le texte adopté insère dans la liste des bénéficiaires possible de la reprise le partenaire ayant conclu un pacs avec le bailleur, ou ses ascendants ou descendants, sans condition de durée du pacs. Le partenaire ouvre ainsi les mêmes droits que le conjoint.

Compte tenu de la facilité de conclusion et de dissolution du pacs, cette disposition pourrait être source de nombreuses conclusions de pacs à la seule fin de reprise d'un bail .

Quoiqu'il en soit, là encore, la reconnaissance du concubinage homosexuel permettra aux concubins de même sexe d'ouvrir droit à la reprise du bail au bout d'un an de concubinage. Ce paragraphe, comme le précédent devient donc inutile.

Votre commission vous propose en conséquence de supprimer l'article 9 .

Article 10
Dispositions applicables aux fratries

Cet article étend aux frères et soeurs, dans la limite de deux personnes, le bénéfice des dispositions prévues par la proposition, à l'exception de celles relatives aux donations et successions. Les personnes concernées doivent justifier d'une résidence commune durant les délais exigés pour l'ouverture des droits.

L'article  515-2 du code civil, exclut en effet la possibilité pour les frères et soeurs de conclure un pacs. De nombreux parlementaires ont cependant souhaité prendre en compte les liens de solidarité existant au sein des fratries, principalement en milieu rural. Cette disposition qui ne figurait pas dans la première proposition adoptée par la commission des Lois a fait l'objet de vives controverses et a été adoptée sans l'accord du Gouvernement qui ne souhaitait pas interférer avec le droit de la famille.

La limitation à deux personnes du bénéfice des droits ouverts peut par ailleurs faire craindre la censure du Conseil constitutionnel pour rupture de l'égalité entre les membres d'une fratrie cohabitant à plusieurs.

L'exclusion du bénéfice des dispositions successorales s'explique par le fait que les dispositions concernant les frères et soeurs sont actuellement plus avantageuses dans certains cas que celles réservées par la proposition de loi aux pacsés. Au contraire de ces derniers, les frères et soeurs peuvent hériter sans testament après les descendants, mais avant le conjoint et certains ascendants (art. 731 et suivants du code civil). Les droits de mutation qui leur sont applicables (35% jusqu'à 150 000 F et 45% au delà) sont plus favorables que ceux prévus pour les pacsés (40% jusqu'à 100 000 F et 50% au delà). En revanche, comme il a été dit après l'article 3, ils ne bénéficient que d'un abattement de 100 000 F mis en oeuvre dans des conditions très restrictives, au lieu de 375 000 F pour les pacsés.

Dans la rédaction actuelle de la proposition, deux membres d'une fratries pourraient :

- bénéficier de l'imposition commune à l'impôt sur le revenu (art. 2) ;

- être ayant droit de leur frère ou soeur pour la sécurité sociale (art. 4 bis) ;

- bénéficier des dispositions du code du travail relatives aux congés (art. 5);

- voir leur situation prise en compte pour l'obtention d'un titre de séjour vie privée et familiale (art. 6) ;

- bénéficier du transfert ou de la reprise du bail (art. 9).

Le rapprochement des fonctionnaires prévu à l'article 8 semble quant à lui difficile à mettre en oeuvre puisqu'il implique une séparation incompatible avec l'obligation de résidence commune donnée comme condition même de l'ouverture du droit.

Par ailleurs, les frères et soeurs pourraient également se voir appliquer des dispositions qui leur seraient défavorables :

- imposition commune à l'impôt sur la fortune (art. 4) ;

- suppression de l'allocation de soutien familial et de l'allocation veuvage (art. 5 bis et 5 ter).

La rédaction de l'article au présent de l'indicatif sous la forme « les dispositions des articles 2, 4 à 9 sont applicables » pourrait d'ailleurs laisser croire à tort que l'application des dispositions de la proposition aux frères et soeurs est impérative.

Votre commission considère que la prise en compte de la solidarité entre frères et soeurs doit être améliorée. C'est ainsi qu'elle vous a proposé, après l'article 2, de prévoir la déduction des pensions alimentaires versées aux frères et soeurs dans le besoin et, après l'article 3, d'assouplir les conditions exigées des frères et soeurs pour bénéficier de l'abattement successoral qu'elle a par ailleurs porté à 150 000 F.

Comme chacun, un frère ou une soeur pourra bénéficier du « legs électif » proposé par votre commission à l'article  3 ainsi que de l'abattement pour personne à charge pour le calcul de l'impôt sur le revenu proposé à l'article 2.

Il convient de rappeler par ailleurs qu'un frère ou une soeur à charge d'un assuré social pourrait au bout d'un an de cohabitation être son ayant droit en application de l'article L. 161-14 du code de la sécurité sociale. A charge d'un locataire et cohabitant avec lui depuis un an, il pourrait bénéficier d'un transfert du bail en cas de décès du preneur en vertu de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989.

Compte tenu des mesures proposées par ailleurs, votre commission estime que cet article n'a plus de raison d'être.

Votre commission vous propose de supprimer l'article 10 .

Article 11
Décret d'application

Cet article prévoit que les conditions d'application de la proposition feront l'objet de décrets en Conseil d'Etat et il précise que celui déterminant les conditions dans lesquelles sont traitées et conservées les informations relatives à la formation, la modification ou la dissolution des pactes devra être pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

En cohérence avec la suppression du pacs, il n'est plus utile de mentionner les procédures liées à son enregistrement. En revanche, des décrets en Conseil d'Etat pourront être nécessaires en matière fiscale et successorale et devront préciser les conditions de délivrance des certificats de notoriété en matière de concubinage.

Votre commission vous propose donc un amendement de suppression du deuxième alinéa relatif à la consultation de la commission nationale de l'informatique et des libertés.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 11 ainsi modifié.

Article 11bis
Application Outre-mer

Cet article, introduit sur amendement du gouvernement, prévoit l'application des articles premier (création du pacs) et 11 (décrets d'application) aux territoires d'outre-mer et à la collectivité territoriale de Mayotte et de l'article 9 (transfert du bail) à la Polynésie française.

Cette extension aboutit à doter les territoires d'outre-mer du pacs, sous réserve de remplacer le tribunal d'instance par le tribunal de première instance comme lieu d'enregistrement.

Mais elle étend en fait à ces territoires une coquille presque vide, peu des autres dispositions de la loi étant concernées.

Le texte étend expressément à la Polynésie française les dispositions de l'article 9 relatif au bail, ce territoire étant le seul dans lequel la loi de 1989 est actuellement applicable.

Outre cette dernière disposition, les seules autres conséquences du pacs directement applicables outre-mer résulteraient de l'article 8 relatif au rapprochement des fonctionnaires de leur partenaire. Les lois relatives à la fonction publique sont en effet considérées comme des lois de souveraineté directement applicables aux territoires d'outre-mer.

Les dispositions fiscales, successorales et celles relatives à la sécurité sociale figurant aux articles 2 à 4 bis, 5  bis et 5 ter, relèvent du domaine de compétence du territoire et pourront faire éventuellement l'objet de mesures particulières de leur part.

Quand aux mesures relatives au droit du travail et au droit au séjour, figurant respectivement aux articles 5 et 6, elles font référence à des dispositions non applicables actuellement outre-mer.

Mais même limitée à quelques dispositions, l'extension envisagée exigerait la consultation des assemblées territoriales en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie et à Wallis et Futuna en application de l'article 74 de la Constitution, dans la mesure où elles concernent l'organisation particulière des territoires. Or, votre rapporteur a constaté que ces consultations n'avaient pas été réalisées. Cet article encourt donc le risque certain de censure par le Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, votre commission ne peut manquer de souligner l'incongruité que représenterait l'extension du pacs à Mayotte, où la population est à 95% soumise au statut personnel musulman autorisant la polygamie.

De plus le texte ne tient pas compte du fait que la Nouvelle-Calédonie n'est plus un territoire d'outre-mer.

Quoiqu'il en soit, votre commission ayant proposé la suppression du pacs, ne peut envisager son extension aux territoires d'outre-mer.

Les dispositions proposées par votre commission relatives au mariage et au concubinage peuvent être considérées comme touchant à l'état des personnes et donc être directement applicables outre-mer sans extension, en application de la loi du 9 juillet 1970 qui a assimilé, en matière de statut civil de droit commun, la France d'outre-mer à la métropole.

Les dispositions fiscales et successorales que votre commission vous a présentées relèvent quant à elles de la compétence locale.

Il n'y a donc pas lieu de prévoir une extension du texte outre-mer.

Votre commission vous propose en conséquence de supprimer l'article 11bis .

Article 12
Compensation des pertes éventuelles de recettes

Cet article qui gageait financièrement l'ensemble de la proposition de loi a été supprimé sur amendement du Gouvernement. Il n'est pas proposé de le rétablir, votre commission ayant assorti d'un gage chaque disposition susceptible de se voir opposée une irrecevabilité financière.

Intitulé

Par coordination avec les dispositions qu'elle vous a proposées, votre commission vous propose d'adopter l'intitulé suivant : " Proposition de loi relative au mariage, au concubinage et aux liens de solidarité ".

TABLEAU COMPARATIF
ANNEXES

_____

I. LE CONCUBINAGE À TRAVERS QUELQUES LÉGISLATIONS 143
II. COMPTE RENDU INTÉGRAL DES AUDITIONS PUBLIQUES DU 27 JANVIER 1999 149
III. COMPTE RENDU DES AUDITIONS EFFECTUÉES EN COMMISSION LE 9 MARS 1999 291
IV. LISTE DES AUDITIONS DU RAPPORTEUR 313

ANNEXE I

LE CONCUBINAGE À TRAVERS QUELQUES LÉGISLATIONS

Code civil

Articles

Contenu

283

Fin de la pension alimentaire en cas de " concubinage notoire ".

285-1

Fin du bail forcé au conjoint en cas de " concubinage notoire ".

311-20

Consentement des " concubins " à la procréation médicalement assistée.

340-4

Délai pour l'action en recherche de paternité repoussé à 2 ans après la cessation de l'"état de concubinage impliquant, à défaut de communauté de vie, des relations stables ou continues".

Implicitement
372

Autorité parentale commune sur un enfant naturel si la reconnaissance intervient avant l'âge de 1 an et que les " parents vivent en commun " au moment de la reconnaissance.

372-1

Acte de communauté de vie délivré par le juge aux affaires familiales.

Code pénal

Articles

Contenu

 

Le concubinage avec la victime est une circonstance aggravante en cas de :

223-3

- tortures et actes de barbarie

222-8, 222-10,
222-12, 222-13

- violences

 

Bénéfice de l' immunité pour la personne qui vit " notoirement en situation maritale " avec un auteur d'infraction en cas de :

434-1

- non dénonciation d'un crime à venir ;

434-6

- aide à l'auteur d'un crime ou d'un acte de terrorisme ;

434-11

- non révélation de l'innocence d'un prévenu ou condamné.

 
 
 

Ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945

21

Immunité en matière d'aide au séjour irrégulier d'un étranger pour la personne qui " vit notoirement en situation maritale avec lui ".

Nouveau code de procédure civile

Articles

Contenu

828

Les parties peuvent être représentées par leur concubin devant le tribunal d'instance.

1157-2

Procédure de consentement des concubins à une procréation médicalement assistée.

 
 
 

Décret n° 92-755 du 31 juillet 1992

12

Le concubin peut représenter les parties devant le juge de l'exécution.

Code de la santé publique

Articles

Contenu

 

Assistance médicale à la procréation :

Implicitement
L. 152-2

L'homme et la femme formant le couple doivent, s'ils ne sont pas mariés, " apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans ".

L. 152-10

Les concubins doivent donner leur consentement à la procréation médicalement assistée suivant les formes prévues par le code civil.

L. 339

Une personne vivant en concubinage avec un malade mental peut requérir la levée de l'hospitalisation effectuée à la demande d'un tiers.

L. 351

Le concubin peut introduire une requête auprès du président du tribunal d'instance pour demander la sortie d'une personne hospitalisée sans son consentement pour trouble mental.

Code général des impôts

Articles

Contenu

885 E

Imposition commune à l'ISF en cas de concubinage notoire.

A contrario
194 II

½ part supplémentaire pour le cumul de l'impôt sur le revenu des célibataires qui " vivent seuls " et supportent effectivement la charge d'un enfant.

Code de la Sécurité sociale
(articles contenant les mots concubin, concubinage ou vie maritale)

Articles

Contenu

L. 161-14

La personne qui " vit maritalement " avec un assuré est un ayant-droit pour les prestations en nature des assurances maladie et maternité .

L. 353-5

Suppression de la majoration pour enfant à charge de la pension de réversion en cas de " vie maritale ".

L. 356-3 et
R. 356-3

Suppression de l' allocation veuvage en cas de vie maritale.

L. 512-6

Le régime des prestations familiales métropolitain s'applique si le concubin d'une personne résidant en outre-mer réside lui-même en métropole avec les enfants.

L. 523-2 et
R. 523-5

Suppression de l' allocation de soutien familial en cas de vie maritale.

L. 615-10

Droit aux prestations du régime d' assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles pour la personne qui vit maritalement avec un assuré.

L. 821-1 et
D 821-5

Allocation aux adultes handicapés

La limite du montant cumulé de l'allocation et de la garantie de ressources est augmentée en cas de vie maritale.

D. 821-2

En cas de vie maritale, augmentation du plafond de ressources ouvrant droit à l'allocation.

R. 821-5-1

La condition de perception d'une aide personnelle au logement ouvrant droit au complément d'allocation peut être remplie par le concubin.

R. 242-15

Cotisation des employeurs et travailleurs indépendants : une femme vivant maritalement ne bénéficie pas de l'abaissement de la limite d'âge ouvrant droit à exonération pour les femmes veuves, célibataires, séparées ou divorcées.

 

Prestations familiales (généralités)

R. 513-1

A défaut d'option, si les deux membres du couple ont la charge des enfants à leur foyer, l'allocataire est la concubine.
En cas de cessation du concubinage, c'est celui de membre du couple au foyer duquel vit l'enfant.

R. 513-2

Le concubin de l'allocataire peut être attributaire des prestations familiales.

R. 514-1

Détermination de la caisse à qui incombe le versement des prestations familiales en fonction de la nature de l'activité professionnelle du concubin.

 

Allocation de parent isolé

R. 524-1

Une personne vivant maritalement n'est pas considérée comme une personne isolée.

R. 524-2

Le droit à allocation est ouvert à la date du décès du concubin ou de la séparation (attestée sur l'honneur).

R. 524-7

Les ressources perçues les mois précédents par le concubin ne sont pas prises en compte.

R. 524-8

Date de fin de versement en cas de vie maritale

Code de la Sécurité sociale (suite)

Articles

Contenu

 

Allocation pour jeune enfant

R 531-9

Le plafond de ressources du foyer ouvrant droit à l'allocation est majoré si le concubin dispose de revenus.

R. 531-10

Prise en compte de l'ensemble des ressources perçues pas chacun des concubins.

R. 531-11,
R. 531-12,
R. 531-12-1,
R. 531-13 et
R. 531-14

Cas d'abattement, de non prise en compte ou d'évaluation forfaitaire des ressources du concubin.

 

Complément familial

R. 755-4

Prise en compte de l'ensemble des ressources des concubins

R. 755-8
R. 755-9
R. 755-9-1
R. 755-10
et R. 755-11

Cas d'abattement, de non prise en compte ou d'évaluation forfaitaire des ressources du concubin.

 

Allocation de logement social

R. 831-1

Une résidence occupée pendant huit mois de l'année par le concubin peut être considérée comme résidence principale.

R. 831-6

Définition des ressources prises en compte.

R. 831-20

La personne qui " vit maritalement " est assimilée au conjoint pour la détermination des ressources.

D. 323-1

Prise en compte des ressources de la personne vivant maritalement pour l'ouverture du droit à indemnité journalière pour cure thermale .

D. 381-2

Cas d'affiliation obligatoire à l' assurance vieillesse du concubin n'exerçant pas d'activité professionnelle

 

Allocation de logement familial

D. 542-1 et
D. 755-12

Le logement occupé pendant huit mois par an par le concubin peut être considéré comme une résidence principale respectivement en métropole et outre-mer.

D. 542-8 et
D.755-38

La personne qui " vit maritalement " est assimilée respectivement en métropole et outre-mer au conjoint pour la détermination des ressources.

D. 542-10

Détermination des ressources.

Code des pensions civiles et militaires de retraite

Articles

Contenu

L. 46

Le droit à pension du conjoint survivant est suspendu au profit des enfants en cas de concubinage notoire.

R. 57

Rétablissement du droit à pension en cas de cessation de concubinage.

Code des pensions militaires d'invalidité
et des victimes de la guerre

Articles

Contenu

L. 48

Suspension du droit à pension du conjoint survivant au profit des enfants en cas de concubinage notoire.

L. 189-1

Perte de l'allocation spéciale de veuve d'aveugle de la résistance en cas de concubinage notoire.

L. 494

La personne ayant vécu maritalement avec un défunt peut demander le transfert du corps (à défaut de demande du conjoint, des enfants, des ascendants ou des frères et soeurs).

R. 170

La pension des veuves de victimes civiles de la guerre vivant en état de concubinage notoire est suspendue.

D. 271-6

Le pécule revenant aux déportés ou internés décédés n'est pas payé au conjoint survivant qui a vécu en état de concubinage notoire pendant la déportation du défunt.

A. 98

Fin de la pension des veuves des affectés spéciaux de la défense passive vivant en état de concubinage notoire.

Revenu minimum d'insertion

Articles

Contenu

 

Loi n° 88-1088 du 1 er décembre 1988

3

L'allocation varie selon le nombre de personnes à charges.

 

Décret n° 88-1111 du 12 décembre 1988

1

Majoration de 50 % de l'allocation en cas de concubinage.

3

Les ressources de toutes les personnes vivant au foyer sont prises en compte pour la détermination du montant de l'allocation.

Code du travail
(articles contenant le mot concubin)

Article

Contenu

R. 145-2

Seuil de saisissabilité des salaires : le concubin est une personne à charge entraînant une élévation des seuils.

R. 351-11

Allocation d'insertion (ressources du concubin prises en compte pour l'application du plafond de ressources).

R. 351-13

Allocation de solidarité spécifique (ressources du concubin prises en compte pour l'application du plafond de ressources).

R. 351-42

Exonération de cotisations en cas d'aide à la création d'entreprises pour les concubins des bénéficiaires du RMI.

R. 831-1

Bénéfice des contrats d'accès à l'emploi outre-mer pour les concubins de bénéficiaires du RMI

Aide juridictionnelle

Articles

Contenu

 

Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991

5

Pour l'appréciation des ressources donnant droit à l'aide juridictionnelle, prise en compte des ressources de toute personne vivant habituellement au foyer du demandeur.

 

Décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991

3 et 4

Le plafond des ressources est augmenté pour le concubin à charge dépourvu de ressources personnelles et le concubin dont les ressources ont été prises en compte.

Baux

Articles

Contenu

 

Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989

14

En cas d'abandon du logement ou de décès du preneur, continuation ou transfert du bail au profit du concubin notoire qui vivait depuis un an avec lui.

15

Reprise du bail au bénéfice du concubin notoire depuis un an ou de ses ascendants et descendants.

ANNEXE II

SÉNAT

COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LEGISLATION,
DU SUFFRAGE UNIVERSEL, DU REGLEMENT
ET D'ADMINISTRATION GÉNÉRALE


Proposition de loi adoptée par l'Assemblé nationale relative
au pacte civil de solidarité

Auditions publiques du 27 janvier 1999

(salle Médicis)

SOMMAIRE

1) Audition de :

- Mme Irène Théry, sociologue, auteur du rapport
"couple, filiation et parenté aujourd'hui"
p. 152

- M. Jean Hauser, professeur de droit, auteur du rapport
sur le pacte d'intérêt commun.
p. 160

DÉBAT p. 167

2) Audition de :

- M. Guy Coq, philosophe
p. 173

- M. Eric Fassin, sociologue, professeur à l'Ecole normale
supérieure
p. 176

DÉBAT p. 180

3) Audition de :

- Mgr Vingt-Trois, président de la commission de la famille
à la conférence épiscopale catholique
p. 184

- M. Olivier Abel, théologien, président de la commission
éthique à la Fédération protestante de France
p. 187

- M. Le rabbin Senior, membre du cabinet de M. Joseph Sitruk,
grand rabbin de France
p. 192

- M. Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris p. 194

DÉBAT p. 195

4) Audition de :

- Mme Geneviève Delaisi, psychanalyste
p. 200

- M. Samuel Lepastier, pédopsychiatre et psychanalyste p. 203

DÉBAT p. 209

5) Audition de :

- M. Denis Quinqueton, secrétaire général - Collectif pour
le contrat d'Union sociale et le pacte civil de solidarité
p. 216

- Mme Marguerite Delvolvé, présidente de l'association
pour la promotion de la famille - Collectif pour le mariage
et contre le PACS (génération anti PACS)
p. 220

- M. Xavier Tracol, avocat - Collectif pour l'union libre p. 223

- Mme Renée Labbat, présidente - Union nationale des groupes
d'action des personnes qui vivent seules (UNAGRAPS)
p. 228

DÉBAT p. 233

6) Audition de :

- Mme Dominique Blanchon, Responsable de la Commission
Mariage et Egalité des Droits - ACT-UP Paris
p. 240

- M. Daniel Borrillo, Responsable du groupe juridique -
AIDES (Fédération nationale)
p. 243

- Mme Martine Gross, vice-présidente - Association des parents
et futurs parents gays et lesbiens (APGL)
p. 248

- M. Dominique Touillet - Lesbian and gay pride p. 253

DÉBAT p. 260

7) Audition de :

- Mme Chantal Lebatard, administrateur - Union nationale
des associations familiales (UNAF)
p. 268

- Mme Dominique Marcilhacy - Familles de France p. 271

- M. Jean-Marie Andrès - Confédération nationale
des associations familiales catholiques
p. 274

- Mme Claudine Rémy, vice-présidente - Familles rurales p. 276

- M. Bernard Teper, chargé de la communication -
Union des familles laïques
p. 277

DÉBAT p. 282

La séance est ouverte à 9 heures 10 .

1) Audition de :

- Mme Irène Théry, sociologue, auteur du rapport "couple, filiation et parenté aujourd'hui"

- M. Jean Hauser, professeur de droit, auteur du rapport sur le pacte d'intérêt commun

M. Jacques Larché, président.-
Mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, nous ouvrons aujourd'hui une série d'auditions, à laquelle nous attachons une extrême importance, pour préparer le débat que nous aurons un jour sur le projet de loi, ou proposition de loi (on peut discuter du terme, est-ce un projet ou une proposition, on ne le sait pas très bien) qui vient de l'Assemblée nationale.

Dans quel état d'esprit sommes-nous ? Une décision a été prise par l'Assemblée nationale. Nous "accueillons" cette décision, c'est-à-dire nous allons l'examiner de la manière la plus complète. Il y a quelques temps, un journaliste du journal La Croix , m'interrogeait sur les intentions du Sénat en la matière : "Allez-vous faire de l'obstruction comme à l'Assemblée nationale ?". J'ai répondu que les climats des deux assemblées étaient parfois quelque peu différents, et que la caractéristique de ce que faisait le Sénat n'était pas une volonté d'obstruction, mais de qualité du débat.

Dans le cadre de cette intention générale, nous allons donc examiner ce texte, essayer de comprendre - dans la mesure où nous le pouvons - les problèmes que l'on a voulu résoudre, les enregistrer, voir dans quelle mesure ils nécessitent des solutions. Et, dans le cadre de notre droit, l'une de nos préoccupations au sein de la commission des lois, est de voir s'il est possible d'y apporter des solutions conformes aux règles juridiques traditionnelles. Voilà ce que nous allons essayer de faire.

Des auditions ont eu lieu à l'Assemblée nationale, qui ont été essentiellement - je n'en nie pas la qualité - des auditions de rapporteur, c'est-à-dire que le rapporteur du texte a entendu qui il voulait bien. Pour notre part, nous avons souhaité entendre un panel d'opinions, favorables ou défavorables sur un texte de ce genre ; toutes les expressions doivent être admises et peuvent être tenues pour utiles. Dans ce contexte, je remercie par avance tous ceux et toutes celles qui viendront éclairer notre débat. Autrement dit, leur contribution sera tenue par avance comme très précieuse, avec bien évidemment la liberté de propos qui caractérise toujours nos travaux.

Compte tenu de l'intérêt qui s'attache à ce texte, nous diffuserons assez largement le compte-rendu de nos débats suivant les méthodes habituelles. Voilà donc notre état d'esprit.

J'ouvre le débat. Nous allons devoir respecter nos horaires si nous voulons terminer à 18 heures. Vous connaissez la liste des auditions. Compte tenu des personnes invitées à s'exprimer, des opinions peut-être très différentes seront exprimées : comme je le disais précédemment, nous les entendrons toutes.

Je demanderai donc à Mme Irène Théry et au professeur Hauser de bien vouloir nous aider à rattraper notre retard. Madame, vous avez la parole.

Mme Irène Théry.- Monsieur le Président, mesdames et messieurs les Sénateurs, je vais abréger le texte que j'avais préparé et dont je vous remettrai l'intégralité, mais dont, pour raccourcir mon propos j'enlève le début. Après ce début qui essaie de situer l'enjeu des débats sur le PACS, je pose la question de savoir comment contribuer à un débat réfléchi, argumenté, soucieux du pluralisme des convictions, libre des anathèmes. Pour aller dans ce sens, un historique précis des différentes propositions qui ont été élaborées aurait sans doute été utile. Nous n'en aurons évidemment pas le temps. Je voudrais au moins rappeler que, durant ces derniers mois, quelques grandes alternatives ont été posées. Faut-il créer des droits à partir de la réalité des situations de fait, ou est-il nécessaire de créer un contrat d'un nouveau type ? Si la voie du contrat est retenue, s'agit-il de créer une nouvelle forme d'union juridique du couple, ou un pacte d'entraide englobant toutes les formes de la solidarité ? Si la voie d'une reconnaissance légale des couples homosexuels est retenue, implique-t-elle ou non de désinstituer la différence des sexes ?

A ces questions, la proposition de loi présentée en octobre à la discussion des parlementaires n'apportait pas de réponse évidente. S'agissait-il d'un contrat ou d'un constat ? Concernait-il les seuls couples ou toutes les "paires" ? La proposition relevait-elle d'une logique de l'union ou d'une logique de la solidarité ? Ces questions se posaient, comme en a témoigné abondamment le "ballet des fratries". Il traduisait l'ampleur des incertitudes du texte lui-même.

Aujourd'hui, il semble que les choses soient un peu plus claires. Les débats parlementaires, puis le texte voté par l'Assemblée Nationale, définissent le PACS comme un contrat, une nouvelle forme d'union alternative au mariage réservée aux couples mais indifférente au sexe, ouvrant de nouveaux droits sociaux et fiscaux. Certes, l'article 10, ouvrant certains droits du PACS aux fratries, brouille quelque peu le message et semble très fragile juridiquement. Mais cet article est-il destiné à demeurer ? A lire les comptes-rendus des débats, les députés eux-mêmes en paraissaient peu convaincus...

Je partirai donc de cette interprétation d'ensemble du PACS comme une nouvelle forme juridique d'union de couple, pour poser seulement trois questions parmi celles, très nombreuses, que soulève ce texte. Je les ai retenues parce qu'elles ont été particulièrement occultées, plus précisément renvoyées d'un revers de la main, d'un revers de formule devrais-je dire. Le problème de l'union libre a été écarté par la formule " pas de droits sans devoirs " ; le problème de l'égalité , écarté par la formule "les couples qui ne peuvent ou ne veulent se marier", et enfin le problème de la différence des sexes , écarté par la formule "un choix républicain".

L'union libre tout d'abord. Si je pose d'entrée cette question, ce n'est pas par ignorance des nombreuses discussions que soulèvent les rapports entre PACS et mariage. Mais la polarisation sur ce seul aspect a contribué à renvoyer dans l'ombre le problème des unions de fait. C'est pourtant le premier paradoxe qui aurait dû, me semble-t-il, sauter aux yeux : au moment même où l'on constate que cinq millions de personnes vivent en union libre, que ce mode de vie commune est devenu souvent très durable, au point que 40 % des enfants naissent de parents non mariés, alors que chacun sait que le concubinage s'est développé très pacifiquement en France et qu'il correspond à un mouvement de fond de notre société, on aurait attendu que le législateur cherchât à prendre en compte au premier chef cette réalité. A l'inverse, il a choisi de l'ignorer. Peu de gens le comprennent car on nous dit que si les concubins veulent des droits, ils n'auront désormais qu'à se "pacser"... à ceci près que cela suppose pour eux, comme quand on leur disait autrefois qu'ils n'avaient qu'à se marier, de renoncer à leur union libre.

Ce qui est laissé ici pour compte n'est rien moins que tout ce que nous savons être (et de nombreuses enquêtes le confirment) la signification profonde du concubinage contemporain. Dans l'immense majorité des cas, il s'agit du choix positif, revendiqué comme tel, d'un lien de couple strictement privé, sans hostilité au mariage. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle jamais les concubins hétérosexuels n'ont demandé la création d'une quelconque forme d'union juridique inédite. Quant aux couples homosexuels, qui s'indignent à juste titre de ne pas être reconnus en droit comme concubins, on peut penser que, parmi eux, ceux qui tiennent à ce que leur engagement mutuel reste purement privé sont probablement très nombreux.

Mais ce choix de vie va devenir de plus en plus difficile, puisque l'invention du PACS a pour effet immédiat de renvoyer l'union libre hors du droit. Sur ce plan, les tableaux comparatifs qui ont été faits par de nombreux journaux sont très parlants : mariage, PACS, concubinage, ces trois situations signifient en réalité pour les concubins la fin de tout espoir de voir s'améliorer leur situation juridique au plan social et fiscal. On peut même redouter que la jurisprudence ait désormais toutes les raisons de revenir en arrière sur les droits qu'elle leur reconnaît aujourd'hui. Il s'agit là d'un coup d'arrêt brutal à la logique juridique qui s'était amorcée depuis plusieurs années, en adéquation profonde avec l'évolution des moeurs, et qui visait à dépasser l'antique disqualification napoléonienne. On y revient aujourd'hui : " ils ne veulent pas du droit, le droit se désintéressera d'eux" .

C'est pourquoi je souhaitais particulièrement attirer l'attention sur ce paradoxe que représente une législation qui se dit faite pour les concubins et qui du même mouvement les disqualifie. Ceux qui, de longue date, se sont employés à opposer aux couples "sérieux" qui "s'engagent", les couples "irresponsables" qui ne "s'engagent pas" ont remporté là une victoire pour le moins inattendue. Car à l'occasion du PACS, le concubinage n'a pas seulement été ignoré, il a été véritablement disqualifié. Vous le savez, les concubins n'ont eu, parmi les députés, qu'un seul avocat : M. Patrick Devedjian. Mais ils se sont découverts, à leur grande surprise sans doute, beaucoup d'adversaires rassemblés par la formule "pas de droits sans devoirs".

C'est sur cette formule que je voudrais conclure ce premier point. Elle paraît simple et belle, et on y souscrit aisément de prime abord. Mais quel est son sens ? Bien sûr, les devoirs juridiques que les individus se reconnaissent l'un à l'égard de l'autre conditionnent leurs droits réciproques. Mais en quoi cela concerne-t-il leurs rapports avec l'Etat, et en particulier les droits sociaux et fiscaux que l'Etat est susceptible d'accorder ? Ce n'est pas envers l'Etat que les couples qui se marient (ou qui demain "pacseront") contractent des devoirs, en échange desquels ils en obtiennent des droits. Le mécanisme du droit social est bien différent, puisqu'il se fonde sur la réalité des situations concrètes. J'en veux pour preuve que le concubinage suffit aujourd'hui - et suffira demain - pour ôter des droits sociaux, en considération de la simple communauté de vie et de la solidarité de fait qu'elle implique : il suffit pour supprimer l'API, pour supprimer l'ASF, pour réduire le RMI de deux RMIstes qui se mettraient en concubinage, pour supprimer enfin la demi-part supplémentaire par enfant à charge.

Mais, grâce à la formule "pas de droits sans devoirs", voilà qu'on exclut qu'il puisse suffire aussi quand il s'agit d'accorder positivement des droits sociaux ou fiscaux liés à la vie commune. Ainsi demain, pour ne prendre qu'un exemple, des concubins qui auront vécu quinze ou vingt ans ensemble continueront d'être des "étrangers" au regard de la fiscalité des successions. Cette situation peut certes inciter certains à conclure un PACS par simple intérêt économique, mais je crains que le juriste Alain Supiot n'ait raison quand il écrit dans la revue Droit social de ce mois-ci que cette approche "pénalisera les concubins qui préfèrent décidément l'union libre au PACS" et conclut ainsi une longue analyse, "loin d'encourager la solidarité là où elle n'existe pas, cette loi contribuera à la saper là où elle existe encore" .

La question de l'égalité a été au coeur de tous les débats sur le PACS. Et c'est en considération de l'égalité que l'on a souhaité mêler en une seule deux situations : celle des couples hétérosexuels et celle des couples homosexuels. Une formule résume cette démarche : le PACS est une union qui s'adresse aux couples qui - je cite de nombreux parlementaires - "ne peuvent ou ne veulent se marier". Il s'agit là d'un choix particulier à notre pays, qui le différencie d'autres démocraties qui, à l'inverse, ont tenu à proposer aux couples homosexuels qui n'ont pas accès au mariage, un contrat spécifique de partenariat.

Il me semble que le fait de mêler, par crainte de rompre un certain universalisme, deux situations aussi juridiquement différentes, n'ait produit exactement l'inverse du but recherché : une inévitable inégalité. Dès lors que l'on associait les couples hétérosexuels à une revendication d'union nouvelle (sans d'ailleurs les avoir consultés), se posait nécessairement la question du mariage civil dont la caractéristique fondamentale depuis 1792 est l'unicité. Mariage-bis, sous-mariage, on a connu de tels projets.

Le PACS dans sa dernière version a cherché à éviter ces pièges afin de préserver l'institution matrimoniale. On a déplacé, en quelque sorte, le curseur nettement vers le bas. Mais, en ajoutant les moins aux moins, pouvait-on éviter de créer au bout du compte une union de dernier ordre ? Toujours moins de solennité, moins d'engagements, moins de protection, moins de droits ouverts : la question se pose réellement aujourd'hui de la valeur du PACS. On peut se demander ce que gagne notre société à inscrire dans le droit des personnes, l'élevant à la dignité d'une union nouvelle, un lien dont le contenu est strictement matériel. En quoi représente-t-il un idéal moderne du couple, sinon consumériste ? Et quelle vision suppose-t-il des futurs "pacsés" ? On peut se demander s'il n'est pas quelque peu humiliant qu'un contrat n'ouvre des droits aux contractants qu'après une sorte de période probatoire de plusieurs années. On peut s'interroger sur la valeur d'un contrat résiliable unilatéralement sans aucune contrepartie. Cet engagement dont on se défait quand cela vous chante valait-il la peine de disqualifier la vraie morale de l'union libre, qui est justement celle de la liberté et des risques d'une promesse intime ?

Enfin, comme cela est classique, c'est au moment des successions que la logique d'ensemble se révèle. L'infériorité apparaît alors dans sa crudité, et devient une véritable inégalité : en matière fiscale, les taux et les tranches ont été soigneusement calculés de façon à ne jamais égaler ceux dont bénéficient les couples mariés. A quoi peut donc se rattacher cette conception des survivants de première et de deuxième classe ? A quel principe fondamental ? Il est difficile d'en voir d'autre que celui, bien peu approprié quand sont en cause l'amour et la mort, d'une sorte de tableau d'honneur des couples méritants.

"Les couples qui ne peuvent ou ne veulent se marier" : la formule était séduisante. Mais elle conduisait inévitablement à prendre en otage les uns par les autres. Ceux qui ne veulent pas se marier ont été pris en otage du désir d'union de ceux qui n'ont pas accès au mariage. Ceux qui ne peuvent pas se marier ont été pris en otage du mariage possible des autres, dont il fallait se distinguer. Mais n'oublions pas qu'au total, la volonté d'égalité n'annulera pas l'inégalité de fond : seuls les couples homosexuels n'auront aucun autre choix que l'union inférieure produite par cette double contrainte. Voilà pourquoi il demeure difficile de comprendre qu'on ait écarté, sans y réfléchir davantage, la démarche cherchant à organiser l'égalité et la différence du mariage hétérosexuel et du partenariat homosexuel. Dans les pays qui l'ont choisie, cette voie assume la différence, puisque le partenariat n'ouvre ni à l'adoption ni aux procréations médicalement assistées, mais elle assure du même mouvement 100 % d'égalité en ce qui concerne la solennité, l'engagement, les droits, la protection juridique du lien institué de couple.

Le PACS barre pour l'avenir cette voie qu'aurait, quant à elle, laissée ouverte une proposition de loi rompant la discrimination introduite par la jurisprudence à l'égard des couples homosexuels et étendant pour tous les concubins les droits issus de leur union de fait.

Enfin, mon dernier point : la différence des sexes. Si la démarche, certes nouvelle, et exigeante, de l'égalité et de la différence, n'a pas été retenue, c'est qu'une dernière formule la disqualifie toujours chez nous : le "choix républicain". Cette formule, qui se réfère à l'universalisme à la française, est centrale quand sont en jeu des domaines de la vie où nous agissons en tant qu'êtres humains, dépassant notre condition sexuée. Le débat tout récent sur la parité a permis de mesurer l'importance de l'enjeu universaliste quand est en cause la citoyenneté.

Mais comment expliquer le chassé-croisé surprenant par lequel, au moment où l'on est tenté d'instituer la différence des sexes là où elle n'a pas lieu de l'être, on soit à l'inverse tenté de la désinstituer là où elle prend tout son sens ? C'est bien en effet ce que fait le PACS, qui offre ce paradoxe de créer une union juridique de couple, donc à dimension sexuelle, mais non sexuée. Si seul ce choix de l'indifférence juridique à la dimension du masculin et du féminin est, comme on l'a dit, "républicain", alors il nous faut bien admettre en toute logique que le mariage, que nous croyions républicain, ne l'est pas.

Cette question de la différence des sexes, de l'enjeu pour la société tout entière à en préserver la dimension symbolique, est l'une des plus complexes ouvertes par les débats sur le PACS. Je n'en traiterai pas ici, et me contenterai simplement d'un rappel : la différence des sexes n'est pas un problème d'hétérosexualité, car l'homosexualité elle aussi s'inscrit, à sa façon, dans la symbolique du masculin et du féminin. Aucun de nous, quelle que soit son orientation sexuelle, n'engage de rapports sexuels ou amoureux en étant indifférent au fait premier que l'autre est d'un certain sexe, lui-même inscrit dans une construction sociale et culturelle, dans l'imaginaire du genre. Cela renvoie à la façon dont les sociétés mettent en signification la sexualité humaine, et construisent au-delà d'elle l'édifice tout entier de la parenté.

Quand demain un couple conclura un PACS, ni lui ni elle n'oublieront qu'ils sont deux hommes, deux femmes, un homme et une femme. Mais leur union juridique, elle, n'en dira rien : ce sera celle de deux personnes, et aux yeux de l'institution leur identité sexuée n'importera pas davantage que leur taille ou la couleur de leurs yeux. Sans même évoquer ses conséquences ultérieures en matière de filiation, ce déni du masculin et du féminin a-t-il été suffisamment pesé ? Je n'en suis pas certaine.

M. Jacques Larché, président.- Merci infiniment, Madame. Avant de donner la parole à notre rapporteur, une petite précision quant au maniement des statistiques : on parle de 40 % de naissances hors mariage. Il faut faire très attention à une différenciation très importante entre les premières et deuxièmes naissances, car il y a quelquefois des secondes naissances dans les couples hors mariage, il y en a beaucoup moins que dans les couples mariés.

Mme Irène Théry.- Il s'agit là de la moyenne. Dans le rapport que j'ai remis au gouvernement, il était bien indiqué que plus de la moitié des premières naissances étaient hors mariage, et qu'effectivement un peu plus d'un quart des secondes l'étaient. Mais plus de la moitié des premières naissances.

M. Jacques Larché, président.- Et les troisièmes naissances chez les couples hors mariage devraient également être vérifiées statistiquement.

Mme Irène Théry.- La statistique que j'ai donnée concerne l'ensemble des naissances de l'ensemble des rangs, et cela fait 40 %.

M. Jacques Larché, président.- Cela fait 40 %, mais vous admettrez malgré tout que première, deuxième et troisième naissances, cela a eu des significations quelque peu différentes.

Mme Irène Théry.- Cela signifie qu'on se marie souvent après avoir vécu longtemps en concubinage et avoir fait des enfants.

M. Jacques Larché, président.- C'était une précision importante, à la condition que le concubinage ait permis d'en faire, ce qui est un tout autre problème.

Mme Irène Théry.- 40 %, tout de même !

M. Patrice Gélard, rapporteur.- Madame, merci pour cet exposé fort intéressant.

Pensez-vous qu'il faudrait donner, dans le Code civil, une définition du concubinage ?

La seconde question que je voudrais vous poser est la suivante : apparemment, vous souhaiteriez que s'institue en France une sorte de mariage pour homosexuels, en maintenant le concubinage pour les uns ou pour les autres ?

Mme Irène Théry.- Pour répondre à votre première question, il ne me semble pas possible de définir le concubinage, qui est une situation de fait, créatrice de droits. Par contre, il me semble possible d'introduire dans le droit une précision, par un article, de la façon dont le droit appréhende déjà le concubinage. C'est ce que j'avais proposé dans le rapport que j'avais remis il y a quelques mois, en proposant d'indiquer, par un article, que le concubinage s'appréhende par la possession d'état de couple naturel, que les concubins soient ou non de sexe différent.

On peut d'ailleurs modifier cette proposition -on m'a fait remarquer qu'il n'était pas nécessaire de mettre "naturel" - par la possession d'état tout simplement, que les concubins soient ou non de sexe différent.

M. Patrice Gélard, rapporteur.- Le problème auquel on se heurte à l'heure actuelle, c'est que la Cour de cassation ne reconnaît pas le concubinage homosexuel.

Mme Irène Théry.- C'est bien pour cela que j'ai terminé cette proposition en disant : "que les concubins soient ou non de sexe différent".

Quant à votre seconde question, j'avais soulevé ce problème, cette hypothèse. Après tout, de nombreux pays ont imaginé des contrats de partenariat. D'après vos documents de travail, j'ai même appris que l'Allemagne s'apprêtait à le faire également. Il m'aurait paru normal que cela soit évoqué au moins chez nous. Je ne pense pas qu'on puisse le proposer pour l'instant, car quand je l'ai fait certaines associations homosexuelles ne s'y sont pas déclarées favorables et le débat n'a pas été ouvert largement.

J'ai indiqué aujourd'hui que cette hypothèse est fermée pour l'avenir par le PACS alors que, si l'on avait légiféré sur le concubinage, on pourrait pu donner dans l'immédiat quasiment autant de droits sociaux et fiscaux que par le PACS, en tout cas éviter des droits de seconde zone, tout en réservant cette possibilité à laquelle on peut penser qu'un certain nombre de couples sont attachés parce qu'ils ne souhaitent pas simplement être reconnus dans leur union libre, mais avoir le choix entre union libre et union instituée.

M. Jacques Larché, président.- Y a-t-il d'autres questions ? ( Non ) Je vous remercie, Madame.

La parole est à M. Jean Hauser.

M. Jean Hauser.- Monsieur le président, mesdames et messieurs les Sénateurs, vous êtes aujourd'hui saisis d'une proposition de loi, et le modeste juriste que je suis s'en tiendra au texte, puisqu'on a beaucoup discuté de grandes idées. Des idées tellement grandes que de temps en temps, je l'avoue bien humblement, je ne sais plus du tout de quoi on parle.

Permettez-moi de dire d'abord, pour que les choses soient claires, que j'ai écrit personnellement que j'étais favorable à l'intervention législative. Cette affirmation repose tout simplement sur de nombreuses rencontres avec les magistrats. Le contentieux du concubinage et le contentieux de la liquidation du concubinage sont en croissance constante. Il faut faire quelque chose. Nous verrons peut-être que la faiblesse de cette proposition, en ce que précisément elle n'envisage pas du tout la rupture du concubinage, est le problème central sur le terrain.

Si nous prenons les articles les uns après les autres, pardonnez-moi de faire un commentaire de textes mais après tout c'est peut-être votre travail de demain...

L'article 515-1 précise : " un pacte civil de solidarité peut être conclu par deux personnes physiques majeures de sexe différent ou de même sexe" . Je suis d'accord avec Irène Théry sur ce point : puisqu'il s'agit d'un pacte de solidarité, je suis très étonné qu'y ait besoin de préciser le sexe des parties. De deux choses l'une : soit on est dans la logique matrimoniale, et là le sexe importe ; soit on est dans la logique contractuelle, et le sexe des parties est par définition sans importance. Il ne viendrait à l'idée de personne, dans un contrat de vente, de dire que les deux parties, l'acheteur et le vendeur, doivent être de sexe différent ou de même sexe. Tout ceci est indifférent.

Je crois que le premier article pose également un second problème, celui de l'expression "vie commune". Je vous laisse réfléchir à ce que peut être cette notion. Il y a au moins trois sens, pour les plus évidents. Est-ce une notion géographique (devront-ils avoir la même résidence) ? Est-ce une notion physique (auquel cas ce serait une communauté de lit, difficile à vérifier) ? Est-ce une notion patrimoniale (faut-il avoir des intérêts communs) ?

Actuellement, la notion de vie commune alimente un contentieux non négligeable en droit de la Sécurité sociale où l'on trouve la vie maritale, la vie commune qui ressemble au mariage... Je ne suis pas sûr que l'expression "vie commune" soit juridiquement très appropriée. Il faudra sans doute réfléchir à quelque chose de plus précis.

Poursuivons la lecture des articles successifs. Là encore, l'article 515-2 est assez surprenant : on est au coeur de la contradiction. Si c'est un pacte pour organiser seulement la vie commune, je ne comprends pas pourquoi on crée des empêchements calqués sur les empêchements à un mariage. Cette énorme contradiction nous renvoie d'ailleurs à ce que disait Mme Irène Théry il y a quelques instants : plus personne ne sait sur quel piano exactement on joue.

Il est assez surprenant que, dans le droit du mariage, tous les efforts aient été faits depuis cinquante ans pour diminuer les empêchements de nature sociale, et pour réduire les empêchements à la simple épure biologique. Ici, au contraire, on mettrait en route un processus inverse visant à créer des empêchements sociologiques assez surprenants, puisque après tout il ne s'agit que de vie commune et que la connotation sexuelle du pacte n'est pas en cause.

Pourquoi donc avoir recopié ces empêchements, assez surprenants, qui introduisent le doute ? On ne sait plus trop si c'est une union patrimoniale, une union de vie commune de fait, ou purement et simplement une union de type sexuel, auquel cas se repose un problème autrement grave.

Vous savez quelles ont été les tribulations du mode de déclaration. On fait appel, dans l'article 515-3 à une déclaration écrite conjointe. Je me demande -et je suis sûr que cela sera une question centrale dans vos débats- quelle est la nature juridique de cette déclaration. Est-ce, oui ou non, un contrat ? Si c'est le cas, quelles règles allez-vous appliquer ? Si vous appliquez les règles des contrats, ce sont des dizaines d'articles du Code civil à partir des articles 1101 et suivants, avec les vices du consentement, avec la cause, avec l'objet... -je ne vous ferai pas un cours de droit, cela serait fastidieux- mais il faudrait tout de même que nous le sachions, car demain il y aura forcément des contentieux sur ces déclarations écrites conjointes. L'un des deux dira : "On m'a trompé. J'ai déclaré ce que je voulais, mais en réalité ce n'est pas ce que je voulais", ou bien "l'autre m'a raconté des histoires"... Allons-nous appliquer ici le statut des contrats, auquel cas, ce sont non seulement des dizaines d'articles du Code civil, mais encore des siècles de jurisprudence qui vont s'appliquer avec des implications intéressantes ?

Encore une question juridique : quelle est la part, dans ce pacte, de contractuel et d'ordre public ? A quoi va-t-on pouvoir porter dérogation ? D'abord, tous les articles de cette proposition de loi sont-ils d'ordre public ? Je vous invite à réfléchir avec deux questions pratiques. Si demain je signe un PACS, puis-je y faire figurer une clause de non-responsabilité (dans les contrats ordinaires, on peut le faire), auquel cas chacun des "pacsés" pourrait s'en aller sans aucune responsabilité envers l'autre ? Rien, dans le texte, ne permet de répondre clairement à cette question, qui n'est pas mince.

Pourrais-je, à l'inverse, insérer une clause pénale prévoyant que quand l'un des deux partira, il paiera 500 000 francs (ou le chiffre que vous voulez) ? Là encore, la question mérite d'être posée. Les praticiens vont proposer un certain nombre de formules. Que pourront-ils mettre dans ces formules ? Qu'est-ce qui leur sera interdit ? Je suis assez surpris de constater qu'au fond rien n'apparaît. Dans le mariage, la question ne se pose pas parce que tout cela est interdit, sauf dans la limite des régimes matrimoniaux qu'on peut aménager, mais les régimes matrimoniaux sont eux-mêmes encadrés par un ordre public de protection. Où est, ici, la part respective de l'ordre public et de la liberté des conventions ? Il me semble que c'était une question "théologique", en matière juridique, à régler préalablement.

Excusez-moi d'être un peu long. Si l'on prend les expressions ultérieures, article 515-4...

M. Jacques Larché, président.- Vous êtes en train de nous éclairer. Vous êtes placé dans le droit fil de ce que nous nous efforçons de faire.

M. Jean Hauser.- Je ne fais que du droit, Monsieur le président.

M. Jacques Larché, président.- Nous aussi.

M. Jean Hauser.- Revenons à l'article 515-4. On nous dit : "les partenaires liés par un pacte civil de solidarité" ... Chère Irène Théry, nous revenons au problème : est-ce un partenariat, un pacte ou un contrat ? Si c'est un contrat, on ne dit jamais "les partenaires", on dit "les parties". Là encore, le vocabulaire n'est pas un hasard. On a des précédents avec la loi de bioéthique de 1994, où l'on trouve quelques termes scabreux tels que "les membres" du couple !

L'article 515-4 m'étonne. "Les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s'apportent une aide mutuelle et matérielle" . Là encore, le juriste que je suis s'étonne un peu : "une aide mutuelle et matérielle"... On ne trouve l'expression que dans l'article 220 du Code civil entre époux. Dans l'alinéa 3 de l'article 220, qui constitue d'ailleurs une sorte d'exception. Pour le reste, est-ce vraiment le décalque des obligations entre époux, qui sont l'assistance et le secours ? Cela implique-t-il une contribution aux charges ? Nous n'arrivons pas à le savoir exactement. On nous dit que les modalités de l'aide sont fixées par le pacte, mais si le pacte ne dit rien ? Et s'il veut dire quelque chose, que peut-il dire ? Et jusqu'où peut-il le dire ? Le pacte pourrait-il dire qu'ils ne s'apportent aucune aide mutuelle et matérielle ? L'alinéa premier est-il d'ordre public ou pas ? Je reviens à mes questions de tout à l'heure.

Si l'on réfléchit aux déclarations, on nous dit qu'il y aura une déclaration au greffe du tribunal d'instance du lieu de résidence. J'en déduis sans doute qu'ils ont une résidence commune, encore que rien dans le reste du texte ne permette de le dire véritablement. Quant aux déclarations qui vous sont proposées, je ne sais pas si vous avez vu l'ensemble des articles, mais c'est une paperasserie invraisemblable qui va conduire à des échanges entre les greffes des tribunaux d'instance déjà surchargés, dans des conditions ahurissantes. On en vient presque à regretter (je n'en étais pas partisan ) la simplicité biblique du système de l'acte de naissance en matière de mariage : au moins, on met cela en marge et on évite ces échanges de correspondance ; vous l'avez vu, quand ils y mettent fin, quand ils le changent, il va falloir le déclarer au lieu de résidence, puis l'inscrire sur un autre registre...

J'attends d'ailleurs de voir (et là non plus je n'ai pas la réponse) qui va juger de tout ce contentieux. Constitutionnellement, le contentieux de l'état civil (j'espère ne pas dire de bêtise) fait partie de l'ordre judiciaire certainement, mais ici ce n'est pas de l'état civil à proprement parler, ou du moins peut-on en discuter puisqu'il s'agit d'un pacte et que ce pacte est hors état civil. Relèvera-t-il de la compétence du tribunal de grande instance jugeant comme pour les contrats ? Probablement, mais je me pose la question. Comme il y aura sans doute du contentieux, cela mériterait peut-être d'être précisé, ou du moins envisagé.

Poursuivons l'examen. L'article 515-5 me paraît extrêmement inquiétant. On nous a dit qu'à défaut de stipulation contraire de l'acte d'acquisition, les biens des partenaires acquis à titre onéreux seront soumis au régime de l'indivision. Je ne suis pas a priori hostile à certaines solutions de ce type, mais la rédaction du texte est tout à fait défavorable.

"A défaut de stipulation contraire de l'acte d'acquisition" ... Encore faudrait-il qu'il y ait un acte d'acquisition pour tous les biens. Cela vise sans doute les biens immobiliers ; dans le cas d'achat de biens mobiliers (un réfrigérateur, une voiture ou une télévision), il serait difficile de mettre dans l'acte d'acquisition des dispositions sur le statut du bien. Il y a déjà un premier problème.

Quant à l'affirmation "les biens sont soumis au régime de l'indivision" , c'est à dire qu'il n'y a pas de choix s'il n'y a rien dans l'acte ; cela va beaucoup trop loin. Cela va de soi. Il faut à la rigueur mettre "sont présumé acquis en indivision" , auquel cas on pourra prouver le contraire, mais certainement pas "sont soumis à l'indivision" . Il risque en effet d'y avoir (comme entre époux séparés de biens) de très nombreuses hypothèses où ils ont acquis sans rien dire, mais tout le monde le sait, et où d'ailleurs l'homme ou la femme, l'une des deux parties, peut parfaitement prouver qu'elle a tout payé. Il n'y a donc aucune raison dans ce cas de créer une indivision automatique et forcée.

Retenir l'article aboutirait à créer une communauté légale d'acquêts entre "pacsés", plus solide que la communauté légale d'acquêts entre gens mariés. Il ne faut certainement pas dire "sont soumis au régime de l'indivision" ; la bonne rédaction est : "sont présumés soumis" . Si aucune des deux parties n'arrive à prouver l'origine des deniers, on appliquera l'indivision, ce qui est d'ailleurs actuellement la solution de la Cour de cassation. Mais ce n'est qu'une présomption susceptible de preuve contraire ; il suffira que l'un des deux dise qu'il a tout payé, qu'il présente les factures et les chèques, à ce moment-là il n'y aura aucune raison de décider que le bien est en indivision, sauf à décider que chaque fois qu'ils achètent quelque chose ils enrichissent une curieuse communauté qu'on aura ainsi créée entre "pacsés".

Sur "l'extension sans précaution", je n'entrerai pas dans le détail car ce serait horriblement technique et très long. Je me pose toutefois des questions sur l'extension sans précaution des articles 832 et suivants dans l'article 515-6, qui concerne l'attribution préférentielle, c'est-à-dire la possibilité de retenir un bien en cas de partage successoral, de partage de communauté. Les articles 832 et suivants sont les plus longs du Code civil, ils résultent d'une construction quasiment géologique, avec des alinéas en contradiction, et d'une complexité rare. Philosophiquement, ils correspondaient à la famille, aux parents, aux enfants et aux couples. On les étend d'un trait de plume, dans leur ensemble, aux "pacsés". Je n'ai pas eu le temps -et je m'en excuse- de vous dire en détail ce que cela produirait. Je suis persuadé qu'on ne peut pas étendre dans leur globalité les articles 832 à 832-4 du Code civil aux "pacsés". Il y a d'abord des alinéas totalement contradictoires avec la situation que la proposition de loi veut créer. Encore une fois, comprenez-moi, il ne s'agit pas de critiquer la méthodologie ; certains aspects de l'attribution préférentielle doivent sûrement être étendus, mais on ne peut certainement pas étendre d'un trait de plume, comme cela, la totalité de ces articles qui représentent sept ou huit pages du Code civil Dalloz.

Article 515-8 : au fond, on organise une sorte d'état civil parallèle, d'une rare complexité. Vous verrez que cet article comporte un grand nombre d'alinéas. L'acte de déclaration devient une sorte d'acte de mariage. Je me demande d'ailleurs (et je n'en ai pas vu de trace ici) quelle sera exactement la sanction de toutes ces déclarations et de toutes ces obligations de déclarations. Que se passera-t-il pour celui qui ne va pas déclarer son "dépacsage", ou qui va "pacser" deux fois ? Y aura-t-il nullité, comme dans le mariage, la bigamie devenant la "bipacsie" ?! Je ne sais pas ce qu'il faudra dire mais là encore, et toute plaisanterie mise à part, je pense que ce ne sont pas des détails. Des gens vont forcément en profiter, ou essayer d'en profiter. Pourquoi n'a-t-on pas envisagé tous ces aspects juridiques, qui sont tout de même essentiels, si on veut éviter le contentieux ?

Je terminerai en ajoutant que quelques petites choses, et plus que des petites, font défaut. Cette fois, je trouve que la proposition est non pas mal faite, mais qu'elle laisse de côté toutes les questions pratiques qu'on pouvait se poser. Tout d'abord, je n'ai pas vu de dispositions sur ce qui se passera si quelqu'un signe un PACS et devient ensuite incapable. Comment va-t-il faire pour se "dépacser" ? Croyez-moi, la question n'est pas du tout un détail. S'agissant de personnes vieillissantes, la question suivante se posera : comment se "dépacser" si on est incapable ? Des dispositions existent sur le divorce des incapables.

En principe, d'après le texte, on ne peut pas "pacser" si l'on est incapable. C'est le "dépacsage" qui m'inquiète. On sait que le divorce des incapables pose des problèmes considérables. Or vous risquez d'avoir des "dépacsages" de personnes incapables, parce qu'elles ont "pacsé" à 75 ans pour des raisons quelquefois fiscales ou sociales. En vieillissant, elles peuvent avoir envie de changer d'avis mais, comme elles sont devenues incapables, on ne sait plus ce que cela va donner. Or il faudra bien que nous sachions comment on peut se "dépacser" quand on est sous curatelle ou sous tutelle.

Je ne vous apprendrai pas, mesdames et messieurs, que la question du vieillissement est une question essentielle en France. Le récent rapport des quatre ministères sur les incapacités montre bien qu'on ne peut plus voter de projet de loi en ignorant les incapables. C'est une question qu'il faudra poser.

Enfin, dernière remarque : il y a n'y a rien sur les libéralités. Or le statut des libéralités, des donations et des testaments entre concubins, est actuellement un statut sur lequel il y a beaucoup à dire. Pendant des siècles, la Cour de cassation, depuis son origine, a fait des distinctions selon la cause immorale et illicite. Elle ne l'applique plus guère. Curieusement, alors qu'on pouvait attendre de ce texte que précisément l'on nous dise : "Cela , c'est fini, on ne pourra plus annuler une libéralité entre concubins pour cause immorale et illicite, au moins sur le seul vu du lien", il n'y a rien sur les libéralités. Cela m'étonne beaucoup car c'est quand même l'un des moyens actuels d'organisation du concubinage majoritaire. Les concubins font, par des libéralités, ce que la loi ne leur donne pas automatiquement.

Rien sur les aliments. J'avoue que l'aide mutuelle et matérielle me laisse sur ma faim ! S'agissant d'aliments, je ne comprends pas trop ce qu'on pourra condamner, qui on pourra condamner et comment. D'ailleurs, quel statut s'appliquera ? Va-t-on, là encore, appliquer le statut des aliments, énorme statut, très compliqué, ou va-t-on au contraire laisser cela dans le flou ? On me répondra que la jurisprudence décidera. Mais si l'on fait des projets de loi ou des propositions de loi en disant que la jurisprudence décidera, ce n'est pas la peine de les faire.

Rien sur les dommages et intérêts éventuels. Ils sont jusqu'ici prononcés par les tribunaux sur la base des articles banals de la responsabilité civile, 1382 et suivants. Vont-ils devenir des dommages et intérêts contractuels ? Croyez-moi, le statut des dommages et intérêts délictuels est très éloigné de celui des dommages et intérêts contractuels.

Nous retrouvons le même problème : quelle est la nature juridique de ce pacte ? Est-ce un contrat, ou cela reste-t-il un fait dont la loi veut bien tenir compte ? Une grosse partie du contentieux de la liquidation du concubinage tient maintenant aux dommages et intérêts. Récemment, la Cour d'appel de Paris a prononcé -c'est peut-être le "hit-parade"- des dommages et intérêts de plus de 500 000 francs. L'un de nos collègues a d'ailleurs intitulé sa chronique : "une prestation compensatoire entre concubins". C'est sans doute ce qui nous guette demain pour les concubinages de longue durée accumulateurs de richesses, il y aura des dommages et intérêts ; j'aimerais savoir de quelle nature ils seront.

Enfin, je pose la même question qu'Irène Théry : que vont devenir les autres, ceux qui ne signeront pas de PACS ? Rien dans le texte ne le prévoit. La jurisprudence va-t-elle, au contraire, en profiter pour les exclure encore un peu plus ? Va-t-elle continuer à leur appliquer l'ensemble des techniques de fait qu'elle a développées depuis plus d'un siècle ? C'est une vraie question qui ne sera pas sans détail car, si la jurisprudence continue à appliquer ces techniques de fait, il est très possible que dans certaines situations, le non-PACS soit plus intéressant que le PACS, auquel cas l'effet sera manqué.

En réalité, et ce sera ma conclusion, je crois personnellement - dans le document bleu qui vous a été remis figure ce que nous avions essayé de proposer- que le texte ne s'est pas libéré d'un positionnement négatif par rapport au mariage. Dès le départ, on a essayé de faire du mariage sans que ce soit du mariage, en le recopiant plus ou moins, puis on a essayé d'effacer ces recopiages. Par rapport au CUC ou au CUCS, le progrès est considérable.

Mais le PACS, tel qu'il vous est présenté, n'a pas de sens positif. Je pense que tous ces concubins méritaient mieux qu'un texte qui, finalement, se positionne négativement. Il n'y a aucun élément fédérateur dans ce texte. La question que posait votre rapporteur il y a quelques minutes est sans doute essentielle. La définition même des gens qui "pacsent", la nature juridique de ce PACS, sont à peu près impossibles à découvrir car, encore une fois, la démarche a été négative alors qu'elle aurait pu -je persiste à le penser- être positive. A mon sens, tout reste à faire.

M. Jacques Larché, président.- Monsieur le professeur, j'ai entendu vos propos avec quelque inquiétude, surtout votre conclusion. Tout reste à faire, c'est hélas notre sentiment. Reste à savoir ce que nous mettons dans ce tout.

M. Patrice Gélard, rapporteur.- J'ai une question très pointue à vous poser, sur laquelle nous nous sommes interrogés avec les notaires et les avocats : l'interdiction du PACS aux alliés et aux collatéraux jusqu'au troisième degré, c'est assez extraordinaire.

M. Jean Hauser.- C'est assez extraordinaire, je suis de votre avis. De toute façon, l'ensemble des interdictions pose toute une série de problèmes que je n'ai pas pu creuser complètement, mais notamment aux alliés.

M. Patrice Gélard, rapporteur.- Les alliés... C'est absurde !

M. Jean Hauser.- Je n'ai pas eu le temps d'entrer dans les détails en si peu de temps, mais c'est effectivement totalement absurde. Il n'y a aucune raison...

M. Patrice Gélard, rapporteur.- Beau-père et bru, oncle et nièce...

M. Jean Hauser.- Alors que tous les efforts des lois des vingt dernières années avaient pour but de réduire ces empêchements à la stricte biologie. Voilà que l'on recopie les empêchements démodés dont tout le monde propose d'ailleurs la suppression dans le cas du mariage, et qui sont souvent des empêchements simplement prohibitifs que l'on peut lever par dispense. Je pense que l'article 515-2 doit être repris entièrement ; il y a là beaucoup de doutes.

M. Patrice Gélard, rapporteur.- Avez-vous idée du contentieux qui pourrait surgir, dans l'hypothèse d'une application de la loi telle qu'elle est ? Je suis assez inquiet de ce contentieux. Un autre problème se pose : dans le texte, apparemment, le PACS est inopposable aux tiers.

M. Jean Hauser.- Sauf... Enfin, il a date certaine ; sa date pourrait à la rigueur être opposée..

M. Patrice Gélard, rapporteur.- Oui mais pour qui ? Puisque l'on ne peut pas avoir communication du document et que seule l'administration peut l'avoir ?

M. Jean Hauser.- C'est-à-dire qu'on n'a pas voulu adopter le système du mariage et du régime matrimonial où, quand il y a une mention "répertoire civil, contrat de mariage", on peut obtenir communication du contrat de mariage quand on veut contracter avec les parties. Là, il appartiendra aux tiers de se prémunir en demandant aux parties avec lesquelles elles contractent de leur communiquer le contrat de PACS.

M. Jacques Larché, président.- On leur demandera : "Etes-vous pacsés ?"

M. Jean Hauser.- Bien sûr. Quant au contentieux, je n'ai pas repris l'article par manque de temps, mais sur la fin du PACS, encore une fois, je n'ai pas de mauvaises intentions à l'égard de ce texte ou du principe ; le texte nous dit que les partenaires déterminent eux-mêmes les conséquences de la rupture du PACS ; à défaut d'accord celles-ci sont réglées par le juge. Soyons sérieux ! D'abord, on ne sait pas de quel juge il s'agit.

M. Patrice Gélard, rapporteur.- Cela peut être le juge du tribunal de commerce s'ils sont commerçants, le juge d'instance, le juge de grande instance, je ne sais pas....

M. Jean Hauser.- J'ai posé la question dans le texte écrit. Mais surtout : "à défaut d'accord, celles-ci sont réglées par le juge"... Si c'est pour dire cela, on n'a pas besoin d'un texte. Elles sont réglées par le juge depuis qu'il y a des concubins, depuis 1804. La question n'est pas de savoir si elles sont réglées par le juge (ce qui est évident, puisqu'en France on a droit à un juge), mais selon quels textes le juge va délibérer.

Encore une fois, va-t-il appliquer toutes les règles des contrats, auquel cas c'est un changement copernicien dans la jurisprudence sur le concubinage ? Jusqu'ici, au contraire, toute l'idée de la Cour de cassation et de tous les tribunaux français est de dire : "Je n'applique jamais les règles contractuelles, parce que ce n'est pas un contrat. J'applique les règles délictuelles du fait : ils vivent ensemble et cela crée des fautes, des obligations minimum..."

Si le PACS est un contrat, c'est un juge, toujours le même, qui va statuer selon les règles contractuelles. C'est une révolution copernicienne en matière de concubinage. Qu'un seul alinéa puisse déterminer cette révolution me paraît un peu mince.

M. Jacques Larché, président.- On ne sait jamais comment commencent les révolutions. Un simple article, c'est quelquefois beaucoup plus simple.

M. Robert Badinter.- Je voudrais faire une observation d'ordre général et processuel. Il y a une compétence générale d'attribution pour le tribunal de grande instance dès lors qu'il n'y a pas d'autres précisions. Le reste, c'est... -je n'ose dire "exception"- précision. Ici, ce sera le tribunal de grande instance.

Il y a énormément d'intervenants de très grande qualité, comme les deux personnes que nous entendons. J'aurais souhaité que l'on entende un magistrat spécialisé dans le contentieux de la famille, pour mesurer l'ensemble des problèmes susceptibles d'être soulevés judiciairement. Cela a-t-il été fait ? Ou alors la commission des lois le fera.

M. Jacques Larché, président.- Nous n'avons pas pu tout faire dans le cadre de l'audition publique. Mais il est bien clair que ces auditions seront complétées, soit par des auditions du rapporteur, soit par des auditions en commission. Nous nous réservons aussi en commission, mais dans un autre cadre, la possibilité de procéder à d'autres auditions. Je retiens notamment votre suggestion qui est tout à fait pertinente.

M. Robert Badinter.- Des avocats aussi car, il faut bien le dire, il y a là une probabilité -pour ne pas dire une certitude- d'inflation contentieuse formidable.

M. Patrice Gélard, rapporteur.- J'ai déjà auditionné trois avocats.

M. Jacques Larché, président.- Patrice Gélard a déjà commencé ses auditions personnelles, et nous avons nous-mêmes des contacts avec un certain nombre de milieux professionnels pour les entendre dire ce qu'ils pensent de ce texte et des problèmes juridiques qu'il pose. Il est clair que nous irons plus loin. Nous dépasserons le cadre des auditions prestigieuses d'aujourd'hui au sein de la commission. Nous ne manquerons pas de le faire.

M. Guy Allouche.- Je voudrais me livrer à deux ou trois observations. Nous allons avoir tout au long de la journée des personnes qui viendront nous enrichir de par leurs travaux, leurs connaissances, leurs études approfondies. Cela facilitera le débat que nous aurons ultérieurement.

Je voudrais vous faire remarquer que nous sommes devant une situation nouvelle, un fait de société qui est une réalité et que l'on ne peut plus nier. Il faut rappeler qu'en 1985, dans le Code pénal, une disposition reconnaissait la liberté des moeurs sanctionnant toute discrimination opérée en fonction des moeurs des personnes. Il faut savoir qu'un fait était apparu. Peut-être était-il passé inaperçu, mais on reconnaissait déjà cette liberté de moeurs.

M. Jacques Larché, président.- Cela n'était pas passé inaperçu.

M. Guy Allouche.- Pas pour nous, mais dans le grand public un premier pas avait déjà été fait.

M. Robert Badinter.- Je crois m'en souvenir.

M. Guy Allouche.- Nous avons affaire à une réalité, il nous faut la regarder en face. Nous sommes à la première étape législative. Il y a eu une première lecture, dans les conditions que nous connaissons, à l'Assemblée nationale. Il y aura une première lecture au Sénat, il y en aura d'autres, il y aura des navettes. Nous avons simplement ouvert le chantier législatif sur ce fait de société. Nous nous efforcerons -en tout cas c'est notre volonté commune- de faire aussi bien que possible afin de répondre aux nombreuses questions qui se posent.

Mais j'ai envie de poser une question à nos deux invités d'aujourd'hui. A vous entendre, dans toutes les difficultés que vous avez énoncées ( "pas ceci... pas ceci... et qui ceci... et qui va faire cela...") j'ai le sentiment que je ne m'étais pas encore aperçu que le mariage était la solution idéale et qu'il ne posait aucun problème. Pensez-vous que, d'emblée, on va atteindre la perfection législative sur un fait de société aussi important que celui qui nous réunit aujourd'hui ? Par contrecoup, le mariage consacré, civilement ou religieusement, est-il vraiment la situation idéale et idyllique ne posant pas problème ? Je suis marié, comme beaucoup d'entre nous, je le dis tout de suite.

M. Jean Hauser.- Bien entendu, il est exclu que le statut du PACS (ou d'autre chose, d'ailleurs) atteigne la "perfection" du mariage, qui a d'ailleurs toujours suscité un contentieux malgré le nombre de textes. Cela étant, c'est un texte nouveau et on peut espérer le faire le mieux possible. Monsieur le sénateur, vous conviendrez peut-être avec moi que les conditions dans lesquelles il a été élaboré ne sont tout de même pas entièrement satisfaisantes. C'est le moins que l'on puisse dire.

M. Guy Allouche.- On peut en convenir.

M. Jean Hauser.- J'ai dit d'emblée que les critiques techniques que je faisais n'entamaient pas ma conviction : il faut faire quelque chose. Ce "quelque chose", je l'ai pour ma part entrepris à la demande de la chancellerie, à travers le projet de pacte d'intérêt commun, sans aucun présupposé idéologique. Je reste quand même convaincu que c'est une question qui, techniquement, méritait un traitement un peu plus sérieux que celui qui lui a été infligé. On a méconnu considérablement l'insertion de ce projet dans l'ensemble de notre système juridique. On l'a conçu au départ comme si c'était un ballon libre qui allait forcément voler très au-dessus de tout le système juridique, or il est au coeur du système juridique.

Sa place même dans le Code civil est discutable. Je n'ai pas discuté sur la place aux articles 515 et suivants, mais si c'est un contrat il n'a rien à faire aux articles 515 et suivants, il fallait le mettre ailleurs. Tout cela me paraît ne pas avoir été réfléchi suffisamment. C'est une critique d'ordre technique. Je ne méconnais pas le fait que nous devons faire quelque chose. Nous n'atteindrons sûrement pas la perfection ; pour l'instant nous en sommes encore très loin.

M. Jacques Larché, président.- Si l'on n'atteint pas la perfection, il ne faudrait pas prendre au départ le parti de négliger la perfection.

M. Guy Allouche.- Ce n'est pas notre habitude.

Mme Irène Théry.- Je voudrais répondre à mon tour. Le professeur Hauser et moi-même avons fait des choix différents pour nous exprimer aujourd'hui. J'ai choisi plutôt trois grandes questions sans m'attarder sur les détails du droit ; il a choisi de prendre le texte article par article. Mais nous sommes l'un et l'autre d'accord sur le fait que le détail du droit et les grands choix sur la logique du texte sont inséparables. Vous avez brillamment défendu votre perspective, Jean Hauser, qui était celle de la solidarité. J'en ai défendu encore une autre, celle de l'union libre.

Ce qui, de toute façon, est préalable au débat sur tel ou tel article, c'est un choix par rapport à ces différentes logiques.

Quand j'ai lu aujourd'hui le PACS comme étant une union, c'est parce qu'il me semble sincèrement qu'à lire l'ensemble des débats parlementaires, c'est l'orientation qui a voulu lui être donnée. Cela dit, je crois que le texte, comme vous l'avez montré, n'est même pas cohérent juridiquement avec cette logique. Par ailleurs, est-ce la bonne ? C'est la question que j'ai voulu poser, et qu'il n'a jamais été véritablement possible de poser.

M. Robert Badinter.- Une question, là aussi essentielle, de méthodologie. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les propos de Mme Théry. On a l'impression qu'on l'a fabriqué au fur et à mesure et, disons-le, il n'y a pas de juriste du Conseil d'Etat qui n'ait examiné ce texte, et qui ne puisse hélas considérer qu'il est à refaire complètement.

M. Jacques Larché, président.- Vous savez bien que c'était un "truc" pour ne passer ni en Conseil d'Etat ni en conseil des ministres.

M. Robert Badinter.- Je le prends en l'état, puisque c'est en l'état que nous le recevons. Je pose donc une question, plus particulièrement au professeur Hauser : si l'on faisait un choix initial, par exemple le statut de l'union libre -dans lequel, bien entendu, on ne ferait pas de distinction entre couples hétérosexuels ou homosexuels-, et que l'on travaillait à partir de cette donnée de base, pensez-vous que nous arriverions à une cohérence juridique, et au regard de la société, à une vue plus large que celle qui a été adoptée ? C'est-à-dire partir du PACS qui, à l'origine, était plus particulièrement destiné à régler la question du couple homosexuel face à la jurisprudence de la Cour de cassation, pour dire les choses simplement ?

M. Jean Hauser.- Je crois pouvoir répondre oui à votre question. Je sais bien qu'il a été mal vu de dire que l'on pouvait d'abord commencer par la réalité, qui est une réalité largement patrimoniale. Par hypothèse, nous ne statuons pas sur les enfants naturels et sur l'aspect "filiation" qui est d'ailleurs complètement dissocié du texte ; l'aspect "adoption" également.

Sur quoi statue-t-on ? Sur un contentieux (les juges que vous ferez venir vous le diront), pour l'essentiel un contentieux de séparation des biens, de dommages et intérêts et de "comptes" à coups d'enrichissement sans cause.

Nous avions proposé de partir d'un présupposé financier et patrimonial. L'obstacle de cette démarche est que la demande était très largement symbolique et philosophique. Partir du côté patrimonial, qui me paraissait beaucoup plus sûr juridiquement, aurait sans doute permis de remonter, en prenant cette démarche, à la définition, plus tard. Nous nous sommes immédiatement heurtés à la demande symbolique qui n'était évidemment pas satisfaite par notre démarche, un peu trop aseptisée. Il fallait au contraire commencer par des affirmations symboliques dont nous sommes en train de payer le prix ; nous n'arrivons pas à en assumer les conséquences parce que personne n'est d'accord sur le symbolisme. C'est ce que disait Mme Irène Théry.

Nous avions une démarche inverse. Je suis persuadé que, dans un premier temps au moins, la démarche patrimoniale aurait conduit à répondre d'abord à la vie quotidienne de ces gens, parce qu'ils ne vivent pas tous les jours de déclarations philosophiques, ils vivent surtout quotidiennement un certains nombre de difficultés que la jurisprudence illustre bien. Mais, encore une fois, ce n'était peut-être pas ce que l'on attendait, et je suis tout à fait conscient que nos projets n'ont été regardés de loin que parce qu'ils ne répondaient pas exactement à la demande.

Pour répondre précisément à votre question, je suis persuadé que si on était parti humblement de questions matérielles, on serait tout de même remonté à la quintessence du concubinage. Mais il fallait opérer comme cela. On a voulu faire l'inverse et, à mon avis, on est en face d'un texte tout à fait insuffisant sur le plan patrimonial et concret.

M. Jacques Larché, président.- Nous allons mettre fin à cette première série d'auditions, en remerciant particulièrement Mme Théry et M. le professeur Hauser de leur participation, et de l'apport intellectuel et juridique qui résulte de leurs interventions.

2) Audition de :

- M. Guy Coq, philosophe

- M. Eric Fassin, sociologue, professeur à l'Ecole normale supérieure.

M. Jacques Larché, président.-
La présence de M. Coq parmi nous s'explique tout naturellement par la qualité d'un article que nous avions remarqué et qui nous permet d'entendre, sur le projet qui nous est soumis, une vue assez originale et particulièrement intéressante. Monsieur Coq, vous avez la parole.

M. Guy Coq.- Mon intervention s'articulera en huit remarques et se situera moins sur le plan juridique que philosophique, comme vous venez de le signaler. Elle s'attachera à dénoncer l'illégitimité sociale de ce projet de loi.

Ma première remarque consiste à évoquer une question totalement négligée : pourquoi la société, même en démocratie, s'intéresse-t-elle au couple et au mariage ? Si, parmi les formes de relation interpersonnelles volontaires entre les citoyens, l'Etat est amené à encourager et à valoriser le couple homme/femme, c'est uniquement parce que ce couple est potentiellement créateur d'enfants, responsable d'offrir un premier milieu éducatif à des enfants, lequel est décisif pour le bon équilibre de l'humanité à venir. Toute préoccupation nataliste mise à part, le mariage est donc la manière dont l'Etat exprime son intérêt pour les enfants à naître et pour l'avenir de la société. Je ne vois aucune autre raison au fait que l'Etat facilite l'existence et la cohabitation du couple homme/femme que cette responsabilité d'assurer la durabilité de la société, d'agir pour que s'y maintienne autant que possible, et dans le respect des libertés fondamentales, l'équilibre des générations.

Cette reconnaissance symbolique, ces avantages accordés en principe au mariage, ne découlent pas uniquement du fait qu'il y ait là un couple et la relation de deux personnes. Ce qui est perdu de vue dans certains arguments qui circulent, c'est la centralité de la question des enfants.

Deuxième remarque : la perversion du principe d'égalité et des droits de l'homme en général. Le principe d'égalité des citoyens dans la démocratie n'appelle aucunement la nécessité de poser une égalité générale de toutes les relations que les individus peuvent lier entre eux volontairement. Il est impossible de fonder sur le principe de l'égalité républicaine une mise à égalité du mariage et de toute autre forme de couple, notamment homosexuel. On ne peut pas déduire de l'égalité républicaine des personnes, un principe général d'égalité de toutes les relations sociales à deux (ou plusieurs) dans la société. Les relations interpersonnelles entre individus, entre citoyens, sont qualitativement hétérogènes. Il est absurde de vouloir poser l'égalité relations entre époux = relations mère/fils = relations marchand/client, etc.. Cependant, poussant la réflexion dans ce sens, derrière cette exacerbation du principe d'égalité, on voit à l'oeuvre un principe d'indifférenciation. Egalité veut dire ici refus des différences. Mais la définition et le respect des différences constituent un principe aussi structurant que celui d'égalité.

Troisième remarque : la demande de reconnaissance du couple homosexuel à égalité avec le mariage est infondée. La non-reconnaissance, dans le Code civil, du couple homosexuel, n'est aucunement un jugement moral. Pas plus que n'est un jugement moral l'absence de mention dans le Code de cette chose tellement indispensable à la vie humaine qu'est l'amitié. Prétendre le contraire serait tomber dans une inacceptable confusion entre la morale et le droit. Pourquoi, pour être sûr d'une amitié, devrais-je exiger qu'elle soit enregistrée par un officier d'état civil ? De même, ce n'est pas le passage devant le maire qui fait socialement, et au regard d'autrui, exister l'amour.

Quatrième remarque : l'enjeu du PACS n'est pas le PACS mais le mariage homosexuel. Car le PACS, tel qu'on peut le lire, démolit les principes au nom desquels on peut refuser l'adoption d'enfants par le couple homosexuel. Il deviendrait insupportable, en effet, au nom de la fameuse idéologie d'égalité que j'évoquais à l'instant, qu'il y ait cette entorse à la sacro-sainte égalité de tous les couples, le refus d'un droit à l'enfant qui sera présenté alors comme une insupportable discrimination sexuelle. On peut penser que l'étape suivante sera de donner le droit à l'enfant. D'ailleurs, les principaux défenseurs et illustrateurs du PACS ne se sont jamais cachés de leur intention. Le but final est le mariage homosexuel, et ceci d'ailleurs est très clair si l'on se réfère -je ne reprendrai pas une citation- au rapport Roth et à la résolution du 8 février 1994 à l'assemblée européenne, qui est d'ailleurs un texte extrêmement inquiétant.

Cinquième remarque : les enfants et les jeunes, victimes principales d'une loi illégitime. Illégitime parce que référée uniquement -comme je l'ai signalé- à des principes individualistes. On ne fonde pas une société uniquement sur des principes qui privilégient l'absolu individuel. Cette loi ne voit que la commodité individuelle, elle méconnaît un droit de la société (cf. ma première remarque). Détruisant la société, elle est ennemie de l'individu également.

Enfant victime aussi parce que, pour la première fois, une situation de fait : l'accroissement de l'instabilité des couples est posée en droit, c'est-à-dire comme souhaitable. Le passage du fait au droit est d'ailleurs significatif ici de l'excès de crédit donné à la forme de pensée sociologique en général. Cette instabilité encouragée, inscrite dans le droit (droit de répudiation), est un pas de plus dans la victimisation des enfants. Enfant victime aussi, parce que son droit aux deux parents de sexes différents est finalement bafoué.

Sixième remarque : il s'agit d'une loi communautariste et anti-républicaine. Il ne suffit pas d'habiller la loi comme universelle, valant pour tous les couples, quand c'est un texte dont seuls les homosexuels pourront vraiment tirer avantage, l'avantage essentiel étant la reconnaissance symbolique. Cette loi laisse entiers les problèmes posés par le concubinage hétérosexuel ; cela a été puissamment argumenté. Il n'y a aucun progrès du droit individuel et de la protection du faible, puisque le droit à la répudiation est instauré dans la loi. Il y a un silence complet sur la question des enfants pour le couple concubin hétérosexuel, et pour cause : ils sont otages d'un texte qui n'est pas fait pour eux, finalement. Ils sont otages d'un texte, un point c'est tout.

Septième remarque : c'est l'idée d'une contre-proposition, qui n'a aucune chance évidemment d'aller plus loin. Non pas une loi antirépublicaine, mais au fond creuser plutôt la notion d'une extension des droits individuels. Il y a en effet au moins six millions de personnes vivant seules et qui pouvaient en appeler à un progrès de solidarité, dans une certaine limite. Le progrès dans la justice consistait non pas à privilégier une minorité (la minorité homosexuelle), mais à étendre certains droits individuels à tous les citoyens : droit à partager un bail à deux ou à trois, etc. ; droit à faire bénéficier une personne de la protection sociale individuelle (dans certaines limites) ; extension du droit de donation sans frais ou à frais réduits à une personne de mon choix, dans ou hors famille, dans certaines limites. Si l'on y réfléchit, l'extension du PACS aux fratries, absurdement, se limite à deux... Pourquoi pas trois, pourquoi pas dix, et comme on l'a fait remarquer tout à l'heure, pourquoi limiter aux fratries ? Pourquoi ne pas étendre cela à tout le monde ? Finalement, plus on l'étend et plus cette notion de pacte perd de sens, et la logique de cette extension conduit tout droit à cette idée qu'il ne faut pas faire de pacte. Il faut étendre le droit de tous les individus, et ainsi l'ensemble des problèmes posés sera pris en compte.

Huitième remarque : il faut remettre ces problèmes à l'étude, et c'est pourquoi j'ai quelquefois proposé, dans des écrits, l'idée d'un moratoire. L'ensemble des conséquences de ce texte, du point de vue éthique, juridique, anthropologique, financier, sociétal, est mal étudié. Il y a eu une précipitation. On a signalé tout cela, aussi je n'insisterai pas pour respecter la demande de concision. Cette précipitation est due à l'impatience d'un lobby, cela a été largement reconnu. Le débat a été faussé, il faut voir la diabolisation qui a eu lieu contre les opposants au PACS, notamment s'ils passaient pour avoir des opinions plutôt à gauche.

La méthode politique utilisée pour l'adoption du PACS est antidémocratique, car on a refusé de considérer que pour certains projets de loi, il y ait une sorte de droit personnel de la conscience de l'élu, notamment parce que cet élu est enraciné dans sa circonscription et qu'il a le droit de voter en conscience sur un texte qui fait problème. Avec le PACS on est devant des problèmes qui dépassent le clivage interne à la République entre la gauche et la droite, puisque sont en cause les fondements de la société. Globalement, on a donc eu droit à un débat faussé parce que l'on a prétendu poser le problème du concubinage sans la question de l'enfant et de la famille, parce qu'on a condamné le mariage républicain en refusant de le mettre en débat. Or c'était peut-être cela le thème central à débattre : que va-t-on faire du mariage ? Faut-il encore un mariage ? On a eu ce débat biaisé sur le PACS quand on aurait dû débattre du sens à redonner au mariage.

Je voudrais conclure sur une réflexion de portée un peu générale. La Constitution protège la sphère politique de la société. Malheureusement, on ne dispose pas d'instance officielle, ni peut-être de système de protection suffisant, pour protéger les principes non écrits de toute société humaine. On pourrait penser à la présidence de la République, au droit du référendum, mais en fait à travers le débat sur le PACS, peut-être a-t-on vu apparaître les dangers de l'idéologie individualiste qui s'empare parfois de la démocratie.

M. Jacques Larché, président.- Merci. La parole est maintenant à M. Fassin, qui a également écrit sur le problème dont nous aurons à débattre. Monsieur Fassin, vous êtes, je crois, professeur de sociologie à l'Ecole normale supérieure.

M. Eric Fassin.- J'interviens aujourd'hui en faveur du PACS. Comme beaucoup, j'en vois pourtant les incohérences et les insuffisances. D'abord insatisfaisant, le projet est devenu, à force de négociations et d'altérations, insaisissable. Dans ce débat, la ligne de partage n'est donc plus à proprement parler entre ceux qui se déclarent favorables au PACS, et ceux qui s'y montrent hostiles. Soyons clairs. Désormais, le choix politique qui nous est proposé est plutôt le suivant : se prononcer pour le PACS, dans l'espoir d'aller au-delà , ou bien contre le PACS, afin de rester en-deçà . Autrement dit, c'est dans l'intention d'encourager le mouvement, ou bien en vue de maintenir l'ordre. Pour les uns, "c'est déjà cela" ; pour les autres, "c'est encore trop".

Je suis sociologue, mais si j'interviens aujourd'hui, c'est au nom d'un principe politique, et non pas scientifique : l'égalité. En France, dans les années 1980, le législateur a eu le courage et la sagesse d'avancer vers l'égalité des sexualités, en effaçant de la loi toute discrimination à l'encontre des individus fondée sur l'orientation sexuelle. Aujourd'hui, dans les années 1990, la question se pose en des termes nouveaux : pour avancer encore vers l'égalité des sexualités, il ne s'agit plus seulement de considérer les individus, mais également les couples. Demain, n'en doutons point, c'est un autre pas qu'il nous faudra franchir. Au-delà de l'individu, nous le voyons dès à présent, il y a le couple ; mais derrière le couple, comment ne pas le voir, c'est la famille qui se profile. Déjà, il devient difficile de croire que le refus de reconnaissance opposé aux couples de même sexe est sans rapport avec la discrimination. Bientôt, il deviendra malaisé de prétendre que les familles homo parentales ne sont pas des familles. Autrement dit, nous n'en avons pas fini avec l'égalité.

N'allons pas dire que le mariage et la famille n'ont rien à voir avec la discrimination homophobe : n'est-ce pas justement dans et par le mariage et la famille que nous apprenons que seule l'hétérosexualité serait légitime, puisque seule elle y a sa place ? Tous, ou presque, nous prétendons respecter les droits des homosexuels, et récuser la discrimination ; tous, ou presque, nous affirmons l'importance fondamentale du mariage et de la famille dans notre société ; et tous, ou presque, nous nous accorderions à refuser une place à l'homosexualité dans ces institutions qui sont au coeur de notre citoyenneté ? C'est donc, paradoxalement, parce que nous récusons tous l'homophobie que nous refuserions tous de voir la discrimination là où elle se joue. Pour justifier l'exclusion de l'homosexualité hors de l'enceinte sacrée du mariage et de la famille, quelles sont les fortes raisons qu'on oppose aujourd'hui au principe d'égalité ? Faute d'arguments politiques, c'est trop souvent aux sciences humaines qu'on emprunte leurs raisons.

Je l'ai dit, je suis sociologue, mais si j'interviens aujourd'hui, c'est donc aussi pour protester contre un usage abusif des sciences de la société ; c'est pour dénoncer ce que je propose d'appeler "l'illusion anthropologique". La différence des sexes, on l'entend ici et là, serait le principe anthropologique qui fonde l'institution du couple, de la famille et de la parenté -c'est dire que la définition du couple, de la famille et de la parenté serait soustraite à la délibération démocratique, parce qu'elle serait fondée sur une détermination scientifique. En amont de la politique, ancrée dans un socle anthropologique qui ignore le changement, la différence des sexes s'imposerait à nous, non pas seulement comme une réalité (qui le contesterait ? ), mais bien plus comme un principe -mieux, comme une loi, de la nature ou de la culture, peu importe : une loi anthropologique, en surplomb de nos lois politiques.

Or, les sciences sociales, nous en prenons davantage conscience depuis quelques années, sont bien loin de nous proposer des lois intemporelles : comme les sociétés qu'elles étudient, elles-mêmes sont traversées par l'histoire. C'est pourquoi il est impossible de proposer, du couple, de la famille ou de la filiation, quelque définition anhistorique : dans le temps et dans l'espace, les sociétés remodèlent les institutions qui les définissent. C'est là, me semble-t-il, la vraie leçon de l'histoire et de l'anthropologie, ou de l'anthropologie historique. Ce qui nous apparaît impensable à présent, c'est ce que nous n'avons pas encore pensé : ainsi des couples de même sexe et des familles homo parentales. L'impensé a donc un pied dans le passé. et, sur ce point, les sociétés bougent parfois plus vite que les savoirs. Pourtant, le point aveugle de notre pensée, ne sont-ce pas précisément les préjugés, contre lesquels doit se construire la pensée rationnelle, et donc, la science ?

Surtout, quand bien même les sciences de la société, à la manière des sciences de la nature, nous proposeraient de telles lois, il me paraît essentiel de rappeler qu'en bonne démocratie, les lois de la science ne sont pas les lois de la République : le savant, pas plus que le prêtre, ne peut substituer son autorité à celle du législateur, ni imposer une vérité révélée, par la science ou la religion, à la délibération démocratique. Hier encore, les lois de l'Histoire nous empêchaient trop souvent d'appréhender la nature politique des phénomènes sociaux ; faudra-t-il qu'aujourd'hui, prenant le relais de "l'illusion historiciste", "l'illusion anthropologique" vienne nous imposer, pour mieux échapper, une fois encore, au choix proprement politique qui est le nôtre, de prétendues lois de l'anthropologie ?

Partout, toujours, nous dit-on, selon une logique universelle, les sociétés poseraient la différence des sexes au principe du couple et de la famille, de la filiation et de la parenté. Pourtant, de Melville Herskovits à Edmund Leach, en passant par Evans-Pritchard, la leçon de l'anthropologie n'est-elle pas, tout au contraire, qu'il faut renoncer à l'ethnocentrisme d'une telle définition ? En pays Nuer, et dans bien d'autres sociétés africaines, la femme riche et puissante est, socialement, comme un homme : aux yeux de la société, elle peut donc être un "père", et c'est bien sa place dans le lignage. C'est la logique de l'institution du "mariage des femmes", bien connue des anthropologues depuis les années 1930, et surtout 1950. Bref, il est des exceptions.

Sans doute m'objectera-t-on, quitte à changer de logique argumentaire, en renonçant à l'universalisme pour le culturalisme, que l'Afrique n'est pas l'Occident. De même, si j'emprunte mes exemples aux Etats-Unis d'aujourd'hui, où l'on débat d'une ouverture du mariage aux couples de même sexe, où des parents homosexuels sont depuis peu autorisés à adopter conjointement, on aura tôt fait de me répondre que la culture française n'a nul besoin d'un modèle transatlantique. Et de fait, ce ne sont pas des exemples que je donne en modèle, mais des contre-exemples que j'utilise comme outils critiques. Ailleurs, n'allons pas chercher à conforter nos préjugés, mais à remettre en cause nos évidences. L'anthropologie peut nous aider à penser ; elle ne doit pas nous en dissuader. Elle ne nous dit pas ce qu'il faut faire : rien ne nous oblige à imiter telle ou telle culture. Mais elle ne nous interdit rien, au nom de lois de la culture.

Resteraient alors, contre les variations culturelles, les invariants de notre culture -ce qu'on pourrait appeler la tradition française de la différence des sexes, aujourd'hui convoquée pour justifier l'inégalité des sexualités. Il est vrai que la relative tolérance que manifeste notre société face à l'homosexualité s'accompagne traditionnellement d'un refus de reconnaissance : le droit à l'indifférence dont s'enorgueillit le génie national, c'est aussi, le plus souvent, le devoir de rester discret, c'est-à-dire de se faire oublier, dans la pénombre du non-droit. Mais il ne s'agit pas seulement d'homosexualité : même dans notre société, la différence des sexes n'organise pas toujours la famille et la filiation.

Les célibataires peuvent adopter, les mères peuvent avoir des enfants sans père légitime. Si demain nous devions imposer la différence des sexes au principe de la famille, c'est à ceux-là aussi, et pas seulement aux couples homosexuels, qu'il faudrait fermer la porte -aux célibataires, on interdirait sans doute l'adoption, comme on leur interdit déjà le recours aux procréations médicalement assistées ; mais des femmes qui font des bébés "toutes seules", comme on le dit aujourd'hui, que ferait-on, après les avoir interdites de famille- sans parler de leurs enfants ? Bref, quel serait le coût social (et humain) d'un principe -la différence des sexes- que nous imposerait, non pas une détermination anthropologique, mais plutôt la volonté politique de fermer le mariage et la filiation à l'homosexualité -à tout prix ?

De l'histoire, faute de lois, nous pouvons du moins tirer des leçons. En conclusion, j'en proposerai trois.

Première leçon. Il y a un siècle, les intellectuels nous ont appris que l'affaire Dreyfus n'était pas seulement l'affaire d'un Juif, ni même des Juifs : c'était l'affaire de tous -il en allait de la chose publique. N'allez pas croire aujourd'hui que défendre le PACS, et au-delà, l'ouverture du mariage et de la famille aux homosexuels, ce soit seulement leur affaire, leur problème. Sinon, aux "lobbies" homosexuels, porteurs d'intérêts particuliers, il suffirait d'opposer l'intérêt général, quitte à le confondre avec les discours homophobes. En réalité, refuser de poser la différence des sexes au principe du couple et de la famille, c'est aussi récuser un modèle qui singe la reproduction biologique, en la confondant avec la filiation sociale. Autrement dit, c'est un modèle "naturel" de la famille -tout comme, il y a un siècle, de la nation- qu'il nous faut aujourd'hui épouser, ou répudier.

Deuxième leçon. Du mouvement américain des droits civiques, qui réunissait dans les années 1960 des Noirs, bien sûr, mais aussi, en moins grand nombre, des Blancs, j'ai pour ma part retenu la conviction qui les inspirait : tant que tous ne seraient pas libres, nul ne serait libre. A fortiori , aujourd'hui, tant que tous ne seront pas égaux, tous seront inégaux : prenons au sérieux ce truisme. Il nous faut donc redéfinir la citoyenneté, indépendamment de la sexualité, comme alors indépendamment de la couleur de peau. Et c'est l'affaire de tous. Comment imaginer que seuls les Noirs, ou les homosexuels, prendraient au sérieux la liberté, ou l'égalité, valeurs universelles -autrement dit, que les autres ne se mobiliseraient que pour défendre leurs intérêts particuliers ?

Troisième et dernière leçon. Il y a plus de trente ans, en France, c'est de contraception que l'on débattait. Certains étaient alors convaincus, c'était tout l'ordre des sexes et de la sexualité qui était menacé. Ils n'avaient pas tout à fait tort : la société s'est profondément transformée ; mais elle ne s'est pas effondrée, en dépit des prophètes de malheur. Aujourd'hui, il nous paraît difficile d'imaginer qu'on ait pu se mobiliser contre cette liberté élémentaire. Dans un peu plus de trente ans, peut-être nos enfants, nés de couples hétérosexuels, pour la plupart, mais aussi de mères célibataires, pour certains, adoptés par des personnes seules, pour d'autres, ou bien parfois issus de couples homosexuels, auront-ils peine à imaginer qu'on ait pu se battre en France, à la fin du second millénaire, pour prolonger, quelques années encore, l'inégalité entre les sexualités, au nom de la différence des sexes. Ces enfants et leurs enfants nous demanderont demain des comptes de nos engagements d'aujourd'hui. Je vous remercie.

M. Jacques Larché, président.- Je vous remercie de votre intervention. C'est une boutade, mais en vous entendant je songeais à ce très vieil adage britannique : "la Chambre des communes peut tout faire, sauf changer un homme en femme, et encore, on n'en est pas très sûr". C'est un peu cela que vous venez de nous dire. Je ne dirai pas "on n'en est pas très sûr", mais "on n'en est plus très sûr".

M. Eric Fassin.- Je n'ai pas tout à fait le sentiment d'avoir dit cela.

M. Patrice Gélard, rapporteur.- J'ai deux questions différentes pour MM. Coq et Fassin.

A M. Coq : l'assimilation des homosexuels aux concubins vous paraîtrait-elle acceptable ?

A M. Fassin : croyez-vous que le droit actuel consacre l'inégalité des homosexuels et des hétérosexuels ? Avons-nous, dans notre droit, des manifestations d'inégalité ?

M. Guy Coq.- Je vous remercie de votre question parce que, par delà le détail dont il y a eu critique solidement argumentée, c'est la raison de mon opposition au projet de PACS. Sous couvert de la notion de concubinage ou de couple indifférencié, c'est une mise à égalité des deux sexualités qui commence à se profiler dans le droit, dans la loi, à partir du texte du PACS. C'est pour cette raison que j'ai présenté ce texte comme une étape vers la reconnaissance du mariage homosexuel. Disons que déjà, à partir de cette première égalité, il sera plus difficile de refuser le mariage homosexuel. Mais on pourrait ajouter qu'à ce moment-là, la question du droit des enfants pourra aussi faire butoir.

M. Eric Fassin.- Il me semble qu'aujourd'hui le concubinage n'est pas ouvert aux couples de même sexe, que l'adoption est -lorsqu'il s'agit de couples- réservée aux couples mariés. Le mariage est réservé à des couples hétérosexuels, et la procréation médicalement assistée est accessible à des couples, et à des couples seulement, mais à condition que ce soient des couples hétérosexuels. Ce sont donc des exemples, me semble-t-il, d'une manière d'instituer une hiérarchie entre les sexualités.

Encore une fois, je l'ai suggéré, je crois que nous apprenons tous, dans la société, l'importance de la famille et du mariage. Si le mariage et la famille laissent à la porte l'homosexualité, il me semble que notre droit nous enseigne cette hiérarchie, cette inégalité des sexualités.

M. Jacques Larché, président.- Quelles conclusions tirez-vous sur le sens de cette constatation ?

M. Eric Fassin.- Il me semble que si nous n'avons pas de solides raisons à opposer au principe d'égalité, alors il faut essayer de l'appliquer. Cela voudrait dire, idéalement, à mon sens, ouvrir le mariage et la filiation indépendamment du sexe. J'ai bien conscience que cette proposition n'est pas exactement majoritaire, ni dans le pays ni dans cette assemblée...

M. Jacques Larché, président.- Ce n'est pas le problème, pour l'instant.

M. Eric Fassin.- Il me semble néanmoins qu'il s'agit de définir des principes ; c'est donc pour cette raison que je vous soumets cette proposition.

M. Guy Allouche.- Merci, Monsieur le Président. Nous venons d'entendre deux intellectuels, dans l'acception noble du terme, qui nous livrent les deux facettes du problème qui nous préoccupe. Monsieur Fassin, s'est efforcé de nous ouvrir les yeux sur une réalité, et nous projette déjà, en quelque sorte, dans le troisième millénaire : le fait qui va occuper les prochaines décennies avec ce fait de société. Vous ne serez pas étonnés, chers collègues, si je vous dis que j'ai la faiblesse de penser que je suis plus enclin à être à l'écoute de ce que dit M. Fassin que de ce qu'a dit M. Coq.

M. Coq, vous êtes philosophe ; vous connaissez le sens des mots, leur valeur, leur puissance. Je vous pose la question suivante : n'avez-vous pas le sentiment d'avoir été trop excessif dans les mots que vous avez employés ? Pensez-vous que la violence de certaines de vos expressions ait contribué à faire évoluer la réflexion ?

M. Guy Coq.- Non, je n'ai pas eu le sentiment d'être excessif.

M. Jacques Larché, président.- Nous admettons ici que nous allons entendre des opinions sans doute opposées et tranchées, et nous sommes là pour cela. Admettez que l'on peut avoir une réaction identique à la vôtre à l'égard des propos de M. Fassin. Laissons donc de côté les jugements de valeur, et interrogez-vous sur la pertinence du propos plutôt que sur la qualité de son expression.

M. Jacques Mahéas.- Je voudrais interroger nos invités sur des choses qui sont absolument liées dans nos réflexions. Aujourd'hui, nous parlons du PACS mais, hier, nous parlions de la parité. En fait, au point de vue philosophique, on peut dire que, si ce n'est pas un fil ténu, il y a au moins un fil d'Ariane liant les deux.

Je voudrais poser la question suivante au philosophe que vous êtes : le principe d'universalité fait-il en sorte que nous allons arriver à une égalité complète entre les hommes et les femmes ? Par là même, allons-nous avoir la même loi si un jour le couple hétérosexuel disparaît dans la législation (je ne parle pas sur le terrain), pour faire face à des lois qui sont tout à fait identiques et conformes, traitant un homme comme une femme et une femme comme un homme ?

Comment voyez-vous cette évolution historique, puisque vous vous êtes projeté dans l'avenir ? Comme dans l'histoire, n'y aura-t-il pas d'allées et venues ? Il vous a semblé qu'à certains moments, effectivement, on allait d'une façon irrémédiable vers cette évolution du siècle à venir. Or, dans l'histoire, on a connu dans ce domaine, des allées et venues, bien que la courbe soit ascendante vers le progrès.

M. Jacques Larché, président.- Nous savons tous qu'il n'y a pas de sens de l'histoire ; c'est ce que vous voulez dire ?

M. Guy Coq.- J'approuve évidemment la recherche d'universalité ; c'est ce qui se cherche à travers les droits de l'Homme, et il n'y a pas de discussion là-dessus ; c'est la règle qui a exclu le droit d'exclure quelqu'un de l'humanité.

Sur la notion d'égalité, j'ai noté tout à l'heure qu'il fallait la borner par un principe de différenciation. En effet, poussée à l'extrême, elle se pervertit ; elle devient un principe général d'indifférenciation et, de fait, sans évoquer la notion de nature humaine, il demeure quand même, pour moi, que la reprise en compte symbolique dans la culture de la distinction homme/femme est, en quelque sorte, fondatrice d'une possibilité d'avenir de l'humanité. Je ne vois pas comment, autrement, on pourra assurer le renouvellement des milliards d'hommes dans l'avenir, même si des cas particuliers se produisent.

M. Jacques Mahéas.- J'ai juste parlé de législation.

M. Guy Coq.- Vous voulez dire que dans la législation, en effet, poindrait l'idée qu'il y aurait la notion de couple et que la distinction homme/femme s'effacerait ? Pour moi, cette distinction est essentielle, elle fait partie de ces principes non-écrits qui sont dans le fondement de la société, et dont je disais en conclusion qu'ils n'étaient pas protégés par un droit constitutionnel.

M. Eric Fassin.- Je crois effectivement qu'il faut séparer la question de l'indifférenciation dans le droit de celle de l'indifférenciation dans la société. La raison pour laquelle vouloir renforcer légalement la différence entre les sexes me paraît poser un problème, c'est qu'elle incite à naturaliser les rôles sexuels. Il me semble donc, pour reprendre la question sur le parallèle avec la parité, qu'on peut partir d'une logique universaliste de la discrimination, c'est-à-dire que la question se pose de savoir si dans notre société nous souhaitons -et à quel point- traiter également les hommes et les femmes, indépendamment de leur sexualité.

M. Patrice Gélard, rapporteur.- A ce stade, pensez-vous que c'est au législateur d'intervenir pour définir des règles en ce qui concerne la sexualité ? L'égalité face à la sexualité, est-ce le rôle du législateur ?

Mme Nicole Borvo.- Quelle que soit leur sexualité !

M. Eric Fassin.- Pour vous répondre, de toute façon, il ne s'agit pas de dire qu'aujourd'hui le droit devrait se mettre à parler du mariage et des enfants. Il en parle déjà. La question est de savoir comment il en parle. Il ne s'agit pas d'une intrusion du droit dans l'intimité, puisque le droit est déjà présent dans cette intimité. La seule question, à mes yeux, est de savoir s'il l'est également pour tous.

M. Guy Coq.- Ce qui se profile derrière les principes du PACS, c'est l'idée que la société pourrait être neutre, radicalement neutre, sur la question de certaines valeurs. Il me semble qu'une société qui veut se programmer un avenir, qui pose qu'il faudra gérer, faire naître et assumer une nouvelle génération, ne peut pas mettre à égalité, dans son droit, la relation homme/femme et la relation homosexuelle. Les mettre à égalité me paraît une solution suicidaire.

M. Eric Fassin.- Pour ma part, je pense que l'on pourrait appeler "laïcité" cette neutralité par rapport aux valeurs.

M. Guy Coq.- Si je peux réagir, Jules Ferry a précisé dès le début que la laïcité était neutre au plan religieux, mais que justement cette laïcité


traditionnelle n'est sûrement pas neutre sur le plan des valeurs, ni sur le plan des valeurs fondamentales de la politique. Elle est républicaine.

M. Eric Fassin.- Mais la différence des sexes n'est pas une valeur.

M. Jacques Larché, président.- Non, c'est une habitude.

M. Guy Coq.- Cela fait partie de la condition humaine.

M. Jacques Larché, président.- Je vous remercie, Messieurs, de nous avoir éclairés.

- La séance, interrompue à 10 h 50, est reprise à 11 heures.

3) Audition de :

- Mgr Vingt-Trois, président de la commission de la famille à la conférence épiscopale catholique

- M. Olivier Abel, théologien, président de la commission éthique à la Fédération protestante de France,

- M. le rabbin Senior, membre du cabinet de M. Joseph Sitruk, grand rabbin de France

- M. Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris.

M. Jacques Larché, président.-
Nous avons souhaité entendre des représentants qualifiés des quatre grands cultes qui sont ceux de notre pays. Nous allons donc entendre successivement Mgr Vingt-Trois (président de la commission de la famille à la conférence épiscopale), M. Olivier Abel (théologien, président de la commission éthique à la Fédération protestante de France), M. le rabbin Senior (membre du cabinet de M. Joseph Sitruk, grand rabbin de France) au titre du grand rabbinat, et enfin M. Dalil Boubakeur (recteur de la Mosquée de Paris). Je les invite donc à bien vouloir nous rejoindre.

Cette série d'auditions devrait se terminer à 12 heures ; j'ai l'impression qu'elle se terminera un peu plus tard. Tout ceci est bien évidemment fonction du très grand intérêt que nous attachons aux points de vue qui vont être exprimés. Encore une fois, nous avons souhaité, avant d'aborder le fond de ce texte, procéder aux éclairages les plus larges possibles.

Mgr Vingt-Trois.- Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, il va de soi que le projet de loi sur le PACS heurte profondément les convictions catholiques sur l'exercice de la sexualité. En effet, dans la foi chrétienne, qui est celle de la majorité des Français, l'union de l'homme et de la femme est comme une parabole, une illustration et une actualisation de l'alliance entre Dieu et l'humanité. La même fidélité et la même stabilité qui caractérisent cette alliance ont conduit les chrétiens à découvrir la valeur du mariage unique et indissoluble. Cette découverte progressive, à partir de l'enseignement du Christ, a imprégné les moeurs au point que la fidélité a été reconnue par le code civil comme une valeur laïque du mariage.

Mais la présentation de loi sur le PACS, votée par l'Assemblée nationale, ne se présente pas comme une négation du mariage. L'ambition du Gouvernement de développer la solidarité, sans bien préciser entre qui et qui, prétend se contenter de résoudre quelques problèmes financiers et patrimoniaux que les lois actuelles, pourtant nombreuses, ne permettraient pas de solutionner. Par parenthèse, il faudrait être sûr que ce nouveau dispositif législatif ne serait pas, pour ceux qui en seraient les bénéficiaires, aussi rébarbatif à utiliser que le dispositif actuel.

Des ajustements financiers, fiscaux, contractuels, patrimoniaux ou successoraux pour les concubins, hétérosexuels ou homosexuels, ont donc paru nécessaires. Pour autant que les possibilités juridiques actuelles ne suffisaient pas, ces questions étaient susceptibles de solutions réglementaires ou de dispositions législatives relevant du droit des biens. Concernant une petite minorité de Français vraiment intéressés (une partie des homosexuels et une faible proportion des concubins hétérosexuels qui sont justiciables de charges fiscales), de tels aménagements pouvaient être mis en oeuvre simplement.

En s'attachant à définir un nouveau droit des personnes, le projet de loi sur le PACS vise donc un autre but que de simples aménagements économiques plus équitables. Il vise à donner un statut sociétal à des couples constitués en dehors du mariage et notamment, comme l'ont dit très clairement ses promoteurs, il représente un premier pas vers le "mariage légal" des homosexuels.

Dès lors, nous sommes confrontés à deux types de questions. Une question de fait : quelles que soient les intentions et les déclarations solennelles du Gouvernement sur le fait qu'il n'y a pas de lien entre le PACS et le mariage, il faut bien reconnaître que les critères de définition du PACS, dès qu'on les explicite un peu, sont des démarques des caractéristiques juridiques du mariage, non seulement dans ses conséquences financières, mais aussi dans la définition de la constitution du couple.

Il convient particulièrement de relever la régression que représente l'introduction d'un processus légal de répudiation, au détriment des plus faibles. Cette nouveauté laisse mal augurer de la prochaine réforme du divorce. En effet, pourquoi maintenir des garanties judiciaires sur le divorce des époux, si le PACS ouvre la voie à la simple répudiation ? Si l'accord des partenaires peut sembler acquis au moment de la conclusion du PACS, comment peut-on présumer que le même accord sera simultané et homogène au moment de sa dissolution ?

Une question de droit fondamental : les conséquences du PACS pour la société. La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, que l'on a célébrée solennellement il y a quelques semaines, dit dans son article 16, au troisième paragraphe : "La famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l'Etat" . Si nous prenons au sérieux la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, il nous faut prendre au sérieux aussi cet article et examiner si ce projet contribue à améliorer son application.

Nous pensons qu'il n'en est rien :

Comme l'a justement relevé le gouvernement, la détérioration du tissu social et des solidarités immédiates est une des causes de l'amoindrissement du sens civique et de la croissance de la violence quotidienne, surtout parmi les jeunes. Logiquement, le gouvernement fait appel à toutes les institutions et à tous les intervenants pour qu'ils exercent leur responsabilité dans le développement de relations sociales denses et régulées. Dans cette campagne, il fait appel aux parents, il leur rappelle leur responsabilité familiale. Il serait illogique de le faire en affaiblissant la famille par des institutions alternatives.

La reconnaissance légale des couples homosexuels n'est pas une bonne chose pour la société. Autant le respect de la liberté individuelle demande que les personnes soient respectées dans leurs choix, y compris dans le domaine des relations sexuelles, autant il est excessif de s'appuyer sur ce devoir de respect pour supposer que tous les comportements individuels peuvent et doivent être légalement reconnus et donc, appliqués. Car la loi, nous n'en doutons pas, a une fonction légitimante.

Il y a un rapport réel entre la manière dont une société gère juridiquement les relations sexuelles et son équilibre général. La reconnaissance de la différence sexuelle, et son intégration psychologique, sont une des voies principales pour accéder à la socialisation par la reconnaissance de l'autre et le respect de la différence. Que certaines personnes conduisent leur vie autrement, c'est un fait. Mais ce fait ne signifie pas que la relation homosexuelle a la même capacité structurante de la vie sociale que la relation hétérosexuelle, ni qu'elle doive être socialement encouragée par la loi.

Pour ces deux raisons, nous pensons que ce projet de loi aura, et peut-être rapidement, des effets néfastes pour l'équilibre de la vie sociale et pour les contractants eux-mêmes.

Les considérations que je viens de présenter sommairement sont des réflexions générales sur ce que nous estimons utile pour l'ensemble de la société. Elles ne s'inspirent pas d'une théorie du mariage particulière aux catholiques, mais de la conviction que l'évolution qui a conduit à l'établissement juridique du mariage dans nos sociétés a constitué un progrès sur les unions forcées, sur l'exploitation des faibles dans des relations sexuelles sans engagement, sur la fragilité de l'éducation des enfants hors d'une famille stable. En rappelant cette conviction, nous ne cherchons pas à bénéficier d'un statut particulier. Après tout, les catholiques auront toujours la possibilité de se marier suivant les critères du mariage religieux et du mariage civil que la loi leur impose !

Nous estimons que l'expérience cumulée, non seulement à travers les siècles mais aussi dans le présent par l'accompagnement long et circonstancié de couples qui se préparent au mariage (plusieurs dizaines de milliers chaque année), nous donne le droit et le devoir de signaler un risque qui atteindra tous les membres de notre société.

Il nous reste à souhaiter que la Haute Assemblée fasse preuve d'imagination et propose les solutions réglementaires ou législatives qui facilitent la solution des éventuels problèmes rencontrés, sans déstructurer ni affaiblir davantage une institution familiale qui est un des supports fondamentaux de la cohésion sociale.

M. Jacques Larché, président.- Merci, Monseigneur.

La parole est à Monsieur Olivier Abel.

M. Olivier Abel.- Monsieur le président, je veux d'abord dire ma satisfaction qu'il y ait une consultation sur ce thème. La consultation n'avait pas été suffisamment large précédemment, et cela avait été déploré par les Eglises. Le résultat est qu'actuellement une problématique dominante, des positions

tranchées se sont installées. D'une certaine manière, tout à l'heure, on en a entendu un petit exemplaire, même s'il était très sympathique.

Il y a de nombreux éléments que j'agrée dans des positions qui s'expriment ainsi, mais en même temps il est dommage que cette problématique dominante fasse taire les autres.

Dans ce débat bien français, il est un point commun aux protagonistes qui m'effraie. Les uns s'écrient : au secours, on attaque la famille (sous-entendu la filiation), et les autres répliquent : le PACS n'a aucun rapport avec la famille (sous-entendu : la filiation).

C'est ce présupposé qu'il faut examiner, car d'une part il occulte la possibilité d'une conjugalité non entièrement subordonnée à la filiation (comprise comme l'obligation de faire et d'éduquer des enfants), et d'autre part il réduit la famille à l'axe de la filiation, les couples restant de l'ordre de l'arrangement libre entre individus solitaires.

Les tenants du PACS ont souvent développé des arguments très voisins de ceux de leurs adversaires. La loi et l'Etat doivent encadrer la filiation et la parentalité, mais ils ne doivent pas se mêler des liaisons très individuelles et très privées. Bref, des deux côtés, on étouffe la question de la conjugalité dans une société de culture libérale ; des deux côtés on estime que l'institution n'a de sens que verticalement, pour assurer la filiation et le remplacement des générations, et non horizontalement pour réguler la possible conflictualité entre des égaux qui, en s'alliant, savent qu'ils pourront avoir des différents.

Le texte de la commission d'éthique de la Fédération protestante de France était destiné à distinguer davantage la conjugalité de la filiation, et à penser leur institution sur des plans plus distincts, non pas pour les séparer complètement (c'est évident, on ne peut pas les séparer complètement), mais pour les distinguer. Au moins, pour ne pas mêler les niveaux du problème.

De ce point de vue, je dirai que le débat n'a pas eu lieu. On a dit oui ou non au PACS. Or, on le voit bien ce matin, qui arrive à se reconnaître vraiment dans le projet de loi tel qu'il se présente ?

Je distinguerai ma position personnelle de celle de la Fédération protestante. Je n'ai pas un point de vue magistériel ; la fédération est pluraliste, je ne suis jamais que le président de la commission d'éthique. Mon idée, c'est que c'est l'honneur des homosexuels d'avoir posé ce problème de la conjugalité dans une société libérale.

A l'inverse de bien d'autres partisans du PACS, les homosexuels ont posé cette question beaucoup plus courageusement. Ils ont compris que, dans une société précaire, la fidélité est un bien inestimable, sans cesse menacé, qui doit être protégé. C'est la raison pour laquelle, il y a trois ans, j'avais pris parti pour le Contrat d'Union Civile, qui à mon avis posait plus courageusement la question de la reconnaissance du couple homosexuel. Dans une société où les liens sociaux et économiques sont de plus en plus précaires, tout ce qui contribue à des engagements plus durables doit être applaudi.

Aujourd'hui, dans l'état actuel de polarisation de l'opinion publique, il aurait été plus sage de se contenter d'élargir le concubinage, en quelque sorte sur la ligne des positions excellemment argumentées ce matin par Mme Irène Théry, pour tenir sobrement compte de la demande d'un encadrement juridique de toutes les formes de couples, y compris homosexuels, qui ont éprouvé la douleur de liens purement privés que rien ne protège.

Ma question est qu'il fallait sans doute émanciper la conjugalité d'une totale subordination à la filiation. C'est sans doute la raison de l'importance prise par le concubinage et de l'union libre. Mais ce que ne voient pas actuellement les concubins qui refusent le mariage comme un "machin ringard" (signes de protestations sur plusieurs bancs) , et tous ceux qui ont idéologisé le PACS, c'est que l'institution conjugale est l'acceptation proprement courtoise de la possibilité du désaccord. La conjugalité n'est pas faite que de consentement, et le divorce doit être institué si l'on ne veut pas, sous couvert de consensus, ouvrir une carrière immense à toutes les formes de la vengeance.

C'est pourquoi le mariage n'est pas un sacrement religieux, mais une alliance, un lieu proprement civique où l'on apprend qu'un contrat, s'il doit durer, doit pouvoir supporter des conflits, des différences. Tous ceux qui croient pouvoir rester entre nous, dans une sorte d'endogamie consentante généralisée, manquent cette expérience que l'on fait dans le mariage mixte, et devront tôt ou tard redécouvrir cette dimension de contrat politique inhérente au mariage.

Nous devons refuser la séparation entre des passions désinstituées et une institution réduite à l'utilitaire qui pareillement nient le temps et la possibilité des conflits conjugaux. Il aurait mieux valu repenser ensemble le mariage comme un contrat social renouvelé, plutôt que de juxtaposer un nouveau statut dans une sorte de libre concurrence des formes de conjugalité. Et pourquoi pas, bientôt, un mariage musulman, un mariage africain, pour communautariser un peu plus notre société ? Le fond du problème est là, et il est bon qu'en ce moment on commence à rouvrir le débat sur ce niveau là.

A cet égard, il y a deux voies. On pourrait dire, d'un côté, qu'il faut élargir l'union libre aux homosexuels, et d'un autre côté penser à une institution spécifique pour homosexuels. Ma position personnelle est la suivante : une institution spécifique pour les homosexuels, une sorte de mariage homosexuel (on parle de mariage bis) aurait été préférable à ce statut ambigu du pacs, qui refuse de penser l'engagement entre deux personnes. C'est sans doute une position audacieuse, mais disons que c'est une proposition que je soumets au débat.

M. Jacques Bimbenet.- C'est une position opportuniste !

M. Olivier Abel.- Cela dit, je crois que beaucoup de protestants ne seraient pas d'accord avec moi, et qui ont d'ailleurs été assez bien représentés par l'expression de M. Coq ce matin. En même temps, dans mon expression, je pense représenter aussi beaucoup de catholiques. En tout cas, j'ai reçu de nombreuses lettres dans ce sens. C'est "l'oecuménisme pluriel", l'oecuménisme engagé. Et, pour moi, cela fait partie du débat qu'il nous faut avoir. Et je ne voudrais pas que le Gouvernement, qui nous a dit que le débat sur la famille aurait lieu après, nous dise ensuite que le débat sur le mariage a eu lieu avant.

Cette absence de débat sur la conjugalité dans une société libérale touche à notre incapacité conjugale à penser le conflit, et c'est aussi une incapacité politique. Nous ne supportons que l'enthousiasme unanime ou le libre consentement.

Allons plus loin : dans la "psychanalyse de bazar" qui a commandé le pseudo débat que nous venons de subir, d'un côté et de l'autre, par rapport à l'anthropologie, on redécouvre aujourd'hui, et on croit découvrir, que l'anthropologie n'est pas naturelle, qu'il y a une histoire des moeurs, etc.. C'est ce que les Réformateurs ont annoncé au moment de la Réforme : qu'il n'y a pas d'anthropologie naturelle de ce point de vue là.

Pour autant, tout est-il permis ? Non, cela veut dire justement que c'est entre nos mains, que c'est sous notre responsabilité. La condition humaine est entre nos mains. Cela veut dire, je rejoins tout à fait M. Fassin sur ce point, que c'est l'objet d'un débat politique et non pas l'objet d'expertises anthropologiques. En même temps, pourra-t-on ainsi tout changer ? Je ne pense pas qu'on va changer grand-chose. Il faut relativiser l'enjeu de nos débats. Au fond, en gros, les enfants continueront à naître d'un homme et d'une femme. A l'échelle de quelques siècles, nos débats paraîtront un peu dérisoires...

M. Jacques Larché, président.- Après certaines auditions, nous avons eu quelques doutes !

M. Olivier Abel.- On peut imaginer que des juges confient des enfants à un couple homosexuel, qu'il pourrait y avoir adoption... On pourrait discuter de telles choses, mais cela ne changerait rien fondamentalement. Au fond, le préjugé qui commande le débat est que l'institution ne concerne que la filiation. Tout le monde est d'accord : il nous faut, au moins symboliquement, du père, de la loi, etc.. On ne pense pas l'institution de la conjugalité.

Pourtant, dans l'évangile de Matthieu, Jésus fait des vitupérations formidables contre la famille, et pour ce qu'il appelle l'élection, l'alliance. Et dans l'évangile de Jean, il y a cette parole selon laquelle Dieu peut faire naître de n'importe quelle pierre une descendance à Abraham. Je dis cela pour jeter un peu d'humour dans nos débats sur la filiation. Cela nous aiderait à mieux comprendre que, pendant de longs siècles, le christianisme se soit battu contre la loi de la famille et pour l'émancipation des individus, notamment des femmes. Je ne dis pas du tout cela pour attaquer la famille. Au contraire, c'est très important, la famille, mais, juste pour "rebrouiller" un peu les cartes. Le débat actuel est trop simplifié : certains s'arrogent le monopole de la famille, d'autres le monopole de l'émancipation. (brouhaha sur les bancs)

Quoi qu'il en soit, pour terminer, et contrairement à ce que l'on croit, la figure symbolique de la paternité est bien de retour. Certains démagogues jouent bien sur cette demande. Mais le rôle masculin ne peut se réduire à l'infantilisme ou à la figure du père. Où est passée la figure du conjoint, de l'époux ? Quelle place lui donnent les mères ? Où sont passés les hommes capables de conjugalité ?

Je le redis, il fallait probablement passer par l'union libre pour opérer une véritable émancipation de la femme, pour émanciper pleinement la conjugalité de sa subordination à la filiation. On l'a fait jusqu'à l'excès, au point que les enfants ont été subordonnés au bon plaisir capricieux des conjugalités de leurs parents. Le problème est qu'aujourd'hui, dans une société où tout est précaire, flexible et jetable, tout le poids du désir de stabilité et de durabilité s'est investi du côté de la filiation et du désir d'enfant. Ce désir est d'autant plus fort que plus personne ne croit à la conjugalité, je veux dire la possibilité d'une fidélité vivante, capable de tenir tête au temps, à la pluralité, à la discontinuité. La filiation est devenue le seul lieu de notre assurance face au temps. Si nous retrouvions le sens d'une conjugalité qui sache faire place au temps et au désaccord, nous aurions moins besoin de la filiation et le débat redeviendrait alors simplement possible.

M. Jacques Larché, président.- Merci. Je sais que chacun, dans son propos, poursuit un objectif. Je crois que vous avez parfaitement atteint le vôtre, tout à l'heure, tel que vous l'exprimiez. La parole est à M. le rabbin Senior.

M. le rabbin Senior.- C'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai écouté les interventions de mes prédécesseurs. En venant dans cet auguste maison, une réflexion m'est venue à l'esprit : la société est faite d'individus qui vivent, qui pensent, qui évoluent avec leurs moeurs, et que finalement le législateur devaient apprendre à gérer, à tenir compte et à légiférer sur les demandes de ces sociétés. Faut-il pour autant répondre à toutes les demandes ?

On l'a tous senti très fort ; les controverses et les passions suscitées par ce débat sur le PACS sont, me semble-t-il, liées au fait que le PACS touche à ce qu'il y a de plus fondamental pour notre société. C'est un peu la définition de la famille et, à son point le plus réduit, celui du couple.

Je vous dirai une évidence, mais peut-être a-t-on besoin de la redire : le législateur recherche le bien et la permanence d'une société, d'une nation. Cette nation ne peut être forte que si son plus petit représentant -le couple- est lui installé dans la permanence et la stabilité. Je me pose la question de cette société qui, demain, va être façonnée dans son profil par des lois qui vont faire apparaître des couples où il y a un homme et un autre homme. Comment vont-ils gérer l'éducation d'un enfant ? Finalement, n'occulte-t-on pas aussi cette dimension "psychologie de l'être humain" quand on sera confronté à ces nouveaux modèles de la famille ? Quelle société construisons-nous pour demain ?

Au cours de cette réflexion que j'ai puisé dans la sagesse biblique -celle que je médite-, s'il est vrai que la Bible est un livre qui est diffusé, je me demande si on la lit assez souvent. Dans cette Bible, j'ai pris deux repères. D'abord, la création de l'homme et de la femme. Permettez-moi une lecture en hébreu, la langue originelle de cette Bible. On y voit une chose intéressante : lorsque Dieu crée l'homme, il l'appelle " Adam ", qui a donné Adam en français. Lorsqu'il crée l'homme et la femme, il les appelle " A Adam " l'homme avec l'article défini. Ce n'est pas simplement un jeu de mots, c'est pour dire que l'individu ne se réalise que dans la réunion de ces deux personnes différentes, l'homme et la femme. C'est cette réunion de la différence qui va permettre la permanence de ce couple, pas seulement dans cette reproduction sexuée de l'être qui fait nécessairement appel à un homme et une femme, mais aussi dans tout ce que cela propose au plan psychologique et affectif, nécessaire pour le développement des enfants qui vont former cette famille, qui vont fonder cette société.

Un peu plus tard (dix générations exactement dans le récit biblique), il y a une histoire souvent mal comprise : c'est celle du déluge. Je la rappelle brièvement : c'est une société que Dieu juge condamnée à un échec tellement important que cet échec va être balayé par ce fameux déluge. Avec sa famille, un homme (Noé) va construire cette fameuse arche dans laquelle un échantillon tout entier d'humanité va être préservé.

En fait, il ne faut pas oublier que, bibliquement, nous ne sommes pas les descendants du projet d'Adam, mais plus proches des descendances de ce projet de Noé. Et lorsque les maîtres de la tradition juive analysent les raisons de cet échec de l'humanité, ils avancent l'idée de ce que, dans la société de Noé, on a mélangé les espèces.

Par exemple, lorsque l'on parle de l'apparition de la mule (exemple donné par les maîtres), qui est un mélange entre l'âne et le cheval, on dit qu'elle date de l'époque de Noé, parce que le projet de la société de Noé était une tentative de redéfinir le modèle familial. Qu'en dit la tradition juive à travers la lecture de la Bible ? Que c'est un échec.

Que fait alors Noé ? Il va construire une arche. Il est intéressant de s'arrêter sur la construction de cette arche, où la tradition va dire qu'il y avait trois étages : le premier était réservé aux êtres humains, le second aux animaux et aux vivres, et le troisième servait de décharge publique, parce qu'on allait y vivre pendant un an. Ce qui veut dire que ce qui a amené à l'échec des contemporains de Noé, pour permettre à la société de redémarrer, c'est la construction du modèle d'un monde où les différences seront respectées, pour lui permettre une permanence dans le temps.

Cela veut-il dire qu'on ignore le problème des homosexuels et leurs demandes ? Bien évidemment non. Je crois que les législateurs pourront trouver des aménagements, des arrangements. Il y a là un dialogue à ouvrir, une écoute à offrir. Mais ce qui me semble dangereux dans les enjeux de ces lois qui vont être votées, c'est le fait de donner une reconnaissance dans la loi, d'ériger dans la loi une reconnaissance à un nouveau modèle de la famille, dont je m'interroge sur les chances qu'il a de durer dans cette permanence.

Voilà les réflexions que je voulais faire aujourd'hui, en rappelant -je crois qu'on n'a pas le droit de l'oublier- que lorsque l'on fait une loi, lorsqu'on vote une loi, lorsqu'on instaure une loi, on imprime une certaine dynamique qui va profiler, façonner la société de demain. Je crois qu'on doit le faire avec le grand sens de la responsabilité qui est le nôtre, en mesurant le plus loin possible dans le temps les conséquences et les effets de ces lois.

Je propose qu'ensemble on rebâtisse virtuellement cette arche de Noé pour permettre au monde de durer. Car finalement, quel est le sens de notre démarche, sinon d'assurer le bonheur et la pérennité de l'humanité ?

M. Jacques Larché, président.- Je vous remercie.

La parole est à Monsieur le recteur.

M. Dalil Boubakeur.- Monsieur le président, mesdames et messieurs, arrivant après ce qui vient d'être exposé, et inscrivant naturellement l'Islam dans le cadre des trois religions monothéistes, il est fort probable que ce que j'ai à dire du point de vue de ma religion soit déjà indiqué, ou en tout cas entre dans une conception qui n'aurait rien d'étranger par rapport à mes frères chrétiens, juifs ou protestants.

Pour l'Islam, le PACS (pacte civil de solidarité), qui vise à établir un cadre juridique pour des couples qui ne peuvent ou ne veulent se marier formellement, soulève du point de vue religieux de nombreuses objections, et des questions qui restent sans réponse. L'Islam suivant en cela les traditions de la Bible et de l'Evangile (du nouveau Testament) ne reconnaît aucun statut légitime des couples humains hors de l'institution du mariage contracté juridiquement devant Dieu et devant les hommes, avec une répartition, j'insiste sur cet autre aspect du couple : il y a l'institution du mariage et les conséquences de ce mariage, qui sont la répartition des droits et des devoirs de chaque membre de la cellule familiale.

La loi de famille est une loi de nature. C'est la loi de Dieu, c'est une loi éternelle garante, éprouvée des générations humaines successives. Ainsi, parents, enfants, mais aussi ascendants et collatéraux, et par delà même, voisins, amis, nécessiteux, société ; tous ont un rôle fonctionnel qui s'articule autour du couple légitime, qui reste l'élément fondateur à partir duquel, pour nous, tous ces éléments prennent leur place légitime.

De ce point de vue, la famille constitue une microsociété, une micro cellule communautaire. Et on sait à quel point, sur le plan de la religion, l'élément communautaire fait partie intégrante des dogmes et de la doctrine. La famille est en outre le berceau naturel de perpétuation des valeurs éthiques, sociales ou spirituelles.

Qui semble donc concerné par le PACS ? A l'évidence, tous ceux qui, sortant du statut juridique du mariage, veulent établir une relation reconnue par le législateur. Il ne s'agit plus d'association ni de contrat privé, tels qu'on les connaît dans les domaines financiers, sociaux, privés, etc., reconnus pourtant par la loi, mais de situations de fait de vie commune entre gens de même sexe, de sexe opposé, et même de frères et soeurs.

Faut-il une loi qui, légitimant des situations privées, entraîne une nouvelle vision de la société sur elle-même dans sa généralité ? Si ces extensions marquent en réalité la volonté d'établir un cadre légal pour le concubinage et pour l'homosexualité, on ne peut associer à cette volonté de légiférer tous les croyants qui considèrent ces moeurs comme des déviances ou des interdits, comme cela est indiqué dans l'Islam. Le Coran dit textuellement à propos de la genèse d'Adam et Eve : "Ô hommes, nous vous avons créés d'un homme et d'une femme, et avons fait de vous des peuples et nations afin que vous vous reconnaissiez les uns les autres" . C'est notre loi.

Si l'évolution de la société fait que les cas d'homosexualité et de concubinage sont suffisamment nombreux pour devenir les objets d'une règle de droit, est-on sûr que ces droits n'iront pas à l'encontre d'autres règles et d'autres droits ? Le débat passionné que soulève le PACS montre que le problème n'est pas si anodin, et que l'esprit qui a présidé à sa mise en oeuvre n'est pas l'expression d'un consensus d'opinion. En tout cas, pas chez les croyants.

Soyons clairs : l'Islam ne reconnaît que l'institution du mariage comme relation fondatrice de la famille légitime, le mariage obéissant lui-même à des règles précises. Le concubinage, et a fortiori l'homosexualité, sont considérés comme des unions non inscrites dans notre ordre religieux, social, naturel et légitime. On peut s'inquiéter face à une évolution où, à la famille déjà éclatée de cette fin de vingtième siècle, que l'on déplore aujourd'hui, pourrait succéder la génération des enfants du PACS. De cet égoïsme, nous craignons vraiment pour l'avenir. Quelle humanité demain ? Les sociétés commencent-elles dans le stoïcisme pour finir dans ce qu'on pourrait appeler l'hédonisme ou la permissivité ?

Pour toutes ces raisons, la position religieuse de l'Islam ne peut absolument pas être favorable à ce projet, car il y a perte du sens, perte de la responsabilité des êtres humains vis-à-vis d'eux-mêmes, de leurs conjoints, de leurs descendants. Rejoignant la conférence des évêques, pour nous aussi une telle loi serait inutile et dangereuse.

M. Jacques Larché, président.- J'ai entendu avec grand intérêt chacune de vos interventions. Je constate, à quelques très faibles nuances près, que les orientations qui sont les vôtres sont très proches les unes des autres. Sans doute, M. Abel a-t-il souligné le caractère humoristique, à certains égard, de l'Evangile.

M. Patrice Gélard, rapporteur.- La question qui se pose à moi, après vous avoir écoutés tous les quatre, est de savoir -puisque les homosexuels existent- comment l'Eglise envisage leur place dans la société.

M. Jacques Larché, président.- Les églises.

M. Patrice Gélard, rapporteur.- Pardon, l'Islam n'est pas une église... Les religions. C'est là la question qui me tracasse.

M. Dalil Boubakeur.- Notre réponse théologique nous ramène au patriarche Abraham. L'ancien testament fait partie intégrante de la théologie musulmane, et nous rappelons l'événement du chêne de Mambré où deux anges rencontrèrent Abraham et Sarah, et avaient décrété, dès ce moment-là, que... L'homosexualité est le fait de ce que " faisait le peuple de Loth ". Il y a une définition quelque peu édulcorée. Le terme n'existe pas. Mais il est dit ce que faisait le peuple de Loth a encouru le courroux de Dieu. Ces anges rencontrent Abraham au chêne de Mambré et étaient chargés par Dieu d'aller punir Sodome et Gomorrhe. Voilà la réponse théologique du Coran, qui est très proche de celle de l'ancien Testament.

M. le rabbin Senior.- Je voudrais répondre à la question tout à fait judicieuse que vous venez de poser : comment gère-t-on l'homosexualité ?

Je voudrais parler de mon expérience de rabbin. Je suis également rabbin de communauté, et suis donc amené à rencontrer des gens divers, dans des situations humaines et sociales tout aussi diverses. L'homosexualité est quelque chose qui existe aussi dans la communauté juive.

J'ai omis tout à l'heure un élément très important : j'ai voulu distinguer de manière très précise la prise en charge humaine dans un dialogue (dans un respect, dans un accueil, dans une écoute de l'homosexuel en tant qu'individu avec les moeurs qui sont les siennes, sur lesquelles je n'ai pas de jugement à porter au plan humain) de l'acceptation de cet état de choses au plan légal, dans une reconnaissance légale (où, là, je voyais un danger).

Dans la pratique de tous les jours, je m'étais bien sûr rapproché de psychiatres et de psychanalystes, parce se pose toujours la question de savoir si l'homosexualité est une pathologie, si c'est un phénomène de l'environnement, avec les grands débats que cela a suscités. Pas d'attitude d'exclusion ou de rejet du côté de la synagogue ; une attitude d'écoute, mais non pas d'acceptation d'un fait de vie intégré dans un projet de société.

C'est très important. La question s'est posée ; je l'ai vécue de manière très forte quand le SIDA est apparu de manière très médiatique. Nous sommes allés dans les hôpitaux accompagner, malheureusement en fin de vie, des gens atteints du SIDA. Evidemment, l'attitude spirituelle d'un leader de communauté est d'aller écouter, apporter du réconfort, et en aucun cas de juger ou de blâmer un individu. Il est très important de conserver cette écoute dans la relation sociale. Mais il faut aussi être très clair et honnête : à la chaire de la synagogue, je ne peux pas accepter cela comme un fait de société, ni le reconnaître en tant tel.

M. Jacques Larché, président.- Merci, Monsieur le rabbin.

Mgr Vingt-Trois.- Je voudrais simplement ajouter qu'il y a deux aspects différents. Le premier, c'est que l'on parle beaucoup trop de l'homosexualité comme d'une abstraction universelle indéfinie. En fait, l'homosexualité

comme l'hétérosexualité, ce sont des personnes qui vivent une sexualité dans des situations différentes. On ne peut pas classer globalement tout le monde sous le même chapiteau.

Certaines personnes ont des tendances homosexuelles réelles, et ne passent pas nécessairement à l'acte. D'autres ont une relation homosexuelle épisodique ; d'autres encore sont établis dans une relation homosexuelle durable. Ces différentes catégories ne relèvent pas du même regard juridique, et ne constituent pas la même réalité. Nous sommes devant un fait pluriel.

Il me semblerait donc plus raisonnable et plus simple de partir des problèmes réels, effectifs, et d'essayer d'y proposer des solutions légales ou réglementaires qui évitent des injustices absolument scandaleuses, comme il en a été signalé. Il faut voir que ces injustices, d'autant plus douloureuses qu'elles se situent dans des périodes critiques de l'existence, ne sont pas l'universalité de toutes les situations homosexuelles. Ce sont des situations définies que l'on peut identifier et auxquelles on peut apporter des remèdes. Il faut reconnaître aussi que peut-être, faute de conseils, de clarté ou d'accessibilité, toutes les ressources du droit actuel n'ont pas été utilisées. Pourquoi ? Parce cela paraît compliqué, c'est difficile, il faut se retrouver dans le maquis, etc... Mais qui nous dit qu'on sera plus à l'aise dans un nouveau dispositif législatif ? Ce n'est pas sûr.

Second élément que je voulais signaler : La question de fond, pour nous, tel que nous percevons les choses, est de savoir si, comme cela a été dit précédemment par l'un ou l'autre, l'homosexualité ou l'hétérosexualité est indifférente par rapport à la structure et au fonctionnement de la société. Autrement dit, la reconnaissance par la société d'un rôle identique à des couples hétérosexuels ou homosexuels a-t-elle des effets sur son propre fonctionnement ? Nous pensons que oui ; d'autres peuvent penser que non.

M. Olivier Abel.- Je crois que ce que vient de dire Mgr Vingt-Trois est très important. Pour moi, c'est un vrai problème, une vraie perplexité. Quelqu'un peut dire : "J'aime, et par hasard, j'aime quelqu'un du même sexe que moi.". Cette situation peut peut-être se résorber facilement dans l'élargissement de l'union libre, du concubinage, dont j'ai déjà parlé.

Mais, quelqu'un qui dit : "Non, moi je suis homosexuel. C'est quelque chose qui pour moi est définitif, c'est mon identité", qui éprouve cela comme une situation fragile et vulnérable dans la société, et qui demande quelque chose comme une institution de son lien plus durable, l'union libre ne sera pas une solution... Or, moi, je dis que tout ce qui encourage la fidélité et la durabilité dans notre société est bon. C'est la raison pour laquelle je dirais volontier, là aussi, oui, il faut une institution spécifique. Cependant, je dis oui de manière plus perplexe : cette institution sera-t-elle ou non un mariage ? Assurera-t-elle le droit à la filiation ou non ? Ici, les protestants sont apparemment assez unanimes pour penser que non. Vous le voyez, on entre dans des questions plus compliquées. C'est pourquoi je voulais distinguer davantage ces deux niveaux, qu'il me semble important de distinguer, sans peut-être trop les passionner non plus.

Pour cela, il faut commencer par "décoller" la problématique de la conjugalité de celle de la filiation. En gros, c'est parce que notre société avait longtemps, longuement, pendant des siècles, en tout cas deux siècles, pas plus, c'est assez récent, subordonné la conjugalité entièrement à la filiation, qu'il a fallu émanciper la conjugalité. Peut-être que maintenant nous sommes allés trop loin dans l'autre sens, et qu'il faut remettre, réencadrer davantage la filiation, et protéger davantage les enfants. Le lien entre un parent et un enfant n'est pas un contrat, ce n'est pas contractualisable. Alors que le que lien conjugal est un contrat, une alliance, un accord qui comprend éventuellement la possibilité du désaccord, et qui doit donc, plutôt que de penser la répudiation, penser le divorce comme une sorte de limité de la conjugalité elle-même.

Voilà ; peut-être qu'en séparant les choses, on dédramatise un peu.

M. Patrice Gélard, rapporteur.- Monsieur Abel, je voudrais vous poser une question complémentaire un peu en marge. Vous avez dit tout à l'heure que le mariage n'était pas un sacrement. Est-ce votre conception, ou celle du protestantisme ?

D'autre part, comment expliquez-vous qu'un certain nombre de pasteurs, dans certains pays, aient procédé à des mariages d'homosexuels ?

M. Olivier Abel.- Je connais insuffisamment la culture d'autres pays pour pouvoir en parler. Dans l'éthique protestante de la conjugalité, l'éthique puritaine met à égalité l'homme et la femme et pense le mariage comme un accord dont on sait qu'il peut être trahi. C'est pourquoi Calvin autorise le divorce. John Milton, le poète puritain, le poète de la révolution de Cromwell, fait un éloge du divorce parce que le divorce c'est la liberté, c'est la possibilité de la liberté. C'est important historiquement pour comprendre les différences de cultures.

Vous demandez pourquoi le mariage n'est pas un sacrement. Dans la théologie protestante, le mariage n'est pas un sacrement comme dans la théologie catholique ; ce n'est pas du tout le cas de la théologie catholique. Entre nous il y a une différence culturelle qui est très riche sans doute, parce qu'on a des choses à apprendre les uns des autres. Mais, il y a aussi une condition historique à cause de laquelle, pour les protestants français, le mariage n'est pas un sacrement mais un acte civil et civique : en 1787, au moment de l'Edit de tolérance, la conquête du mariage comme un acte laïc, un acte civil, enregistré par le curé, mais au nom de l'Etat, et pas du tout au nom de la religion catholique, était comme une libération pour les protestants.

Pour nous, le fait que le mariage soit un acte laïc permettant de tisser aussi les communautés entre elles (cela permet le mariage mixte), est quelque chose de tout à fait fondamental dans notre conception du lien républicain. Mais c'est une situation historique du protestantisme français.

C'est pourquoi, plutôt que de laisser le mariage devenir le monopole des traditionalistes, je préférerais qu'on remette complètement le mariage sur le métier pour le repenser tous ensemble, pour en refaire un lien républicain fondamental, et pas un "machin ringard".

M. Jacques Larché, président.- Il y a un mot que nous n'aimons pas dans cette maison, c'est le mot "ringard".

M. Dalil Boubakeur.- Pour nous également, le mariage n'est pas une sanctification ; c'est un contrat. Mais à la différence de ce que vient de nous dire M. le pasteur, c'est un contrat social et non pas laïc. C'est un contrat qui fixe l'adhésion d'un couple pour fonder une famille, mais il a pour conséquence de structurer descendants, ascendants, collatéraux, fils, etc., dans des droits assez précis, et qui sont d'une nature juridique proche de la nature sacrée de ces liens. Il y a donc une certaine proximité entre le mariage musulman et le mariage protestant puisque chez nous aussi la séparation est prévue, selon différents modes.

M. le rabbin Senior.- Je dois prendre le contre-pied, parce que le mot "mariage" se dit " kedouchime *" dans la tradition juive, ce qui veut dire "sanctification". La tradition juive va très loin dans la notion du mariage puisque le Talmud rapporte qu'un homme ou une femme qui ne sont pas mariés sont considérés littéralement comme des êtres inachevés. C'est-à-dire que l'accomplissement de l'individu ne se réalise, au point le plus épanouissant, qu'à travers le couple. Vous voyez qu'on est loin du PACS dans cette conception de la famille, parce qu'elle est la brique qui construit tout l'édifice de la société. C'est une conception qui engage une fidélité absolue, autant de la femme que de l'homme.

M. Jacques Larché, président.- Mes chers collègues, y a-t-il des questions ? (non)

Nous vous remercions de votre présence parmi nous. Vous nous avez, les uns et les autres, avec des nuances et des contre-pieds quelquefois, beaucoup éclairés.

La séance, suspendue à 11 heures 45, reprend à 12 heures.

4) Audition de :

- Mme Geneviève Delaisi, psychanalyste

- M. Samuel Lepastier, pédopsychiatre et psychanalyste.

M. Jacques Larché, président.-
Nous reprenons nos auditions après les auditions particulièrement denses que nous avons entendues. Sont donc avec nous Mme Delaisi, psychanalyste, et M. Lepastier, pédopsychiatre et psychanalyste.

La parole est Madame Geneviève Delaisi.

Mme Geneviève Delaisi.- Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d'abord de m'avoir invitée, et d'autre part de m'écouter à cette heure tardive.

La montagne des écrits, des débats publics et privés, passionnés, passionnants, et des débats parlementaires à l'Assemblée nationale, a -si vous me permettez cette métaphore cavalière- accouché d'une sorte de souris transgénique, hybride, telle que je la vois, entre le mariage et l'union libre. Cette souris a néanmoins le mérite d'exister, et j'essaierai de faire quelques brefs commentaires en la traitant avec respect et dignité.

Permettez donc à la psychanalyste que je suis, qui a une certaine bouteille et qui écoute depuis vingt ans, en particulier des couples en souffrance par rapport à la question de l'enfant, en mal d'enfant, de livrer des commentaires qui ne sont guère juridiques, mais qui concernent tout de même le dit de cette proposition de loi, et aussi un peu son non-dit.

Alors en ce sens, que m'inspire le PACS tel qu'il est voté en première lecture ? Il donne, c'est évident, une définition pragmatique du couple : l'organisation de la vie commune, une sorte de communauté de lit et de toit, conférant un statut tant matériel que symbolique à ces couples, à un certain nombre de couples et futurs "pacsés", statut symbolique intermédiaire entre l'union libre et le mariage.

Cette proposition a le grand mérite de prendre acte de la désaffection de nos contemporains à l'égard du mariage (il y a cinq millions de personnes non mariées en France) et de l'augmentation énorme du taux des divorces. Je salue ici le courage de la définition du couple qui est donnée dans cette proposition de loi ("deux personnes majeures, de sexe différent ou de même sexe") qui confère ainsi une reconnaissance aux quelques 60 000 couples homosexuels de notre pays, qui sont nos concitoyens à part entière. Cette communauté de lit et de toit est, me semble-t-il, plus ou moins bien "ficelée", mais vous êtes là pour l'améliorer.

En tout cas, telle qu'elle est, elle est tout à fait lisible, sauf pour moi l'article 10 sur les fratries, qui pour une psychanalyste confine à l'inceste, et d'ailleurs invalide complètement la définition du couple donnée à l'article 515-1. Je ne veux pas enfoncer des portes ouvertes, mais il y a là une aberration que l'on peut comprendre dans la stratégie de ces débats, mais qui est totalement absurde.

J'en viens au second point, qui au fond est plus de mon ressort, à la fois comme psychanalyste mais aussi comme citoyenne, mère de famille, mère et grand-mère. La violence des débats qui ont lieu autour de ce sujet a permis, à mon avis, de mettre à jour les résistances de nos contemporains, non pas simplement sur la question de l'alliance, sur la définition du couple, mais sur les droits auxquels pourrait donner lieu ultérieurement cette alliance, c'est-à-dire l'accès à la filiation. Comme l'a dit Olivier Abel, le lien entre conjugalité et filiation est, au fond, le nerf de la guerre de cette proposition de loi.

Toujours dans la lecture que j'en fais, ayant suivi cela très attentivement, on a assisté à un débat sur ce qui pourrait être un critère de la bonne parentalité. La question de fond est : qu'est-ce qu'un bon parent ; qu'est-ce que le moins mauvais parent possible ; qu'est-ce qu'un parent acceptable ? Y aurait-il un critère objectif de la bonne parentalité ?

Cette proposition de loi donne une réponse. Elle répond oui, il y a un critère de bonne parentalité. Je vais vous dire ce qu'il est, dans ma lecture : le projet de loi dit que les couples "pacsés" hétérosexuels pourront, comme les concubins en union libre, avoir accès à la filiation, pourront recourir à l'AMP, et peut-être bientôt adopter. Pour l'instant, ils ne peuvent pas adopter, mais à mon avis la réforme de l'accès à l'adoption pour les concubins hétérosexuels est dans l'air du temps. En tout cas, c'est pour bientôt. De toute façon, un membre d'un couple concubin peut toujours faire une demande d'adoption en se présentant comme un parent célibataire.

La réponse donnée par la proposition est donc : "oui aux enfants pour les concubins, les futurs "pacsés" hétérosexuels ; non pour les futurs "pacsés" homosexuels qui n'auront droit ni à l'AMP ni à l'adoption". Le critère objectif, la réponse du projet de loi, se présente donc ainsi clairement : pour avoir accès à la parentalité, il faut, et il suffit d'avoir, une sexualité hétérosexuelle, ou en donner l'apparence en tout cas.

Je sais que ce n'est pas dans la loi française, mais j'ai ici un document (malheureusement extrêmement banal), qui est la lettre de réponse d'un président de conseil général, toute récente, à une personne, une femme célibataire qui demandait à adopter un enfant, et qui a eu l'honnêteté de se présenter comme vivant en couple homosexuel. Il lui refuse l'agrément en disant : "en effet, des réserves d'ordre psychologique sont soulignées en raison de votre vie de couple homosexuelle. Ce mode de vie est générateur de difficultés importantes pour l'enfant, tant dans sa construction psychique que pour son intégration sociale".

En tant que président de conseil général, ce monsieur a le droit de penser cela, mais je pense que ce n'est pas au législateur de savoir si le mode de vie de couple homosexuel est générateur de difficultés importantes pour l'enfant, dans sa construction psychique et dans son intégration sociale. Or, c'est au fond un peu ce que la loi sur le PACS répond : oui à la procréation médicalement assistée pour les concubins hétérosexuels, non pour les concubins homosexuels.

A mon sens, il y a beaucoup de naïveté à considérer que le critère garantissant un bon développement pour l'enfant serait l'hétérosexualité du couple de parents. L'hétérosexualité d'un couple n'est nullement une garantie pour être un parent. Sans faire de démagogie, je vous renvoie à tout ce qu'on lit, ce à quoi on assiste en matière de mauvais traitements et d'abus sexuels à enfants, qui sont pour la majorité pratiqués par des parents hétérosexuels.

Je ne veux pas être négative, je crois que la question de fond est là. Si on voulait chercher un critère garantissant un bon développement pour l'enfant, il faudrait alors revoir l'ensemble de l'architecture du droit de la famille, et c'est ce que je vous propose de faire, mesdames et messieurs les sénateurs. Il faudrait s'interroger sur la pratique des procréations avec donneurs anonymes qui, en bonne logique clinique, sont à mon sens des facteurs de risque aussi importants que ceux que l'on pourrait attribuer à l'homosexualité d'un couple.

Je pense au problème de l'image du père, de la carence de l'image du père dans les cas d'IAD, au problème du vécu de la stérilité par le couple. De la même manière, l'adoption n'est pas sans risque non plus, même si les parents adoptifs sont évidemment hétérosexuels. Enfin, l'adoption par une personne seule ne me paraît pas du tout dépourvue de risque non plus. C'est une périphrase, car je pense que l'adoption par une personne seule (qui est autorisée par la loi) encourt des risques pour le futur développement de l'enfant.

Je termine par cette conclusion très humble : il me semble que l'humilité s'impose dans le jugement que nous devrions avoir, nous, société, face aux nombreuses configurations familiales évolutives que les lois ont accompagnées depuis deux ou trois décennies, qui se déclinent sous nos yeux, je vous les rappelle, mais je crois qu'il faut les rappeler ici car elles font partie de ce même paysage et de la même question : couples concubins (homosexuels ou hétérosexuels) ; parents seuls ; familles recomposées ; familles multicomposées après assistance médicale à la procréation, avec donneurs de gamètes et donneurs d'embryons ; familles adoptives (avec toute cette question en arrière-plan de l'adoption, question de l'accouchement sous X, qui à mon avis fait aussi partie du débat, de manière implicite) ; enfin, les familles d'accueil et ces fameuses familles homo parentales que l'on commence à connaître maintenant.

Je vous propose -en tout cas c'est ma propre démarche- de nous laisser interroger par la réalité de ces nouvelles familles, en les étudiant de près, chacun avec ses outils de travail et d'analyse et, surtout, en élargissant la question à toutes ces familles qu'on pourrait mettre, au fond, dans une même enveloppe que je pense non réductrice, que j'appellerais les "familles atypiques" qui existent en France depuis plusieurs décennies.

Et c'est pourquoi il me semble qu'il s'agit là d'une réforme beaucoup plus large de l'architecture du droit de la famille telle qu'elle est sans doute envisagée par la commission. Cela dépasse la question de cette proposition de loi sur le PACS qui, telle qu'elle est, doit être certainement améliorée.

Repensons ces nouveaux enjeux, et pensons un peu à l'avenir -je rejoins là Eric Fassin-, aux cinq ou dix années à venir et ne votons pas une loi qui bloquerait les choses dans le futur débat.

Merci de votre attention. Je suis toute prête à répondre à vos questions, si vous en avez.

M. Jacques Larché, président.- Merci Madame.

La parole est à Monsieur Samuel Lepastier.

M. Samuel Lepastier.- Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité. Il m'a été demandé de traiter le sujet des enfants d'homosexuels. Je me situerai uniquement sur un plan clinique et scientifique. Je ne suis pas juriste. Je m'abstiendrai également de tout jugement moral.

J'ai été très surpris par ce qui m'a été demandé, car je n'ai jamais rencontré de ma vie d'enfant d'homosexuels ! Tout enfant naît d'un père et d'une mère. Même s'il y a des artifices de procréation, il s'agit bien de cellules germinales qui, au moins pendant un temps, ont été portées par un homme et une femme. C'est dire que placer le débat sur la parenté homosexuelle, c'est déjà faire dériver les questions et occulter l'essentiel.

Pour voir plus clair, je vous propose tout d'abord de nous interroger sur les raisons réelles qui font que l'homosexualité est rejetée. A partir des réponses qui sont données à ces réactions négatives, nous pourrons nous interroger pour savoir si, dans ce que nous mettons en avant, il n'y a pas de notre part également des réactions négatives, rétrogrades ou frileuses.

Le premier point, en effet, c'est que l'homosexualité n'est ni une maladie ni une perversion. Selon le psychanalyste français Francis Pasche, il s'agit d'une particularité du choix d'objet. En effet, s'il s'agit bien au sens statistique du terme d'une déviation par rapport aux pratiques les plus courantes, de toutes les déviations sexuelles, c'est la seule qui permette dans certains cas une relation d'objet stable avec des échanges d'amour dont, a priori, on peut penser qu'ils ne diffèrent pas significativement des échanges qui ont lieu entre partenaires de sexe différent. C'est le premier point.

Le regard sur l'homosexualité a été modifié au vingtième siècle par les travaux de Freud sur la psychanalyse. En 1905, dans les "Trois essais sur la théorie sexuelle", il montre que les homosexuels ne sont en rien des dégénérés, que chez eux peuvent coexister des mouvements éthiques extrêmement élevés, et il ajoute qu'un certain nombre de grands hommes dans l'histoire de l'humanité ont été homosexuels ou bisexuels. En 1920, il ne donne pas suite à la demande de traitement formulée par ses parents d'une jeune fille homosexuelle en ne retrouvant pas chez elle de troubles psychiques.

Pour nous en tenir à notre seul pays, et à la littérature du vingtième siècle, on peut dire que des auteurs d'origine et d'orientation différentes comme André Gide, Marcel Proust, Henri de Montherlant, Louis Aragon, Julien Green, appartiennent à notre patrimoine et contribuent à notre identité. Du côté des femmes, je citerai Colette et Marguerite Yourcenar, et la liste n'est pas close.

Alors la question qui se pose est : pourquoi une réaction négative ? Vous me pardonnerez certains termes un peu crus, mais traiter quelqu'un de fétichiste n'a jamais été ressenti comme une insulte, alors que de s'entendre traiter d'homo ou de "pédé" entraîne, chez beaucoup d'hommes, une réaction particulièrement agressive.

De plus, il y a actuellement tout un mouvement américain qui tendrait à placer pratiques homosexuelles et pratiques hétérosexuelles sur un strict plan d'identité. En 1973, l'association américaine de psychiatrie a rayé l'homosexualité de la liste des troubles mentaux. En 1975, l'association américaine de psychologie a déclaré qu'il n'y aurait pas de différence entre les enfants élevés par des couples homosexuels et les enfants élevés par des couples hétérosexuels.

Mais là où le bât blesse, c'est que l'association américaine de psychologie recommande aux candidats devant rédiger une thèse -cela figure dans un manuel tout à fait officiel- de ne pas indiquer le sexe des sujets qu'ils interviewent. Il est écrit : "he or she" est un terme lourd et déplacé, alors que "a person" est quelque chose d'élégant et qui ne préjuge pas" . On voit donc là jusqu'à quel point va le refus de prendre en compte la différenciation sexuelle.

A côté de cela, nous observons des réactions de rejet vives. Plutôt que le terme d'homophobie (qui ferait que d'un côté il y aurait les bons, et de l'autre les mauvais), je préfère parler de paranoïa. En effet, il s'agit bien de réactions paranoïaques. La réaction paranoïaque qui vise l'homosexualité vient précisément du fait que ce qui détermine la paranoïa est la crainte inconsciente de l'homosexualité.

Dans son travail sur le Président Schreber, Freud montre que le mécanisme du délire paranoïaque (à savoir persécuté / persécuteur) est le retournement d'un certain nombre de phrases. Le sujet se sentant attiré par un autre homme, se sentant également devenir femme, pense : "je l'aime, lui un homme, moi un homme". Ensuite, cette phrase se transforme en disant : "il n'est pas possible que je l'aime, je ne l'aime pas, je le hais". La haine étant à ce moment-là également une pensée négative, cela se transforme en "il ne m'aime pas, il me hait". Et nous tombons donc dans un système de persécuteur / persécuté. C'est ce que nous rencontrons dans la vie sociale, et c'est en effet la question de l'homosexualité psychique.

Il faut reconnaître que si l'homosexualité agie est assez largement mise en évidence ; l'homosexualité psychique reste du domaine du tabou. J'ai été interviewé dans L'Express sur la paranoïa, au mois d'août. La phrase que j'ai dite sur l'homosexualité psychique et paranoïa n'est pas passée dans l'interview (que je n'avais pas relue) qui a été publiée. A une certaine époque on a dit, certains chercheurs ont dit : "s'il est vrai que la paranoïa est en effet liée à une non-acceptation de l'homosexualité inconsciente, faisons des études pour voir si les homosexuels, eux, sont moins paranoïaques que les autres". On a même pensé qu'en Californie, on devrait rencontrer beaucoup moins de paranoïaques. Ces questions ont été très sérieusement soulevées par des auteurs comme Grunbaüm en vue de tester la théorie freudienne de la paranoïa.

En réalité, le fait d'agir l'homosexualité ne supprime pas la crainte de l'être. L'homosexualité psychique n'est pas l'homosexualité agie. Chez quelques homosexuels, mais pas tous, nous observons un renversement de cette phrase qui consiste à dire : "je ne l'aime pas, il ne m'aime pas, il me hait" ; chez eux, c'est plutôt : "je l'aime, moi un homme, lui un homme". Mais à ce moment-là, cela se transforme en : "ils me haïssent parce que moi, un homme, j'aime un autre homme". C'est-à-dire que la culpabilité est projetée sur la société tout entière, à laquelle il est constamment demandé de rendre des comptes. Cela explique d'ailleurs que, dans un pays comme le nôtre, où il existe une très large tradition (dont je suis particulièrement fier) de tolérance à l'égard des homosexuels, on ne cesse de nous dire qu'il y a un problème et c'est une importation du modèle américain : dans notre pays, depuis longtemps, je ne crois pas que l'homosexualité ait jamais présenté une difficulté majeure sur le plan social. Donc, ce qui est toujours demandé à la société, c'est de faire en sorte qu'elle répare, ou qu'elle annule, le préjudice qu'elle est supposée subir.

En d'autres termes, chez un certain nombre d'homosexuels, il y a un déni de leur conflit psychique. Le modèle prévalant d'un certain nombre d'associations de militants homosexuels est inspiré implicitement des Etats-Unis, avec l'idée qu'il s'agit d'une affection génétique. Dean Hamer a publié en 1993 dans la revue Science un article disant que l'homosexualité était une maladie génétique portée par le chromosome X. A partir de là, tout devient logique. Il faut assumer son homosexualité comme on assume un défaut de naissance, comme on assume sa judéïté, sa négritude, ou que sais-je encore. On nous décrit des modèles où, se sachant différent des autres, il faut savoir accepter sa différence et plus on l'accepte tôt, et mieux les choses iraient.

Seulement, le modèle communautaire est inexact pour deux raisons. La première, c'est qu'il y a une plaisanterie américaine qui demande quelle est la différence entre un noir et un homosexuel, la réponse étant que, lorsqu'on est noir, on n'a pas besoin de le dire à sa mère. (Hilarité)

Second point. Comme l'a relevé l'immunologiste Bernard Jordan dans un article paru dans La recherche en juillet 1998, la théorie de l'origine génétique de l'homosexualité est fausse. Il s'agit, d'une certaine façon, d'une dérive scientifique. Le titre de l'article est : "Du gène de l'homosexualité à celui de la criminalité, en passant par les médias" . Le procédé est toujours le même : on annonce, à grand renfort de publicité, une découverte sur le point d'être faite ; elle est ensuite démentie, mais le démenti est beaucoup plus discret que l'annonce de la découverte. Dean Hamer a fait l'objet d'une procédure pour faute éthique à propos de son article. Ce qui fait qu'aujourd'hui plus personne ne croit à l'origine génétique de l'homosexualité, mais il n'empêche qu'au moins, les homosexuels américains ont un comportement et des conduites fondés sur lui. Ils demandent à ce que l'on reconnaisse leur différence.

De ce fait d'ailleurs, toute la littérature américaine qui tendrait à prouver, par exemple, que les enfants élevés par des homosexuels ne se développent pas de façon significativement différente des enfants élevés par des couples hétérosexuels, est relativisée et doit être critiquée.

Tout récemment, l'auteur Cameron, dont malheureusement je ne connais pas très bien les travaux, a publié un article disant que les membres de l'association américaine de psychologie avaient sans doute commis une faute éthique grave en affirmant qu'il n'y avait pas de différence entre les enfants élevés par des homosexuels, et les enfants élevés par des couples autres. Peut-être est-il inspiré par une idéologie que je ne connais pas, je n'en discute pas, mais l'analyse qu'il donne est tout à fait convaincante, puisqu'il dit que l'avis de l'association américaine de psychologie a été fondé sur des échantillons de taille réduite, que cela se fondait simplement sur 89 cas dans tous les Etats-Unis, que l'échantillonnage n'était pas aléatoire, et que les réponses pouvaient éventuellement être biaisées.

C'est ce que nous voyons bien, d'ailleurs, dans la pratique clinique : il y a un très grand écart entre ce qui est affirmé à un niveau militant, et ce que nous voyons au cours de nos rencontres thérapeutiques. C'est quelque chose dont vous pouvez trouver confirmation dans le très intéressant livre édité par M. Dubreuil, Actes du colloque familles gays et lesbiennes en Europe* . Les exposés en séance plénière sont péremptoires, mais si on lit les discussions en ateliers, les choses sont beaucoup plus nuancées : certains parents se sont plaints de cette langue de bois qui voudrait qu'il n'y ait pas de problèmes. On ne voit pas très bien, il y a là quelque chose de totalement illogique, qui voudrait que les parents homosexuels soient les seuls qui ne rencontrent aucune difficulté avec leurs enfants.

Allons un peu plus loin. Lorsqu'il est demandé que la loi permette l'adoption par des couples homosexuels, nous nous trouvons devant une situation totalement inédite. Il ne s'agit pas -comme cela a pu être le cas pour le divorce, pour l'avortement, pour la contraception- de mettre en accord ce qui se faisait dans la pratique sociale, avec des dispositions législatives. Ce qui vous est demandé ici (ce n'est pas dans le texte mais cela viendra), c'est de légitimer une situation qui n'existe pas.

A l'heure actuelle, il n'y a aucun enfant qui ne connaisse son père ou sa mère, ou qui ne puisse se poser la question de son origine par rapport à son père et sa mère. Ce qui est demandé, à savoir qu'un couple d'adultes de même sexe puisse adopter un enfant, c'est de créer une fiction légale qui n'a pas d'équivalent aujourd'hui. On demande donc à la loi de créer quelque chose, une nouvelle catégorie. Et cela, en effet, nous questionne sur les raisons qui poussent à ce geste.

Je crois qu'on ne saurait mettre en doute la capacité d'amour des homosexuels à l'égard des enfants. S'il y a des abus, on les retrouve bien entendu dans des tas d'autres configurations. La question n'est pas là, ils relèveraient d'ailleurs de la sanction pénale. Ce qui est en cause, c'est ce problème d'institutionnaliser le lien de filiation.

On peut se demander : pourquoi cette demande ? Pourquoi ce déni de la réalité biologique ? Si nous admettons, en effet, que l'homosexualité n'est pas d'origine biologique -les associations homosexuelles en France ne l'ont jamais vraiment cru-, si nous admettons que la pression sociale - je crois que, là aussi, tout le monde l'admet- pousserait à l'hétérosexualité -ce dont les homosexuels se plaignent justement-, il ne reste plus qu'à mettre en évidence une influence psychologique et parentale dans le développement de l'homosexualité.

Pour les psychanalystes, la pratique homosexuelle exclusive renvoie à une fixation dans le développement psychologique, avec une crainte de l'autre sexe et, paradoxalement d'ailleurs (et c'est très intéressant sur le plan conceptuel), un refus de la différence. Les homosexuels parlent constamment du droit à la différence, que je leur reconnais volontiers. Par contre, être homosexuel c'est faire un choix d'objet amoureux de même sexe, c'est ne pas être attiré par la différence ; c'est une valorisation du narcissisme. Pour les homosexuels hommes, une valorisation du phallus, et une crainte de la femme justement parce que, différente d'eux : elle est menaçante.

Il y a un problème très intéressant sur lequel on ne s'est pas suffisamment interrogé : beaucoup d'homosexuels refusent l'usage des préservatifs. Ce ne sont sans doute pas des considérations morales qui les arrêtent, mais bien l'idée que l'usage du préservatif réintroduit la possibilité d'une limite, d'une faille, d'une protection, alors que dans les pratiques homosexuelles, il s'agit justement de nier toutes ces limitations de la condition humaine. A tous les âges de la vie il y a davantage de suicides chez les homosexuels que chez les hétérosexuels et ce n'est pas seulement pour des raisons sociales mais bien parce que toute défaillance est vécue comme une blessure narcissique intolérable.

Ce que je souhaite montrer, c'est que la pensée, très tôt (et c'est une découverte de la psychanalyse qu'on ne peut pas contester), se construit à partir de repères anatomiques. Un exemple : attester et testicules, proviennent du même mot. Nous nous construisons constamment par rapport à une réalité anatomique de parents de sexe différent. Etre institué comme enfant de parents de même sexe (non pas être élevé par deux parents de même sexe), c'est porter déni sur cette représentation corporelle. C'est non pas se trouver devant le risque -qui me paraît tout à fait secondaire- de devenir homosexuel à son tour, mais bien d'être placé dans une configuration où l'accès à la pensée n'est pas possible, puisque justement cette réalité duelle ne sera pas prise en compte.

Ce que nous observons dans quelques cas (pas dans tous bien entendu, parce qu'il y a toujours des passerelles et des voies de recours), ce sont, chez les enfants d'homosexuels qui sont élevés dans ce déni de la différence des sexes, soit une passivité massive, une incapacité à affronter la vie, soit -et je reviens à mon point de départ- des réactions de type paranoïaque. Il n'y a pas de raison de penser que des enfants, placés dans les mêmes circonstances que certains adultes, réagiraient de façon différente.

J'ajoute enfin que nous manquons énormément de recul. Il y a trente ans, en 1968, les homosexuels américains, pour se définir, ont adopté et imposé le terme gay (comme on dit gay Paris) : l'idée de parentalité était alors absente. Ce désir n'est pas inscrit comme une nécessité : c'est un effet de mode dont rien ne dit qu'il persistera au cours des prochaines années.

Pour terminer, j'ai reçu ce matin le programme de la prochaine réunion scientifique mensuelle de la société psychanalytique de Paris, c'est une conférence du Docteur Perel Wilgowicz : "Identification vampirique, déni de la naissance et de la mortalité, infanticide et matricide" . Cette réunion est organisée par rapport à tout ce qui a pu se passer lors de la dernière guerre mondiale. L'identification vampirique est une identification à son semblable, mais qui en même temps le pousse à la destruction. La question qui se pose est de savoir si, dans le cas d'un système très proche du clonage, où il y a deux parents et un enfant de même sexe, on ne se retrouve pas devant cette même configuration vampirique ?

Nous n'avons pas le droit de dire que nous ne savons pas. Il y a là un problème épistémologique majeur : chaque fois qu'on propose une nouveauté, il faut montrer qu'elle présente un avantage par rapport à ce qui existe déjà. Pendant la guerre aussi, on disait qu'on ne savait pas, et on sait, en effet, quelles lâchetés ont été ainsi couvertes. Je vous remercie.

M. Patrice Gélard, rapporteur.- On a parlé de Freud, on n'a pas parlé de Lacan. Y a-t-il une explication, chez Freud ou chez Lacan, de l'homosexualité ?

M. Samuel Lepastier.- Oui, je viens de vous la donner, à savoir qu'il y a en effet une fixation à la mère, de façon très schématique. De ce fait, le désir, qui était primitivement porté vers d'autres femmes, se trouve uniquement sur la mère, et à ce moment-là il n'y a que d'autres hommes qui sont possibles. Etre homosexuel, c'est d'une certaine façon rester fidèle à la mère. Ce qui différencie Freud et Lacan -je crois que c'est important- c'est que Freud s'intéresse beaucoup au corporel, à la pulsion, à ce qui se passe à partir de la biologie, alors que Lacan s'est placé dans une perspective beaucoup plus symbolique et structuraliste, ce qui fait qu'il s'est placé très loin des questions du corps. Lui-même étant une glose de Freud, on peut faire des gloses à l'infini, et leur donner le sens qu'on veut.

M. Patrice Gélard, rapporteur.- Cela, c'est la réponse pour l'homosexualité masculine. Et pour l'homosexualité féminine ?

M. Samuel Lepastier.- Je n'en ai pas parlé. Classiquement, l'homosexualité féminine est référée à deux étapes du développement : soit une homosexualité de type primaire -à savoir une petite fille qui reste fixée à sa mère-, soit une homosexualité de type secondaire -à savoir qu'une petite fille déçue par le père retourne vers la mère.

Vous me faites penser que j'ai oublié deux points. Pourquoi est-il si difficile d'accepter un désir homosexuel ? C'est parce que l'homme homosexuel cherche dans d'autres hommes un moyen de réassurance de sa virilité. Mais, ce faisant, il risque d'être traité comme une femme et, du coup, il se sent menacé. C'est pour cela que nous ne sommes pas gênés d'être fétichistes, mais l'idée d'être homosexuel est extrêmement gênante, et ce conflit est difficile à porter.

M. Patrice Gélard, rapporteur.- Il y a une question que nous n'avons pas abordée ce matin : y a-t-il vraiment un désir de l'enfant chez l'homosexuel ?

M. Samuel Lepastier.- Qu'appelez-vous "désir de l'enfant" ?

M. Patrice Gélard, rapporteur.- Avoir un enfant, constituer une famille, à l'image de la famille hétérosexuelle.

M. Samuel Lepastier.- Certains homosexuels, en effet, ont une certaine identification à leur mère et, de ce fait, souhaitent élever des enfants comme une mère. Je trouve pour ma part que c'est une démarche plutôt respectable. Je n'ai pas vraiment d'objection à ce que des homosexuels, à titre individuel, adoptent un enfant. Personnellement, je suis réservé sur l'adoption par un célibataire, mais je crois qu'il n'y a pas lieu de faire distinction entre un célibataire masculin ou féminin homosexuel, et un célibataire hétérosexuel. Mais c'est un autre problème.

M. Jacques Larché, président.- Je crois, Madame Delaisi, que vous souhaitez intervenir ?

Mme Geneviève Delaisi.- Je voulais tout de même réagir aux propos de mon distingué collègue. Je suis d'accord avec toute la première partie de son exposé, qui est une analyse de la métapsychologie freudienne, qui est évidemment parfaite.

En revanche, par rapport à sa deuxième partie, permettez-moi de vous faire remarquer que, peut-être, vous ne connaissez pas bien la réalité clinique qui est, par exemple, décrite dans les actes de ce colloque. Vous avez dit qu'il s'agissait d'une situation inédite, et qu'on demandait au législateur de réfléchir à une situation inédite, à la différence de ce qui s'est passé pour l'adoption ou pour l'avortement, où il s'agissait de dépénaliser ou de légaliser une situation de fait.

Non, il n'y a pas de situation inédite, ou pour de très rares cas. Je voulais simplement rappeler qu'il y a quatre cas de familles homo parentales existant déjà dans notre société, et qui sont beaucoup plus banales qu'on ne le croit. La première (vous avez parlé d'Eric Dubreuil, président de l'APGL), c'est un cas tout à fait banal d'hommes ou de femmes qui ont été mariés ou qui ont vécu en concubinage, qui ont des enfants et qui, ensuite, ont une vie homosexuelle. Nombre de nos contemporains sont dans ce cas-là. Je vous rappelle d'ailleurs quelque chose que personne n'a jamais remarqué, à savoir que le fameux rapport Kinsey montrait que beaucoup des Américains de l'époque, mais cela a été repris récemment par le rapport Spiras, ont (je suis désolée d'employer une expression aussi triviale) des "tranches de vie" homosexuelles et des "tranches de vies" hétérosexuelles. Il y a donc une situation très banale de parents homosexuels qui ont eu des enfants dans le cadre d'une vie hétérosexuelle.

Il y a d'autre part une situation aussi "banale", moins fréquente statistiquement mais importante : c'est surtout le cas de femmes qui ont adopté des enfants en tant que célibataires et qui, stratégiquement, élèvent ces enfants comme couple homosexuel ; pas comme la dame dont je lisais la réponse qui lui avait été faite.

Il y a ensuite des femmes homosexuelles qui, la situation n'étant pas possible en France, ont recours à l'insémination artificielle en Belgique. Je connais bien l'une des équipes belges qui, depuis quinze ans, pratiquent ces inséminations. C'est une équipe extrêmement sérieuse qui publie en anglais, en français et en néerlandais, depuis quinze ans, et qui suit les couples de femmes homosexuelles. J'ai apporté ici des articles avec une énorme bibliographie de ma collègue, Patricia Bétains, de la VUB (Vrije Universiteit Brussels) (Université libre de Bruxelles dans sa version flamande. Il y a donc des femmes homosexuelles qui font des IAD depuis longtemps.

Enfin, et c'est le seul point qui soit très peu connu, il y a la situation de co-parentalité où un couple homosexuel masculin a un projet d'enfant avec un couple d'homosexuelles femmes. C'est une situation peu connue, qu'on pourrait dire inédite. En revanche, les trois autres situations sont connues ; certaines personnes sont suivies par des thérapeutes. C'est cela que j'invite nos concitoyens législateurs à étudier. Ils sont prêts à être étudiés.

M. Samuel Lepastier.- Ce n'est absolument pas ce que j'ai dit. Je pense en effet que des homosexuels peuvent, à titre individuel, adopter un enfant. J'ajouterai même que le fait, qu'à un moment ou à un autre, ils vivent en couple, ne me paraît pas poser de problème majeur. Ce contre quoi je m'élève, c'est cette fiction -qui est d'ailleurs le sommet de la pyramide- qui consisterait à vouloir faire en sorte qu'un enfant soit désigné comme le fils de deux personnes de même sexe par la loi. Voilà ce que j'ai dit.

Ensuite, un second point me paraît important, qui montre bien les dérives auxquelles nous sommes constamment soumis. Vous avez cité le rapport Kinsey ; or le rapport Kinsey sur l'homosexualité est inexact. L'échantillon qu'il a interrogé n'est pas représentatif. Kinsey* avait admis le chiffre de 10 % de population homosexuelle, ce qui paraissait pour les politiques un enjeu important, alors que les dernières estimations tourneraient autour de 2,40 ou 2,50 %. Il y a là une différence qui demande à être travaillée.

Là où je ne suis pas d'accord avec vous, par contre, c'est que tous les cas que vous rapportez sont des cas où il y a malgré tout un repérage par rapport à un couple de parents de sexe différent. Monsieur Dubreuil a cité un exemple dans son livre : il a un enfant avec un couple de lesbiennes, il vit à côté, ils se voient. Je ne vois pas en quoi cela est fondamentalement différent de ce qui se passe pour certains couples divorcés. On ne peut donc pas dire que cela soit un couple effectivement homosexuel.

D'autre part, beaucoup de lesbiennes vivant en couple conservent, quand il s'agit d'un divorce, des relations avec l'ex-mari, le père des enfants, plus proches d'ailleurs que s'il s'agissait d'une rupture après un divorce hétérosexuel, ce que l'on comprend parfaitement. S'il y a un autre amant, le mari disparaît, alors que, dans la mesure où il n'y a pas d'autre homme, le premier mari reste présent. Il est donc très difficile, à ce moment-là, de dire qu'il s'agit d'enfants élevés uniquement par des femmes. Je crois que là on se trouve devant des configurations militantes où la réalité est très différente quand, en effet, on rencontre des gens qui parlent dans l'intimité.

Je ne crois pas non plus (sur ce point, je vous suivrai) qu'on puisse ramener les difficultés à une orientation idéologique ou politique, ou quelle qu'elle soit. La réalité est beaucoup plus complexe. Mais il n'y a pas d'enfant qui, actuellement, sur terre, ne puisse dire qu'il a un père et une mère. Même dans les cas d'insémination artificielle avec donneur pour des couples de lesbiennes, on s'aperçoit que la question du donneur reste toujours posée, et que les enfants font des recherches pour savoir qui est leur père.

Le seul point sur lequel j'insiste, c'est l'incapacité à donner une filiation homosexuelle. C'est là un déni de tout ce que nous sommes en tant qu'hommes.

M. Patrice Gélard, rapporteur.- Nous avons eu des informations selon lesquelles des femmes homosexuelles élèveraient des enfants ; il n'y aurait pratiquement pas d'hommes homosexuels ayant la garde d'enfants, qui élèveraient les enfants. Ils voient leurs enfants, ils se rencontrent, mais ils ne les élèvent pas quotidiennement comme pourrait le faire la mère. Est-ce exact ?

Mme Geneviève Delaisi.- Je ne sais pas, je n'ai pas de chiffres. Je crois que c'est certainement beaucoup plus rare que les femmes, mais je n'ai pas de chiffres. Peut-être que des gens dans l'assistance ont des chiffres ?

M. Samuel Lepastier.- Toutes les études portent effectivement sur des femmes homosexuelles. Par contre, il me semble que... J'ai eu un exemple quand j'étais interne. C'est le premier cas que j'ai vu, en 1974. C'était un enfant psychotique qu'on avait en psychodrame, qui était en effet élevé par un couple d'hommes homosexuels. C'est mon seul exemple.

Mme Geneviève Delaisi.- Il faut se référer à la clinique, et là je renvoie aux travaux de cette équipe belge, dont je tiens d'ailleurs la bibliographie à votre disposition.. Cette équipe accueille des demandes de mères célibataires lesbiennes et de couples lesbiens depuis 1981. Ils publient très régulièrement.

Leurs travaux les plus récents, parus dans Thérapies familiales l'an dernier, montrent qu'ils ont plutôt évolué dans leurs pratiques. Au départ, ils étaient très neutres. Cette équipe de l'ULB est une équipe laïque, plutôt d'appartenance franc-maçonne. Ils accueillaient les deux types de demandes. Les années passant, ils se sont rendu compte, avec le suivi des enfants nés, que les enfants nés de mères célibataires lesbiennes n'allaient pas très bien, et qu'en revanche les enfants nés dans un couple de femmes homosexuelles stable ne présentaient pas de problèmes particuliers. Au point que, depuis l'année dernière, ils n'acceptent quasiment plus de demandes de mères célibataires. Par contre, ils sont beaucoup plus ouverts sur la question des demandes de couples, avec tout un screaning *. D'ailleurs, ils renvoient à des travaux très connus : Patterson, Susan Golomboc qui est une anglaise, Kirk Patrick 81, etc. Tous ces travaux montrent que les enfants de deux mères homosexuelles n'ont pas plus de problèmes émotionnels que les autres. La bibliographie est importante, et il est intéressant de la consulter, surtout qu'elle est publiée aussi en français.

M. Samuel Lepastier.- Justement, c'est le type même de la fausse information. Les travaux de Patterson* ne font que reprendre constamment les mêmes articles, qui disent toujours la même chose. C'est toujours la même méthodologie, qui peut être critiquée.

Vous pourrez dire que c'est une querelle d'école, mais ce n'est pas exact. Nous manquons de recul pour savoir ce que deviendront les enfants de mères inséminées artificiellement. L'insémination ne date pas de plus d'une vingtaine d'années. La schizophrénie, par exemple, se déclare dans les vingt premières années de la vie. On n'a pas le temps de savoir ce qu'ils deviendront. Bien entendu, on a des critères consistant à dire qu'ils se développent bien. Il est tout à fait remarquable que, dans toutes ces études, le critère sur lequel on insiste est : les enfants ne souffrent-ils pas d'être rejetés par les autres ?

Cela me paraît tout à fait secondaire ; après tout, on n'a jamais dit que les Noirs ne devaient pas faire d'enfants.

L'autre point tout à fait étonnant est qu'on insiste constamment sur le fait que, dans ces articles, il n'y a pas plus d'enfants homosexuels que dans la population globale. De deux choses l'une : ou l'homosexualité n'est pas un problème, et on ne voit pas pourquoi il faudrait citer cette proportion. Normalement, si on élève bien ses enfants, si on est à l'aise avec ce qu'on fait, on doit avoir des enfants comme soi. Ou bien alors, effectivement... Il y a quelque chose d'illogique, là.

En outre, au niveau de l'expérience la plus immédiate, on sait bien qu'être un homme ou être une femme, ce n'est pas la même chose, et que, justement, les homosexuels le savent puisqu'ils ne sont pas capables, ou ils ne veulent pas, changer de sexe de partenaire. Pour un homosexuel, aller vers quelqu'un d'un autre sexe que le sien n'a pas forcément le même intérêt qu'aller avec un partenaire du même sexe que lui.

Alors on ne voit pas pourquoi ce qui compte pour les adultes ne compterait pas pour les enfants. Je répète que ce n'est pas simplement la triangulation qui est en cause, mais bien la réalité anatomique. La fonction paternelle et la fonction maternelle peuvent changer selon les sociétés, selon les cultures, mais le corps de l'homme et celui de la femme ne changent pas. On ne peut pas faire comme si on était un homme, ou comme si on était une femme.

M. Jacques Larché, président.- Madame, puisque vous êtes une femme...

Mme Geneviève Delaisi.- Merci de votre discrimination en ma faveur. Je ne veux pas du tout allonger le débat ; je voudrais juste faire un commentaire sur l'insémination artificielle avec donneur. Je me permets de renvoyer à ce que j'ai dit sur les familles atypiques : je n'ai pas dit que les enfants de couples homosexuels n'avaient pas de risques de devenir des enfants à risques psychiques. Je crois qu'ils en ont autant que ce à quoi on a assisté à travers cette expérimentation qui est pourtant avalisée par la loi, notamment la loi bioéthique, qui consiste à mettre au monde des enfants sans père, par insémination artificielle avec donneur anonyme. Le don d'ovocytes pose problème, et le don d'embryons en pose encore plus.

Je pense donc qu'il faut repenser les choses à travers l'ensemble de cette clinique, et non pas en stigmatisant les risques des enfants des couples homosexuels. Ces risques existent, mais comme pour les autres. Et ne parlons pas de l'accouchement sous X, qui pose tout à fait le même genre de problèmes. Merci de m'avoir laissé conclure.

M. Jacques Larché, président.- Mes chers collègues, y a-t-il d'autres questions ? (non)

Ces exposés ont été extrêmement intéressants. Nous n'attendions pas une réponse juridique, mais un éclairage psychologique profond.

Il est 12 heures 50. Nous reprendrons à 14 heures. J'indique que nous recevrons cet après-midi l'association dont M. Dubreuil est le président.

- La séance est levée à 12 heures 55.

La séance est ouverte à 14 h 05.


5) Audition de :

- M. Denis Quinqueton, secrétaire général - Collectif pour le contrat d'Union sociale et le pacte civil de solidarité

- Mme Marguerite Delvolvé, présidente de l'association pour la promotion de la famille - Collectif pour le mariage et contre le PACS (génération anti PACS)

- M. Xavier Tracol, avocat - Collectif pour l'union libre

- Mme Renée Labbat, présidente - Union nationale des groupes d'action des personnes qui vivent seules (UNAGRAPS)

M. Jacques Larché, président.-
Nous reprenons nos travaux. Nous entendrons Monsieur Quinqueton, Secrétaire Général du Collectif pour le Contrat d'Union sociale et le Pacte Civil de Solidarité, Madame Delvolvé, Présidente de l'Association pour la Promotion de la Famille, Maître Tracol, avocat, et enfin Madame Labbat, Présidente de l'Union nationale des Groupes d'Action des personnes qui vivent seules.

M. Denis Quinqueton.- On reproche beaucoup de choses au PACS mais essentiellement ce qu'il n'y a pas dans le texte. Je reviendrai donc sur ce qu'il y a dedans.

La réflexion du PACS est née de l'observation des évolutions de la Société qui nous entoure, à savoir une diminution du nombre de mariages mais une augmentation du nombre de personnes vivant en concubinage, une demande de reconnaissance de la part des personnes vivant en couple homosexuel, et une nécessité de prendre en compte aussi des duos de solidarité qui se forment ici ou là, composés de façon variable, famille, fratrie, mais qui comme d'autres groupes forment la société française.

La question posée était de savoir s'il était possible, en respectant la diversité de ces situations et des symboliques qui les accompagnent, de trouver un statut unifiant qui réponde sur le plan juridique aux problèmes rencontrés par toutes ces personnes. La réponse a été positive et a débouché sur le Contrat d'Union sociale et qui s'appelle maintenant le PACS.

La symbolique du PACS est avant tout celle du lien social, c'est-à-dire permettre d'organiser la vie à deux dans toutes les situations que j'évoquais précédemment. Il est très vite apparu que ce n'était pas possible à faire par des mesures éparses, des modifications ici ou là de textes de loi et qu'il y avait plutôt nécessité de s'acheminer vers un véritable statut même si une des premières mesures a été l'adoption fin 1992 par le parlement de la possibilité d'être ayant-droit pour la Sécurité Sociale.

Par ailleurs, nous avons sollicité et obtenu de nombreux maires qu'ils délivrent des certificats de vie commune quel que soit le sexe des personnes qui se présentent, couvrant en cela une population de plus de 10 millions d'habitants.

A ce sujet, je voudrais faire une parenthèse et vous indiquer, pour renforcer à mon sens la nécessité de légiférer autour du PACS, que sur une commune de 25 000 habitants de la région parisienne, que je connais bien pour des raisons professionnelles, pour 100 mariages célébrés en une année, le maire signe 80 certificats de vie commune. Il est vrai qu'il ne faut pas poser une compétition entre le mariage et d'autres formes de vie, cela n'a que peu de sens, mais cela donne une proportion quant à l'ampleur du problème à régler.

Lorsque l'on en arrive à ce niveau, on ne peut pas se contenter de dire "les personnes n'ont qu'à se marier", il y a là à l'évidence un vide à combler surtout que les 80 certificats de vie commune ne correspondent pas à des droits précis, ils ont une utilité bâtie sur la jurisprudence mais qui n'est pas légale.

Un mot sur la démarche pour dire qu'elle est particulière puisque c'est un projet qui est né de la Société. Lorsque dans notre pays nous cherchons à réformer nous nous retrouvons face à quatre types de public :

- ceux qui font la Loi,

- ceux qui sont élus par le peuple pour cela,

- divers spécialistes, en l'espèce les sociologues, les juristes,

- les personnes qui vont vivre avec tout cela.

On peut être juriste, parlementaire et citoyen mais il nous a semblé qu'il était utile de rassembler toutes ces personnes et de ne pas faire une loi de spécialistes, parce qu'il y aurait peut-être manqué des éléments très concrets, mais il ne faut pas jouer la base contre l'élite. Il n'y a pas de démagogie dans mon propos, mais le but est d'arriver à faire admettre qu'une Loi pouvait naître dans la société, être portée par le monde politique et finalement trouver son aboutissement à la suite d'un débat parlementaire le plus riche possible.

En tout cas, c'est comme cela qu'est né le Contrat d'Union Civile, qui s'est appelé Contrat d'Union sociale par la suite pour finir par Pacte Civil de Solidarité. Pourquoi Pacte Civil de Solidarité ? Je ferai un détour par la récente proposition d'un Contrat d'Union Libre dont la grivoiserie nous a laissé rêveurs si on s'en réfère aux initiales.

Du Pacte Civil de Solidarité nous avons retenu le pacte de la proposition du professeur Jean Hauser qui parlait d'un Pacte d'Intérêt Commun. Sur le fond nous avons préféré retenir les valeurs de solidarité plutôt que les valeurs d'intérêts communs car l'idée de solidarité paraissait beaucoup plus positive et en tout cas politiquement plus intéressante à mettre en avant que l'idée d'intérêts communs si on s'en réfère à l'ambiance générale de la Société.

On observera d'ailleurs que, par exemple à l'occasion du début de campagne pour les élections européennes, le PACS est déjà entré dans le langage courant puisqu'on parle de PACS entre tel et tel leader politique pour faire une liste commune, ce qui évidemment ne nous engage absolument pas.

La proposition du Ministère concernant les modalités est de signer le PACS en mairie. Pourquoi en mairie ? La symbolique était assez secondaire puisqu'on s'adressait à une série de situations variées mais surtout la mairie est l'endroit le plus proche de tout le monde, il y en a un peu plus de 36 000 en France, de fréquentation courante. On y va pour inscrire ses enfants au centre de loisirs, inscrire ses enfants à la cantine, demander un permis de construire, faire une déclaration de travaux. C'est un endroit familier de nos concitoyens, c'est aussi l'endroit où l'on se marie, dès lors pourquoi pas l'endroit où l'on signe un PACS.

Il y a eu quelques réactions un peu vives sur cette question, passer à la préfecture paraissait un autre endroit possible. Faut-il avoir si peu confiance dans les Lois de la République pour redouter qu'en Préfecture on établisse des fichiers des personnes qui viendraient signer un PACS ? Ce peu de confiance dans l'avenir de la République m'a fait un drôle d'effet puisqu'on a fait référence à ce qui pouvait se passer par la suite. Ceci dit, on termine sur le Greffe du Tribunal d'Instance qui paraît être un endroit acceptable dans la mesure où il présente les garanties d'indépendance qui entourent heureusement le monde judiciaire.

Si le PACS est exclusif d'un autre PACS et d'un mariage, il ne me paraît pas forcément intéressant d'en exclure d'autres personnes que les ascendants et les descendants parce que sur la base de l'expérience associative et personnelle des centaines de militants du Collectif, nous avons eu de nombreux témoignage de fratries qui étaient intéressées, qui pouvaient inscrire leur vie dans le PACS sans pour autant se livrer à l'inceste.

Dans une discussion un peu plus récente, des associations d'adultes handicapés nous faisaient aussi remarquer que ce statut les intéressait vivement parce que la situation des adultes handicapés, lorsque les parents décèdent, est extrêmement difficile. Les institutions pouvant les accueillir sont rarissimes en France, l'autonomie de vie est totale et évidemment problématique suivant le niveau de handicap.

On se trouve dans une situation à laquelle on n'avait pas forcément songé au début mais qui élargissait le public visé par le PACS et qui ne nuisait en rien à la cohérence de l'ensemble, la cohérence de l'ensemble étant la solidarité, valeur utile à porter par les temps qui courent.

Pour ce qui est de la rupture, l'idée des rédacteurs du premier projet du contrat d'union civile, qui se retrouve dans la version finale du PACS, est de mettre fin à la répudiation telle qu'elle peut être pratiquée actuellement puisque les couples non mariés évoluent dans une zone de non-droit.

Tout cela était basé sur des témoignages et peut-être avez-vous eu affaire dans vos permanences à des personnes fort dépourvues parce que le concubin ou la concubine était parti en emportant les biens et en laissant les dettes. C'est la répudiation au sens où on peut l'entendre dans la Société aujourd'hui.

Nous voulons donc mettre fin à cette situation d'où l'idée de trouver un système qui concilie à la fois la liberté de chacun et la protection du plus faible avec une possibilité de rupture bilatérale ou unilatérale et un recours au juge s'il y a désaccord entre les deux co-pacsants.

On peut noter au passage que les instances de médiation, pas seulement pour le PACS, auraient intérêt à se développer. Sur le contenu, le PACS s'appuie sur des droits et des devoirs formant une espèce de couple indissoluble dans un pays républicain. L'idée de donner des droits sans impliquer de devoirs me paraît un peu dévalorisante pour la Fonction Publique et pour les personnes à qui nous nous adressons.

Quels sont les devoirs ?

Ils sont l'aide mutuelle, l'aide matérielle et la solidarité pour les dettes contractées pour les besoins de la vie courante. Ceci paraît propre à régler beaucoup de situations rencontrées hors PACS qui pouvaient devenir dramatiques.

Les droits concernant l'imposition commune : nous pouvons nous lancer dans des calculs pour savoir si c'est avantageux ou non, combien cela va coûter, cela dépend essentiellement de la situation des personnes ; suivant leur différence de salaire, leur niveau de revenus les choses varient grandement.

L'autre élément concerne les droits de succession. Là aussi, il est important de permettre à quelqu'un avec qui on a passé une partie de sa vie, à quelque titre que ce soit, de pouvoir laisser une partie de ses biens sans pour autant démunir les héritiers, notamment les héritiers réservataires.

Par ailleurs, le PACS permet d'être ayant-droit pour la Sécurité Sociale, permet le rapprochement des fonctionnaires, permet l'ouverture aux droits aux congés spéciaux, permet l'accès aux droits du conjoint de chef d'entreprise. Tout cela forme à notre sens un ensemble cohérent et minimum.

Il ne semble pas que l'on ait cédé à ce que l'on appelle "le syndrome du train électrique". Lorsque vous offrez un train électrique à un enfant vous lui offrez les rails, les locomotives, les wagons et l'année suivante vous lui offrez la vache pour regarder le train, un passage à niveau, un aiguillage, une gare.

Nous avons essayé de nous borner à une sorte de corpus minimum, mais suffisant et cohérent, qui permette de régler très concrètement les situations que nous avons rencontrées au cours des huit années d'existence du Collectif puisque ces huit années ont constamment nourrit la réflexion commune.

Je dirai un mot sur l'intérêt des enfants parce que cela a été l'un des sujets beaucoup abordé ces derniers temps. J'aurais tendance à dire que le statut d'enfants ayant des parents qui vivent dans le cadre d'un statut juridique clair et stable me paraît plus équilibré pour eux que d'avoir des parents qui sont dans une situation beaucoup plus précaire, ce qui est le cas actuellement et qui peut amener des drames et des moments difficiles. En se plaçant du point de vue de l'enfant, même si l'enfant n'est pas cité dans le PACS, il me semble que le PACS est plutôt une chose positive.

Un dernier mot sur les délais.

En France, lorsqu'on fait une loi on a toujours une petite inquiétude consistant se demander de quelle inventivité vont faire preuve nos concitoyens pour arriver à détourner la Loi à leur avantage. Ces délais sont là, ils ne sont pas du tout décourageants, ils nous paraissent acceptables, d'autant plus que notamment dans des situations particulières de grande détresse comme celle des personnes atteintes de maladies graves dûment repérées par le Code de la Sécurité Sociale, ces délais sautent. Je dirais que l'essentiel est préservé.

Je voudrais également regretter l'extrême politisation du débat. Le terme politique possède deux sens, c'est à la fois l'organisation de la vie de la cité et ce sont les choses qui se disent au Parlement et en dehors qui sont parfois très centrées sur le fond du débat, parfois à la marge et un peu polémiques.

Plusieurs parlementaires de l'actuelle opposition nous avaient apporté leur soutien, je pense à Monsieur Gaudin qui avait fait preuve d'assez peu d'ambiguïté et Monsieur Pasqua qui avait été un peu plus réservé mais assez ouvert à la question. Nous pouvons peut-être craindre une radicalisation, ce qui est dommage pour un projet concernant la vie quotidienne de quelques millions de nos concitoyens.

Si nous devons retenir quelque chose du PACS c'est qu'il ne donne pas d'avantages mais qu'il retire des inconvénients. Il n'impose pas un cadre à la place d'un autre, il en propose un à côté de l'autre, et à côté de ceux qui ne voudront vivre ni dans le mariage ni dans le PACS.

Je conclurai par une boutade en vous indiquant, sans provocation de ma part, que les auditions vont se poursuivre d'une certaine façon, non pas sur l'initiative du Sénat mais sur l'initiative du Collectif qui réunit son congrès comme tous les ans et qui poursuivra le débat de fond sur la question du PACS en écoutant notamment les interventions d'un père jésuite, d'un mufti de Marseille et d'un représentant du grand Orient de France...

M. Jacques Larché, président.- Vous comprenez que le Sénat n'est en rien hostile à la poursuite des débats. Rien ne vous interdit de continuer.

La parole est à Mme Marguerite Delvolvé.

Mme Marguerite Delvolvé.- Je vous remercie d'avoir invité le Collectif pour le mariage et contre le PACS à s'exprimer devant vous aujourd'hui. L'importance de l'opposition à cette proposition de loi d'une exceptionnelle gravité a été minimisée à tort.

Vous avez parlé des quelques maires qui donnent des certificats de vie commune, pourtant 20 000 maires sur 36 000 se sont déclarés opposés à leur implication "en tant qu'officiers d'état civil, dans la célébration d'un contrat de ce genre ". Ces élus ne représentaient pas qu'eux-mêmes et la presse a essayé de minimiser cet impact. Ne pas les écouter serait un mépris des institutions républicaines et je pense qu'il est d'une très grande gravité de prendre à la légère cette manifestation de la volonté populaire. A la limite, la démocratie est en jeu parce qu'il s'agit là de l'expression d'une volonté très profonde.

Les députés de la majorité eux-mêmes ont manifesté leur manque d'enthousiasme lors de la discussion à l'Assemblée Nationale, le 9 octobre. Parce que le débat est de plus en plus passionné et obscur, que l'on essaie de le réduire à un clivage droite/gauche, les opposants au PACS ont constitué un Collectif pour tirer la sonnette d'alarme.

Ce Collectif est très divers, ce sont des citoyens de tous horizons, ils représentent la majorité silencieuse. Hommes et femmes de tous bords, étudiants, actifs ou retraités, croyants ou athés, ils se sont joints aux 20 000 maires de toutes couleurs politiques qui ont signé en faveur du mariage républicain.

C'est un mouvement de réveil et d'expression de l'opinion. Ils sont descendus dans la rue le 7 novembre, justement avec le sentiment de ne pas être entendus et de ne pas être pris au sérieux et je vous annonce qu'ils recommenceront le 31 janvier, cette fois-ci beaucoup plus nombreux, avec le retrait du PACS comme objectif. Ils ont décidé de barrer la route au PACS qui est un projet trompeur et destructeur.

Le PACS est un projet trompeur et ce qui révolte le plus les citoyens est le fait d'avoir été trompés sur le véritable objectif de cette revendication. Le PACS est représenté comme un acte de solidarité, c'est doublement faux par rapport aux " non pacsés " et pour les " pacsés " eux-mêmes.

Pour les non-pacsés il organise des privilèges, notamment fiscaux, pour les duos, aux dépens des 7 millions de célibataires et au dépend des familles, au moment même où sont limités les avantages fiscaux des familles au prétexte qu'elles seraient trop favorisées.

S'il s'agit de permettre d'établir la solidarité entre personnes ayant un projet commun de vie, pourquoi la limiter à des duos, alors que des trios, des quatuors, des quintettes et groupes plus nombreux peuvent avoir des intérêts communs parfaitement respectables et qui méritent protection. Or, ils sont exclus des avantages ouverts par le PACS.

C'est également un projet trompeur pour les pacsés eux-mêmes. Pendant la durée du PACS, les partenaires sont responsables des dettes contractées par l'autre, sans aucune garantie ; les biens acquis en commun sont soumis au régime de l'indivision qui est le plus mauvais régime qui soit. Ces risques seront amplifiés à la fin du PACS.

Ce qui a beaucoup choqué c'est que la fin du PACS peut être décidée par l'un des partenaires unilatéralement, sans contrôle et sans contrepartie. Je ne vois pas comment vous pouvez défendre la solidarité et la protection avec cette mesure qui, pour nous les femmes en particulier, tombe comme un couperet. En droit romain la répudiation était mise en parallèle avec le divorce, JUVENAL en parlait dans sa satire, il disait des choses étonnantes, je cite : " Va-t-en, tu as le nez qui coule, j'en attends une autre qui a le nez plus sec que toi. " Ainsi pour un prétexte futile il la chasse. C'est purement et simplement le système de la répudiation, système archaïque et brutal, où s'exprime la loi du plus fort. Où est la solidarité ?

Au-delà de chacune de ces tromperies, se cache l'essentiel : la reconnaissance officielle du couple homosexuel par la formule de l'article 515-1 : " un PACS peut être conclu par deux personnes physiques de sexe différent ou de même sexe, pour organiser la vie commune " . C'est surtout cela que nous n'acceptons pas. C'est en cela, par cette différenciation des couples hétérosexuels et des couples homosexuels, qu'il est destructeur.

Le PACS est présenté comme une nouvelle organisation sociale. En réalité, il est destructeur du lien social à deux titres :

- il détruit le mariage républicain,

- il détruit la cellule familiale.

Le PACS est destructeur du mariage républicain car le mariage civil, seul reconnu par la République, est facteur d'unité au-delà de la diversité des croyances, des cultures, des modes de vie, il est facteur d'unité nationale et d'intégration, comme le soulignent les familles musulmanes qui nous ont rejoints. Je pense que pour la femme musulmane c'est une chance d'avoir accès au mariage républicain mais on ne peut nier non plus les valeurs essentielles de l'islam qui vous ont été exprimées ce matin, cet attachement viscérale au mariage. Ils reçoivent comme une claque à leur propre culture cette proposition de mariage homosexuel.

Un autre danger a été soulevé ce matin, à savoir que le PACS ouvre la voie à la multiplicité des statuts conjugaux : chaque communauté réclamera son propre système de mariage (selon le Droit canonique, le Droit rabbinique, le Droit coranique, etc). Il ne sera pas possible de le refuser dès lors qu'une "communauté " se présentant comme telle, aura obtenu son propre statut de "vie commune ". A terme, nous passerons de l'unité nationale à la juxtaposition de communautés (comme dans certains pays).

Le PACS est également destructeur de la cellule familiale. L'adoption du PACS contribuera à la perte des repères pour une jeunesse déjà désorientée, à la disparition de modèles auxquels se référer. Le spectacle que nous avons actuellement de ces débordements de violence et de ces difficultés de la jeunesse à se situer doit faire réfléchir les Collectifs sur une mesure dont les conséquences sont prévisibles et non pas imprévisibles car nous en subissons déjà les conséquences. Ce n'est vraiment pas le moment.

Le PACS met en cause la place de l'enfant dans la famille. Actuellement, l'enfant est le grand absent du projet et du débat, alors qu'il est au coeur de la cellule familiale. D'ailleurs peu à peu les langues se sont déliées et personne ne cache plus son jeu. L'étape suivant le PACS sera l'adoption d'enfants par les homosexuels. Monsieur Jean-Pierre Michel l'a dit expressément : " Le PACS évoluera forcément un jour ou l'autre pour intégrer les aspects d'adoption " (La Croix, 12 septembre 1998). Monsieur Jack Lang l'a dit aussi : " Nous avons compris que si nous voulions faire de profondes réformes, il nous fallait rechercher un compromis. Nous avons décidé, avec le Gouvernement, de ne pas poser la question de l'adoption, mais elle se posera fatalement ! " (France Soir 18 septembre 1998).

C'est insupportable, nous ne pouvons pas partir sur une discussion en trompant les citoyens sur la réelle question qui se pose à la Société, qui se pose au législateur.

En conclusion, je dirai que le PACS viole les principes fondamentaux de l'organisation sociale et, sur le plan juridique, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République - les juristes savent de quoi il s'agit - en institutionnalisant l'homosexualité.

Le fait de l'homosexualité est une chose, les personnes homosexuelles sont des citoyens ordinaires et ont les mêmes droits que nous tous, mais l'institutionnalisation de l'homosexualité est une chose impossible.

Jusqu'à présent, le couple, que ce soit dans le mariage selon le Code Civil, ou hors mariage pour certaines dispositions sociales, était par essence hétérosexuel. En reconnaissant officiellement le couple homosexuel, le législateur détruirait une composante fondamentale de la structure sociale, et par-là même, de l'ordre constitutionnel.

Quoi qu'on en dise notre Droit a toujours eu en vue de faire de la famille dans le mariage la cellule de base de la Société à qui, selon la Constitution, la Nation doit assurer les conditions nécessaires à son développement. Reconnaître un autre contrat de communauté de vie, même réduit à la plus simple expression, c'est toucher à nos principes constitutionnels que ce soit au sens juridique de ce terme ou au sens sociologique puisque c'est le socle de la Société qui est en cause.

Le projet de réforme conduit ainsi à un choix fondamental qui ne pourrait être fait que par la voie d'une révision préalable de la Constitution.

La parole est à M. Xavier Tracol.

M. Xavier Tracol - Nous avons récemment créé le Collectif pour l'union libre afin de prendre en compte le concubinage en tant que tel.

Je réagis aux propos qui viennent d'être tenus par l'intervenant au nom du Collectif pour le PACS qui présente cette proposition comme provenant de l'observation des évolutions sociales. Je dirais que dans ce cas les évolutions sociales ont été mal observées car depuis environ une trentaine d'années en France il n'y a pas de volonté de fond de la Société de créer un nouveau contrat qui se situerait comme il est présenté, de manière erronée d'ailleurs, comme étant à mi-chemin entre le mariage et le concubinage. Depuis une trentaine d'années, le nombre de couples non mariés a en effet considérablement augmenté. Plus de 4,2 millions de personnes sont aujourd'hui concernées par ce mode de vie. Parallèlement, le nombre de divorces s'est accru, et un tiers des enfants naît aujourd'hui hors mariage.

Nous considérons que la fonction de régulation des rapports sociaux dévolue au Droit l'amène à prendre en compte ces évolutions sociologiques.

Or une évolution sociale et juridique amorcée depuis plusieurs années tend à accorder des droits aux couples hétérosexuels non mariés. Ces droits sont actuellement limités au transfert de bail en cas de décès ou de départ du partenaire seul titulaire du contrat, à l'assurance maladie-maternité, au bénéfice du capital décès de la Sécurité Sociale, à la déduction des frais réels de transport en Droit fiscal, et enfin aux avantages sociaux issus du Code du Travail et des conventions collectives.

Nous saluons les dispositions du décret du 28 décembre 1998, qui entrera en vigueur le 1 er mars prochain, modifiant le Code de l'organisation judiciaire et le nouveau Code de procédure civile, qui prévoient que le concubin peut assister ou représenter les parties devant le Tribunal d'Instance et le juge de l'exécution au même titre que le conjoint.

Le rapprochement entre le régime juridique appliqué aux conjoints et aux concubins, et par conséquent entre les situations de couples, indépendamment du sexe des partenaires, aurait pu être poursuivi. Le choix de la proposition de Loi relative au Pacte Civil de Solidarité a cependant instauré un cadre juridique incohérent et un statut inadapté aux concubins. Celui-ci comporte le risque non négligeable non seulement de mettre fin à cette évolution, mais également de renier les droits déjà accordés.

Le PACS est présenté de manière erronée, voire de manière trompeuse, comme un mode de reconnaissance du concubinage octroyant des droits pour les concubins. Nous proposons à la place du PACS, une reconnaissance sociale et légale du concubinage aux lieux et places de cette union de seconde zone qu'il vous est proposé d'instaurer et de rattacher les droits conséquents par une proposition généreuse directement à ces situations de couple qu'est l'union libre.

Avec cette proposition de PACS, l'union libre est en fait renvoyée dans le non Droit. La phrase prononcée il y a deux siècles par Napoléon Bonaparte, qui a affirmé "les concubins ignorent le Droit, le Droit ignore les concubins " risque malheureusement de conserver toute son actualité.

Nous déplorons que le PACS hésite continuellement entre une logique de contrat et une logique de simple constat.

D'une part, sa validité suppose l'échange des volontés des partenaires. L'accord privé est ainsi formalisé par une inscription officielle au Greffe du Tribunal d'Instance qui fournit une date certaine à cette union.

D'autre part, le bénéfice des droits est subordonné à des délais de carence, qui en font un pseudo-contrat avec mise à l'épreuve de la stabilité du couple. Les délais de carence sont concevables dans le cadre de droits découlant d'une situation de fait, mais non dans le cadre d'un contrat qui implique le bénéfice de droits dès son entrée en vigueur.

Le PACS nous introduit dans l'univers du surréalisme juridique du "contrat", pour reprendre le terme employé par Irène Théry dans la revue Le banquet d'octobre 1998. Les partenaires se trouvent dans la situation étrange où leur engagement formel est exigé, et où la valeur de cet engagement est niée !

Le Collectif pour l'union libre propose d'instituer légalement une reconnaissance juridique véritable du concubinage, qui constitue un enjeu majeur pour l'amélioration des conditions de vie de plusieurs millions de citoyens. Une telle réforme, dictée par les impératifs de l'évolution sociologique du pays et le souci d'un égal accès de chacun à la protection de la Loi, sans discrimination, ne saurait être qu'à l'honneur de la tradition juridique française.

Par cette réforme, il ne s'agit pas de donner un cadre légal contraignant au concubinage. Le concubinage est, par essence, une union de fait, en opposition au mariage qui est une union de Droit.

C'est la raison pour laquelle, afin de respecter les valeurs intrinsèques de ce mode de vie, nous avons pris position en faveur de l'inscription de l'union libre dans le Code Civil. Nous demandons également que le PACS, soit transformé en un mode de preuve parmi d'autres du concubinage, et conçu comme un certificat légal de concubinage.

Nous proposons de l'amender dans le sens d'un acte officiel de publicité de la cohabitation et de l'union libre. Cette proposition permettrait de constater la durée de vie commune en vue d'une institutionnalisation du concubinage.

Nous demandons que le PACS entraîne le bénéfice de droits substantiels au profit de l'ensemble des couples hétérosexuels et homosexuels vivant en union libre depuis une certaine durée, du simple fait de la communauté de vie et de la durée de vie commune, reflet d'une solidarité de fait.

Nous suggérons que les quelques droits dont bénéficient actuellement les concubins hétérosexuels soient étendus aux concubins homosexuels, et que ces droits soient augmentés.

En premier lieu, nous proposons d'aligner la situation juridique des couples de même sexe sur le régime actuellement appliqué aux couples hétérosexuels non mariés. Cette extension permettrait de contourner législativement la jurisprudence restrictive de la Cour de Cassation, qui a estimé, à deux reprises (Chambre sociale, 11 juillet 1989 ; 3 ème chambre civile, 17 décembre 1997), qu'une relation entre deux personnes de même sexe ne pouvait pas être créatrice de droits.

L'accès des concubins homosexuels aux mêmes droits que les couples hétérosexuels non mariés implique que le même traitement leur soit appliqué en termes de charges. Les avantages sociaux et fiscaux, dont ils peuvent actuellement bénéficier du fait de leur condition juridique de célibataires, notamment l'allocation de parent isolé et l'allocation de soutien familial, doivent par conséquent être supprimés.

Ce préalable posé, des droits supplémentaires doivent être accordés à l'ensemble des concubins, de manière à remédier aux situations les plus délicates auxquelles les confronte leur vie hors mariage. Ces droits nouveaux concernent tant les rapports privés qu'ils ont entre eux que ceux qu'ils entretiennent avec des tiers.

Quant aux rapports internes au couple, les concubins doivent, tout d'abord, être libres d'organiser comme ils l'entendent les rapports matériels qui les lient l'un à l'autre. Cette faculté leur ouvrirait la possibilité soit de demeurer dans la situation actuelle d'inorganisation juridique, soit d'opter pour un régime de biens contractuel. Il serait également utile de prévoir une présomption d'indivision, conçue comme une règle de preuve sur l'ensemble des biens meubles acquis durant la vie commune.

Or, le PACS retient le principe de l'indivision en tant que règle de fond, comme régime légal des biens meubles ou immeubles acquis à titre onéreux par les partenaires après la conclusion du PACS, sauf stipulation contraire dûment précisée dans l'acte d'acquisition. Il s'agit en fait des biens acquis à titre privatif et c'est l'un des torts de la proposition puisque mis à part les nombreux problèmes pratiques qui risquent de découler du principe d'indivision qui a été retenu, il y a un problème de principe qui est posé et qui a notamment été dénoncé par Monsieur Claude Goasguen à la Commission des Lois de l'Assemblée Nationale. La proposition de loi institue par conséquent une présomption de propriété pour moitié.

Aucune possibilité d'alternative à ce régime n'est possible. Le partenaire souhaitant acquérir un bien en pleine propriété peut mentionner dans l'acte d'acquisition qu'il en est l'unique propriétaire. Ce système est foncièrement communautaire, en contradiction avec la logique de l'union libre, où la règle applicable est la séparation de biens, faute de possibilité de régime matrimonial.

Il constitue de plus une entrave à la liberté de disposer car en Droit français, aucun indivisaire ne peut donner ou vendre un bien commun sans l'accord de l'autre.

Dans le même état d'esprit, la logique du concubinage implique par essence l'absence d'engagement et la totale liberté des individus, ce qui s'oppose à faire du concubin un héritier légal. Chaque partenaire doit cependant être libre d'instituer l'autre comme héritier par testament. Cette faculté, qui existe déjà en Droit civil français, est aujourd'hui contrée par la ponction fiscale extrêmement lourde qui pèse sur les couples non mariés (60 % d'imposition, pour un abattement limité à 10 000 F).

Il est donc indispensable de réformer cette législation, de manière à ce quelle tienne compte de la réalité sociale et économique que constitue l'union libre. Dès lors, une assimilation entre époux et concubins s'impose, tant pour les abattements que pour l'imposition par tranches.

Dans le cadre du PACS, la peur de la fraude a entraîné l'adoption d'un régime juridique incongru. Un délai de deux ans est ainsi nécessaire pour bénéficier d'une imposition réduite entre partenaires, sauf si le donateur ou le testateur est atteint d'une affection de longue durée (cancer ou infection à V.I.H.). Cela suppose la levée du secret médical vis-à-vis de l'Administration fiscale, qui est en soi discutable.

Cette mesure engendre une discrimination en raison de l'état de santé du disposant. En cas de décès accidentel, le partenaire doit ainsi payer des droits de succession plein tarif. Or, les conséquences matérielles du décès pour le survivant sont les mêmes dans les deux cas. Au cas où le partenaire en bonne santé décéderait en premier, le malade doit s'acquitter de droits de succession exorbitants, et, ce, même si son compagnon subvenait à ses besoins.

En conclusion sur ce point, la suppression pure et simple du délai de carence nous semble être la seule solution pour les droits de mutation à titre gratuit.

Par ailleurs, il est essentiel que l'entité sociale que constitue le couple en union libre soit opposable aux tiers, privés comme publics. Ainsi en Droit social, il faut étendre au concubin les droits reconnus au conjoint dans les domaines des assurances invalidité, vieillesse, veuvage, décès et accident du travail.

Vis-à-vis des instances médicales, le rôle du concubin doit être reconnu, au même titre que celui du conjoint, pour tout ce qui concerne l'information et les choix thérapeutiques, dès lors que le partenaire malade n'est plus en état de s'exprimer ou de prendre des décisions. De la même façon, quant à l'organisation des funérailles, le pouvoir décisionnel du concubin doit être officialisé dans les textes pour les cas où le défunt n'a pas manifesté sa volonté.

Enfin, en ce qui concerne le partenaire de nationalité étrangère, le concubinage doit donner droit, dans les mêmes conditions que le mariage, à la délivrance d'un titre de séjour et d'un permis de travail.

La prise en compte de ces propositions permettra ainsi d'éviter que l'union libre soit le grand perdant du PACS.

M. Jacques Larché, président - La parole est à Mme Renée Labbat.

Mme Renée Labbat - Je vous remercie d'avoir donné la parole aux personnes qui vivent seules.

A priori, l'on pourrait dire que le PACS ne concerne que les couples, et donc, pas du tout les personnes qui vivent seules. Et plusieurs d'entre vous, ici, ont sans doute envie de me dire : " De quoi vous mêlez-vous ? " Pourtant, les personnes qui vivent en solo, sont, au contraire, très concernées par ce projet de PACS.

Pourquoi ? Tout d'abord, à cause du constat qui est à l'origine du PACS. Les inégalités dont seraient, paraît-il, victimes les couples sans enfant qui vivent en union libre et les homosexuels. On nous dit que 5 millions de personnes sont concernées. Quelles seraient ces inégalités et à quoi sont-elles dues ? Les concubins et les homosexuels sont, au regard de la législation, des célibataires, tout comme les personnes qui vivent seules.

Ils ne peuvent donc pas rédiger de déclaration commune de revenus, les déductions fiscales diverses sont réduites, ils doivent payer 60 % de taxes à l'Etat sur les droits de succession, ils ne peuvent pas prétendre au rapprochement des conjoints. Le constat est net : le statut de célibataire est très pénalisant. Il faut donc en changer et le PACS permet aux homosexuels et aux concubins de s'en affranchir.

Après tout, pourquoi pas ? Mais l'on oublie une chose, c'est qu'on laisse totalement de côté un autre phénomène de Société, encore plus flagrant c'est-à-dire l'augmentation du nombre de personnes qui vivent seules (7 millions en 1998, contre 3,8 en 1979). Or, ces 7 millions de personnes ont rigoureusement le même statut juridique et fiscal ; seulement pour elles, on ne le prend pas en compte, tout simplement.

Autrement dit, en prétendant oeuvrer dans le sens d'une plus grande justice sociale pour 5 millions de français qui vivent en duo, le PACS en réalité ferait un pas de plus dans le sens de l'inégalité sociale en France.

Peut-on, en effet, envisager de plaider la cause des uns et continuer à ignorer, voire à déposséder les autres, car c'est bien de cela qu'il s'agit si l'on regarde la réalité ?

Allons-nous continuer à pénaliser ces personnes seules sur le plan social, fiscal, successoral, alors même qu'elles ont déjà, à revenus à peu près équivalents, un niveau de vie inférieur de 30 % à ceux qui vivent en couple ? C'est bien cela, en effet, la réalité.

L'INSEE a publié, en janvier 1998, une étude particulièrement instructive à ce sujet. Il y a 50 ans, on estimait qu'il fallait à un couple sans enfant 70 % de revenu supplémentaire pour atteindre le même niveau de vie qu'un célibataire. Ce n'est plus le cas, et pourtant, beaucoup d'élus en sont encore là !

L'enquête montre, au contraire, qu'un couple sans enfant n'a besoin aujourd'hui que de 50 % de revenus en plus pour atteindre le même niveau de vie qu'une personne seule. A elle seule, cette étude de l'INSEE prouve la contradiction sociale du PACS. Mais volontairement ou non cette étude statistique et les discussions autour du Pacte Civil de Solidarité n'ont jamais été confrontées.

Le message est pourtant clair : les avantages fiscaux du PACS accordés aux couples sans enfant viendraient se superposer à un niveau de vie déjà supérieur à celui des personnes seules, creusant encore davantage le fossé des inégalités.

Alors, le PACS ne se trompe-t-il pas de justice sociale ? Ne va-t-il pas à l'encontre de l'Article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme : " L'impôt doit être également réparti de façon équitable entre tous les citoyens " et ne va-t-il pas contre la Loi qui dit : " L'impôt doit être réparti de façon équitable entre les contribuables selon leur faculté contributives " ?

Or, il est temps de se mettre cela dans la tête : à revenu égal, les facultés contributives des couples sont supérieures à celles des personnes seules. Il est normal d'aider les couples à élever leurs enfants mais il ne faut pas mélanger le couple et la famille. Madame Guigou l'a elle-même déclaré et beaucoup de partisans du PACS avec elle. Le PACS, nous dit-elle "concerne le couple et lui seul " . La famille, en effet, est un couple plus des enfants. Combien de fois n'a-t-on entendu dire que l'on aidait le couple parce qu'il était susceptible d'avoir des enfants ? Ce n'est pas le cas des couples d'homosexuels me semble-t-il.

Alors plusieurs questions se posent :

Sur quel article de la Constitution se fonde un projet de loi visant à permettre aux couples, en tant que tels, d'être avantagés ?

Au nom de quel principe constitutionnel se justifie la situation discriminatoire faite, par voie de conséquence, au sujet isolé ?

Au nom de quoi le smicard célibataire devrait-il être plus imposé que le couple ?

Lorsque nous allons à Bercy demander que le smicard ne paie plus d'IRPP (en 1998 : encore 1 176 F) on nous répond qu'il n'y a plus d'argent. Soudainement, on trouve de 4 à 6 milliards pour diminuer l'impôt des couples souvent plus nantis. Quel est le lien de solidarité qui justifie cela ?

Au nom de quoi le smicard célibataire devrait-il payer la Sécurité Sociale pour le partenaire qui ne travaille pas dans un couple plus riche que lui ?

Au nom de quoi un couple obtiendrait-il sa mutation dans la Fonction Publique, avant une célibataire qui veut revenir s'occuper de ses parents âgés ?

Autant de questions sans réponse qui expliquent que les personnes seules sont bien concernées par le PACS. Mais un autre constat les concerne encore peut-être davantage. Le professeur Hauser nous dit : " La Société a peut-être intérêt à donner des droits à ceux qui ne vivent pas seuls, car la solitude est un fléau, la vie à deux une valeur qui mérite une reconnaissance. " Madame Guigou nous dit : " Je crois aussi qu'il est de l'intérêt de la Société de privilégier la vie à deux qui rompt la solitude trop répandue dans notre société et qui encourage la solidarité plutôt que l'individualisme. "

Ne s'agit-il pas là d'une position d'autorité qui pose tout de même question, dans la mesure où le modèle social de "vie à deux " apparaît la norme privilégiée ? C'est en référence à la solitude que le modèle de vie à deux est nettement favorisé. Irène Théry l'a dit : " Le paradoxe est de se prévaloir du combat contre la solitude tout en rejetant la vraie solitude puisqu'on n'aide financièrement que la vie à deux. " La considération est liée à la sexualité. Or, pourtant la Société n'est pas fondée sur un modèle fusionnel, mais d'altérité ! Pourquoi faudrait-il forcément vivre à deux ?

En Société, telle que les partisans du PACS veulent la construire, deux personnes ont plus de prix qu'une personne seule. Cela va totalement à l'encontre des droits de la personne, deux personnes ne valent pas mieux qu'une !

Non, la véritable solidarité n'est pas dans le PACS. Elle se situe ailleurs. Ce qui justifie les droits, ce n'est pas le fait de vivre à deux ! Toute la théorie du PACS est basée sur un postulat qui est faux. La vie à deux deviendrait-elle "quasiment obligatoire" ?

En effet, d'une part, financièrement, il ne sera plus possible de vivre seul, déjà aujourd'hui, tout le monde a peur de se retrouver seul, compte tenu du mode de vie qui change totalement et vivre seul devient un luxe. Et, d'autre part, moralement, la personne seule sera de plus en plus écartée, marginalisée.

Alors, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, la vie à deux quelle qu'elle soit, car c'est bien là le problème, est-ce là le modèle social que vous voulez nous proposer, aux jeunes surtout, pour l'an 2000 ?

Pour éviter cela, l'UNAGRAPS formule quelques propositions :

1°) Mettre à plat les différents choix de vie : mariage, union libre, homosexualité, mais aussi célibat. Ce dernier état découlant le plus souvent des "circonstances de la vie ". Liberté de choix !

2°) Traiter ensuite les différentes questions de la vie quotidienne en regardant tous ces choix de vie :

- fiscalité,

- succession,

- Sécurité Sociale,

- Logement, etc.

3°) Séparer nettement couples sans enfants et couples avec enfants. Pour les couples sans enfants et qui sont en union libre, régler devant notaire :

- la question du droit au bail,

- la question du droit au logement, après décès ou départ d'un partenaire,

- la question du suivi lors d'une maladie, etc.

Toutes les autres questions peuvent être réglées par la dépénalisation du statut de célibataire. En effet, que l'on soit seul ou en couple, il faut :

- Pour la fiscalité , une égalité de traitement, c'est-à-dire :

* Une déclaration séparée, pour chaque personne physique, pour toutes les catégories de ménages (personnes seules, couples mariés sans enfant, couples concubins avec ou sans enfant, couples homosexuels). Madame Théry et Monsieur Piketty considèrent cela comme " une voie de justice aujourd'hui ". Une seule exception cependant : une déclaration commune pour les couples mariés avec enfants à charge.

* Des déductions fiscales identiques pour logement de personnes seules ou en couple.

* Et maints autres avantages.

- Pour la Sécurité Sociale :

* une cotisation par adulte en âge de travailler.

- Pour les successions :

* Une révision du droit de succession favorable non seulement aux cohabitants, mais également aux célibataires qui ne peuvent pas léguer leurs biens à des familles modestes, seuls les riches ayant les moyens d'hériter !

Les couples sans enfant doivent être solidaires des familles et des personnes seules, pas l'inverse ! Ils sont actuellement 8,56 millions soit 1,353 millions de couples cohabitants et 7,211 millions de couples mariés. Cela ferait une belle solidarité.

En conclusion, je poserai à tous quelques questions :

Le célibat doit-il encore être considéré comme un délit ?

N'est-il pas indispensable d'agir pour que change le regard sur le célibat ? Nous avons été choqués par les propos de Madame Guigou lors du débat sur le PACS à la 2 ème séance du 1 er décembre 1998 à l'Assemblée Nationale. En effet, pour défendre les célibataires qui vivent en duo, elle n'a pas hésité à citer des définitions méprisantes du célibat héritées du 19ème siècle. On peut alors vraiment s'interroger sur une telle méconnaissance de la réalité de la part d'une personne politique si haut placée, s'agissant des revendications légitimes de millions de personnes, revendications exprimées par l'UNAGRAPS.

Quant au Gouvernement, je rappellerai simplement ceci : lors du Bureau National du 15 septembre 1998, les dirigeants du PS déclaraient : " Le devoir de la gauche est de faire avancer la cause des Droits de l'Homme. " Je lui pose la question : à travers le PACS où sont les droits de la personne ?

Avant de faire surgir ce PACS, n'est-il pas impératif de réaliser l'équité à l'égard des 7 millions de personnes qui ne sont pas concernées par ce modèle valorisé aujourd'hui afin qu'elles n'aient pas à subir un renforcement de l'inégalité à leur égard, qui les conduirait à une exclusion plus manifeste encore ?

Comment concevoir que ce PACS l'emporte sur la reconnaissance du caractère unique de tout être humain, dans ses droits individuels et sociaux ?

Et je terminerai par une opinion personnelle. Quel dommage, oui, vraiment, quelle occasion ratée que les problèmes rencontrés par les homosexuels n'aient pas donné lieu à un grand débat national sur la personne, en tant que telle. Ne pourrait-on rêver que le Sénat, permette ce débat, donnant, du même coup, plus de grandeur au regard des français sur la politique et leurs élus ?

M. Jacques Larché, président.- Nous avons entendu différentes interventions pour lesquelles nous pouvons dire qu'il existe quelques nuances.

M. Patrice Gélard, rapporteur - J'ai une multitude de questions à poser et je vais essayer de simplifier compte tenu de la diversité de ce que nous avons entendu.

En réalité, vous demandez l'un et l'autre la suppression du mariage en tant qu'institution, je m'adresse aux deux derniers intervenants.

Je m'explique : l'Association pour l'union libre demande exactement les mêmes droits que les gens mariés. Si je reprends vos demandes, je ne vois pas de quels droits supplémentaires bénéficient les gens mariés. Pour l'Association des personnes qui vivent seules, je pose la question, en réalité le mariage n'aurait de raison d'être que dans la mesure où il y a des enfants. Là, je m'interroge parce que nous allons beaucoup plus loin étant donné que le PACS reprend le modèle du mariage.

Madame Delvolvé, j'ai entendu ce que vous avez dit mais dans votre discours il y a une exclusion totale, il n'est plus question de traiter les problèmes matériels, sociaux ou autres des homosexuels. Comment traite-t-on le cas des homosexuels d'après votre Collectif ?

Quant au collectif pour le PACS, vous nous avez dit une chose qui argumente l'ensemble de votre exposé, en nous disant qu'il y a une égalité de droits et de devoirs dans le PACS. Je trouve que dans le PACS il n'y a que des droits et pas de devoirs, il n'y a pas d'opposabilité du PACS aux tiers à moins qu'on ne le rende public. La solidarité des dettes n'existe pas puisque le créancier n'a pas connaissance du PACS.

Ensuite, vous dites que le PACS est intermédiaire entre l'union libre et le mariage. Non, on peut y mettre fin à tout moment aussi, il n'y a pas de sécurité dans le PACS. Comme "nul n'est tenu de rester dans l'indivision. " et bien "personne n'est tenu de rester dans le PACS. ". Je voudrais que vous me précisiez un peu votre pensée là-dessus.

Par contre, j'ai bien entendu que, pour vous, le PACS concerne tout le monde. Comment comprenez-vous l'interdiction du PACS faites aux alliés, aux oncles et neveux, à la bru veuve et au beau-père, pourquoi toutes ces interdictions faites en relation avec le mariage ?

Voilà un premier lot de questions brutales et je me réserve d'en poser d'autres aux vues des réponses.

Mme Renée Labbat - Il n'est pas question évidemment de supprimer le mariage. Je trouve cela ridicule comme a priori.

M. Jacques Larché, président.- Il y a suppression de droit et suppression de fait, nous n'imaginons pas que vous proposiez une loi dans laquelle il est dit, "article 1 : le mariage est supprimé".

Mme Renée Labbat - Il est question des privilèges que l'on donne à partir du moment où l'on vit à deux. Au nom de quoi, de quel principe constitutionnel ? Qu'est-il dit dans la Constitution pour privilégier les duos quels qu'ils soient ?

L'enquête de l'INSEE dont je vous ai parlé est particulièrement instructive, il y a 50 ans on estimait qu'il fallait à un couple 70 % de revenu supplémentaire pour atteindre le même niveau de vie qu'un célibataire. Ce n'est plus du tout le cas actuellement, et pourtant, même en décembre je recevais des lettres de BERCY et je reçois encore tous les jours des lettres d'élus, spécialement de députés, qui me disent : " Selon les facultés contributives vous devez payer davantage car vous payez moins de loyer, etc".

Or, que je sache, il n'est pas nécessaire de faire des calculs extraordinaires pour cela, tout le monde sait qu'actuellement en vivant seul vous avez d'un côté toutes les charges de la même manière qu'un couple, loyer avec ses charges, les assurances, etc, et de l'autre côté vous n'avez qu'un salaire au lieu d'en avoir deux. Le calcul est très vite fait.

M. Jacques Larché, président.- Vous dites " toutes les charges " et je vous réponds toutes les charges sauf les enfants.

Mme Renée Labbat - Les charges afférentes au loyer. Je parle des couples sans enfant parce que j'ai bien dit que les couples avec enfant étaient autre chose. La différence est que l'on veut privilégier les couples ou toute personne qui vit à deux. Il est déjà révélé qu'ils ont un niveau de vie supérieur et on continue à leur donner les privilèges, c'est pour cela que je trouve cela anormal.

M. Patrice Gélard, rapporteur - Un couple qui ne bénéficie d'aucun avantage fiscal parce qu'il est un couple de fait, fera effectivement des économies de chauffage, d'électricité, de gaz, d'eau, de téléphone et de loyer s'ils vivent à deux et ce sera deux célibataires qui vivent au même endroit.

Mme Renée Labbat - Oui, ce sont deux célibataires, j'ai bien dit que toutes les personnes que l'on veut taxer sont des célibataires.

M. Patrice Gélard, rapporteur - Pourquoi les personnes seules en question ne se mettraient-elles pas à deux pour bénéficier des mêmes avantages ?

Mme Renée Labbat - Justement est-ce ce que vous souhaitez pour l'an 2000 ? Est-ce que le fait que tout le monde se mette à deux obligatoirement et peu importe de quelle manière est un modèle social? Est-ce cela que vous voulez ?

M. Patrice Gélard, rapporteur - Le régime particulier accordé au mariage est constitutionnel. Le préambule de la Constitution de 1946 a fait de la famille une institution républicaine, je réponds à l'obstacle constitutionnel que vous avez soulevé.

Mme Renée Labbat - De la famille d'accord, mais un couple seul n'est pas une famille.

M. Patrice Gélard, rapporteur - Dès le moment où on est marié, on est une famille.

M. Xavier Tracol - Vous nous indiquez que le Collectif pour l'union libre réclame les mêmes droits que ceux dont bénéficient les conjoints. Non, il y a des différences notables. Concernant la présomption de paternité, vous aurez remarqué que dans nos propositions nous ne parlons pas de filiation naturelle car elle est déjà réglée par le Code Civil, par une loi récente entrée en vigueur en 1993, et également par une jurisprudence, donc nous n'avons pas besoin de nous préoccuper du domaine de la filiation.

Par ailleurs, nous ne réclamons pas le droit à l'adoption conjointe qui est réservée pour l'instant, ne serait-ce que de facto, aux conjoints. Egalement, concernant le droit à la nationalité, nous demandons simplement que le partenaire en union libre puisse bénéficier au même titre que le conjoint d'un titre de séjour et d'un permis de travail. Il y a évidemment des contreparties en matière de devoirs aux droits que nous réclamons, nous ne parlons pas également de devoir de fidélité car il n'y en a pas si ce n'est dans la sphère privée du couple en union libre.

Deuxième remarque sur votre question, c'est-à-dire sur la concurrence de l'union libre, telle que nous la concevons, avec le mariage. Nous pensons au contraire que le PACS fait concurrence au mariage et j'en veux pour preuve l'incompatibilité qui est prévue dans le PACS pour une même personne d'être à la fois engagée dans un PACS et dans un mariage.

Vous disiez qu'il vous paraît évident qu'il y ait exclusivité d'un PACS et qu'on ne puisse pas être engagé à la fois dans un PACS et dans un mariage, cela ne me paraît pas aussi évident que cela. Pour moi c'est bien la preuve qu'il y a rivalité entre les deux et c'est en cela que le PACS risque de porter atteinte au principe d'unicité du mariage républicain.

M. Patrice Gélard, rapporteur - Vous estimez que les personnes mariées peuvent vivre en union libre et en même temps bénéficier des mêmes avantages ?

M. Xavier Tracol - Cela existe. C'est une réalité sociale. Des couples mariés se séparent sans pour autant divorcer et vivent en union libre, certains ont même des enfants adultérins. C'est une réalité sociale qui, même si elle reste minoritaire, est en développement.

M. Jacques Larché, président.- Votre démarche juridique consiste à tenir compte de la réalité sociale ?

M. Patrice Gélard, rapporteur - Grâce à votre système on peut généraliser la polygamie en France. Vous pouvez vous marier en union libre deux ou trois fois. Evidemment je me fais ici l'avocat du diable.

M. Xavier Tracol - Non, puisque nous proposons de matérialiser l'union libre par la délivrance d'un certificat légal du concubinage et nous proposons de transformer le PACS en ce sens.

M. René-Georges Laurin - Les certificats de concubinage existent. J'en donne tous les huit jours en tant que Maire.

M. Xavier Tracol - J'en prends bonne note mais il y a un pouvoir discrétionnaire de l'Administration quant à la délivrance des certificats de concubinage. Nous proposons d'y mettre fin par l'institution d'un certificat légal de concubinage et l'Administration n'aurait plus ce pouvoir discrétionnaire par rapport à leur délivrance.

Actuellement, l'Administration dans le cas d'un couple hétérosexuel peut délivrer un certificat, pour un couple homosexuel il peut choisir de ne pas en délivrer ou vice versa. Il n'y a aucun recours par rapport à cela.

J'ajoute qu'aucun droit véritable n'est attaché aux certificats de concubinage tels qu'ils sont conçus actuellement. Ces certificats produisent les droits que les communes veulent bien leur attacher. Ce n'est pas légalement entouré.

M. René-Georges Laurin - C'est légal puisque les communes le délivrent. Je dis simplement à notre orateur que toutes les communes délivrent ces certificats de concubinage, encore faut-il que les concubins le demandent. Ce certificat sert légalement, contrairement à ce que vous venez de dire, dans toutes les nécessités de la Loi.

M. Xavier Tracol - Les droits actuellement attachés au certificat légal de concubinage sont ceux que la commune veut bien y attacher.

M. René-Georges Laurin - Mais non, elle les délivre pour les Administrations d'Etat, la Sécurité Sociale, le fisc.

M. Xavier Tracol - L'Administration communale n'est jamais tenue de délivrer un certificat de concubinage, elle a le choix aussi bien en ce qui concerne les couples hétérosexuels qu'homosexuels qui se présentent à elle.

M. René-Georges Laurin - Non, vous mélangez tout. La notion actuelle de concubinage n'a jamais été rattachée aux homosexuels. Je n'ai jamais délivré de certificat de concubinage pour deux hommes qui vivent ensemble.

M. Xavier Tracol - Concernant les informations que j'ai en ma possession, nous avons peut-être aujourd'hui un scoop.

M. René-Georges Laurin - Vous êtes mal renseigné.

M. Guy Allouche - Il y a des municipalités qui le font mais la réalité est que nous le faisons tous pour les hétérosexuels et qu'il n'y a pas ici de contre-exemple. Mais peut-être y a-t-il des exemples de maires qui ont fait des certificats de concubinage à des couples homosexuels. Cela existe.

M. Jacques Larché, président.- Si cela existe et que nous avons du mal à les trouver c'est que ce n'est pas courant. Avez-vous d'autres questions ?

Mme Marguerite Delvolvé.- Monsieur Gélard m'a posé une question, je souhaite y répondre.

Vous m'avez demandé comment nous pensions qu'il fallait traiter les problèmes matériels des homosexuels. Nous pensons qu'il n'y a pas de problèmes particuliers pour les homosexuels et qu'ils n'ont pas à être discriminés à cause de leurs tendances sexuelles. Nous pensons que la Loi fait déjà face à des problèmes de précarité dus à la rupture autant du côté du concubinage hétérosexuel que du concubinage homosexuel.

M. Patrice Gélard, rapporteur - Nous avons le problème de la jurisprudence de la Cour de Cassation qui interdit, par exemple, le maintien dans les lieux.

Mme Marguerite Delvolvé.- Absolument, et je trouve qu'elle a raison de s'arc-bouter car nous revenons à la question essentielle, c'est-à-dire y a-t-il légitimité à institutionnaliser dans une société l'homosexualité ? C'est la question de base.

Pour le droit au bail, le bailleur va se trouver dans une situation difficile. Etant donnée la fluidité du PACS, on peut le dissoudre, en refaire un, je pense que le bailleur peut se retrouver avec des occupants des lieux qui ne sont pas connus au départ et avec qui le bail n'a pas été signé, en donnant le droit à un pascé qui peut changer. La solution dans ce cas-là est de faire signer les deux personnes qui veulent avoir un droit au bail.

On a surtout beaucoup gonflé les problèmes matériels car dans la plupart des cas cela se passe ainsi : lorsque les individus veulent vivre ensemble ils signent tous les deux, tous les trois, tous les quatre un droit au bail. La plupart du temps il n'y a pas de problème.

M. René-Georges Laurin - Cela se fait en permanence notamment pour les achats.

Mme Marguerite Delvolvé.- La législation fait déjà face à beaucoup de situations.

M. Denis Quinqueton - Je me garderai bien, car ce n'est ni ma fonction, ni mon rôle, de prendre votre travail de législateur, je voudrais simplement indiquer deux directions. Notamment, concernant votre déclaration dans le journal LA CROIX de lundi, le PACS n'a pas pour base le lien sexuel, il a pour base un lien de solidarité et il s'applique à des personnes qui ont des liens sexuels que ce soient des couples hétérosexuels ou homosexuels, à des personnes dont le projet commun de vie n'est pas rattaché à une notion sexuelle.

M. Patrice Gélard, rapporteur - Ils sont hors PACS.

M. Denis Quinqueton.- - Oui, c'est vrai parce que la situation est complexe mais je voulais attirer votre attention sur ce type de problème que nous avons rencontré et c'était le devoir du Collectif que de relayer cela auprès du Sénat qui en fera ce que bon lui semblera.

Quant à la solidarité pour dettes elle est inscrite dans les textes, à vous de remédier à l'objection que vous m'avez faite.

M. Patrice Gélard, rapporteur - Le Ministère de la justice nous a bien dit qu'en aucun cas le PACS ne pouvait être rendu public, sauf pour les Administrations.

M. Denis Quinqueton.- - De toute façon cette solidarité jouera en cas de conflit puisque le juge sera saisi. La possibilité de dissoudre un PACS existera de façon unilatérale ou bilatérale, en plein accord ou en désaccord, mais si la dissolution est unilatérale et que le co-pacsant n'est pas d'accord soit avec la dissolution, soit avec les termes de cette dissolution, il aura recours au juge. C'est à ce moment-là qu'apparaîtra la solidarité.

M. Patrice Gélard, rapporteur - Il aura recours au juge mais uniquement pour demander des dommages et intérêts et il ne pourra pas avoir recours au juge pour autre chose.

M. Denis Quinqueton.- - Et régler par exemple la question de dettes contractées en commun.

M. Jacques Larché, président.- Je vous remercie, vous avez compris que notre approche était essentiellement juridique et nous avons à essayer de trouver les solutions aux problèmes de fait et de droit qui sont posés.

M. Jacques Larché, président.- Nous entendrons Madame Blanchon, responsable de la Commission mariage et égalité des droits de Act-Up, Monsieur Borillo, responsable du groupe juridique à la Fédération Nationale AIDES, Madame Gross, vice-présidente de l'Association des parents et futurs parents gay et lesbiens et Monsieur Touillet représentant l'Association Lesbien et Gay pride.

6) Audition de :

- Mme Dominique Blanchon, Responsable de la Commission Mariage et Egalité des Droits - ACT-UP Paris

- M. Daniel Borrillo, Responsable du groupe juridique - AIDES (Fédération nationale)

- Mme Martine Gross, vice-présidente - Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL)

- M. Dominique Touillet - Lesbian and gay pride

Mme Dominique Blanchon -
Je voudrais d'abord rappeler la position d'ACTUP Paris dans le débat autour du PACS. Dès 1997, ACT-UP Paris a revendiqué l'égalité des droits entre concubins hétérosexuels et homosexuels et également le droit au mariage pour les couples homosexuels. Ce sont deux revendications qui à notre sens garantissent la reconnaissance totale des couples homosexuels. C'est dans ce cadre-là que nous avons pris position sur le texte du PACS.

Dès le printemps 1998, nous avons exprimé notre soutien aux différents projets qu'ils s'appellent CUS, CUC ou PACS, puisque ce qui nous intéressait dans ces projets était l'ouverture de droits nouveaux à tous, autant aux couples homosexuels qu'aux couples hétérosexuels, et ils étaient à ce titre des contrats anti-discriminatoires.

C'est également pour cette raison que nous étions heureux de l'adoption en première lecture de la proposition de loi relative au PACS puisque dans ce cadre elle est une victoire face au déchaînement homophobe que le texte a sollicité et auquel nous avons pu assister à l'Assemblée.

Aujourd'hui, je vais parler de notre position sur le PACS. Nous portons aujourd'hui un regard qui est celui des futurs usagers. Ce texte devait améliorer les vies, mais tel qu'il est proposé actuellement il ne fera pas. Nous sommes les futurs usagers du PACS, des malades du SIDA que l'absence de Droit a souvent jeté dans des situations dramatiques qui ont été à l'origine des exigences de droits nouveaux. Nous sommes aussi des personnes liées à des personnes étrangères en situation irrégulière, nous sommes des couples homosexuels souhaitant adopter des enfants.

En effet, examiné depuis nos conditions de vie réelles, ce projet ne nous satisfait pas. Il comporte nombre d'absurdités, des effets pervers et des injustices que nous ne pouvons accepter.

Je vais détailler mon discours en trois points. Le premier concernera la mise sous condition de délai, point auquel ACT-UP Paris est le plus sensible, le second, les effets secondaires que le texte du PACS aura sur les allocations de minima sociaux, le troisième parlera du sort qui est réservé à nos amants et amantes étrangers.

Les délais :

Deux articles du texte sur le PACS relatifs à l'imposition commune et aux droits de succession sont soumis à un délai de mise en application de deux ans après la signature du PACS. Pour nous, ce délai est le témoin d'un soupçon inadmissible sur les relations des personnes qui ne désirent ou ne peuvent se marier, notamment les couples homosexuels. Les couples qui se marient aujourd'hui ne sont pas soupçonnés de le faire par simple souci de rentabilité fiscale ou successorale. Un jour seul suffit pour que ces droits leur soit ouverts.

Les délais sont aussi symptomatiques d'une certaine morale. En effet, on a entendu que le PACS voulait encourager la stabilité des couples car les droits ne sont pas tous immédiats. Ici, nous sommes dans le domaine de la morale et du mérite qui prend le pas sur les droits. Pourquoi n'exige-t-on pas, dans cette logique, que les couples divorcés avant deux ans restituent le montant des avantages dont ils ont bénéficiés ?

Ces délais sont également symptomatiques du désir de faire des économies. En effet, le premier texte du printemps 1998 prévoyait cinq ans pour les droits de succession et trois ans pour l'imposition commune, alors que dans le dernier texte adopté et suite à l'action des différentes associations, en particulier à l'Assemblée Nationale, ces délais ont été rapportés à deux ans. Ils restent toutefois inacceptables. Aujourd'hui, tout se passe comme si l'injustice dont sont victimes les homosexuels allait perdurer encore durant de nombreuses années.

Concernant les droits de succession, non seulement l'ouverture des droits est soumise aux deux ans de mise à l'épreuve mais même après ces deux ans lorsque les couples homosexuels auront prouvé devant la Loi leur stabilité, ils ne seront toujours pas traités à l'égal des couples mariés.

Les droits de succession restent moindres autant dans les abattements que dans les pourcentages d'abattement, nous sommes donc devant une double discrimination envers les couples homosexuels discriminés puisqu'ils n'ont pas droit au mariage.

Concernant les couples homosexuels atteints du SIDA, on nous impose des délais mais nous avons vu depuis de nombreuses années que la maladie n'attend pas. La mise sous condition de délai atteste d'une méconnaissance de la réalité du quotidien de ces couples et témoigne d'un profond mépris à leur égard. Garantir la survie matérielle de celui ou de celle qu'on aime et opposer des principes de respect dans les conflits avec la belle-famille constituent des droits fondamentaux desquels les couples homosexuels sont aujourd'hui exclus.

D'ailleurs, lorsque nous avons souligné ce point lors des auditions à l'Assemblée Nationale, on a intégré dans le nouveau texte une clause prévoyant que dans le cas où le partenaire serait atteint d'une affection longue durée l'accès serait sans délai aux droits de succession.

Cependant, cette clause pose plusieurs problèmes. D'une part, elle entraîne de facto la violation du secret médical à la mort du partenaire. Nous savons que les assurances sauront faire bon usage de ce genre d'information.

D'autre part, la discrimination qu'entraîne cette clause crée l'inégalité des malades devant la Loi. Une personne mourant des suites du SIDA avant deux ans bénéficiera d'avantages alors qu'une personne mourant d'un accident de voiture n'en bénéficiera pas, ceci constitue une injustice. Par ailleurs, rien ne nous assure que cette clause sera validée par le Conseil Constitutionnel. Ainsi, pour ACT-UP, seule la suppression totale des délais répond aux attentes des futurs usagers.

De plus, lorsqu'on nous parle de délais on nous parle de stabilité des couples. Nous savons qu'actuellement des couples vivent ensemble depuis plusieurs années mais nulle part dans les textes et jamais lors des différentes Commissions, nous n'avons entendu parlé de rétroactivité. Pour nous, dans la même logique des délais, le minimum serait que l'on prenne en compte les personnes pouvant attester de deux ans de vie commune et qu'elles puissent avoir accès aux droits sans délai.

- les minima sociaux :

La signature d'un PACS par la prise en compte des revenus du contractant va entraîner l'amputation voire la suppression des minima sociaux qui sont soumis à condition de revenus du partenaire, en particulier, l'allocation d'adulte handicapé dont bénéficient de nombreux malades du SIDA, le RMI et l'allocation de parent isolé et cela sans délai. Dès qu'une personne sera pacsée avec quelqu'un qui touche au maximum 6 400 F par mois, elle perdra automatiquement son AAH ou son RMI sans cependant bénéficier des avantages fiscaux pendant les deux premières années. Dans le cas d'une séparation elle pourra se retrouver dans une situation plus difficile encore qu'avant le PACS. Ainsi nous revendiquons le maintien des minima sociaux pour les personnes pacsées et leur individualisation.

Les articles traitant des étrangers :

Les différentes versions du texte ont peu à peu réduit à une peau de chagrin les différents droits ouverts aux futurs pacsés étrangers. Dans le dernier texte voté le 9 octobre 1998 un article a été totalement supprimé, celui qui concernait l'accès à la nationalité française. On a préféré faire du PACS l'une des multiples pièces nécessaires à la constitution d'un dossier de régularisation et non un titre suffisant pour l'obtention d'un titre de séjour. Cela revient à soumettre les dossiers à l'arbitraire des Préfectures. Nous revendiquons donc l'alignement des droits sur ceux ouverts par le mariage, c'est-à-dire l'obtention immédiate d'un titre de séjour à la signature du PACS.

Suite aux auditions à l'Assemblée Nationale, nous avions déjà exposé ces revendications mais aucune d'entre elles n'a été prise en compte dans les différentes propositions. Nous espérons qu'aujourd'hui celles que je vous ai présentées, seront entendues.

Je souhaite terminer en précisant que les revendications des associations homosexuelles se rejoignent. En effet, au lendemain du vote de la motion d'irrecevabilité du 9 octobre, l'observatoire du PACS a été créé sur l'initiative de nombreuses associations homosexuelles. (ACT-UP Paris, AC, AIDES Fédération Nationale, Association des parents et futurs parents gays et lesbiens, l'ARDHIS (Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et transsexuelles à l'émigration et au séjour), le centre gay et lesbien de Paris et Prochose Paris.) L'ensemble de ces associations a créé une charte commune de leurs revendications, elles sont au nombre de cinq et sont les suivantes :

- la signature du PACS en Mairie et l'alignement sur le régime fiscal et matrimonial pour une reconnaissance pleine et entière des couples homosexuels exclus du mariage,

- un droit au séjour sans restriction pour nos amants et amantes sans papier, un accès rapide à la naturalisation, la reconnaissance du droit à la vie privée pour les couples binationaux mariés, pacsés ou concubins,

- la suppression de tous les délais symptomatiques d'une suspicion à l'égard de nos couples, en imposant le secret médical pour les personnes atteintes de pathologies graves les exposant à tous les dangers,

- l'individualisation des minima sociaux, l'ouverture et le maintien des droits ne doivent plus dépendre des ressources du conjoint,

- l'accès à l'adoption, à la procréation médicalement assistée et à la coparentalité pour les futurs pacsés qu'ils soient homosexuels ou hétérosexuels.

Ces cinq points sont des points de revendications communes à ces associations. L'observatoire du PACS s'est donné pour objectif de surveiller les débats puisqu'il a suivi les débats à l'Assemblée Nationale, de dénoncer les incohérences du texte et ensuite après les votes définitifs du texte il recueillera les témoignages de toutes les personnes qui ont eu des problèmes et tentera de faire évoluer le texte du PACS par jurisprudence.

M. Jacques Larché, président. - La parole est à M. Daniel Borillo.

M. Daniel Borrillo - Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie de l'invitation que vous avez faite à l'Association AIDES, association de lutte contre le SIDA. Je vais essayer de vous exposer brièvement les points de vue de notre association et le combat dans lequel nous nous sommes engagés depuis de nombreuses années.

Il faut se rappeler que le SIDA montre clairement que les précarités juridiques sont indissociables des situations sanitaires. L'Association AIDES n'a jamais voulu rentrer dans une logique purement sanitaire et toute la politique de l'Association a été de montrer qu'il y avait une logique juridique dans laquelle la logique sanitaire trouvait sa place.

En effet, toute forme de précarité apparaît désormais comme une menace latente de recrudescence de la maladie SIDA. La précarité juridique représente une forme particulièrement grave de la vulnérabilité psychologique et sociale, elle se manifeste aussi bien au plan individuel, qu'au niveau du couple et de la famille. En ce sens, il ne suffit pas d'octroyer des droits à l'être individuel sans prendre en considération l'environnement affectif.

Nous trouvons là la problématique du couple et de la famille au coeur des préoccupations d'une association comme AIDES et lorsque je parle de couple et de famille j'en parle dans toute sa diversité. Les situations spécifiques dans lesquelles ils peuvent se trouver sont autant d'éléments qui doivent également être considérés sous peine d'isoler les sujets de droit, et les traiter exclusivement comme des individus en dehors de tout contexte.

Dans la lutte pour l'égalité juridique la prise en compte de l'individu est certes une étape fondamentale mais cela ne peut pas se limiter à cela. Le concubinage, le mariage apparaissent de nos jours comme des formes dans lesquelles la Société, par le moyen du Droit, reconnaît la vie de couple. Cette reconnaissance est la première condition qui confère toute protection. Ces deux formes, une institutionnelle, le mariage, l'autre factuelle, le concubinage, sont de par leur nature susceptibles de modifications et par conséquent d'évolution. AIDES ne peut pas admettre un point de vue essentialiste.

Nous croyons que le mariage et le concubinage sont des constructions sociales auxquelles nous pouvons participer quant à leur évolution. Le mariage et l'union libre doivent être élargis à l'ensemble des personnes majeures et capables, ceci indépendamment de leur sexe et de leur orientation sexuelle.

Bien que l'ensemble de la Société soit concerné, ce sont les couples du même sexe qui se trouvent davantage confrontés aux situations les plus discriminatoires car ils sont à la fois écartés du mariage et du concubinage. Je tiens à marquer ici la lâcheté de la Cour de Cassation qui en 1989 a nié la notion de vie maritale, et répété cela en 1997 sur le concubinage alors que la même Cour de Cassation n'a pas hésité à reconnaître du point de vue du Droit social le concubinage polygame.

Depuis plusieurs années AIDES se bat pour faire valoir l'égalité et la non discrimination en ce qui concerne les couples en général et les unions de même sexe en particulier par l'assistance concrète aux personnes qui font valoir leurs droits en justice afin de faire changer une jurisprudence restrictive, celle de la Cour de Cassation de 1989 qui a été critiquée par les juristes de l'époque, et celle de 1997.

En fait, nous trouvons très étrange que la Cour de Cassation n'ait pas utilisé tout l'arsenal juridique, par exemple la théorie de la représentation ou la société de fait pour imaginer que le fait du couple homosexuel est réel et constaté. Nous n'en serions pas aujourd'hui à revendiquer le concubinage homosexuel, revendication qui nous semble un minimum.

D'abord, c'est par l'assistance concrète aux couples en général et aux couples homosexuels en particulier car ce sont eux qui sont les plus touchés par le VIH, mais ensuite également par la négociation avec les instances publiques pour mettre fin aux nombreuses situations conflictuelles comme le transfert du bail au survivant du même sexe, l'allègement des charges fiscales dans les transmissions des biens entre concubins, l'égalité dans les délais de prise en charge par la Sécurité Sociale des ayants-droit, les droits des partenaires étrangers, les droits extra patrimoniaux notamment.

L'association se place en fait au-delà du débat franco-français car il nous semble que la dimension européenne doit être particulièrement considérée.

En effet, nous demandons que la France puisse adopter la recommandation du Parlement européen du 8 février 1994 ainsi que celle du mois d'octobre 1998 qui invite les Etats membres à reconnaître aux homosexuels les mêmes droits que les couples mariés. Je cite : " Mettre fin à l'interdiction faite aux couples homosexuels de se marier ou de bénéficier de dispositions juridiques équivalentes. " Je dis bien équivalentes au mariage. La recommandation devrait garantir, je cite : " l'ensemble des droits et avantages du mariage et faire cesser toutes restrictions aux droits des lesbiennes ou des homosexuels d'être parents ou bien d'adopter ou élever des enfants. "

Je tiens à signaler que beaucoup de représentants des partis socialistes au Parlement européen ont voté cette résolution, ainsi que l'ensemble des partis de gauche, mais également des démocrates chrétiens des pays du Nord de l'Europe. Le clivage gauche/droite n'apparaît pas en ce qui concerne les manifestations du Parlement européen.

Le concubinage et le mariage constituent aujourd'hui les seules formes juridiques possibles de participation à la qualité du couple. Nous pouvons discuter sur les faits de l'existence de cette réalité si la France continue à garantir le couple, mais toujours est-il que cela existe aujourd'hui en tant qu'entité juridique.

Le Droit prend en compte l'entité juridique couple par le concubinage ou le mariage. Toute alternative de partenariat constitue également une possibilité de réalisation des droits à condition que le contenu juridique de celle-ci soit respecté en reconnaissant les mêmes droits pour tous indépendamment du sexe et de l'orientation sexuelle.

Au moment où un texte de loi sera débattu au Sénat, nous rappelons qu'en vertu du principe d'égalité et de non-discrimination, nous demandons le libre choix d'union pour tous les citoyens indépendamment de leur orientation sexuelle tel qu'il est proclamé par l'article 13 du traité de la Communauté européenne, résultant du traité d'Amsterdam. Je me permets de citer cet article 13 :

" Sans préjudice des autres dispositions du présent traité et dans les limites des compétences que celui-ci confère à la Communauté, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. "

Toutes discriminations fondées sur le sexe, la race, l'origine sociale, la religion ou les convictions, en incluant l'âge ou l'orientation sexuelle. Ce statut proposé par l'Assemblée Nationale à la Commission du Sénat ne résout pas ces discriminations à l'encontre du couple du même sexe qui souhaite rester en union libre ou qui désire se marier.

Comme nous l'avons signalé dans notre rapport intitulé "vers la reconnaissance du couple de même sexe " AIDES ne s'oppose pas au PACS, malgré ses insuffisances mais s'oppose plutôt au fait que le PACS soit ou apparaisse comme le seul et unique instrument de reconnaissance des unions homosexuelles. Car une fois le PACS voté nous ne savons pas pourquoi un couple hétérosexuel aura la possibilité de participer au concubinage, au mariage ou à une forme intermédiaire entre le fait et le Droit qui est le PACS, alors que les couples homosexuels n'auront qu'une seule possibilité qui est celle du PACS.

De plus, les arguments invoqués lors du débat à l'Assemblée Nationale en première lecture n'ont pas suffi à convaincre notre association de la pertinence de l'application du principe d'égalité dans le couple. Certes, aussi bien le Conseil d'Etat que le Conseil Constitutionnel nous disent qu'il n'y a pas atteinte au principe d'égalité du moment où l'on prouve que l'on est dans une situation différente. Je vous demande de m'expliquer en quoi l'homosexualité est différente de l'hétérosexualité, en tous cas en quoi cette différence relève du Droit. Evidemment, je vois bien la différence entre le noir et le blanc mais dans le Droit il n'y a pas de couleur.

Sur la base de la proposition adoptée à l'Assemblée Nationale le 9 décembre 1998 pour mettre fin aux inégalités entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels, il nous apparaît que cette proposition devrait être modifiée dans le sens des dispositions suivantes :

- Concernant la forme, la déclaration conjointe devrait s'effectuer devant l'officier d'état civil et non au Tribunal d'Instance (Article 1 er , article 515-3 alinéa 2). De plus, nous avons vu disparaître la disposition qui obligeait le Tribunal d'Instance à envoyer au registre de l'état civil la situation des pacsés, ce qui fait qu'aujourd'hui quelqu'un qui est pacsé sera toujours considéré comme un célibataire puisqu'il n'y a pas de changement d'état civil. C'est pour cela que nous considérons qu'il est important de revendiquer la déclaration en mairie et non seulement en mairie mais auprès du Maire en tant qu'officier de l'état civil.

- Concernant le fond, il nous semble important de demander l'acquisition de l'ensemble des Droits sociaux reconnus aux époux sans délai de carence, à savoir, assurance-décès (Article 361-4 du Code de la Sécurité Sociale), assurance accident du travail (Article L 434-8 et 9 du Code de la Sécurité Sociale), assurance vieillesse et veuvage, pension de réversion, invalidité et droit des conjoints prévu par les conventions collectives et par l'ensemble du Code du Travail.

- Nous demandons l'acquisition des droits successoraux sans délai de carence, la possibilité d'effectuer des libéralités entre partenaires avec la même imposition que les époux.

- Nous demandons également l'acquisition des avantages fiscaux sans délai de carence à savoir, imposition commune, abattement des 330.000 F comme entre époux et taux progressif de 5 à 40 % comme pour les personnes mariées.

- Nous demandons l'acquisition des droits extra-patrimoniaux, la prise en compte de l'avis du partenaire dans le cadre médical en cas de décès l'organisation des funérailles, le droit de tutelle et de représentation du partenaire et la possibilité d'être receveur d'un organe donné par son conjoint tel qu'il est établi par l'Article L 671-3 alinéa 2 du Code de la Santé Publique.

- Nous demandons l'acquisition des droits de la filiation adoptive plénière pour le couple de même sexe ainsi que l'accès à l'assistance médicale à la procréation pour les femmes lesbiennes, l'attribution de l'autorité parentale lesbienne.

- Nous demandons la possibilité de prétendre à la nationalité française dans les mêmes délais et avec les mêmes conditions que les autres couples. Il me semble que ce n'est pas une demande radicale, mais la France y est simplement invitée par le Parlement européen. Je rappelle que c'est la seule institution européenne qui est issue de la volonté populaire européenne. Je n'ai fait que demander l'application de deux recommandations du Parlement européen et la France serait à l'honneur d'être à l'heure européenne.

M. Jacques Larché.- La parole est à Mme Martine Gross.

Mme Martine Gross - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de nous donner aujourd'hui la possibilité d'apporter notre éclairage sur un des points les plus sensibles du débat autour du Pacte Civil de Solidarité : les parents de même sexe. Paradoxalement, ce point a été constamment abordé dans les débats alors qu'il n'apparaît pas dans la proposition de loi. Je commencerai par quelques repères sur l'association que je représente et sur l'homoparentalité.

L'APGL, Association des parents et futurs parents gays et lesbiens a été fondée en 1986. Elle comptait 75 membres il y a 3 ans et en compte à ce jour plus de 700. C'est une association mixte avec 64 % de femmes et 36 % d'hommes. C'est au titre de la parité que j'interviens aujourd'hui en tant que vice-présidente. Elle est nationale et compte 6 antennes en province.

La proportion de personnes homosexuelles est généralement estimée à 5 % au sein de la Société. Un sondage de janvier 1997 réalisé en France par l'institut BSP révèle que 7 % des gays et 11 % des lesbiennes sont parents, et que 36 % des gays et 45 % des lesbiennes souhaitent le devenir. Cela signifie que des centaines de milliers de personnes en France sont à la fois homosexuelles et parents, et qu'en Europe, il s'agit de millions de personnes.

Ces chiffres illustrent le fait qu'un profond changement a eu lieu dans la manière dont les personnes homosexuelles envisagent leur devenir. Ils ne considèrent plus qu'être homosexuel les empêcherait d'être parents et d'avoir une descendance. De plus, une majorité de personnes pensent que l'homosexualité est une manière comme une autre de vivre sa sexualité. Cette dernière a-t-elle une incidence sur l'aptitude à élever des enfants ?

En France, le recul n'est pas suffisant pour avoir des données sur le développement des enfants dans les familles homoparentales. Cependant, ces études ont été réalisées ailleurs, là où le recul est suffisant. Plus de 2000 recensées par l'APGL dans son "petit guide bibliographique à l'usage des familles homoparentales " concluent toutes que les enfants ne présentent ni plus ni moins de troubles que lorsqu'ils sont élevés dans une famille où sont présents les deux sexes au quotidien, qu'il s'agisse du développement psychologique, de l'identité sexuelle, de l'estime de soi, de la réussite professionnelle ou de l'orientation sexuelle.

Le monde alentour apporte tous les jours des modèles bisexués qui relativisent l'absence de l'autre sexe au sein de la cellule familiale. On verra dans la suite de mon exposé qu'il n'y a pas d'exclusion systématique de l'autre sexe dans les familles homoparentales.

Au regard de cette question de l'homoparentalité, le PACS nous paraît être une première avancée pour une réelle égalité de traitement des individus, vers laquelle tout état républicain et démocratique doit tendre puisqu'il légitime le couple de personnes de même sexe. Nos enfants, les premiers, ont besoin de la reconnaissance de nos structures familiales. La reconnaissance légale du couple de leurs parents ne peut que leur apporter davantage de sécurité.

C'est pourquoi nous unissons nos efforts à ceux de toutes les associations et de toutes les personnes qui souhaitent voir le PACS adopté par le Parlement. Cependant nous critiquons, ainsi que les autres associations homosexuelles, certaines des dispositions générales du PACS, comme les délais, le lieu de l'enregistrement, les différences de traitement concernant la nationalité et la succession. Mais, nous n'en parlerons pas aujourd'hui.

En effet, on a beaucoup parlé pendant les débats à l'Assemblée Nationale de la menace que représenterait le PACS pour la famille. Or, si nous respectons et estimons le long travail qui a conduit à l'examen de ces propositions de loi, nous déplorons aujourd'hui que le projet PACS ne contienne justement aucune disposition concernant les enfants et l'homoparentalité.

Puisqu'on a tant débattu de ce sujet brûlant sans jamais se confronter aux points de vue des parents gays et lesbiens, nous espérons qu'aujourd'hui nous pourrons vous apporter un éclairage sur la réalité des familles homoparentales. Ceci dans le but de faire cesser les fantasmes et les raisonnements fondés sur des a priori.

Que sont les familles homoparentales ?

Rappelons qu'aucun groupe humain ne détient l'exclusivité en matière de famille. Etre parent n'est pas l'apanage des personnes hétérosexuelles, c'est celui de tout être humain.

Il existe aujourd'hui une palette de formes familiales diverses où se côtoient familles traditionnelles, familles monoparentales, familles recomposées, familles ayant eu recours aux procréations médicalement assistées, familles adoptives, etc. Les familles homoparentales sont l'une des pièces du puzzle. Le terme de "familles homoparentales " regroupe plusieurs situations très différentes. Il n'y a pas une homoparentalité mais plusieurs, ce sont les suivantes :

- Les enfants sont nés d'une union hétérosexuelle antérieure. L'un des parents vit maintenant avec une personne du même sexe. Le cas est semblable à celui des familles recomposées après divorce ou séparation et soulève la question du statut du beau-parent.

- Les enfants n'ont qu'un seul parent légal, soit parce qu'ils ont été adoptés par une personne seule, soit parce qu'ils ont été conçus grâce aux techniques de procréation médicalement assistée à l'étranger (puisque la Loi l'interdit en France), soit encore parce que l'autre parent biologique n'a pas reconnu l'enfant. Si la personne vit en couple, les enfants n'ont qu'un parent légal alors qu'ils sont élevés de fait et souvent de façon voulue par deux parents.

- Les enfants naissent dans le cadre de projets dit de "coparentalité" où est fortement souhaitée la présence conjointe de figures paternelle et maternelle. Il y a de deux à quatre personnes autour du berceau de l'enfant, c'est-à-dire un couple de parents biologiques composé d'une mère lesbienne et d'un père gay, et leurs éventuels partenaires respectifs. A la différence des beaux-parents qui arrivent dans un second temps, les partenaires sont des co-parents, car ils sont prêts à s'engager vis-à-vis de l'enfant dès sa conception. Ils assurent le quotidien comme les parents naturels et se sentent des parents à part entière même s'ils n'en ont pas le statut.

Ces différentes homoparentalités ont des points communs avec de nombreuses autres constellations familiales. Ces points communs sont les suivants :

- Les enfants y naissent comme partout ailleurs d'un homme et d'une femme. Nous sommes les premiers à le dire à nos enfants. Ils savent qu'ils ont des parents qui, tout comme dans la situation de l'adoption, ne sont pas nécessairement ceux qui les ont mis au monde.

- Etre parent, vivre en couple, procréer ne sont pas nécessairement synonymes.

- Des parents sociaux, c'est-à-dire des personnes qui n'ont pas conçu l'enfant mais qui se conduisent comme des parents, et des parents naturels coexistent.

- Enfin, les compétences parentales ne se mesurent pas à l'aune de la vie sexuelle.

Le débat actuel autour des parents homosexuels est posé en termes de "droit à l'enfant " que nous serions supposés revendiquer, comme si nous demandions à la Société de nous donner des enfants. Il ne s'agit pourtant pas de cela, mais bien du droit des enfants. Nous apportons notre contribution à l'édification de la Société en élevant nos enfants et nous souhaitons qu'ils aient les mêmes droits, bénéficient des mêmes protections que les enfants élevés dans d'autres constellations familiales. En particulier, que les liens qu'ils ont construits avec les personnes qui les élèvent soient protégés par la Loi. Ce que le PACS, tel qu'il est conçu actuellement, n'apportera hélas pas.

Nous souhaitons :

- Faire cesser les discriminations dont sont victimes les parents homosexuels séparés ou divorcés lorsqu'ils veulent exercer leurs responsabilités vis-à-vis de leurs enfants. Il y a encore des juges qui privent un enfant du droit de voir son père ou sa mère ou qui restreignent ce droit à des rencontres limitées ou en présence de tiers qui ne peuvent qu'entraîner une déliquescence du lien, au seul motif de l'homosexualité du parent.

- Si l'homosexualité n'est plus un délit, ni même une pathologie, au nom de quoi permet-on un tel déni de paternité ou de maternité ? Compétences parentales et sexualité doivent être dissociées dans l'esprit des juges, au moment de décider des conditions de résidence, de visite et d'hébergement des enfants. Il ne s'agit pas là d'un nouveau droit mais de l'application de la Loi sans a priori ni discrimination. Nous sommes confiants, le PACS y contribuera.

- Faire cesser la discrimination exercée à l'encontre de candidats qui offrent des conditions d'accueil satisfaisantes pour accueillir un enfant et qui se voient refuser l'agrément pour adopter au motif de leur sexualité " non conforme ".

La vie sexuelle des candidats fait-elle partie des conditions d'accueil ? En quoi la sexualité est-elle un critère d'accueil pertinent ? Il faut faire cesser cette discrimination administrative. Là non plus, nous ne demandons pas un nouveau droit mais la simple application des textes sans a priori. Le PACS y contribuera-t-il ? La question reste posée.

- Les couples hétérosexuels qui ne veulent pas se marier et les couples homosexuels qui ne peuvent pas se marier sont actuellement obligés de présenter des projets en tant que personne seule pour pouvoir adopter. La situation pour les enfants adoptés est identique, seul un des deux parents est reconnu légalement. Cependant, les couples de concubins homosexuels n'ont pas la possibilité offerte aux couples hétérosexuels candidats, de se marier pour adopter à deux.

Nous déplorons que le projet de PACS ne prévoie pas qu'un couple signataire puisse adopter conjointement un enfant. Nous souhaitons que cela puisse se faire dans un avenir proche, comme c'est le cas dans certains autres Etats. Le Parlement néerlandais vient de présenter une proposition de loi élargissant les droits d'adoption et de procréation médicalement assistée aux couples de même sexe. En 1997, l'Etat du New-Jersey aux USA a autorisé les couples gays et lesbiens à adopter conjointement. Le Quebec la Colombie britannique autorisent l'adoption conjointe par un couple homosexuel, sans pour autant autoriser le mariage des homosexuels. Il s'agit ici comme dans les points suivants de voir naître de nouveaux droits fondés sur l'engagement et la responsabilité.

- Les parents qui ont mis au monde l'enfant sont des acteurs essentiels, mais ils ne sont pas seuls. Les beaux-parents et les co-parents jouent un rôle essentiel dans le quotidien d'un enfant. Nous demandons un statut pour ces tiers qui se conduisent comme des parents. Ce statut leur permettrait de prendre à l'égard de l'enfant qu'ils élèvent des décisions relevant de la gestion du quotidien sans remettre en cause le rôle des parents légaux et avec leur accord bien évidemment. Nous demandons une disposition légale leur permettant de témoigner de leur engagement vis-à-vis de l'enfant : par des donations, des legs ou une obligation en cas de disparition des parents légaux.

- Au sein de couples de parents de même sexe, certains enfants ne disposent que d'un seul lien de filiation. Cette situation nous préoccupe car ces enfants n'ont qu'un parent légal et peuvent être privés, en cas de décès ou de séparation, des liens qu'ils ont tissés avec la personne qui n'est pas leur parent légal. Cette personne se conduit pourtant comme "un second parent " qu'il est de fait.

Nous souhaitons que le second parent, partenaire du parent légal ait un réel statut de parent. Ce statut peut être obtenu par un aménagement de l'adoption simple. L'adoption par le second parent permettra aux enfants de voir les liens qu'ils ont tissés avec lui protégés en cas de décès du parent légal ou de séparation. Cet aménagement de l'adoption est une solution qui existe dans d'autres pays. L'adoption par le second parent est possible dans une quinzaine d'Etats, New jersey, New York, Vermont, Colorado, Massachusetts, Illinois, Minnesota, Washington, Pennsylvanie, Californie, Alaska, Oregon, district de Colombie, Colombie britannique (Canada), Vancouver (Canada) et plus près de chez nous le Royaume-Uni dans un jugement datant de juin 1994 reconnaissant à deux mères le statut de parent et un autre à Manchester en juin 1996 permettant à un couple de lesbiennes d'adopter chacune l'enfant de l'autre.

Le Droit de l'enfant à être visité et hébergé par le second parent ou ses co-parents doit être protégé et cela même en cas de conflits et/ou séparation. Au Royaume-Uni (Birmingham 1997, Londres 1996), au Canada (Vancouver 1997) et en Islande, des droits et des devoirs ont été attribués au second parent.

- Nous souhaitons l'égal accès aux procréations médicalement assistées de tous les couples, qu'ils soient mariés, concubins ou signataires d'un PACS.

En guise de conclusion voici notre conception de la famille. Aujourd'hui, les définitions possibles de la famille reposent sur le mode de vie des adultes. On parle ainsi de familles traditionnelles, familles monoparentales, familles recomposées, familles adoptives, etc. Selon nous et comme l'écrit Dominique Gillot dans son rapport, ce qui fait la famille n'est ni le couple, ni les parents mais bien l'enfant et ceux qu'il entraîne dans son sillage dans des prises d'engagement et de responsabilités. Les mesures que nous demandons s'inscrivent dans cette perspective car toutes permettent de protéger l'enfant, qu'il soit élevé au sein d'une famille traditionnelle ou non.

En conclusion, malgré le fait que nos revendications nous emmènent plus loin que le projet dont nous parlons aujourd'hui, nous sommes cependant partisans du PACS. Sa prochaine adoption permettra une évolution positive des mentalités et de la jurisprudence. Nous vous demandons de tout faire pour que ce projet de loi aboutisse le plus vite possible.

Je vous remercie de votre attention et vous invite à participer au colloque "parentés et différence des sexes " organisé par l'APGL qui aura lieu les 1 er et 2 octobre 1999 et réunira anthropologues, sociologues, cliniciens et juristes autour de ce thème.

M. Jacques Larché, président. - La parole est à M. Dominique Touillet.

M. Dominique Touillet - Je remercie la Commission des Lois pour avoir organisé cette audition et nous avoir invités puisque nous sommes une des rares associations officiellement homosexuelles à avoir été présente dans ce panel.

Il est important que les homosexuels soit consultés en tant que tels et pas seulement par le biais de la maladie et en particulier du SIDA. Nous espérons que ce début de reconnaissance de la représentativité des associations homosexuelles continuera et nous pouvons même espérer que plus tard vous serez éventuellement amenés à participer à des débats et à des forums plus larges et beaucoup plus institutionnalisés comme certains Conseils Consultatifs sur la famille.

Ceci dit nous voudrions cadrer notre intervention en signalant que notre association ne s'exprime pas seulement en son nom propre mais rassemble ici une vingtaine de signataires sur ce texte et un grand nombre d'associations homosexuelles et lesbiennes se regrouperaient également sur notre intervention. Cette représentativité nous a amenés à avoir une vision très large de notre intervention et nous ne nous baserons donc pas sur des points précis sur lesquels nous voulons insister, nous nous contenterons d'analyser le texte dans l'état actuel, à savoir tel qu'il est après première lecture à l'Assemblée Nationale.

Notre attachement au PACS ne date pas d'hier puisque nous avons fait partie des premières associations qui ont été amenées à discuter et à réfléchir autour du CUC, du CUS, et d'un certain nombre de variantes qui ont précédé le PACS. Le CUS a été le mot d'ordre d'une manifestation que nous organisons tous les ans, la GAY PRIDE, qui rassemblait alors 150 000 personnes.

En 1997, la forte affluence de l'EURO-PRIDE a été une nouvelle occasion pour les associations, les personnes homosexuelles, leurs familles et leurs nombreux amis de montrer leur attachement au CUS. L'an passé en juin 1998, malgré une certaine difficulté face à la Coupe du Monde de football, nous avons quand même réussi à faire descendre de 100 000 à 150 000 personnes dans la rue autour de ce même mot d'ordre avec la volonté de faire bouger les choses.

Je pense que nous sommes représentatifs d'une volonté moyenne des homosexuels et des lesbiennes pour que les choses avancent et nous espérons que le PACS, à ce titre, sera rapidement adopté et aura une déclinaison extrêmement libérale.

Le sens de notre intervention se veut aussi celui d'une approbation générale du texte tel qu'il ressort du débat puisque nous avons contribué à certaines modifications lors des précédentes auditions à l'Assemblée Nationale. Nous estimons que le texte est certainement intéressant même s'il a, de notre point de vue, à la fois des manques, des incohérences et des absences psychologiquement importantes pour que le PACS soit un réel succès.

Sur l'esprit du PACS, nous voudrions signaler qu'il ne nous semble pas seulement important qu'un texte soit adopté, nous avons trop longtemps et trop souvent vu que des décrets d'application se faisaient longtemps attendre. Notre association, comme beaucoup d'autres, restera mobilisée sur le devenir de ce texte, en particulier sur le fait que les décrets d'application soient pris dans des délais raisonnables et soient d'inspiration libérale, étant entendu qu'actuellement le texte de la Loi est très vague sur certains points.

Nous avons plusieurs remarques à faire sur l'esprit du PACS qui nous semblent importantes. D'abord l'utilité sociale est enfin détachée de la procréation. Cela me semble être une des très grandes avancées que le texte permet, à savoir qu'on reconnaît enfin au couple le droit d'exister en dehors des enfants, et en dehors de la présupposition de la famille, alors qu'actuellement on peut être un couple officiellement sans enfant même si on est marié dans un cadre familial.

Cette opinion que nous portons n'est pas seulement portée par nous, elle est également partagée par une grande partie de la population française qui se rend compte que la vie en couple est une fonction solidarisante de la Société, particulièrement ces dernières années où nous avons vu une augmentation de la paupérisation et de la difficulté de vivre avec un niveau de vie comparable à celui des années précédentes.

Il nous semble donc très important que le PACS légitime d'une certaine façon la réalité sociale du couple en dehors de la procréation et que ce faisant, il légitime également le couple homosexuel qui est une variante de ces couples.

Notre intérêt pour le texte vient de ce que nous considérons que ce texte implique que le couple devienne le nouveau référent social en dehors de cette parentalité. Or, c'est important pour nous pour plusieurs raisons, c'est important d'abord parce qu'il me semble que cela permettra, et je suis désolé parce que beaucoup de personnes vont s'offusquer de ce que je vais dire, une légitimation du couple homosexuel dans notre Société. Nous y tenons particulièrement.

Je constate d'ailleurs, après avoir assisté à quelques interventions, que si tous les opposants du PACS ne sont pas homophobes, les homophobes sont toujours opposants au PACS. Ceci veut bien dire que le problème fondamental pour ces personnes n'est pas de régler les problèmes des personnes, mais qu'il faut à tout prix y compris en maintenant les inégalités, y compris en maintenant les dénis de justice, légitimer la négation de l'homosexualité en tant que référence sociale.

Or, nous estimons en tant qu'association homosexuelle axée sur la lisibilité que ceci va à l'encontre de toute une série de données qu'elles soient européennes ou d'évolution sociale. Nous sommes très contents que le PACS permette, fusse par le biais d'une certaine indifférenciation au sein du statut qu'il établit, cette reconnaissance du couple homosexuel.

Nous y sommes d'autant plus attachés qu'on ne peut en parler mais qu'il y a un énorme problème pour tous les homosexuels et lesbiennes, on ne naît pas homosexuel ou lesbienne, on le devient. Or, cette découverte de son homosexualité se passe généralement à l'adolescence lorsque l'on a déjà énormément de problèmes pour beaucoup d'autres raisons et particulièrement actuellement car les adolescents vivent dans une insécurité sociale beaucoup plus forte qu'avant, et ces adolescents homosexuels qui se découvrent ont besoin de référents.

Nous considérons que la possibilité pour les couples homosexuels d'être officiellement reconnus par l'Etat et la Nation permet l'émergence de nouveaux modèles qui vont aider ces adolescents et adolescentes à structurer leur personnalité de manière beaucoup moins autodestructrice que ce n'est le cas actuellement. Je rappelle qu'une proportion importante d'adolescents homosexuels commet des suicides ou des tentatives de suicide. Ceci est une réalité sociologique à laquelle le PACS pourra par un certain biais apporter une amélioration.

Enfin, nous sommes également très satisfaits de ce texte car il établit une égalité dans le droit à la différence. Nous sommes conscients que le couple homosexuel n'est pas le couple hétérosexuel, que les choses ne se passent pas de la même manière, nous ne demandons pas une égalité exacte avec les couples hétérosexuels et nous ne demandons pas non plus une égalité exacte en termes de Droit familial. Par contre, nous sommes très satisfaits du fait qu'au travers de ce statut notre différence puisse effectivement être acceptée et reconnue.

J'aborderai un dernier point sur un épisode qui a fait couler beaucoup d'encre et qui concerne le projet d'inclure les fratries dans le texte du PACS. Sur le principe il est bien clair que nous considérons que les fratries ou les cellules solidarité à deux ou plus sont des réalités et que de la même manière que le législateur a voulu régler les problèmes des couples qui ne peuvent pas s'inscrire dans le mariage ou le concubinage, il est normal que le législateur s'occupe de l'organisation de cette solidarité.

Pour autant, nous estimons qu'introduire cette notion en catimini dans la Loi du PACS a des effets plus nocifs que positifs. En particulier, on ne règle pas spécifiquement ces problèmes de paires et de fratries parce qu'on ne va pas au fond des choses, et aller au fond des choses serait sans doute plus le lieu d'une réflexion initiée par le Gouvernement et le Parlement qui aura lieu bientôt sur la famille.

En second lieu, parce qu'en se référant à ce que je disais tout à l'heure il me semble que l'image de couple pacsé serait également brouillée. Cela me semble dommage parce qu'il nous semble extrêmement important que le PACS conserve cette approche d'un couple lié par des liens affectifs particuliers qui sont des liens de couple.

Enfin, nous avons bien noté qu'il faut assurer le suivi sociologique du PACS, nous sommes très positifs sur cette demande. Nous estimons qu'il est très important qu'un Comité ou une structure nationale sociologiquement compétente soit chargé de suivre de manière neutre les effets du PACS dans la Société et de proposer dans quelques années des évolutions à partir des constatations qui seront faites sur l'utilisation et la mise en place de ce statut.

Nous avons une opinion très positive sur l'ensemble du texte, il n'en reste pas moins que nous avons un certain nombre de remarques à exprimer et en particulier sur la cohérence du texte.

Il est clair qu'il y a une incohérence fondamentale à demander aux pacsés de partager immédiatement des responsabilités et de les faire bénéficier des éventuelles possibilités d'amélioration de leur vécu quotidien dans des délais rédhibitoires. Nous sommes opposés à cela parce que c'est une incohérence manifeste, nous avons des exemples croustillants avec l'impôt de solidarité sur la fortune puisque par exemple deux pacsés, dont l'un serait soumis à l'ISF, verraient leur patrimoine commun immédiatement soumis à l'ISF, payé sur leur revenu commun alors que lesdits patrimoines communs ne seraient pris en compte sur une imposition commune que l'année du troisième anniversaire de la signature. Ceci est une façon un peu curieuse de concevoir le texte fiscalement parlant.

Mais plus gravement, le problème des minima sociaux est important à traiter. Si nous comprenons bien, il faut actuellement qu'on ne puisse pas faire de dérogation spécifique pour les pacsés par rapport à la situation de deux personnes ayant des minima sociaux mais qui se mettent en couple et qui subissent la Loi commune, la fusion des revenus. Au moins dans le minimum des cas les avantages doivent être immédiats. Nous demandons donc la suppression de tous les délais, délais qui de plus nous semble vexatoires.

Nous rappelons un point peu souligné, on a beaucoup parlé d'évasion fiscale, nous avons même eu des estimations, c'est un argument important parce qu'utilisé par une certaine frange de nos opposants pour dire : " vous voyez, on vole les familles pour donner aux homosexuels !".

Nous sommes outrés par cet argument parce qu'il est complètement faux. Des calculs fiscaux très simples montrent que pour que le PACS soit fiscalement intéressant dans le cadre d'une imposition commune il faut qu'une des personnes du couple gagne au moins deux fois ce que gagne l'autre, sinon dans tous les autres cas c'est neutre ou négatif. A la limite l'Etat aura des revenus supplémentaires avec les couples pacsés, donc n'utilisons plus ces faux arguments qui sont démagogiques et qui détruisent le débat.

Un autre point de fiscalité nous importe, c'est la fiscalité des dons et legs. Nous avons fait des calculs et des simulations tout à fait instructifs. Il apparaît que dans le cas d'un appartement valant 650 000 F, qui est le prix moyen d'un deux pièces à PARIS, appartenant à l'un des pacsés désireux de le laisser à son pacsé survivant, la fiscalité telle qu'elle est prévue dans la Loi ferait que cette personne paierait 165 000 F d'impôt sur le quart du bien. C'est confiscatoire et au lieu de permettre aux personnes de rester dans l'appartement commun, le résultat sera de leur faire vendre le bien commun pour payer les impôts. Je signale que dans le cas où les personnes seraient mariées sans enfant, l'impôt dû serait de 18 750 F soit 2,90 % de la valeur du bien.

D'autres simulations, que je mets à votre disposition, montrent que lorsqu'on compare la fiscalité sur les biens immobiliers dans le cadre d'un couple banal qui achète un appartement à deux, 50/50 et une assurance chacun sur sa part, le taux d'impôt sur un appartement d'une valeur d'1 MF est de 20 % et lorsque l'on a un appartement d'une valeur de 2 MF, ce qui n'est pas si rare à Paris, le taux d'imposition tourne autour de 40 %. Ce qui fait que, là encore, on arrivera exactement à l'inverse du résultat officiellement affiché, à savoir que la personne sera obligée de vendre le bien pour partir.

Un autre point ne nous satisfait pas qui concerne le lieu de signature du PACS. Il y a une incohérence dans le texte actuellement présenté, on ne peut pas contracter mariage quand on est pacsé, ce qui veut dire qu'on n'est plus célibataire, or le fait d'être célibataire ou non est enregistré sur le registre de l'état civil. Il faudra donc d'une manière ou d'une autre organiser un échange d'informations entre les registres d'état civil et les registres de PACS pour avoir un minimum de cohérence entre ces deux systèmes qui vont être mis en place.

Il nous semble qu'il est démesuré de refuser la mairie comme lieu de signature pour le simple profit d'aller contre la susceptibilité de certains maires et de l'opinion publique. Cela nous semble incohérent avec la pratique générale de l'état civil et la structure même des conséquences que le PACS aura dans la vie sociale. Nous demandons donc avec force que la mairie soit reproposée comme lieu de signature parce que cela nous semble être normal.

La pétition des 20 000 maires est un argument fréquemment invoqué. J'aimerais poser, à l'Assemblée et au Sénat en particulier, la question de savoir si un législateur estime acceptable de se voir influencer par un groupe de citoyens refusant d'appliquer la Loi. Et qui plus est, il me semble que ce sont des pratiques, d'après la haute opinion que les membres du Parlement ont d'eux-mêmes, qui ne devraient pas avoir cours.

Enfin, il nous semble important de rappeler que le lieu de signature, quel qu'il soit, devrait être fait de telle manière que le registre des pacsés ne puisse pas être soumis à une exploitation commerciale.

Un autre point important par son absence est celui de l'autorité juridique des pacsés l'un par rapport à l'autre. Nous avons évoqué le problème des maladies, il est clair qu'il faut absolument que dans le cadre du PACS les co-contractants soient garantis d'avoir un poids par rapport à la famille. Nous avons trop vu de cas où la famille rejette l'ami lors des phases finales d'une maladie, interdit les visites, et interdit même aux médecins de donner des informations sur l'état de la personne avec laquelle ils ont vécu. Le texte actuel ne peut absolument faire pièce à des comportements de cet ordre-là. Il nous semble donc important que soit assurée l'autorité juridique d'un pacsé par rapport à son contractant.

Nous avons constaté concernant les couples binationaux la disparition d'un article fort important, l'Article 19 de la proposition de loi, qui disait : " Est considéré comme justifiant de son assimilation à la communauté française au sens de l'Article 21-24 du Code Civil, l'étranger lié à un français depuis au moins un an par un PACS tel que défini etc " .

Cet article est devenu par un effet de rétrécissement incroyable l'article 6 qui dit simplement que : " La conclusion d'un PACS est l'un des éléments d'appréciation." Cela nous semble très dangereux parce que cela va donner à l'Administration des pouvoirs exorbitants pour décider ou pas si la personne sera méritoirement ou non en état d'accéder à la nationalité française ou à un titre de séjour. Il nous semble important que la rédaction soit revue afin qu'elle précise et oblige l'Administration à considérer et à accorder les titres de séjours aux pacsés depuis plus d'un an.

Pour ceux qui menacent d'un détournement d'objet du PACS avec des PACS blancs, des filières d'immigration, nous ferons remarquer que la co-responsabilité financière incluse dans le PACS devrait beaucoup refroidir, de la même manière que les filières de mariage blanc actuellement, les personnes qui veulent s'amuser à ce genre de choses. Nous pensons que c'est largement suffisant pour garantir que ce PACS ne sera pas utilisé de manière frauduleuse comme on veut bien nous le faire croire en brandissant des fantasmes.

Enfin, il y a un point qui n'a pas été relevé et qui tient à l'Europe. Actuellement, en Europe un certain nombre de pays ont mis en place des statuts non maritaux dans lesquels les homosexuels peuvent se reconnaître. Nous estimons qu'il est important que la France se mette également à l'heure européenne sur ce point et que le PACS permette à tout couple de ressortissants liés par un lien non marital dans ce pays de bénéficier lors de son établissement en France de tous les avantages liés au PACS.

Le dernier point concerne les délais. Il nous semble important que dans le cas où des délais seraient maintenus, il existe une période transitoire pendant laquelle toutes les personnes qui ont fait une demande volontaire, un acte de couple, qui ont signalé à l'Administration le fait qu'elles constituent un couple, puissent bénéficier lors de la conclusion d'un PACS de tous les avantages sans aucune restriction de délai.

Il nous semble normal de favoriser le travail de consciencisation sociale effectué il y a quelques années par les associations homosexuelles et d'autres associations également pour faire émerger un statut de concubin.

M. Patrice Gélard, rapporteur - Je ne vais pas individualiser les questions puisqu'elles s'adressent à tous.

Tout d'abord, la première question qui me vient à l'esprit concerne les délais. En réalité, s'il y a des délais c'est en raison de l'extrême facilité de dénonciation du PACS. On ne dénonce pas un mariage facilement, on ne se marie d'ailleurs pas facilement non plus parce qu'il y a les bans à publier, etc. Alors est-ce que ces délais ne sont pas liés justement au fait qu'il suffit d'une simple déclaration conjointe pour se pacser et qu'on peut se dépacser quand on veut et à n'importe quel moment sans préavis  ?

Effectivement la crainte, dont Monsieur Touillet a parlé tout à l'heure comme d'un fantasme, des PACS blancs peut parfaitement apparaître dans cette optique soit pour permettre la régularisation d'un étranger en situation irrégulière soit pour bénéficier de tel ou tel avantage à tel ou tel moment. Je m'interroge. L'extrême facilité de dénonciation de ce PACS n'est elle pas liée à ce système de délai ?

La deuxième question est plutôt adressée à Madame Gross et concerne le problème des enfants. Vous avez soulevé une série de cas. A ma connaissance l'enfant d'homosexuel a exactement le même statut qu'un autre enfant en Droit. Il n'y a pas de différence entre un enfant d'homosexuels et un enfant d'hétérosexuels. Je m'étonne que vous n'ayez pas soulevé la possibilité qui existe dans la Loi qui permettrait à un conjoint homosexuel qui a un enfant d'utiliser l'adoption simple. Le Droit ne s'y oppose pas.

LE PACS ne sera pas réservé aux homosexuels, il y aura aussi des hétérosexuels. Cela ne gommera-t-il pas le côté reconnaissance des homosexuels ?

Ceci me permet d'enclencher sur ma dernière question. Pourquoi en France les homosexuels n'ont-ils pas pris la voie de leurs homologues belges ou autres, c'est-à-dire d'avoir une institution spécifique ? La revendication que vous nous avez présentée est à terme le mariage homosexuel, c'est-à-dire l'équivalent d'une institution qui a son histoire et qui dans la plupart des pays est précisée en stipulant que le mariage est l'union d'un homme et d'une femme.

Pourquoi n'avez-vous pas réfléchi à une institution qui serait propre aux homosexuels et qui ne serait pas le mariage puisque le mariage a une connotation et un héritage particulier, comme cela se fait en Belgique, aux Pays-Bas ou ailleurs ? Je m'interroge sur ce besoin de s'assimiler aux couples mariés hétérosexuels alors que les homosexuels ne sont pas des hétérosexuels. Il y a un manque dans tout ce que vous nous avez dit.

Je voudrais savoir le nombre de PACS que vous pensez voir se conclure dans l'année suivant l'adoption de la Loi. Vous n'avez pas parlé du concubinage homosexuel, il y en aura, tout le monde ne sera pas pacsé, certains ne voudront pas entrer dans ce système de contrat. Nous allons rester dans la situation actuelle du concubinage pour les homosexuels non reconnu par la Cour de Cassation. Pourquoi n'avez vous pas dit un seul mot de cela ? Je suis convaincu qu'une majorité d'homosexuels ne souhaitent pas avoir de liens et préféreront rester en concubinage tout en désirant que leur situation s'améliore.

Mme Martine Gross - Je vais répondre à la question concernant les enfants. Effectivement, l'adoption simple pourrait être une possibilité qui nous conviendrait dans le cas où un enfant n'aurait qu'un seul parent légal, si ce n'est qu'il faudrait encore un aménagement de cette disposition de l'adoption simple puisque, à l'heure actuelle, l'autorité parentale est conférée au parent adoptant et retirée au parent biologique.

Dans le cas d'un enfant qui aurait un parent biologique il n'y aurait toujours qu'un seul parent qui détiendrait l'autorité parentale à savoir celui qui aurait adopté l'enfant. Un des deux parents devrait céder son autorité parentale. Cela peut être une solution quand les enfants sont majeurs et cela permettrait au second parent de pouvoir témoigner de son engagement vis-à-vis de l'enfant mais cela ne résout pas les soucis que nous avons par rapport aux jeunes enfants qui peuvent devenir orphelins du simple fait que le parent non légal n'a aucune reconnaissance.

M. Daniel Borrillo - Concernant le mariage, je refuse l'idée de pouvoir parler des homosexuels comme étant une catégorie constituant un sujet politique ou juridique. Dans la Loi de la République il n'y a pas un corps homosexuel, il n'y a pas d'homosexualité, il n'y a pas de représentants homosexuels ou si vous voulez qu'il y en ait, il faut une loi votée par les homosexuels et il faut qu'il y ait un corps d'homosexuels pour parler des homosexuels.

Ne parlons plus d'homosexuels, cela n'existe pas, en tous cas cela ne semble pas exister dans la logique de la République. C'est pour cela que je crois qu'il ne faut pas établir une loi d'exception au nom des homosexuels et pour les homosexuels. Au même titre que depuis 1833 on n'accepte pas en France la possibilité d'un mariage exclusif pour les noirs, ce qui était légal aux USA où, en 1967, on a considéré que la Loi interdisant les unions mixtes était anticonstitutionnelle.

De même que je trouve que l'union inter-raciale est considérée comme une union possible, il ne faut pas créer une union spécifique pour les noirs, une union spécifique pour les membres d'une même classe sociale, une union spécifique pour d'autres catégories de la population. Il me semble qu'il ne faut pas parler d'union des homosexuels en donnant la possibilité d'une union exceptionnelle.

Pourquoi le mariage parce qu'il me semble que le mariage résout la question du concubinage. Je suis d'accord avec la Cour de Cassation qui dit que le concubinage est calqué sur le mariage. Si on donne le mariage aux homosexuels, qu'ils ne se marient pas et vivent comme les personnes en situation similaire aux mariés ils vont être considérés automatiquement comme des concubins.

La logique de la Cassation est implacable, s'il n'y a pas concubinage homosexuel et s'il n'y a pas de mariage homosexuel c'est parce qu'on continue à attacher au mariage une fonction reproductrice. Mais cela a été dit en 1967, du moment où on accepte la contraception dans le couple, le mariage n'a pas une finalité reproductrice. Si nous voulons que les homosexuels se reproduisent, il faut modifier la Loi et introduire une notion de reproduction dans le mariage. Là effectivement il y aura une différence entre homosexuels et hétérosexuels.

M. Robert Badinter - J'ai beaucoup apprécié la précision, la qualité des raisonnements. Si aucune forme de discrimination n'était prise en compte à l'égard du concubinage, nous aurions, puisque le concubinage est le fait que deux personnes décident de vivre ensemble, un statut du concubinage sans aucune distinction, et dans ce cas qu'apporte de plus le mariage ? Je laisse de côté les multiples problèmes juridiques et fiscaux, ils sont très faciles à régler, se modifient d'année en année. On ne modifie pas le Code Civil si aisément. Tout le monde n'était pas d'accord avec la Cour de Cassation, à commencer par le premier avocat général.

La question du mariage des homosexuels est autre chose mais je prends volontairement la question au niveau du concubinage. Quelle est l'utilité du PACS ?

M. Daniel Borrillo - Du point de vue politique, s'il y avait en France un mariage homosexuel le PACS n'aurait pas de sens parce que le concubinage serait une possibilité faite par rapport au Droit du mariage et comme le mariage n'existe pas il est important qu'il y ait un acte juridique pour pouvoir reconnaître de façon formelle l'existence du couple homosexuel. Il me semble qu'aujourd'hui tout le monde est d'accord pour tolérer l'homosexualité, pour la renvoyer à la domesticité.

Alors que nous avons tous les instruments juridiques pour résoudre les questions techniques, si deux personnes signent un bail elles n'auront pas de problème au moment du décès, c'est évident. Mais en fait il suffit que cela ne se passe pas et quand il y a un conflit parce que les personnes ne pensent pas à régler ces problèmes, nous voyons par le biais du Droit quelle est la place que la Société fait d'une forme de sexualité.

Pourquoi une forme de sexualité prend-t-elle la place de la légitimité reconnue dans l'espace social comme c'est le cas de la sexualité héterosexuelle ?

La sexualité homosexuelle est renvoyée à la domesticité, à l'espace intime, à une sphère qu'il s'agit d'exercer en liberté, mais d'aucune manière le Droit ne reconnaît cet engagement comme étant un engagement ayant une place dans un contrat social. De ce point de vue, le PACS est un pas en avant par rapport au concubinage puisque nous passons à une logique de l'acte juridique et politique, puisqu'on dit que les couples homosexuels ont également une place, un combat social et ne sont pas renvoyés à la domesticité, à la liberté.

M. Robert Badinter - Cela veut dire que c'est une forme de reconnaissance qui s'inscrit dans le statut social, ce n'est pas simplement l'exercice de deux libertés qui décident de choisir de vivre ensemble.

Il n'a pas été répondu à la question posée par Monsieur GELARD s'agissant du statut des concubins restant hors PACS et qui seront nombreux puisque le PACS est interdit aux mariés. S'il n'y a aucune modification, les discriminations existantes à l'encontre des homosexuels survivront ou survivraient au regard de cette frange importante de concubins.

Il faudrait de toute manière, s'agissant du concubinage, retirer la conception inscrite dans notre Droit puisqu'elle est purement hétérosexuelle. Sinon nous observons à nouveau une discrimination fort importante.

M. Daniel Borrillo - Le PACS ne résout pas ce problème, la question du concubinage, la discrimination à l'intérieur du concubinage. De plus, je pense que la Cour de Cassation peut dire que du moment que les homosexuels n'ont pas pacsé ils peuvent être considérés comme des concubins. On définit le concubinage par rapport au mariage mais je ne pense pas qu'on puisse imaginer que cela résout la question du concubinage pour les homosexuels et les hétérosexuels. Nous savons qu'il faut apporter la preuve du concubinage, les certificats de mairie sont des témoignages. Il y a la liberté de preuve concernant le concubinage.

Est-ce qu'un PACS permettra d'en finir avec cet énorme instrument de preuve concernant le concubinage ? En tous cas, je pense que cela ne résout pas nécessairement la question du concubinage.

M. Patrice Gélard, rapporteur - Il y aura donc toujours cette discrimination à l'intérieur des concubins.

Mme Dominique Blanchon - Concernant le cas que vous avez soulevé de deux personnes qui se mettraient d'accord pour contracter un PACS afin de bénéficier d'avantages fiscaux, pourquoi ne soupçonne-t-on pas deux personnes de se marier pour avoir les mêmes avantages fiscaux ?

M. Patrice Gélard, rapporteur - Parce que divorcer coûte cher !

Mme Dominique Blanchon - Si on est d'accord cela ne coûte pas très cher.

M. Patrice Gélard, rapporteur - Divorcer nécessitera au moins un an tandis que, là, vous pourrez vous dépacser en quelques jours.

Mme Dominique Blanchon - Vous soulevez le problème par rapport aux mariages blanc avec les étrangers. Il n'y a pas plus de divorces entre mariages mixtes qu'entre mariages non mixtes. C'est de l'ordre du fantasme.

M. Patrice Gélard, rapporteur - Non, ce n'est pas la même chose.

Mme Dominique Blanchon - Vous avez quand même soulevé le problème du PACS blanc pour les étrangers.

M. Jacques Larché, président.- Les PACS blancs n'impliquent pas la régularité du mariage, nous n'avons pas dit cela, nous avons dit qu'il y avait peut-être des mariages blancs.

Mme Dominique Blanchon - Il n'y aura pas plus de PACS blancs que de mariages blancs.

M. Jacques Larché, président.- Qu'il y en ait autant vous satisfait ?

Mme Dominique Blanchon - Cela ne me satisfait pas mais je ne vois pas pourquoi on a plus peur de fraude avec le PACS.

M. Patrice Gélard, rapporteur - Il est plus facile de contracter un PACS que de se marier.

M. Jacques Larché, président.- Un mariage blanc n'est pas très aisé à défaire alors qu'un PACS blanc est terminé en 5 minutes.

Mme Dominique Blanchon - Si les deux personnes sont d'accord ce n'est pas très difficile de défaire un mariage.

M. Patrice Gélard, rapporteur - Il faut au minimum 1 an.

Mme Dominique Blanchon - J'ai du mal à croire que seule la sortie d'un PACS ait motivé les délais, en particulier concernant les droits de succession. Il n'y a pas de problème de sortie de PACS puisque les droits de succession existent lorsque les personnes meurent.

Pourquoi avoir mis des délais alors que si une personne est malade elle peut tout de même se marier avant sa mort, et son conjoint bénéficiera des droits de succession ?

C'est pareil pour le mariage, on ne soupçonne pas des personnes de s'être mariées quelques mois avant le décès pour bénéficier des droits de succession. Dans ce cas il n'y a pas de problème de sortie de PACS puisqu'elle se fait toute seule.

M. Patrice Gélard, rapporteur - Vous avez raison concernant les droits de succession puisqu'ils sont liés à testament et là les questions de délais n'ont pas à jouer.

Mme Dominique Blanchon - J'ai soulevé aussi le fait que non seulement on nous imposait des délais mais qu'ensuite, même si nous avons prouvé que nous étions aussi gentils que des personnes mariées, nous ne sommes toujours pas égaux, c'est-à-dire qu'il y a toujours une différence même au bout de deux ans. Je n'ai toujours pas eu de réponse à ce sujet, pourquoi n'avons nous pas l'égalité des droits après avoir prouvé notre stabilité au bout de deux ans ?

Dernier point, pourquoi n'a-t-on jamais parlé de la rétroactivité ? Toutes les personnes qui vivent ensemble depuis de nombreuses années, peut-être 5 ou 10 ans, ne sont pas prises en compte et subissent toujours le problème des délais.

M. Guy Allouche - M. le Président, je vous sais gré, vous et le rapporteur, d'avoir permis aux quatre invités de venir s'exprimer devant nous, leur position est utile et nécessaire. Il est bon que leur voix soit perçue par chacun de nous et que nous prenions connaissance de leurs souhaits, de leurs revendications, de leurs doléances. C'est l'un des points positifs de nos travaux.

M. Jacques Larché, président.- Je crois qu'il n'y a pas lieu de s'étonner de cette attitude, elle nous est commune et habituelle. Ce qui permet de dire que l'on constate une fois de plus la qualité réelle des travaux du Sénat quelle que soit la manière dont les médias en rendent compte de façon systématiquement désagréable.

M. Guy Allouche - Je souhaiterais en m'adressant à Madame BLANCHON qu'elle satisfasse l'une de mes curiosités. Je vous ai écouté attentivement et vous avez dit que l'Assemblée Nationale n'avait absolument pas pris en considération la moindre de vos demandes. Comment analysez-vous cela et pourquoi, selon vous, une majorité favorable à l'établissement d'un PACS n'a pas pris en considération tout ou partie de vos demandes ?

Mme Dominique Blanchon - J'aurais déjà aimé qu'on me dise pourquoi toutes ces revendications n'ont pas été prises en compte, en particulier sur la rétroactivité et les délais de succession. Nous n'avons jamais eu de réponse donc je ne sais pas pourquoi on a pris ces mesures là. Je pense que ce sont des mesures d'économie qui font que l'injustice que subissent les homosexuels depuis toujours perdure encore. De plus d'ici deux ans, un certain nombre de personnes qui auraient pu bénéficier des droits de succession réduits seront mortes, c'est une mesure d'économie.

M. Guy Allouche - Vous pensez que l'Assemblée mise sur la mort des personnes ?

Mme Dominique Blanchon - Non, mais je pense que d'ici deux ans une économie sera faite parce qu'un certain nombre de personnes seront décédées.

M. Dominique Touillet - Je ne pense pas que ce soit à ce niveau que les choses se passent. Je pense qu'il y a sans doute eu de la part du législateur un peu d'angoisse à donner l'impression d'accéder aux demandes des associations homosexuelles parce qu'il y avait une très forte mobilisation de forces politiques plutôt à droite et que celles-ci ont violemment fait connaître leur opposition à un certain nombre d'aménagements qui avaient été prévus au début dans le texte.

Je ne pense pas qu'on puisse imaginer que l'on se soit basé sur des fantasmes d'économie par rapport à des décès, je ne pense pas que ce soit cela le fond du problème. Le fond du problème, aussi grave d'ailleurs, est certainement que les législateurs ont eu un peu peur de la vox populi et qu'ils ont décidé de faire le gros dos en attendant que cela se passe et en en donnant le moins possible. Ce n'est peut-être pas beaucoup plus reluisant mais c'est moins grave que ce genre de position.

M. Jacques Larché, président.- Je vous remercie de vos interventions et je voudrais poser une question. Les uns et les autres vous avez marqué des réserves, ou une certaine hostilité au système du PACS tout en le prenant pour ce qu'il est compte tenu de ses insuffisances. Qu'est-ce que cela veut dire ?

Emettons une hypothèse, après deux lectures le PACS est voté et admettons qu'il soit voté dans les termes qui sont ceux dans lesquels il nous vient de l'Assemblée Nationale. Dans ce cas, vous les associations, les groupes de pression, et le terme n'est pas péjoratif, lorsque vous avez une idée, un intérêt à défendre, je considère tout à fait légitime que vous interveniez auprès des autorités que nous sommes pour essayer de faire connaître vos points de vue, je le considère d'autant plus que j'ai souhaité que vous soyez entendus pour nous dire ce que vous aviez à nous dire, envisagez-vous une action au-delà du PACS une fois qu'il sera voté ? Votre raisonnement est-il : "nous avons le PACS, ce n'est pas bon mais compte tenu de ce qu'il est et compte tenu de ce que nous voulons, il y a une telle différence que nous continuons à agir parce que nous voulons aller au-delà du PACS" ?

M. Dominique Touillet - L'opinion de toutes les personnes est de dire qu'une fois que nous aurons le PACS nous l'utiliserons et nous utiliserons les failles du PACS pour le faire évoluer. Nous sommes là aussi pour faire évoluer les choses.

Mme Dominique Blanchon - J'ai annoncé tout à l'heure qu'à la suite du vote du 9 octobre un certain nombre d'associations ici présentes avaient créé l'observatoire du PACS qui a justement pour but de dépasser le PACS.

M. Daniel Borrillo - J'aimerais pouvoir sortir de la logique de la revendication du Droit subjectif pour les homosexuels. A mon avis nous sommes dans un débat majeur de Société et il me semble qu'on ne le réduit pas simplement au lobby homosexuel. Nous allons continuer à nous battre jusqu'à avoir l'égalité de droits.

Il y a la possession précaire, la propriété ou l'usufruit, on nous propose l'usufruit, nous n'avons même pas la possession précaire, nous allons donc continuer à nous battre jusqu'à la propriété.

Mme Martine Gross - Nous allons essayer de faire en sorte que la famille parentale soit reconnue à part entière.

M. Jacques Larché, président.- Je vous remercie d'être venus nous exposer vos points de vue.



La séance, suspendue à 17 h 05, est reprise à 17 h 20.

M. Jacques Larché, président.- Nous reprenons nos travaux et procédons aux dernières auditions. Nous entendrons Madame Chantal Lebatard, Administrateur de l'Union Nationale des Associations Familiales, Madame Dominique Marcilhacy de Familles de France, Monsieur Jean-Marie Andrès de la Confédération Nationale des Familles Catholiques, Madame Claudine Rémy, vice-présidente des Familles Rurales et Monsieur Bernard Teper, chargé de la communication à l'Union des Familles Laïques.



7) Audition de :

- Mme Chantal Lebatard, administrateur - Union Nationale des Associations Familiales (UNAF)

- Mme Dominique Marcilhacy - Familles de France

- M. Jean-Marie Andrès - Confédération nationale des associations familiales catholiques

- Mme Claudine Rémy, vice-présidente - Familles rurales

- M. Bernard Teper, chargé de la communication - Union des familles laïques

Mme Chantal Lebatard -
Je voudrais en préalable excuser Monsieur BRIN, Président de l'Union nationale des associations familiales, un rendez-vous ministériel prévu de longue date avec le Ministre du Logement l'a contraint à me déléguer cette présentation. J'exprime aussi un regret sur la façon dont ces auditions ont été organisées sur une journée donnant encore l'impression de précipitation et de confusion alors que, par exemple, nous savons déjà qu'au Ministère de la Justice un groupe de travail travaille sur les problèmes de l'évolution du Droit de la famille. Nous aurions pu espérer un délai plus raisonnable et attendre les conclusions de ce groupe pour terminer ce travail de réflexion.

M. Jacques Larché, président.- Nous devons travailler dans un laps de temps qui nous est octroyé par le Gouvernement. L'affaire du PACS est venue devant l'Assemblée Nationale sans tenir le moindre compte des préoccupations de la Chancellerie et de ce groupe de travail qui existe sur le Droit de la famille. Le Gouvernement fixe l'ordre du jour, le Gouvernement nous indique les impératifs et il semble que la Loi sur le PACS figure au nombre de ces impératifs. Je n'ai aucun pouvoir de m'y opposer, vos regrets sont donc à adresser au Gouvernement.

Mme Chantal Lebatard - Nous profitons de l'occasion pour les adresser de toute façon. Je voudrais simplement rappeler, avant que ne s'expriment mes collègues des différentes associations familiales, la position particulière qui est celle de l'UNAF. Notre institution a mission légale de s'exprimer au nom de l'ensemble des familles françaises et étrangères vivant en France. Nous n'exprimons pas simplement le point de vue des associations ou des mouvements qui composent l'UNAF mais nous avons cette mission beaucoup plus large de dire ce qui est le bien des familles, pour toutes les familles.

C'est pourquoi nous avons une réflexion qui est beaucoup plus diversifiée et qui essaie de tenir compte de toutes les tendances. Vous avez légitimement souhaité en entendre des expressions variées de " Familles de France " à " Familles Rurales ", de la Confédération nationale des Associations familiales catholiques à l'Union des familles laïques, vous entendrez donc la diversité de nos compositions.

Toutefois, je voudrais préciser que la position de l'UNAF telle qu'elle figure dans le recueil qui vous a été remis est une position qui a été établie, par un débat démocratique solennel en Assemblée Générale, suivi d'un vote sur deux propositions de textes, donc deux expressions possibles de la pensée des familles. Un texte minoritaire a recueilli à peu près 3 % des suffrages et un texte majoritaire dans lequel l'ensemble des familles se reconnaissaient a recueilli près de 90 % des suffrages, et donc est devenu la position de l'Institution.

On pourrait en résumer ainsi la teneur : si le législateur considère que des droits nouveaux doivent être ouverts pour des situations non familiales, l'UNAF ne saurait admettre que ceux-ci puissent être confondus avec les dispositions relatives à la famille et rejette toute proposition qui remettrait en cause les fondements de la famille et l'intérêt supérieur de l'enfant.

Ces textes vous ont été communiqués, ils avaient été évidemment communiqués aux rapporteurs des différentes propositions de loi à l'Assemblée Nationale, nous avons été auditionnés par eux, nous nous sommes exprimés devant eux, nous avons suivi leurs travaux. Aujourd'hui vous nous demandez de nous exprimer en réaction au texte qui a été voté par l'Assemblée Nationale dernièrement lors de ces débats et qui vous est soumis.

La position de l'UNAF est assez claire. L'UNAF maintient sur ce texte des réserves extrêmes car le texte, en l'état, confirme ou ajoute à la confusion qui apparaissait déjà et qui a été manifestée à travers les différentes expressions, les débats et les commentaires qui ont eu lieu.

Confusion entre les publics bénéficiaires, puisqu'il veut répondre à la fois au besoin de reconnaissance des couples homosexuels, au besoin de sécurité des couples concubins hétérosexuels avec enfants et au besoin de meilleures conditions de vie commune et de fin de vie pour des groupes, que Monsieur Touillet appelait tout à l'heure " cellules de solidarité ", pour exprimer le besoin de solidarité des personnes qui souhaitent échapper à la solitude.

Confusion aussi des dispositions proposées avec celles régissant le mariage qui institue la famille dans et pour la Société. Confusion sur un plan juridique entre les couples homosexuels et les couples hétérosexuels, au risque de brouiller encore les repères fondamentaux de la parentalité qui repose sur l'altérité, la différence des sexes et des générations. Confusion entretenue par le texte lui-même comme par les commentaires qu'il suscite, les débats nombreux qu'il a suscités et les déclarations des parlementaires qui l'ont appuyé.

De plus, l'UNAF s'interroge fortement sur l'intérêt ou la portée réelle d'un nouveau statut du couple intermédiaire entre le mariage et l'union de fait ou union libre, sans s'être assuré au préalable qu'il corresponde aux raisons qui conduisent les concubins à différer ou refuser le mariage. Madame THERY a évoqué longuement ces réalités ce matin et je crois que les débats qui ont précédé ont montré que les réponses n'étaient pas forcément trouvées dans ce texte.

L'UNAF redoute enfin la nature très réversible du PACS proposé qui n'apporte guère de réponse au besoin de sécurité et de protection du plus faible des contractants, mais semble instituer la répudiation.

Quant à son élargissement aux fratries, ne paraît-il pas au-delà de la confusion ajoutée, plus générateur d'inégalités, inégalités de Droit en particulier entre membres d'une même fratrie dès lors que celle-ci comporterait plus de deux personnes ?

Les dispositions fiscales prévoyant déclaration conjointe et imposition commune, outre le fait qu'elles réduisent encore le poids de la fiscalité directe dans la structure de la recette publique suscitent également notre interrogation. Elles ne concernent d'abord que ceux qui paient l'impôt, qu'en sera-t-il pour les autres ? Quelle solidarité ? Quelle cohérence trouver dans cette disposition, avec les discours sur la solidarité et les besoins réels des plus défavorisés de nos concitoyens ?

L'UNAF en la personne de son Président avait lancé le 29 octobre dernier un appel solennel au Gouvernement par une lettre au Premier Ministre dont le texte vous a été transmis et figure dans le dossier. Cet appel, aujourd'hui nous le reprenons pour vous, Messieurs et Mesdames les Sénateurs. Un sujet aussi essentiel pour notre Société ne saurait se traiter dans la précipitation, il exige un vrai débat dans toutes les composantes de notre Société et une vraie concertation associant toutes les forces vives de notre Nation et tous les courants de pensée. Vous pourriez en être les promoteurs et les médiateurs si vous acceptiez de laisser le temps du discernement et de la réflexion prendre le pas sur des considérations plus politiques.

Notre législation actuelle offre encore bien des ressources inexploitées pour régler les problèmes matériels difficiles qu'impliquent certaines situations, et je crois que nous n'avons pas exploré suffisamment toutes les pistes qui pouvaient s'offrir.

Alors seulement pourront s'élaborer des textes qui dans le respect de l'équité, des choix privés de chacun et de l'intérêt de tous et de la Société, assurent à tous, notamment aux plus faibles, notamment à chaque enfant, protection et garantie de ces droits fondamentaux et défense des intérêts supérieurs.



Pour finir, au moment même où partout on débat du sens de la Loi, des repères pour les jeunes, il est indispensable de s'interroger sur la fonction même de la Loi. La Loi dans son fonctionnement de structuration des personnes ne doit pas permettre la confusion des genres ; tel est le rôle du législateur de le garantir.

M. Jacques Larché, président.- La parole est à Mme Dominique Marcilhacy.

Mme Dominique Marcilhacy - Je vais commencer ce propos par une phrase de Woody Allen qui semble résumer assez bien la problématique du PACS : " Le loup et l'agneau dormiront ensemble mais l'agneau ne dormira pas longtemps. " Au fond, contrairement à ce qu'on raconte, si le PACS est une nouvelle liberté, c'est celle du loup dans la bergerie. Les agneaux sont les femmes et les enfants.

Je crois que cela n'a échappé à personne, le PACS est en réalité une sorte de mariage, un quasi mariage, sinon il n'y aurait aucune raison d'y reproduire les interdits fondamentaux du mariage que sont l'interdiction de l'inceste et l'interdiction de la bigamie. Toute la question est de savoir si c'est un progrès pour les personnes homosexuelles et pour les concubins.

En avant-propos, il n'est pas question, lorsque l'on dit que l'on est contre le PACS, de dire que l'on est pour autant contre les homosexuels. J'ai été frappée au travers de tous les débats relatifs au PACS du respect que tout le monde a manifesté à l'égard des homosexuels et je voudrais au nom de Familles de France leur exprimer ce même témoignage de respect et d'amitié.

Pour autant, Familles de France n'est pas favorable au PACS parce que loin d'assurer une protection, un progrès, à l'égard à la fois des homosexuels et des concubins, le PACS est une véritable régression c'est-à-dire la liberté du loup dans la bergerie.

Je vais diviser mes propos en deux parties, la première pour montrer en quoi le PACS est dangereux et la deuxième pour montrer en quoi l'Etat a le devoir de favoriser le mariage.

Le PACS est dangereux pour les pacsés eux-mêmes à qui l'on fait croire qu'ils vont avoir un statut plus avantageux. Nous sommes en fait en face d'une sorte de vase communiquant où d'un côté vous avez des personnes qui aujourd'hui bénéficient en se mariant d'un certain nombre de droits et d'avantages et auxquels on va proposer, demain, des droits qu'ils croiront analogues mais qui, en réalité, seront moins protecteurs.



Contrairement à ce que l'on dit, les français ne savent pas de quoi est composé le PACS. Familles de France a fait une enquête auprès d'un millier de personnes pour leur demander non pas ce qu'elles pensaient du PACS mais ce qu'ils en savaient et nous sommes arrivés à 60 % de réponses inexactes par rapport aux questions que nous avons posées. Les Français ne savent pas de quoi il s'agit et beaucoup, en particulier les concubins, pensent que cela va leur apporter des avantages qu'ils voudraient avoir et qu'ils n'ont pas actuellement.

Prenons un exemple très simple, quel est aujourd'hui le grand droit social dont sont privés les concubins ?

C'est le droit à la pension de réversion en matière de retraite. Personnellement, je trouve qu'il est illégitime de priver des personnes qui vivent ensemble depuis 30 ans de la pension de réversion, je trouve cela injuste. Pourquoi le PACS ne propose-t-il pas la pension de réversion ? C'est dire que, sur ce seul exemple, le PACS n'assure pas une véritable protection, là où les concubins peuvent se trouver en situation de fragilité.

L'autre protection dont ont besoin les concubins est la protection contre la rupture. A tout moment le concubin peut s'en aller, or le PACS ne prévoit rien, il prévoit trois mois de délai entre le moment où vous recevez votre répudiation et le moment où vous êtes répudié, c'est donc d'une grande fragilité alors que les concubins ont besoin d'une protection contre le risque de la rupture que ce soit par le décès ou par l'abandon.

Le PACS est également dangereux pour les enfants. La revendication de toutes les personnes qui militent pour le PACS et en particulier les homosexuels est d'obtenir l'adoption des enfants.

Je ne parlerai plus en tant que Familles de France mais en tant que mère de famille pour vous dire qu'il est évident que l'on ne peut pas imaginer qu'un homosexuel aime moins son enfant qu'un hétérosexuel. Ce n'est pas une question de quantité d'amour ou de tendresse, c'est simplement que cet enfant a besoin d'un père et d'une mère, pas une référence masculine et une référence féminine. La première question fondamentale que se posent les tout petits lorsqu'ils ont trois ou quatre ans c'est : " moi, que vais-je devenir, est-ce que je serai un papa comme papa ou une maman comme maman ? " et il se passe un moment pour qu'on puisse leur faire comprendre qu'ils sont définitivement d'un sexe et pas d'un autre.

A l'adolescence le problème est différent, les jeunes sont souvent un peu angoissés de l'autre sexe et par conséquent la tendance spontanée peut être de s'intéresser à son propre sexe par peur de l'autre sexe. Dès lors, que l'homosexualité est présentée comme une norme - il ne s'agit pas de dire que l'homosexualité est une maladie - pour ces adolescents qui sont hésitants il est clair qu'ils risquent de se tourner vers l'homosexualité, laquelle, fondamentalement, ne les rendra pas heureux. Lorsqu'on est homosexuel, il faut vivre avec mais lorsqu'on est hésitant on est plus heureux quand on a choisi la situation d'hétérosexuel.

L'accès à la parentalité des homosexuels serait fondamentalement dangereux pour les enfants et serait générateur de psychoses d'une gravité telle que je crois que nous n'avons aucunement le droit de faire des expériences sur les enfants actuels.

Le PACS est également dangereux pour la Société en général et les personnes mariées en particulier parce que le PACS deviendra une pépinière de fraudes. Demain toute sorte de personnes feront des PACS blancs pour bénéficier en particulier de l'assurance maladie gratuite. Si vous voulez faire 12 000 F d'économies et que vous n'êtes pas assuré social, vous passez un PACS et vous êtes débarrassé d'avoir à payer l'assurance personnelle.

Les exemples de fraudes fourmillent et finiront par peser sur les personnes "ordinaires " qui se verront supprimer les avantages qu'elles ont obtenus parce que le Droit est trop fraudé et BERCY sera satisfait face à ces fraudes de supprimer le Droit pour tout le monde.

Le PACS est dangereux et il est indispensable que l'Etat favorise le mariage, c'est sa mission. Beaucoup de personnes vivent ensemble sans être mariées et on a tendance à se dire : mais au fond pourquoi y aurait-il des droits et des prérogatives réservés à certains et pas à d'autres ?

Je crois que l'Etat ne doit pas être neutre, il doit favoriser le mariage parce que le mariage rempli deux institutions fondamentales dont la première est d'assurer la pérennité de notre Société.

Selon le mot d'Ernest Renan "aucune civilisation n'a été bâtie par des personnes seules nées de parents inconnus et morts célibataires sans enfants." Les homosexuels par leur nature n'ont pas vocation à avoir le nombre d'enfants dont notre Société a besoin. Le mariage n'est pas une institution destinée à favoriser l'amour. Très concrètement, la Société a mis en place le mariage parce qu'elle désirait que des enfants naissent en quantité suffisante. Pour cela, il convient que le mariage soit réservé aux hétérosexuels.

Mais dès lors que les personnes sont hétérosexuelles pourquoi l'Etat doit-il favoriser le mariage par rapport au concubinage ? La réponse est non moins prosaïque parce qu'il faut flécher le sens qui va permettre à la Société de tirer le maximum de profit de l'union de l'homme et de la femme.

Que recherche-t-on dans le mariage ? On recherche qu'une union soit stable et qu'il naisse des enfants. Les 2000 ans de conquête du mariage n'ont pas consisté à autre chose qu'à essayer d'obtenir que les hommes soient moins volages et que les enfants soient élevés par leurs deux parents le plus longtemps possible. Les institutions fondamentales du mariage sont l'interdiction de la répudiation et la présomption de paternité. L'enfant qui naît dans un foyer marié a automatiquement une maman et un papa qui sont ceux que la noce désigne.

Le mariage a cet objectif extrêmement anthropologique et qu'il vous appartient de défendre. A cet égard, je voudrais vous demander quelque chose Mesdames et Messieurs les Sénateurs : ne soyez pas des parents qui battent. Le mariage est un des enfants de la République et la législation abonde d'exemples dans lesquels le mariage est brimé par rapport au concubinage. C'est curieux de voir que le mariage est aujourd'hui l'enfant battu de la République. Cet enfant, vous devez l'aimer et le protéger comme le vôtre, cela ne veut pas dire qu'il faille haïr les personnes qui ne peuvent pas y accéder mais il faut que vous réserviez au mariage les avantages que certains voudraient voir étendre au concubinage, d'autres aux homosexuels mais qui n'ont pas lieu de leur être réservés. Protégez le mariage !

M. Jacques Larché, président. - La parole est à M. Jean-Marie Andrès.

M. Jean-Marie Andrès - Je voudrais changer la structure de mon exposé sans doute pour insister sur une première chose qui est notre grande communauté de pensée avec ce que viennent de dire Mesdames Marcilhacy et Lebatard.

L'UNAF, extraordinairement unanime sur ce thème, a été fondée précisément auprès des instances politiques pour construire une pensée et s'en faire le témoin. J'ai vu que d'aucuns s'émouvaient que ce thème soit traité un peu hâtivement, je crois que ce thème demande qu'on lui octroie la place des grands thèmes de Société et qu'on considère dès lors qu'une instance représentative comme celle de l'UNAF est une émanation crédible de cette société.

Pourquoi l'UNAF est-elle représentative sur ce thème ? Parce que je veux rappeler et insister sur le fait que la famille n'est pas une catégorie sociale et je vous prends tous à témoins car nous sommes tous membres d'une famille, de notre famille. Nous aurions donc tort d'imaginer qu'il faut d'un côté écouter telle ou telle association et de l'autre côté les associations familiales comme si c'était des choses de même nature. Les associations familiales, et il suffit d'examiner les nombreux travaux de l'UNAF, sont des associations qui sont fondées à s'occuper de tous les problèmes de Société et à ce titre représentent les citoyens.

Je me permets d'être un peu redondant sans doute, pour vous dire que les positions prises à une très forte majorité par l'UNAF sont les positions qui représentent très fortement les français, lorsqu'ils sont informés. Ce très grand débat de Société souffre singulièrement d'une absence d'information et de dialogue. Nous avons cherché et nous cherchons encore à établir un contact sur le terrain, et les nombreuses signatures de pétitions que nous avons initiées avaient cet objectif fondamental d'en parler aux citoyens. Je ne crois pas qu'il serait bon que des thèmes aussi importants passent à la va-vite pour des contraintes de nature, ce que nous autres français de la base appelons, politiciennes.

Au-delà de ces propos qui cherchent à replacer ce débat à son niveau, je voudrais insister sur le problème de fond de cette proposition de loi. Premièrement, on nous dit que c'est une proposition de loi, ce qui voudrait dire que c'est sur l'initiative du peuple, ce que je dénie totalement. Je pense que ce n'est pas une initiative populaire, loin s'en faut, et que les députés sont allés bien au-delà de ce qu'ils pensent être la volonté du peuple sur la nécessité de légiférer là-dessus.

Deuxièmement, les débats que j'ai trouvé difficiles et longs à l'Assemblée montrent assez bien qu'on a beau peaufiner ce texte on ne réussira jamais à lever les ambiguïtés de fond, à savoir qu'on ne sait pas si on cherche à traiter des concubins ou du mariage homosexuel, on ne sait pas en définitive si on cherche à proposer un substitut au mariage ou au contraire si on cherche à traiter des problèmes de solidarité qui se posent parfois.

J'insiste par ailleurs sur les perversions fondamentales qu'apporte ce texte comme la fragilité : dans un monde qui se veut solidaire, on institutionnalise la précarité ; dans un monde qui se veut préoccupé par les repères, le thème de l'enfant est évité alors qu'on sait fort bien que ce thème suit logiquement.

Je crois que l'on aura beaucoup de mal à clarifier ces choses autrement que par le retrait pur et simple de ce texte. Car à quoi sert-il ? Nous voulons un message clair pour l'ensemble de nos concitoyens et ce message clair aujourd'hui existe puisque l'homosexualité est un thème connu, Dieu merci il n'y a plus de chasse aux sorcières de ce côté-là. Qu'on le veuille ou non le concubinage est un fait accompli et là non plus je ne pense pas que ce soit un thème honteux et, qu'on le veuille ou non, les couples continuent à se marier, je lisais même récemment qu'il y aurait une petite recrudescence de ce côté.

Alors de quoi avons-nous besoin de plus ? D'un autre statut du mariage ? A quand le troisième, le quatrième statut du mariage ? Ou alors on supprime franchement le mariage et les choses sont claires. Je ne vois pas comment des travaux approfondis aboutiraient à lever ces ambiguïtés que je qualifierais de congénitales.

C'est pour cette clarté que nous nous sommes associés à vos travaux depuis le début mais c'est aussi pour cela que nous nous associons à tous les travaux de terrain qui se manifestent par des signatures de pétitions. Ces dialogues sont nécessaires avec l'ensemble des citoyens, avec l'ensemble des sensibilités politiques, parce que c'est un thème qui ne doit surtout pas être politisé, ce n'est pas un débat gauche/droite, ce serait une erreur fondamentale.

C'est ainsi que nous sommes parmi les co-organisateurs de la manifestation de dimanche prochain, le 31, par laquelle nous cherchons simplement à essayer d'interpeller par de la bonne humeur et par le nombre, l'ensemble des citoyens, les sénateurs sur ce thème fondamental et sur la nécessité qu'il y a à le traiter au fond et sans doute par le retrait de ce texte.

M. Jacques Larché, président.- La parole est à Mme Claudine Rémy.

Mme Claudine Rémy - Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser Madame PETIT, notre Présidente, qui est absente et qui m'a chargée de vous transmettre cette intervention.

Le Mouvement Familles Rurales est défavorable au projet de loi sur le PACS pour de multiples raisons :

Les choix de vie en couple sont indifférenciés. Il est une chose de respecter le choix de vie de chacun, notamment en matière de préférence sexuelle, il est tout autre chose de reconnaître sur le même plan tous les types de relation. La différence des sexes est fondamentale pour notre Société. Les enfants et les adolescents ont besoin de ce repère pour trouver leur place et se construire en tant qu'homme ou femme, maillon de la chaîne des générations sans laquelle il n'est pas d'avenir.

C'est un contrat sans garantie. La rupture pourra intervenir à n'importe quel moment sur simple demande. Le plus faible n'est pas protégé. Or, la Loi a justement vocation à préserver le droit du plus exposé. Le PACS ne le permettra pas.

La porte est ouverte aux abus. Aux vues des avantages qu'il peut procurer (déclaration fiscale commune, protection sociale, priorité pour l'affectation professionnelle, carte de séjour et naturalisation pour un étranger), le caractère peu contraignant du PACS provoquera des dérives.

Le couple est amputé de sa fonction parentale. Il faut distinguer les unions qui visent la vie solidaire, la mise en commun de biens, de celles qui constituent les cellules de base de la Société. Les avantages procurés au couple hétérosexuel ne sont pas liés au couple lui-même mais à la présence d'enfants ou au projet d'en avoir.

Les droits de l'enfant sont complètement ignorés. L'enfant a droit à un père et une mère pour la construction de son identité. Or, le PACS écarte toute considération de l'enfant. Il se borne aux droits des personnes dans le couple comme si le couple était une fin en soi que la Société devait reconnaître en tant que tel.

La vie privée n'est pas un sujet de Droit. L'union libre est bien le choix d'hommes et de femmes qui ne souhaitent pas qu'un cadre juridique soit instauré dans leur relation affective.

L'acte civil du mariage est indirectement mis en cause. Alors que tout le monde reconnaît la nécessité de renforcer la citoyenneté et de mieux sensibiliser les familles à leur responsabilité d'éducation dans la Société, il est surprenant que l'Etat se soucie aussi peu de valoriser les actes d'état civil dont il est garant. Aujourd'hui beaucoup de couples ne mesurent pas les conséquences de leur union en dehors du Droit établi par l'acte civil. Il est urgent de mieux informer les jeunes des formes d'unions possibles et de leurs conséquences sur le Droit des personnes.

L'accès à ces droits est sans contrepartie. A la différence de l'acte civil du mariage qui prévoit des devoirs entre les contractants, le PACS ouvre des avantages sans attendre quoi que ce soit de l'union des personnes. Cette idée que la collectivité aurait à consentir des avantages sans rien n'attendre en retour n'est pas justifiée. Pourquoi un célibataire qui s'investit dans la vie associative ou sous toute autre forme dans la Société ne pourrait-il pas bénéficier des mêmes égards ?

Le PACS dépasse l'objectif qu'il s'était fixé de combler un vide juridique. Ses enjeux sont d'une autre nature remettant en question les fondements même de la Société.

C'est pourquoi Familles Rurales est favorable à l'aménagement du Droit français lorsque dans certaines situations de séparation ou de décès, le plus faible n'est pas protégé. Il convient d'aménager les quelques textes concernés, de faire en sorte que tout citoyen en prenne connaissance. Légiférer sur de nouvelles formes d'unions ne nous paraît pas utile.

M. Jacques Larché, président.- La parole est à M. Bernard Teper.

M. Bernard Teper - Madame le Sénateur, Messieurs les Sénateurs, au nom de l'Union des Familles Laïques je vous remercie d'avoir réalisé une audition pluraliste car en réalité la seule instance qui représente les citoyens de notre pays est la représentation nationale et donc le législateur. Il est donc normal que le législateur écoute l'ensemble des positions qui s'expriment dans la Société, d'autant plus que, particulièrement sur ce sujet, nous voyons bien qu'il n'y a pas deux positions, les pour et les contre et que c'est un problème compliqué comme tous les problèmes de Société. Il est donc normal que l'ensemble des familles de pensée puisse s'exprimer.

Lorsque nous regardons à l'extérieur des enceintes parlementaires nous remarquons que nous sommes sur le PACS dans une atmosphère de guerre civile verbale. Nous pensons que la Loi doit assurer la paix civile tout en permettant à la Société d'être ouverte sur l'avenir. Force est de constater que le projet de PACS a plutôt renforcé les hostilités et les outrances.

Sans doute parce que les pouvoirs publics et les promoteurs du sujet n'ont pas su débattre et dialoguer avec tous les partenaires et que les auditions officielles ont commencé trop tard. Sans doute parce que le projet était plus souvent modifié suite à des actions de lobbying plutôt qu'après un débat raisonné lors d'auditions officielles.

Le résultat est navrant, alors que les concubins vivent en paix civile avec les mariés, le spectacle politico-médiatique est plus proche des guerres picrocholines que de la sérénité nécessaire.

D'autant plus navrant que ce texte tel qu'il existe aujourd'hui n'a plus d'intérêt pour les quelques 5 millions de concubins hétérosexuels alors que ses promoteurs voulaient en faire un texte à caractère universel.

D'autant plus navrant que ce texte, qui a valeur de contrat, ouvre des délais de carence incompréhensibles, instaure le droit de répudiation, refuse la protection du plus faible dans le couple. Par exemple, pourquoi dans la nuit du 8 au 9 septembre a-t-on supprimé la référence aux Articles du Code Civil 765, 766 et 767, articles qui proposaient justement la protection du plus faible ?

Nous disons que s'il y a contrat il faut la protection du plus faible ou alors il faut prendre une autre voie. De plus, la question que nous pouvons nous poser est : quel sera l'avenir des concubins après ce texte ? Quel sera l'avenir des concubins non pacsés ?

Puisse le Sénat, où doit régner la sérénité, oeuvrer dans le bon sens.

Alors que faut-il faire ? Nous proposons cinq points :

- ne pas se contenter du statu quo. Le statu quo est injuste pour un certain nombre de groupes, de couples, de familles,

- il faut sérier les problèmes et ne pas mettre tout dans une même loi,

- il faut supprimer l'injustice que le peuple français ne supporte plus,

- il faut faire rentrer le Droit familial et le Droit des couples dans le progrès et la modernité,

- et enfin, promouvoir la grande réforme de la fiscalité toujours repoussée par les gouvernements depuis plus de vingt ans.

Je vais donc aborder ces cinq points.

1 - Ne pas se contenter du statu quo :

Je vais bien sûr résumer ce qui a peut-être déjà été dit par certaines personnes au cours de cette audition.

La Société n'est plus la même qu'il y a 25 ou 30 ans. Divers bouleversements ont eu lieu qui appellent à une création de droits nouveaux. Modification de situation, nécessité de créer du droit nouveau, nous appelons donc le législateur a travailler à la création de ces droits : en zone rurale, suite à la demande des fratries et des personnes seules, en zone urbaine suite au développement massif de l'union libre et également des personnes seules.

L'ensemble de ces problèmes demande des droits nouveaux, le problème des fratries demande des droits nouveaux, 7 millions de personnes seules demandent des droits nouveaux et le fait que près de 5 millions de personnes vivent en concubinage demande des droits nouveaux.

Bien sûr, il faut prendre en compte cet état de fait et engager le compromis nécessaire entre zones rurales et urbaines pour prendre en compte toutes ces nouvelles demandes. Il ne faut pas en prendre certaines et pas d'autres, il faut les prendre toutes. Voilà pourquoi, le statu quo n'est plus possible. Il revient au législateur d'engager le débat entre des propositions et non uniquement pour ou contre une seule proposition. Il y a donc plusieurs propositions et il est souhaitable que le législateur puisse choisir.

En ce qui nous concerne, sur le plan de la philosophie du Droit nous pensons que la paix civile consiste à s'appuyer sur le principe laïque suivant : il faut séparer la sphère publique de la sphère privée. L'Etat n'a pas à flécher la vie privée des personnes mais au contraire à faire respecter le libre choix des citoyens à l'intérieur de la sphère privée.

2 - Il faut sérier les problèmes :

Nous sommes pour une grande loi sur les fratries séparée des lois portant sur le Droit des couples. Cela permettrait de ne pas limiter de façon grotesque le Droit des fratries à deux. Pourquoi ne pas élargir le Droit des fratries à trois, quatre ou plus ? Voilà qui permettrait de résoudre des problèmes sociaux notamment en zone rurale.

Par ailleurs, nous sommes également pour une plus grande reconnaissance légale de l'union libre et pour l'amélioration de ses droits. Voilà qui permettrait de résoudre des problèmes sociaux notamment en zone urbaine. Faire deux lois différentes, une sur les fratries, une sur les droits des couples, pour un vrai compromis rural-urbain, pour un vrai compromis "rurbain".

3 - Supprimer l'injustice de l'homophobie :

Comme l'a proposé Monsieur le Sénateur Badinter dans un texte paru dans le Nouvel observateur , il faut supprimer l'homophobie dans l'ensemble du Droit français et effectuer un toilettage de ce Droit pour donner l'égalité en droits de tous les concubins qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels (assurance-maladie, transfert de bail, etc.)

C'est effectivement une exigence de justice qui est demandée, nous semble-t-il, par le peuple français et c'est pour nous un impératif catégorique.

4 - Faire rentrer le Droit des couples et le Droit familial dans le progrès et la modernité .

Lorsque nous regardons l'histoire du Droit familial et du Droit des couples dans les pays développés de la planète, nous constatons que l'évolution va vers l'égalité en droits des couples, qu'ils soient mariés ou non, hétérosexuels ou non.

Il suffit de regarder différentes provinces canadiennes, il suffit de regarder ce qui se passe en Europe du nord, puisque nous sommes en train de construire l'Europe. Il y a des réalités qui seraient intéressantes à étudier. Alors vous me direz l'évolution du Droit du couple et l'évolution du Droit familial en France depuis une vingtaine d'années va à un train de Sénateur, si je peux me permettre l'expression. Mais lorsque nous regardons sur une longue période nous nous apercevons que, malgré tout cela, à chaque période le législateur doit définir la hauteur de la marche qu'il entend promouvoir pour aller dans le sens du progrès de la modernité.

Il conviendrait d'abord de définir les différents modes de preuve qui permettraient de stipuler le concubinage. Aujourd'hui il serait possible d'améliorer les droits des concubins qu'ils soient hétérosexuels ou non, dans les différents domaines (fiscalité de l'impôt sur le revenu, des successions, des donations, etc). Par exemple, instaurer, comme l'a dit tout à l'heure Madame Lebatard, les pensions de réversion mais également la référence aux articles 765 à 767 du Code Civil présente dans le PACS du mois d'août et supprimée dans celui de septembre. Je me réfère pour cela à ce qui se passe dans plusieurs provinces canadiennes et en Europe du nord.

Pourquoi dans certains domaines ne pas donner des droits identiques à ceux du mariage ? Je ne dis pas dans tous les domaines mais au moins dans certains.

Dans notre projet, il y aurait donc deux possibilités : le mariage et le concubinage. L'avantage serait qu'il y aurait un vrai choix selon le mode d'engagement souhaité et que l'on n'aurait plus le sentiment que le législateur souhaite punir fiscalement ceux qui n'ont pas fait "le bon choix".

5 - Il faut promouvoir la grande réforme de la fiscalité :

L'évolution de la Société produit une grande diversification des modes de vie : croissance forte de l'union libre et du nombre de personnes seules, besoin grandissant des fratries, maintien de l'attrait pour le mariage même s'il y a une augmentation du nombre des divorces. Toutes les prévisions montrent que la différenciation et le pluralisme des modes de vie vont encore s'accroître et s'intensifier.

Cette évolution nous amène à proposer une grande réforme de la fiscalité basée sur les individus et non sur le ménage comme cela se passe dans de nombreux pays développés. Cela permettrait plus facilement d'effectuer et d'admettre la solidarité horizontale (pour tenir compte des dépenses liées aux enfants) et plus encore la solidarité verticale (en fonction des revenus). Mais cela est une autre histoire que certains pourront juger hors sujet. Pourtant, le débat qui nous intéresse est philosophique, sociologique, économique mais aussi fiscal.

La France qui entend marcher sur ses deux jambes attend donc du législateur deux choses :

- Qu'il adopte pour la France des lois permettant à celle-ci de tenir son rang en tant qu'inspiratrice des lumières, du progrès et de la modernité.

- Qu'il stoppe cette atmosphère de guerre picrocholine et instaure la paix civile sur ce chantier qui satisfasse tous les citoyens de notre pays.

Pour cela, l'UFAL est à votre disposition. Je vous remercie.

M. Jacques Larché, président. - J'ai noté avec plaisir que certains d'entre vous avaient bien voulu reconnaître la qualité du débat que nous avons effectué.

M. Patrice Gélard, rapporteur - Je vais tout d'abord m'adresser à Monsieur Andrès concernant l'adoption du texte par l'Assemblée Nationale. Si nous ne discutons pas de ce texte, si nous en demandons le retrait, l'Assemblée Nationale décidera seule et en fonction du texte qu'elle aura adopté en première lecture. Cela signifie que le PACS tel qu'il a été voté par l'Assemblée Nationale a de très fortes chances d'être à nouveau adopté. Je voulais faire cette remarque pour rappeler que les pouvoirs que nous avons ne sont pas dans ce débat législatif aussi étendus qu'on veut bien le croire.

Ma deuxième remarque s'adresse aux quatre premières associations qui ont parlé et qui nous ont manifesté leur attitude à l'égard du PACS tel qu'il a été adopté par l'Assemblée Nationale. Comment voient-elles la solution des problèmes réels soulevés par l'existence de couples homosexuels ? Comment d'après vous peut-on régler le problème ?

Je vais jouer les provocateurs. Le code civil ne prévoit pas, si ce n'est incidemment, que le mariage concerne un homme et une femme. Dans d'autres termes, la solution la plus simple serait d'admettre le mariage des homosexuels, il n'y aurait rien ou presque à changer dans le code civil. Que pensez-vous de cette solution ? En voyez-vous une autre ? L'assimilation des homosexuels aux concubins vous paraît-elle acceptable ou non ?

Deuxième question qui s'adresse à vous cinq, il y a des personnes qui vivent ensemble indépendamment de tout problème de vie sexuelle, et qui ont des problèmes juridiques. Admettriez-vous qu'il y ait dans la partie patrimoniale du code civil la possibilité offerte aux concubins de signer un contrat qui réglerait les problèmes de leur vie commune, c'est-à-dire un contrat qui déciderait qui paie le loyer, qui paie le téléphone, etc, et qui délimiterait en cas de dissolution de leur union temporaire la façon dont les biens seraient répartis ?

M. Jacques Larché, président - J'ajouterais notre volonté ferme de ne pas demander le retrait de ce texte, parce que nous avons l'intention de l'examiner, nous sommes là pour faire un travail d'analyse juridique et politique. Certes, le PACS est un monstre juridique dans l'état actuel et il n'est pas possible de laisser passer quelque chose comme cela. Nous n'aurons pas la même attitude que celle de l'Assemblée Nationale, je l'ai déjà affirmé mais nous aurons une attitude très claire et volontaire d'analyse profonde.

En effet, ce problème de répudiation est un problème et une importante innovation dans notre Droit. Il bouleverse le Droit traditionnel, le Droit du conjoint. Il est peut-être difficile de l'accepter et c'est un des problèmes dont nous aurons à débattre.

Je partage le sentiment de notre futur rapporteur qui ne rapportera pas dans le sens d'une demande de retrait du texte.

Mme Dominique Marcilhacy - Il est faux de dire que les concubins, les célibataires ou les homosexuels n'ont pas de statut. Ils ont un statut, tous les célibataires français ont un statut, c'est-à-dire des droits en matière de protection sociale et de protection des biens, nous ne sommes donc pas dans une situation de vide juridique.

Il y a bien entendu des améliorations relativement modestes à apporter, la moins modeste de ces améliorations concerne les droits de succession lorsque les personnes ne sont pas parents. Les taux sont confiscatoires et il nous paraîtrait normal que l'ensemble des droits de succession soit baissé comme c'est le cas en Europe. Vous aurez alors réglé dans un esprit d'égalité parfaite le cas des couples homosexuels, des célibataires et de tout le monde. Il est aussi possible d'améliorer les clauses de tontine de sorte que les personnes qui vivent ensemble puissent se passer le logement sans trop de difficulté.

M. Patrice Gélard, rapporteur - Le mécanisme de la tontine est un mécanisme compliqué.

Mme Dominique Marcilhacy - Oui, mais il n'est pas interdit de l'améliorer.

M. Jacques Larché, président - La difficulté de la tontine est son montant limité.

Mme Dominique Marcilhacy - Il suffit de la remonter par exemple à 2,5 MF.

M. Jacques Larché, président - Elle est limitée à 500 000 F, c'est la Loi de la tontine. Une tontine à 2 MF, ce serait différent.

Mme Dominique Marcilhacy - Nous pouvons aussi prévoir que lorsque l'une des personnes du couple est gravement malade, elle accède à des droits en cas de décès. Il ne faut pas toucher aux dispositions fondamentales qui encouragent le mariage, en particulier l'imposition qui doit encourager les couples à se marier.

Vous m'avez demandé s'il faudrait prévoir qu'on puisse passer une sorte de contrat qui permettrait de régler les problèmes de la vie commune, mais la Loi le prévoit déjà. Toute personne voulant régler des problèmes de ce type peut passer devant son notaire et signer un acte sous-seing privé qui réglera la question de leur vie commune, de leur séparation et dont l'éventuelle dispute pourra être réglée devant les tribunaux. Cela existe déjà.

M. Jean-Marie Andrès - Je constate qu'on voit bien que l'une des difficultés de cette loi est que volontairement elle ne précise pas ce qu'elle poursuit. Elle en arrive à accumuler des choses qui sont très exogènes et difficiles à faire cohabiter.

Je comprends qu'il soit indispensable de poursuivre l'étude de ce texte. Je crois qu'il faut amener clairement chacune des personnes à traiter un certain nombre de problèmes de solidarité et à juger quel est le meilleur registre du Droit. Le thème du mariage des homosexuels doit être exposé clairement. Comme on ne veut pas le dire franchement, cela nuit au travail du législateur.

M. Guy Allouche - J'ai cru comprendre que vous attachiez une importance capitale au mariage, à la famille. Quoi de plus normal, de plus naturel, il est vrai que notre Société, notre civilisation est fondée sur le mariage, mais il y a une évolution dont nous devons tenir compte. Qui dit mariage ne dit pas forcément enfant. Deux êtres peuvent se marier sans pour autant vouloir procréer et je ne parle pas des personnes qui se marient à 70 ans. La condition de procréation n'est pas consubstantielle au mariage.

Tout à l'heure, Madame MARCILHACY disait que le mariage était l'enfant battu de la République. Non ! Le mariage est ancestral, c'est le divorce qui est l'enfant de la République. Ce n'est pas la République qui a fait le mariage. Il y a des pays qui ne sont pas républicains où l'on se marie.

Vous donnez le sentiment de vouloir interdire aux autres de faire quelque chose. La famille c'est important, j'en ai fondé une, mais il y a aussi des familles qui ne sont pas si heureuses que cela. Je constate qu'à travers un couple homosexuel ou un couple de concubins, l'amour préside à cette union, ce sont des êtres qui s'aiment, qui vivent en paix, en sérénité, ils sont pacifiques, ils ne nuisent à personne et ils ont fait un choix. C'est leur amour qu'ils veulent consacrer à leur façon comme on consacre religieusement ou civilement une autre forme d'amour. Je crains que vous ne donniez, à travers la juste défense de la famille et de ce qu'il y a autour, le sentiment de vouloir empêcher les autres d'opérer leur choix d'amour.

M. Jean-Marie Andrès - Vos propos m'inspirent la question suivante : vous avez dit des choses très justes, il y a des familles mariées qui ne sont pas heureuses et je ne comprends pas comment vous avez pu comprendre dans mes propos que j'ai pensé un seul instant que le mariage était une garantie de bonheur. Bien entendu les enfants ne sont plus non plus une obligation issue du mariage.

En revanche, le mariage est à mon avis une des choses les plus en harmonie avec ce que notre Société découvre aujourd'hui de la plus belle façon qui est appelé la solidarité. Vous l'avez dit vous-mêmes, cette solidarité demande à s'exprimer, elle s'exprime soit de façon privée, et c'est le choix que font les concubins, soit de façon publique et c'est l'originalité du mariage, on ne se promet pas seulement cette solidarité mutuelle mais on s'y engage vis-à-vis de la Société. La Société le reconnaît donc au travers de l'apport que cette solidarité lui apporte et pas comme si l'Etat était une religion de plus.

A mon sens, c'est sur ce seul registre qu'il faut rester. Est-ce que le mariage apporte quelque chose à la Société ? Est-ce qu'il apporte quelque chose de plus que le concubinage ? Fondamentalement, je dis oui, puisqu'en fait c'est un engagement de solidité qui est régit par le mariage et le mode de divorce. Cette différence d'apport sous-entend qu'il y ait une différence de traitement de la part de la Société.

Il n'y a donc pas en soi de valorisation au sens péjoratif du mot moral, il y a bien un travail de législateur d'organisation de la Société avec un modèle lisible et gradué qui d'une part, identifie le mariage, ses engagements et donc la reconnaissance d'engagement par la Société et d'autre part, le choix de maintenir cet engagement à un niveau privé, ce qui est parfaitement licite, mais avec des droits différents.

M. Bernard Teper - Je voulais répondre à Monsieur GELARD qui m'a posé une question sur la façon de régler la vie commune entre deux personnes, indépendamment de toute vie sexuelle. Je réponds pour l'Union des Familles laïques et je dis que nous y sommes très favorables. Nous y sommes favorables mais dans une loi qui est différente de celle sur les couples et les familles. Il ne faut pas mélanger les fratries comportant plusieurs personnes qui veulent régler des problèmes patrimoniaux mais qui n'ont pas de relations affectives et sexuelles. Il ne faut pas mélanger cela avec le Droit qui est réalisé pour ceux qui ont ce type de relations affectives.

M. Jacques Larché, président - Où situez-vous le couple homosexuel ?

M. Bernard Teper - Pour moi le couple homosexuel est un couple qui a des relations affectives et sexuelles. Nous souhaitons qu'il y ait d'un côté une législation sur les unions affectives, quelles soient homosexuelles ou hétérosexuelles, et de l'autre côté une loi entre des personnes qui n'ont pas ce type de relation, comme les fratries ou deux personnes qui vivent ensemble.

En zone rurale par exemple, il y a des cas de plus en plus fréquents de deux personnes d'une même famille qui ont des problèmes de patrimoine qu'ils souhaiteraient régler, pourquoi le législateur ne réglerait pas un certain nombre de choses à ce sujet ? Nous critiquons dans ce texte le fait de mettre les fratries, et qui plus est, les fratries à deux. Qui va régler le problème des fratries à trois ou plus ? Pourquoi les ramener à deux ?

La deuxième chose qui paraît importante c'est qu'il faut à un moment donné - ce serait de la responsabilité du législateur et ce serait une date historique - supprimer l'homophobie dans le Droit français, c'est-à-dire faire que les relations entre les personnes relèvent de la sphère privée.

M. Patrice Gélard, rapporteur - Où trouvez-vous dans le Droit français des traces d'homophobie à l'heure actuelle ?

M. Bernard Teper - Par exemple, les concubins hétérosexuels ont des droits, même s'ils n'en ont pas assez ils en ont toutefois quelques-uns, notamment concernant l'assurance maladie, le droit au bail, etc. Il n'y a aucune raison que ces dispositions ne soient pas appliquées à des couples homosexuels.

M. Jacques Larché, président - L'homophobie existait dans le Code Pénal où la relation sexuelle avec un mineur était jugée plus gravement que la relation hétérosexuelle lorsqu'il s'agissait d'une relation homosexuelle.

M. Bernard Teper - Nous estimons que les homosexuels ont le droit à une vie affective et qu'ils constituent un couple. A partir de ce moment, ils ont le pouvoir d'avoir un certain nombre de droits liés à cela. Le principe qui nous permet de dire cela est le principe laïque de séparation de la sphère privée et de la sphère publique. Si on n'est pas d'accord avec ce principe, il est évident qu'on n'est pas d'accord avec la proposition que je fais.

La position que je défends ici précise que ce qui est du domaine privé, les relations affectives et sexuelles, ne relève que du choix des individus eux-mêmes. Si nous voulons rester dans un cadre laïque et républicain le législateur n'a pas à flécher pour signaler que cela est mieux que cela. Le législateur, me semble-t-il, doit voir la situation et, en fait, permettre le choix dans la sphère privée.

Aujourd'hui, il y a près de 5 millions de concubins dont la plus grande partie, plus de 4,5 millions, sont des concubins hétérosexuels, eux aussi demandent l'augmentation de leurs droits. Ce n'est plus une petite minorité. Si l'on oublie ces 5 millions de personnes la pression va être de plus en plus forte. Lorsque 5 millions de personnes ont décidé de vivre d'une certaine façon je ne pense pas que l'on puisse leur dire : "vous vivez mal ainsi, il faut vivre autrement". S'ils avaient décidé de vivre autrement ils l'auraient déjà fait.

Je suis marié, c'est un choix que j'ai fait à un moment donné de ma vie mais je trouve que d'autres personnes ont le droit de faire un autre choix, et n'ont pas à être puni fiscalement. Il faut penser à l'augmentation des droits de l'ensemble des concubins. Pour régler ces problèmes nous ne pouvons pas revenir en arrière, il faut regarder en avant et régler les problèmes qui se posent.

M. Jacques Larché, président - Il y a une énorme différence en termes de traduction économique. Les couples mariés sont considérés comme un stock, les couples concubins comme un flux, c'est-à-dire que le passage par le concubinage peut ne pas être définitif. Il est intéressant d'analyser ces flux comme il est intéressant d'analyser cette affirmation qui consiste à dire que 40 % des enfants naissent hors mariage. Lesquels ? Souvent des premiers enfants, beaucoup moins souvent des seconds et pratiquement jamais un troisième. Les couples concubins à trois enfants sont statistiquement rares.

M. Guy Allouche - Des concubins se marient et des mariages se défont.

M. Patrice Gélard, rapporteur - Il n'y a pas qu'une sorte de concubins, il y a des concubins qui ne se marient pas parce que le régime du concubinage est beaucoup plus intéressant que le régime du mariage, notamment les concubins âgés. Ils risquent de perdre leur retraite de réversion et sont beaucoup plus nombreux qu'on ne le croit.

Il y a ensuite une deuxième sorte de concubins, les concubins anarchistes qui sont contre l'institution du mariage par définition.

Et puis, il y a les concubins qui n'ont pas encore trouvé le temps de se marier, qui sont des fiancés prolongés, ils peuvent avoir un ou deux enfants mais n'ont pas exclu l'idée de se marier. Je ne crois pas qu'on puisse définir une catégorie unique de concubins.

M. Guy Allouche - En matière de fiscalité en France nous avons un problème parce que les impôts sont progressifs. Lorsqu'il n'y a pas d'impôts progressifs, peu importe que les couples soient mariés, non mariés, homosexuels ou hétérosexuels. Nous devons définir quel est le sujet de Droit, appelons-nous foyer fiscal l'individu ou le couple ?

Si j'ai bien compris les propositions de Monsieur TEPER nous allons résoudre le problème en revenant à l'individu et en supprimant cette spécificité du couple. Il s'agit de définir quels sont les couples que nous allons reconnaître comme foyer fiscal.

Est-ce que ce sera uniquement le couple marié ?

Faudra-t-il y ajouter les couples concubins, les couples homosexuels ?

C'est là toute la difficulté que nous avons à résoudre. Tantôt cela joue en faveur du couple foyer fiscal et tantôt cela joue en sa défaveur. Le droit de la décote coûterait 18 ou 19 MdF si nous la supprimions, c'est-à-dire plus que ce que coûterait le PACS et cela pénaliserait les couples mariés à l'entrée dans la vie active. Il faut considérer ces deux aspects.

Si nous considérons uniquement la façon de définir le couple, nous voyons très bien que l'élément essentiel retenu était le couple marié qui avait l'avantage essentiel d'être imposé sur la moitié de ses revenus et non pas individuellement sur la totalité.

Pensez-vous, avec ces différents statuts possibles, qu'il faut revenir sur l'institution du foyer fiscal, c'est-à-dire, sur une imposition identiques aux autres pays ? Je rappelle que seuls la France et le Luxembourg possèdent le quotient conjugal. Pensez-vous qu'il faille frapper les individus qu'ils soient mariés concubins ou homosexuels, ou bien alors voulez-vous généraliser la notion de foyer ?

Lorsqu'on se lance dans la généralisation on voit qu'on ne sait pas où s'arrêter. On ne sait pas s'il faut s'arrêter aux fratries à deux ou trois ou quatre. Je pense qu'il y a un important problème de preuve dans ce cas.

M. Bernard Teper - Monsieur le Président vous avez parlé des flux et des stocks mais il ne faut pas oublier que le nombre de personnes mariées qui divorcent et qui ensuite vivent en concubinage est en augmentation. C'est un autre flux. Je suis d'accord avec vous Monsieur le Président, à ceci près, qu'il y a maintenant une plus grande partie des personnes mariées qui entrent dans la catégorie des flux.

M. Jacques Larché, président - Et qui en sortent aussi !

M. Bernard Teper - Mais qui en sortent aussi, c'est pour cela qu'il y a une complexité des modes de vie.

Pour répondre à M. Guy Allouche, lorsque nous disons que sur le plan fiscal, il faut revenir à l'imposition de l'individu-citoyen, c'est bien évidemment une réforme fiscale de grande ampleur que nous préconisons. Nous sommes effectivement partisans de travailler sur la base de l'individu-citoyen et non du ménage. Bien évidemment, lorsqu'on part d'une imposition sur l'individu-citoyen cela devient plus facile de travailler sur la solidarité horizontale (solidarité liée aux dépenses occasionnées par les enfants avec notre projet de Revenu Social à l'Enfant et au Jeune jusqu'au premier emploi stable au lieu et place des allocations familiales) et sur la solidarité verticale (solidarité redistributive en fonction des revenus) que lorsqu'on part d'une imposition avec le quotient conjugal.

Cela éviterait tout simplement les remarques justifiées qui indiquent qu'on a quelquefois intérêt à choisir son mode de vie en fonction des réalités fiscales. Pour éviter cela je ne vois pas d'autres opérations que de faire le choix qu'ont fait la plupart des pays développés.

M. Jacques Larché, président.- Nous allons clore nos débats. Je remercie l'assistance de sa constance, nous avons apprécié sa présence. Je pense que vous avez ainsi constaté ce que peut être la qualité réelle des travaux du Sénat.

La séance est levée à 18 h 45.

ANNEXE III

COMPTE RENDU DES AUDITIONS AUXQUELLES
LA COMMISSION DES LOIS A PROCÉDÉ MARDI 9 MARS 1999

- Mme Elisabeth Guigou , garde des sceaux, ministre de la justice

- M. Christian Sautter , secrétaire d'Etat au budget

- M. Bernard Kouchner , secrétaire d'Etat à la santé

- Me Hélène Poivey Leclerck , avocat, conseil de l'ordre de Paris, et Me Marie-Elisabeth Breton , avocat, membre du bureau de la conférence des bâtonniers

- Mme Claudette Boccara , vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris

- Me Jacques Combret , rapporteur du 95 ème congrès des Notaires " Demain la famille "

La commission a procédé à des auditions sur la proposition de loi n° 108 (1998-1999), adoptée par l'Assemblée nationale, relative au pacte civil de solidarité .

Elle a tout d'abord entendu Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice .

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a tout d'abord rappelé que ce texte constituait le point d'aboutissement de plusieurs propositions de loi déposées par des parlementaires de la majorité plurielle.

Elle a précisé que le Gouvernement avait approuvé l'adoption d'une proposition de loi sur ce sujet car elle répondait à un véritable besoin social.

Le ministre a constaté que plus de deux millions de couples vivaient aujourd'hui ensemble sans être mariés, soit un couple sur six, que la cohabitation hors mariage devenait aujourd'hui un mode de vie autonome qui se répandait dans tous les milieux et à tous les âges et que par ailleurs de nouvelles formes de solidarité et d'entraide apparaissaient entre des personnes âgées isolées.

Elle a souligné que ces couples non mariés se heurtaient souvent à des difficultés graves qui avaient été notamment illustrées par certains drames vécus par des couples homosexuels frappés par le Sida et que l'ensemble des couples non mariés exprimaient aujourd'hui un besoin de sécurité juridique.

Après avoir rappelé que la Cour de cassation avait maintenu sa définition traditionnelle du concubinage, restreinte à une union stable et continue entre un homme et une femme ayant l'apparence d'un mariage, elle a constaté que les concubins, même s'ils ne se devaient aucun soutien, s'étaient vu reconnaître un certain nombre de droits par la jurisprudence ou par la loi.

Considérant cependant que cette situation ne permettait pas de régler l'ensemble des problèmes juridiques rencontrés par les concubins, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a jugé nécessaire de légiférer sur ce sujet, en précisant que le Gouvernement avait choisi un seul texte dans un souci de rapidité et de clarté et afin d'éviter toute hypocrisie grâce à un débat d'ensemble.

Défendant ensuite le choix du pacte civil de solidarité (PACS), elle a indiqué que d'autres solutions auraient également été envisageables, à savoir l'aménagement d'un régime de la seule gestion des biens comme l'avait proposé le professeur Jean Hauser, ou la reconnaissance législative de la situation de fait constituée par le concubinage -quel que soit le sexe des concubins- ainsi que l'avait recommandé Mme Irène Théry, mais qu'aucune de ces deux solutions n'était satisfaisante.

Elle a en effet souligné qu'à la différence du pacte d'intérêt commun proposé par M. Hauser, le PACS organisait la vie commune de deux personnes au-delà des intérêts purement matériels et valorisait la vie à deux reposant sur la solidarité en lui offrant un minimum d'encadrement juridique.

Elle a estimé que le PACS constituerait ainsi un moyen de lutter contre l'isolement et qu'il était préférable à la solution proposée par Mme Irène Théry car il reposait sur un engagement de solidarité nécessaire pour produire des effets de droit, et non sur une simple situation de fait.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a déclaré que le Gouvernement avait ainsi entendu traiter des problèmes du seul couple, en se réservant la possibilité de traiter ultérieurement des problèmes des enfants dans d'autres textes.

Présentant alors le contenu du PACS, elle a considéré qu'il apportait une réponse pragmatique à ceux qui voulaient assumer un engagement de vie commune en dehors du mariage et qu'il constituait du fait de cet engagement un contrat engendrant autant de droits que d'obligations. Elle a précisé que le PACS s'adressait à des personnes présumées avoir une " communauté de toit et une communauté de lit ", d'où l'interdiction du PACS aux membres proches de la famille et aux personnes mariées.

Après avoir énuméré les différentes facettes de la communauté de vie pour lesquelles le PACS ouvrirait des droits, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a souligné qu'il s'agissait d'un contrat reposant sur la volonté de ses signataires, ce que traduisaient sa conclusion donnant lieu à un simple enregistrement devant le tribunal d'instance, ses effets déterminés librement par les parties sur une base minimum d'engagement légal et sa rupture résultant de la volonté unilatérale de l'un de ses membres, sous réserve de la possibilité de saisine du juge en cas de désaccord sur les conséquences de la rupture.

Elle a marqué les différences entre le PACS et l'union libre, qui constituait une union au jour le jour sans engagement et entre le PACS et le mariage, qui offrait davantage de sécurité juridique et de stabilité et qui représentait une institution caractérisée par un acte solennel, et non un simple contrat.

Elle a à cet égard rappelé que le Gouvernement s'était montré attaché à ce que l'officier de l'état civil n'ait aucun rôle à jouer et que le PACS ne soit pas signé en mairie.

Elle a en outre précisé qu'à ses yeux il n'était pas question que deux personnes de même sexe puissent se marier.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a par ailleurs noté qu'à la différence du mariage, le PACS ne comportait pas de dimension extra-patrimoniale comparable au devoir de fidélité et ne consacrait aucun statut familial.

Constatant que la famille avait une dimension procréatrice et parentale que n'avait pas le PACS, elle a souligné que celui-ci ne permettrait ni l'adoption d'enfants, ni la procréation médicalement assistée et n'aurait aucune incidence sur la filiation, l'autorité parentale ou les droits de l'enfant.

Elle a en effet réaffirmé que le Gouvernement auquel elle appartenait ne proposerait jamais d'étendre l'adoption ou le recours à la procréation médicalement assistée aux couples homosexuels.

S'agissant des problèmes des droits des enfants, le ministre a indiqué que la commission d'étude qu'elle avait mise en place sur le droit de la famille devrait rendre ses conclusions au cours de l'été prochain.

Elle a estimé que la famille resterait irremplaçable en tant que lieu symbolique de lien entre les générations et que l'enfant devait avoir droit à une identité et une filiation stables, avec un père et une mère, quelle que soit l'évolution de la situation de couple de ses parents.

Elle a estimé que le PACS était neutre vis-à-vis de la famille.

En conséquence, elle a considéré que le problème posé par la vie commune de certaines fratries devrait être traité dans un cadre différent de celui du PACS, notamment pour régler ses aspects fiscaux.

En conclusion, Mme Elisabeth Guigou , garde des sceaux, ministre de la justice , a estimé que cette proposition de loi constituait une avancée sociale et morale encourageant la stabilité et la solidarité, et ne menaçant ni le mariage, ni la famille.

A l'issue de cet exposé, M. Patrice Gélard, rapporteur , s'est interrogé sur l'opportunité d'adopter un texte instaurant le PACS avant la conclusion des travaux de réflexion sur la réforme de la famille.

Il s'est demandé si le Gouvernement attendait du Sénat qu'il accomplisse sur ce texte le travail juridique normalement dévolu au Conseil d'Etat pour les projets de loi.

Le rapporteur a souhaité savoir si le ministre avait fait procéder à une étude d'impact sur les conséquences des dispositions prévues concernant les greffes des tribunaux d'instance.

Il s'est par ailleurs interrogé sur les conditions de publicité et de date certaine d'effet du PACS à l'égard des tiers, sur le choix de ne pas faire figurer le PACS dans la partie du code civil réservée aux contrats, sur la possibilité de signature d'un PACS par un incapable, sur l'obligation de résidence commune imposée ou non aux signataires du PACS et sur le choix du régime de l'indivision pour les biens.

Après avoir relevé l'inconstitutionnalité tenant à l'absence de consultation des assemblées territoriales d'outre-mer, M. Patrice Gélard, rapporteur, a enfin déclaré qu'il n'avait pas été convaincu par les propos tenus par le ministre, selon lesquels une reconnaissance du concubinage homosexuel n'aurait pas permis de régler les problèmes posés à l'occasion de ce débat.

M. Daniel Hoeffel a constaté que si le PACS ne touchait pas à la famille, il faudrait bien ultérieurement aborder les problèmes des enfants. En conséquence, il s'est demandé s'il ne s'agissait pas là du début d'une évolution qui pourrait contribuer à banaliser le mariage.

M. Pierre Fauchon a souhaité disposer de statistiques relatives aux couples non mariés par tranches d'âge. Il s'est par ailleurs interrogé sur le choix du greffe du tribunal d'instance pour l'enregistrement du PACS, l'intervention d'un tribunal étant traditionnellement liée à l'existence d'un contentieux. Il a enfin demandé au ministre quelle serait la portée des droits des tiers à l'égard du PACS.

Mme Dinah Derycke a approuvé les propos tenus par Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, remerciant celle-ci d'avoir expliqué que le PACS ne touchait pas à la famille et n'était pas un " mariage bis ".

Elle a souligné que le PACS correspondait à un engagement de solidarité qui créait non seulement des droits, mais aussi des devoirs, à la différence d'une simple reconnaissance du concubinage, qui n'aurait entraîné que des droits et pas de devoirs, et qu'il permettait en outre une reconnaissance officielle des couples homosexuels qui avaient beaucoup souffert de discriminations.

Elle a cependant admis que le texte demeurait perfectible sur le plan juridique, par exemple en ce qui concernait la publicité à l'égard des tiers ou le régime de l'indivision.

Elle a considéré, comme Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, que la question des fratries n'avait pas lieu de figurer dans ce texte.

Elle a enfin regretté que celui-ci ne revête pas une dimension relative aux droits extra-patrimoniaux, exprimant le souhait que le membre d'un PACS puisse par exemple avoir son mot à dire pour l'organisation des funérailles de son partenaire.

M. Lucien Lanier a pour sa part souligné la facilité avec laquelle on pourrait mettre fin au PACS, qui lui est apparue comme une incitation à l'égoïsme et au refus des obligations plus étendues liées au mariage.

M. Robert Bret s'est déclaré favorable à une reconnaissance juridique et sociale des couples non mariés, qu'ils soient ou non homosexuels. Le PACS lui a semblé favoriser la cohésion sociale.

Il a néanmoins estimé que le texte comportait un certain nombre d'insuffisances, concernant notamment la confusion introduite par les dispositions relatives aux fratries, l'absence de rétroactivité pour le décompte des délais d'ouverture des droits et le lieu retenu pour la signature. Sur ce dernier point, il a précisé que l'impossibilité de conclure un PACS à la mairie pourrait être considérée comme complexe et discriminatoire et il s'est interrogé sur la possibilité de recourir aux services des ambassades ou consulats pour les Français résidant à l'étranger.

M. Robert Badinter a indiqué avoir beaucoup lutté contre la discrimination à l'égard des homosexuels, évoquant notamment la suppression du délit en 1982 et la pénalisation de la discrimination en 1985.

Après avoir regretté que la Cour de cassation se soit " cramponnée " à sa jurisprudence ne reconnaissant le concubinage que là où il pouvait y avoir mariage, il a souhaité que l'on mette fin, par un amendement, à cette discrimination à l'égard des homosexuels, qui persisterait si l'on n'apportait aucune modification à la situation actuelle en matière d'union libre.

Il s'est en revanche déclaré défavorable au mariage des homosexuels qui, selon lui, ne pouvait être admis par la communauté nationale en l'état actuel des mentalités.

M. Jacques Larché, président , a alors rappelé que les représentants de la communauté homosexuelle entendus par la commission avaient revendiqué le droit au mariage.

Il a par ailleurs considéré que les conditions prévues pour la rupture du PACS aboutiraient à un rétablissement de la répudiation. Il a souligné que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, un concubin estimant une rupture préjudiciable à ses intérêts pouvait obtenir le versement de dommages et intérêts, ce qui ne serait, en revanche, pas possible en cas de rupture unilatérale du contrat constitué par le PACS.

Répondant ensuite à l'ensemble des intervenants, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a apporté les précisions suivantes.

Elle a tout d'abord considéré qu'il n'y avait pas lieu de différer l'adoption d'un texte sur le PACS compte tenu du travail parlementaire effectué sur ce sujet au cours des dix dernières années, la réflexion menée sur la famille exigeant quant à elle un travail plus approfondi portant sur de nombreuses questions, comme par exemple les successions ou le divorce.

Elle a relevé que le Sénat faisait toujours un travail juridique extrêmement précis, y compris sur les textes déjà examinés par le Conseil d'Etat.

A propos du lieu de conclusion du PACS, elle a rappelé que le texte initial avait prévu un enregistrement à la préfecture. Elle a souligné que le Gouvernement tenait surtout à ce que le PACS ne soit pas conclu à la mairie et a précisé que les services de la Chancellerie avaient déjà commencé à prendre en compte le choix du greffe du tribunal d'instance comme lieu d'enregistrement du PACS pour prévoir les affectations nécessaires de personnels des greffes l'année prochaine.

Elle a justifié le choix retenu pour l'emplacement du PACS dans le code civil en faisant observer que ce contrat, organisant la vie commune de deux personnes sur la base d'un engagement de solidarité, ne concernait pas uniquement les biens.

Le ministre a précisé qu'à l'égard des tiers, le PACS aurait, après son enregistrement, des effets juridiques relatifs, comme tout contrat.

Après avoir noté que le PACS ne pouvait être conclu qu'entre personnes majeures, elle a indiqué que pour les incapables majeurs, les dispositions du droit commun s'appliqueraient.

Elle a par ailleurs précisé que les consultations des assemblées territoriales d'outre-mer étaient en cours.

A propos du régime de l'indivision, elle a rappelé qu'il ne s'appliquerait qu'en l'absence de clauses contraires et qu'il permettrait de prendre en compte la dimension solidaire du PACS et de garantir les droits des créanciers. Elle a toutefois admis que des améliorations pourraient être apportées concernant le régime des biens mobiliers.

Au sujet de la publicité, elle a indiqué que les conditions de conservation de l'enregistrement des PACS, ainsi que d'accès des tiers, seraient précisées dans le décret d'application.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a considéré qu'une reconnaissance du concubinage ne permettrait pas de régler l'ensemble des problèmes posés par la situation actuelle, y compris pour les couples hétérosexuels.

Elle a précisé que l'exigence d'une résidence commune n'interdisait pas la possibilité d'avoir des domiciles distincts, comme pour les époux. Elle s'est déclarée défavorable à la conclusion du PACS devant un notaire pour des raisons de coût pour les intéressés et de préférence pour le choix d'un service public.

Elle a réfuté l'idée selon laquelle le PACS fragiliserait le mariage, ce dernier continuant à représenter un idéal.

Tout en admettant que le texte était encore perfectible, elle a considéré qu'il permettrait d'apporter une reconnaissance aux couples souhaitant s'engager en dehors du mariage.

S'agissant des conditions de la rupture, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a reconnu que le PACS n'offrait pas les garanties du mariage, mais a souligné que ses signataires ne devraient en aucun cas être désavantagés par rapport aux concubins en cas de désaccord relatif à la rupture. Elle a à cet égard précisé que le juge apprécierait les circonstances fautives de la rupture pour allouer, le cas échéant, des dommages et intérêts.

Il lui est apparu important que l'on ne puisse accéder à certains droits fiscaux qu'après un délai de vie commune. Revenant sur le lieu de souscription du PACS, elle a indiqué qu'à l'étranger le PACS pourrait être conclu dans un consulat et a de nouveau affirmé son opposition au choix de la mairie qui serait, à ses yeux, risque de confusion.

Après avoir reconnu que l'adoption du PACS n'apporterait aucune modification au régime actuel du concubinage, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, s'est enfin interrogée sur l'opportunité d'une disposition tendant à infléchir la jurisprudence restrictive de la Cour de cassation. A cet égard, elle a déclaré que la manifestation d'un engagement constituait, selon le Gouvernement, la contrepartie de l'ouverture de nouveaux droits et qu'elle ne souhaitait pas que l'on courre le risque de devoir accorder exactement les mêmes droits aux concubins homosexuels qu'aux concubins hétérosexuels, notamment en matière d'adoption.

En conclusion, M. Pierre Fauchon, vice-président, s'est interrogé sur la portée des dispositions prévues par le texte en matière d'obligation d'aide mutuelle et matérielle et sur les risques de contentieux en cas de rupture.

Puis la commission a procédé à l'audition de M.Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget
, a indiqué que les aspects fiscaux du PACS étaient réunis sous l'article 2 relatif à l'impôt sur le revenu, l'article 3 sur les mutations à titre gratuit, l'article 4 concernant l'impôt de solidarité sur la fortune et l'article 10 appliquant le PACS aux fratries.

M. Patrice Gélard, rapporteur , a souhaité savoir comment l'administration des finances appréhendait actuellement les concubins, s'il existait des contrôles et quelles étaient les instructions données aux fonctionnaires concernant le contrôle de la vie privée des contribuables.

Il a souhaité connaître l'évaluation des mesures proposées, en particulier l'origine du chiffre de 6 à 8 milliards de francs avancé par l'Assemblée nationale.

Il s'est interrogé sur la suppression des délais pour les seules personnes décédées d'une maladie grave.

Concernant la mutation à titre gratuit, il s'est interrogé sur la mesure d'abattement de 375.000 francs applicable dès l'an 2000, entre vifs dans la mesure où les enfants issus d'un mariage ne bénéficiaient que d'un abattement de 300.000 francs.

Enfin, M. Patrice Gélard, rapporteur, a demandé l'avis du Gouvernement sur les solutions alternatives proposées conjointement par la commission des lois et la commission des finances.

Il a suggéré que l'imposition commune soit remplacée par un système équivalent à l'abattement fiscal dont dispose un couple marié pour un enfant à charge majeur.

Soulignant qu'actuellement les collatéraux ne bénéficiaient pas de l'obligation alimentaire, il a proposé la création d'une déduction fiscale, plafonnée à 20.370 francs, applicable aux aides entre collatéraux.

En matière de succession, il a suggéré la possibilité pour chacun de désigner une seule personne de son choix pour recueillir un legs bénéficiant d'un abattement fiscal de 300.000 francs.

Il a évoqué le relèvement du seuil de la tontine de 500.000 francs à un million de francs.

En conclusion, il a rappelé que l'objectif poursuivi par la commission des lois était de ne pas créer d'inégalités nouvelles avec le PACS.

M. Jacques Larché, président, a proposé que le bénéfice fiscal de la tontine conclue par deux personnes pour leur résidence principale, porté à un million de francs, puisse s'imputer à un montant supérieur, selon le système de la franchise fiscale.

M. Alain Lambert, président de la commission des finances , a fait part de son inquiétude concernant le chiffrage des mesures fiscales adoptées par l'Assemblée nationale. Il s'est interrogé sur la nécessité d'un support juridique spécifique, estimant que les mesures fiscales envisagées par les rapporteurs pouvaient se suffire à elles-mêmes.

En matière de délai, il a suggéré une distinction entre les donations, dont la date peut être fixée par les parties, et les successions ouvertes par le décès, par définition imprévisible.

Il a souhaité que les solutions retenues encouragent une présentation loyale des actes de transmission.

Enfin, il a souligné l'injustice créée entre les contribuables parisiens et ceux de province concernant le plafond de la tontine. Il a souhaité que le montant indiqué s'applique comme une franchise fiscale. Au surplus, constatant que cet avantage fiscal était limité à la résidence principale, il s'est interrogé sur la nécessité du plafond.

M. Yves Fréville a estimé que les dispositions relatives à l'impôt sur le revenu et à l'impôt de solidarité sur la fortune risquaient de développer des comportements d'optimisation fiscale, puisque l'imposition commune était avantageuse en matière de quotient familial lorsqu'existait une forte inégalité de revenus entre les deux membres du couple, mais qu'elle constituait un inconvénient si toutes les réductions et exonérations fiscales n'étaient pas accessibles au couple. Il a souligné le coût financier du PACS si les personnes ne le concluaient qu'en fonction des avantages attendus de l'imposition commune.

Concernant l'appréhension du concubinage par les services fiscaux, M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget , a rappelé qu'actuellement l'impôt de solidarité sur la fortune constituait la seule imposition commune des concubins, ce qui ne concernait qu'environ 500 foyers. De façon plus générale, il a souligné qu'il était très difficile pour l'administration fiscale de bien appréhender la situation personnelle et financière de deux concubins, en l'absence d'un acte juridique certain.

Il a affirmé que l'évaluation des mesures proposées par l'Assemblée nationale était particulièrement difficile, puisqu'il fallait connaître non seulement le nombre de personnes susceptibles de conclure un PACS, mais aussi leur situation financière, en particulier la dispersion des revenus entre les deux membres du couple.

M. Jacques Larché, président , s'est étonné de l'absence d'évaluation du coût du PACS de la part du ministère des finances. Il a rappelé que Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, avait estimé à 10.000 le nombre de personnes susceptibles de signer un PACS.

Estimant que le PACS apportait la sécurité juridique demandée par les concubins, M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget , a jugé que sur les deux millions de couples non mariés existant actuellement, le nombre de personnes susceptibles de conclure un PACS pourrait être supérieur à 10.000.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances , a rappelé les termes du quatrième alinéa de l'article premier de l'ordonnance portant loi organique du 2 janvier 1959 selon lequel aucun projet de loi entraînant des charges nouvelles ne peut être définitivement voté tant que les charges n'ont pas été prévues, évaluées et autorisées dans les conditions fixées par cette ordonnance. En l'absence d'évaluation des charges, il a estimé que la procédure d'adoption du présent texte pourrait se révéler inconstitutionnelle.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget, a répondu que les dispositions fiscales ne faisaient l'objet d'une évaluation systématique que dans le cadre des lois de finances. Il a estimé que, de façon générale, deux personnes ayant de faibles revenus et concluant un PACS risquaient d'être désavantagées en matière d'impôt sur le revenu.

Il a proposé aux commissaires de fournir des hypothèses sur le nombre des personnes susceptibles de conclure un PACS et le niveau relatif de leurs revenus, afin que l'administration fiscale calcule le coût du PACS sur la base de ces hypothèses.

M. Alain Lambert, président de la commission des finances, a constaté que le Gouvernement serait tenu d'estimer le nombre de contribuables et d'indiquer un ordre de grandeur pour lui comparer le coût des propositions du Sénat. Il a rappelé que les amendements parlementaires au projet de loi de finances étaient évalués à partir du nombre maximum de personnes concernées, et que, si un régime fiscal nouveau était plus favorable, l'évaluation financière se fondait sur l'hypothèse maximale selon laquelle l'ensemble des personnes concernées adoptaient la mesure nouvelle.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget , a indiqué que le Conseil constitutionnel considérait que des mesures fiscales pouvaient trouver leur place dans une loi ordinaire sans que les dispositions de l'ordonnance organique citées par M. Marini y fassent obstacle, à condition que leur évaluation et leur incidence sur l'équilibre du budget soient retracées en loi de finances.

Il a rappelé qu'un délai d'attente de deux ou trois ans était prévu entre la signature du PACS et l'entrée en vigueur de ses effets fiscaux, en particulier en matière successorale, mais qu'une exception avait été prévue en cas de décès dû à une maladie grave.

En matière de droits de succession, il a confirmé que l'abattement de 375.000 francs au 1 er janvier 2000 était supérieur à l'abattement dont bénéficiaient actuellement les enfants issus d'un couple marié. Il a rappelé que lors du débat à l'Assemblée nationale, le Gouvernement avait souhaité que cet abattement soit limité à 250.000 francs, afin qu'il soit supérieur à celui dont bénéficient les concubins mais inférieur à ceux prévus pour les enfants d'un couple marié ou pour le conjoint survivant.

Abordant ensuite les propositions de M. Patrice Gélard, M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget , a jugé que la proposition sur le PACS, de nature politique, visait à donner à des couples un statut civil et une sécurité juridique.

Il s'est déclaré réservé sur l'extension de l'abattement fiscal pour personnes à charge, estimant que la notion de personne à charge n'était pas suffisamment claire.

Concernant l'aide aux collatéraux, il a rappelé que le Gouvernement ne souhaitait pas l'extension des dispositions fiscales du PACS aux fratries, dans la mesure où elle risquait de susciter des comportements de fraude fiscale. A titre de comparaison, il a remarqué que le concubinage n'était pas un statut fiscal, sauf dans le cas très limité de l'impôt de solidarité sur la fortune.

Il a estimé à plusieurs milliards de francs le coût de la proposition de M. Patrice Gélard d'autoriser un legs avec une franchise d'impôt de 300.000 francs.

Il a indiqué que la proposition d'augmenter le montant de la tontine serait examinée par le Gouvernement mais qu'elle présentait sans doute des risques d'évasion fiscale.

En réponse à M. Alain Lambert, président de la commission des finances , il a souligné la nécessité de subordonner le bénéfice de tout avantage à un cadre juridique certain et opposable à l'administration fiscale compte tenu de la difficulté d'exercer un contrôle fiscal sur une situation de fait comme la vie commune.

En réponse à M. Yves Fréville , qui s'interrogeait sur la capacité de l'administration des finances à distinguer les PACS " de complaisance ", il a répondu que le délai de deux à trois ans avant que le PACS n'ait des conséquences fiscales éviterait les comportements d'opportunité.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances , a relevé que le coût de ce dispositif était sa préoccupation principale, que la loi organique du 2 janvier 1959 s'appliquait à l'ensemble des textes votés par le Parlement et non aux seules lois de finances et qu'en conséquence les mesures fiscales proposées par le Parlement devaient faire l'objet d'une évaluation par les services du ministère des finances.

Il a indiqué que, conformément à l'article 40 de la Constitution, le Sénat ne gagerait que le surcoût par rapport au texte de l'Assemblée nationale, et non par rapport au droit existant.

Il a considéré que l'estimation du coût du PACS ainsi que l'élaboration des hypothèses de travail étaient une des missions de l'administration fiscale. Il a souhaité que le service de législation fiscale valide les calculs réalisés par la commission des finances.

Il a indiqué que la question des abattements fiscaux pour les personnes à charge était au coeur du débat et que la définition proposée par le code de la sécurité sociale pouvait constituer une bonne référence, sous réserve des adaptations nécessaires.

Il a enfin souhaité un bilan annuel du PACS.

M. Nicolas About s'est inquiété de la distinction opérée entre le décès dû à une maladie grave et une autre cause de décès brutal et imprévu, et de la rupture d'égalité qui en résultait.

En réponse à M. Philippe Marini, M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget , a indiqué que le Sénat devrait gager ses propositions par rapport au droit existant et non par rapport au texte adopté par l'Assemblée nationale. Concernant la référence au droit de la sécurité sociale, il a souhaité que le droit fiscal continue à se fonder plutôt sur le droit civil.

S'agissant du délai d'attente avant que le PACS ne produise ses effets fiscaux, il a jugé que l'exception pour les personnes atteintes d'une maladie grave était justifiée par la situation particulière des malades du Sida.

En conclusion, M. Jacques Larché, président , a craint que qualifier le texte de politique n'entraîne une limitation des termes du débat, alors que de très nombreux problèmes techniques étaient posés. Il a enfin déploré que l'administration fiscale soit incapable de chiffrer le coût du PACS.

Puis la commission a procédé à l'audition de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé.

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé,
a tout d'abord observé que la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité n'avait que peu de conséquences sociales. Il a souligné que le participant à un PACS deviendrait l'ayant droit de son partenaire en ce qui concerne l'assurance maladie, mais que l'intérêt de cette évolution serait limité, compte tenu du souhait du Gouvernement de mettre en place une couverture maladie universelle. Il a indiqué que la conclusion d'un PACS serait l'un des éléments pris en compte pour la délivrance d'un titre de séjour ou l'attribution de la nationalité française et qu'en matière de droit du travail, le régime des couples mariés s'appliquerait aux personnes ayant conclu un PACS. Il a enfin souligné que la proposition de loi n'avait aucune conséquence en matière d'adoption et d'autorité parentale.

M. Patrice Gélard , rapporteur, a fait valoir que les auditions conduites par la commission avaient permis de mettre en lumière quelques difficultés qu'il serait opportun de résoudre dans le cadre de la discussion de la proposition de loi. Il a souligné qu'actuellement l'allocation-décès était en général versée aux membres de la famille et non à la personne vivant avec le défunt. Evoquant la pension de réversion, il a observé que certaines personnes renonçaient à se remarier et cachaient leur situation de concubinage afin de ne pas perdre le bénéfice de la pension. Il a remarqué que si une personne ayant conclu un PACS après avoir divorcé venait à décéder, la pension de réversion serait versée au conjoint divorcé, ce qui pouvait être problématique.

Le rapporteur a enfin évoqué le droit d'accès à l'hôpital du concubin, observant que certaines familles tentaient parfois d'empêcher le partenaire de rendre visite à un malade, notamment dans le cas de couples homosexuels.

M. Nicolas About s'est interrogé sur la disposition permettant aux personnes concluant un PACS de bénéficier sans délai de l'abattement sur les droits de succession lorsque l'une d'elles est atteinte d'une affection de longue durée. Il a estimé qu'un décès accidentel n'avait pas de conséquences moins douloureuses pour le partenaire survivant qu'un décès consécutif à une affection de longue durée. Il a estimé que, si la disposition devait être maintenue, il conviendrait à tout le moins de préciser que le bénéfice de l'abattement ne serait anticipé qu'en cas de décès résultant de l'affection de longue durée.

En réponse à une question de M. Jacques Larché, président , M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé , a indiqué que le PACS ouvrirait un droit au rapprochement familial pour les fonctionnaires. A propos de la pension de réversion, il a souligné que celle-ci était versée aux personnes mariées à condition que le mariage ait été célébré depuis deux ans ou que le couple ait eu un enfant. Il a fait valoir que le bénéfice de la pension de réversion n'était pas accordé aux concubins et ne le serait pas non plus aux personnes concluant un PACS.

Evoquant l'abattement sur les droits de succession, le ministre a observé que l'absence de délai pour en bénéficier en cas d'affection de longue durée avait été prévue pour tenir compte de la situation des malades du Sida. Il a rappelé que la proposition de loi avait notamment pour origine la situation dramatique d'homosexuels expulsés de leur logement à la suite du décès de leur partenaire. Il a estimé que la disposition relative à l'abattement sur les droits de succession avait été conçue dans le but de protéger des personnes qui, parfois tout en ayant connaissance de la maladie de l'un d'entre eux, choisissent de nouer des liens et de se venir mutuellement en aide. Il a reconnu qu'il paraissait souhaitable de préciser que l'absence de délai pour bénéficier de l'abattement ne devrait s'appliquer qu'aux décès résultant d'une affection de longue durée.

M. Bernard Kouchner , secrétaire d'Etat à la santé, a évoqué la question de l'accès à l'hôpital pour observer que les autorités hospitalières ne pouvaient refuser l'accès à l'hôpital des concubins. Il a estimé que l'action des associations avait permis de limiter les cas dans lesquels les familles faisaient obstacle à ce droit de visite du partenaire homosexuel d'un malade. Il a cependant reconnu que des problèmes se posaient encore et que, par le passé, des médecins avaient parfois choisi de prévenir la famille d'un malade plutôt que son partenaire, suscitant une légitime amertume de celui-ci.

M. Jacques Larché, président , a alors indiqué que la commission examinerait la proposition de loi avec la plus grande attention, en ayant soin d'aborder l'ensemble des questions juridiques posées sans porter aucun jugement sur des comportements relevant de la vie privée.

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi sous la présidence de M. Jacques Larché, la commission des lois a poursuivi ses auditions relatives au pacte civil de solidarité .

Elle a entendu Me Marie-Elisabeth Breton, avocat membre du bureau de la conférence des bâtonniers , et Me Hélène Poivey Leclerck, avocat au conseil de l'Ordre de Paris .

Me Marie-Elisabeth Breton s'est interrogée sur l'opportunité de prévoir expressément dans un texte les effets des différentes formes de vie en couple, dès lors que le code civil contenait suffisamment de dispositions permettant de répondre aux différentes situations.

Elle a déploré que la mission de la commission de réflexion sur le droit de la famille, dont elle est membre, n'ait pas été étendue au statut du concubinage.

Me Marie-Elisabeth Breton a considéré que la proposition de loi créerait un " petit mariage ", statut intermédiaire qui se situerait entre le mariage et le concubinage et remettrait inévitablement en cause la définition actuelle de la famille.

Elle a estimé que ce texte ne serait satisfaisant ni pour les homosexuels qui n'y trouveraient pas la reconnaissance qu'ils souhaitent, ni pour ceux qui auraient choisi l'union libre, le PACS apparaissant alors comme une démarche réductrice de leur choix.

Me Marie-Elisabeth Breton a jugé que le PACS ne pourrait pas plus satisfaire les personnes mariées, seules à supporter des obligations, ou encore les juristes puisque le texte n'était qu'une coquille vide.

Analysant ensuite les dispositions proposées, elle a fait valoir, en ce qui concerne les empêchements à la conclusion d'un PACS pour lien de parenté, que le texte n'indiquait pas si la sanction d'une violation de ceux-ci en serait une nullité relative ou une nullité absolue.

Elle a constaté que le texte prévoyait une déclaration organisant la vie commune des partenaires d'un PACS, sans indiquer si cette vie commune signifiait une résidence ou un domicile commun, une communauté de vie ou de toit.

Me Marie-Elisabeth Breton a regretté que la proposition de loi ne définisse pas clairement les clauses licites ou illicites du contrat. Elle a craint que, dans ces conditions, les contractants choisissent de reprendre des dispositions du code civil accordant des droits, mais sans retenir celles contenant des obligations.

En ce qui concerne la solidarité des dettes contractées pour les besoins de la vie courante, elle a fait valoir que celle-ci n'apporterait pas de garanties suffisantes aux créanciers, la proposition de loi n'organisant pas une information des tiers.

Me Marie-Elisabeth Breton a considéré que le régime de l'indivision ne serait pas juridiquement établi de manière satisfaisante, le texte n'indiquant pas s'il pourrait s'agir d'une indivision conventionnelle, si les tiers seraient recevables à agir par la voie de l'action paulienne ou si l'action oblique serait ouverte.

Elle a considéré que la rupture du PACS par volonté unilatérale s'apparenterait à une répudiation et s'est interrogée sur les conséquences matérielles de cette rupture unilatérale en cas de désaccord entre les cocontractants, relevant en particulier l'absence de précision sur le juge compétent, le défaut de critère pour le partage des biens et la possibilité, ou non, pour les tiers créanciers, de former une tierce opposition.

Me Marie-Elisabeth Breton s'est également interrogée sur la faculté, pour la personne n'ayant pas pris l'initiative de la rupture, de se voir accorder des dommages et intérêts ou une prestation compensatoire.

En conclusion, elle a constaté que le texte proposé comportait des interprétations multiples, susceptibles de provoquer une insécurité juridique source de nombreux conflits et a estimé qu'il aurait été préférable de redéfinir juridiquement le concubinage.

Puis, la commission a procédé à l'audition de Me Hélène Poivey Leclerck, avocat au conseil de l'Ordre de Paris .

Me Hélène Poivey Leclerck a indiqué qu'elle présenterait une analyse technique de la proposition de loi, le barreau de Paris ayant décidé de ne pas prendre position sur ce texte.

Elle a estimé que la liberté accordée aux cocontractants en ce qui concerne le contenu de la déclaration de vie commune pouvait laisser imaginer que certains d'entre eux n'adopteraient des clauses voisines de celles d'un régime matrimonial.

Me Hélène Poivey Leclerck s'est demandé si les personnes ayant contracté un PACS seraient autorisées à avoir une résidence séparée.

Elle a déploré qu'aucune information des tiers ne soit prévue par les textes, aussi bien sur la conclusion d'un PACS que sur son contenu. Elle a suggéré, par analogie avec le répertoire civil sur lequel était mentionné tout changement de régime matrimonial, que soit créé un registre similaire pour les personnes ayant contracté un PACS, afin de permettre aux tiers d'être informés, et de faire valoir leurs droits.

Elle a estimé que la déclaration de PACS devrait être remise conjointement par les cocontractants afin de vérifier leur consentement effectif et d'éviter les risques de fraude et de contentieux.

Me Hélène Poivey Leclerck a considéré qu'il aurait été préférable de prévoir l'enregistrement de la déclaration de PACS au greffe du tribunal de la commune de naissance de l'un d'entre eux plutôt qu'à celle de la résidence des partenaires, compte tenu des risques de confusion entre les notions de domicile et de résidence.

Elle a déploré l'imprécision des formules du texte proposé concernant, d'une part, " l'aide mutuelle et matérielle " que se devraient les cocontractants et, d'autre part, la solidarité entre eux pour les dettes contractées pour les besoins du ménage.

Me Hélène Poivey Leclerck a observé que dans le cadre du mariage, la solidarité des dettes entre époux était strictement définie par les moyens matériels dont ceux-ci disposaient et par l'utilité des dépenses, M. Robert Badinter estimant que la jurisprudence sur le PACS s'inspirerait très probablement de celle sur les dettes contractées pendant le mariage.

Elle a fait observer que la présomption d'application du régime de l'indivision aux biens des partenaires acquis à titre onéreux pendant la durée du contrat pourrait s'effacer devant la décision des cocontractants.

Me Hélène Poivey Leclerck a estimé cette présomption acceptable en ce qui concerne les biens meubles, mais dangereuse pour les biens immeubles, considérant que dans un tel cas, il aurait été préférable de prévoir une manifestation expresse de volonté devant le notaire lors de l'acquisition du bien.

Elle a considéré que la rupture d'un PACS provoquerait un contentieux plus important que celui actuellement constaté pour la dissolution du mariage.

Evoquant ensuite les dispositions concernant l'attribution préférentielle de droits en cas de rupture du PACS, Me Hélène Poivey Leclerck a fait observer que les droits en la matière, acceptables dans leur principe, étaient actuellement plus difficiles à faire valoir par les personnes divorcées.

Pour ce qui concerne les conséquences de la rupture, devant être déterminées à l'avance par les parties ou à défaut d'accord par le juge, elle a observé que le tribunal ne pourrait pas constater de rupture abusive, et donc de faute d'un contractant, puisque le texte autorisait la rupture unilatérale, susceptible d'ouvrir un domaine important de contentieux.

M. Patrice Gélard, rapporteur , s'est demandé si le fait pour une personne mariée d'avoir caché à son conjoint l'existence d'un PACS antérieur, pourrait être une cause de divorce.

Me Hélène Poivey Leclerck s'est interrogée sur le délai prévu par le texte avant que les cocontractants ne puissent effectuer en commun leur déclaration fiscale.

M. Jacques Larché, président , a souligné que les personnes concluant un PACS pourraient s'accorder sur des dispositions similaires à celles de la communauté universelle.

M. Luc Dejoie a relevé, qu'en fonction des cas de figure susceptibles de se présenter, les signataires d'un PACS pourraient être amenés à changer plus facilement de contrat que les personnes mariées, dont le changement de régime matrimonial est assujetti à des conditions légales rigoureuses.

Puis la commission a procédé à l'audition de Mme Claudette Boccara, vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris.

Mme Claudette Boccara
a indiqué que ses observations s'appuieraient sur l'expérience qu'elle avait acquise depuis deux ans comme président de la première chambre du tribunal de grande instance de Paris, compétente essentiellement pour l'état des personnes.

Elle a exposé que le contentieux sur le concubinage était très limité, une seule affaire ayant été traitée à ce propos par la juridiction qu'elle préside depuis sa nomination.

Mme Claudette Boccara a indiqué que hormis les cas où la loi confère des droits aux concubins, essentiellement en matière sociale, les conflits nés du concubinage étaient résolus par application des règles du droit commun, évoquant en particulier celui de la responsabilité civile, de l'action en répétition de l'indu ou de la liquidation de la société de fait.

Elle a rappelé que des droits avaient été progressivement reconnus aux concubins, citant l'exemple du versement d'un capital décès, l'attribution du droit au bail, de prestations sociales, d'avantages fiscaux ou découlant du droit du travail.

Mme Claudette Boccara a souligné que son expérience démontrait que les difficultés résultant de la séparation de couples non mariés portaient essentiellement sur la situation des enfants.

Elle a rappelé que si la loi du 8 janvier 1993 conférait l'exercice en commun de l'autorité parentale aux couples mariés, avant et après le divorce, elle reconnaissait aussi l'exercice en commun de cette autorité parentale aux concubins avant et après leur séparation, mais à la double condition qu'ils aient reconnu l'enfant durant sa première année et pendant leur vie commune.

Mme Claudette Boccara a souligné que cette législation pouvait entraîner des difficultés pratiques notables pour le père naturel, notamment dans ses relations avec l'établissement scolaire fréquenté par l'enfant.

Elle a déploré que, dans une période de recherche de repères stables pour les mineurs, le père ne puisse pas toujours exercer pleinement l'autorité parentale, et doive surmonter des obstacles importants pour exercer son rôle.

Mme Claudette Boccara a préconisé, d'une part, la suppression de ces conditions restrictives à l'exercice de l'autorité parentale commune par les parents et, d'autre part, que la reconnaissance d'un enfant naturel, à l'occasion de laquelle le parent devrait être informé de ses obligations morales et matérielles, revête un caractère solennel et irrévocable, assurant ainsi à l'enfant l'indispensable stabilité de sa filiation.

Mme Claudette Boccara a estimé que l'attribution du logement à l'une ou l'autre des personnes ayant vécu en commun devrait être décidée par le juge aux affaires matrimoniales, dans le cas où il y aurait aussi à statuer sur la situation des enfants, comme en matière de divorce, alors qu'elle relevait à l'heure actuelle d'un autre juge.

Elle a noté, en matière d'adoption plénière, que les couples mariés ou les célibataires pouvaient la solliciter, et non un concubin pour les enfants de la personne avec laquelle il vit.

Enfin, elle a regretté que lorsque l'un des concubins était placé sous une mesure de protection, son compagnon ou sa compagne ne soit pas considéré comme un proche susceptible d'être investi de plein droit des fonctions d'administrateur légal.

En conclusion, elle a estimé qu'il serait suffisant d'améliorer ou de compléter certains textes concernant les droits des concubins, essentiellement pour supprimer certaines discriminations dont souffrent leurs enfants.

M. Robert Badinter a souligné que la rupture d'un PACS devait entraîner un règlement concernant, d'une part, la situation des enfants et, d'autre part, les biens acquis pendant la durée du contrat, déterminé par les parties elles-mêmes ou, à défaut d'accord, par le juge, s'interrogeant à cet égard sur l'éventualité que deux juges différents puissent être compétents pour traiter l'une et l'autre conséquences de la rupture.

Il a évoqué la complexité des règlements de conflits de lois, soulignant que cette question importante n'était pas prise en considération par le texte.

M. Jacques Larché, président , a estimé, en conclusion, que cette question illustrait l'intérêt qu'il y aurait eu à ce que le Conseil d'Etat fût consulté avant le dépôt du texte.

Enfin, la commission a procédé à l'audition de Me Jacques Combret, notaire, rapporteur du 95 e congrès des notaires " Demain la famille ".

Me Jacques Combret
a tout d'abord déclaré que si ce texte était adopté, les notaires l'appliqueraient sans s'interroger sur son bien-fondé.

Il a rappelé que ceux-ci avaient déjà travaillé sur les problèmes posés en matière de concubinage, notamment à l'occasion de leur Congrès de 1988.

S'interrogeant ensuite, au niveau technique, sur la place du projet de PACS dans l'ordre juridique et sur les conditions dans lesquelles il pourrait assurer la sécurité des cocontractants et des tiers, il a considéré que le texte devrait être retravaillé.

Abordant le problème de la capacité des parties, il a constaté qu'aucun contrôle du consentement des partenaires du PACS n'était prévu, alors même que ce contrat allait les engager fortement. Il s'est demandé si les mineurs émancipés pourraient conclure un PACS.

Il a fait observer que le droit des incapacités comportait des dispositions spécifiques relatives au mariage mais qu'en revanche le texte tendant à instaurer le PACS ne prévoyait aucune disposition relative à la situation du contractant d'un PACS qui deviendrait incapable ou à celle d'un majeur en tutelle ou en curatelle qui souhaiterait conclure un PACS.

S'agissant du contenu du PACS, il s'est interrogé sur la notion d' " organisation de la vie commune " qui ne lui est pas apparue clairement définie, ainsi que sur la portée de l'obligation d'" aide mutuelle et matérielle " et de la solidarité concernant les dettes contractées pour " les besoins de la vie courante ".

Soulignant que le contrat serait appelé à fixer les modalités de l'aide mutuelle et matérielle, il a constaté qu'aucune disposition n'était prévue pour offrir une garantie de base qui permettrait de protéger le plus faible. Il a estimé que cette absence de garantie pourrait être source de difficultés, évoquant les conditions " épouvantables " dans lesquelles avaient lieu certaines ruptures de concubinage.

En ce qui concerne le régime de l'indivision, Me Jacques Combret a relevé que le texte proposé pour l'article 515-5 du code civil n'envisageait que le cas des acquisitions à titre onéreux et non par exemple le régime d'une constitution de société, l'achat de parts de SARL ou les autres mutations à titre onéreux.

Il a en outre fait observer que du fait de l'absence fréquente d'un acte écrit d'acquisition, beaucoup de biens acquis à titre onéreux risquaient de tomber automatiquement dans l'indivision.

A propos de l'achat d'un fonds de commerce, il a noté que le défaut d'immatriculation de l'un des partenaires au registre du commerce et des sociétés entraînerait une perte du droit au renouvellement du bail commercial.

Il a par ailleurs estimé que l'application de la disposition soumettant au régime de l'indivision les biens dont la date d'acquisition ne pourrait être établie risquerait de favoriser la fraude en permettant une transmission de patrimoine sans droits fiscaux, ou encore d'entraîner un enrichissement abusif de l'un des partenaires en cas de rupture.

Il a en outre suggéré de limiter la possibilité de demande d'attribution préférentielle au seul logement, soulignant que paradoxalement, le texte instaurant le PACS tendait à conférer plus de droits aux futurs partenaires qu'aux personnes mariées sur ce point.

Me Jacques Combret a ensuite évoqué les nombreux problèmes susceptibles de se poser en cas de rupture, faisant observer qu'en matière de divorce, il existait des procédures très précises de liquidation des droits patrimoniaux.

Puis il a déploré l'absence de formalisme du PACS. Rappelant les dispositions de l'article 1328 du code civil, il s'est interrogé sur la date d'opposabilité du PACS aux tiers et sur sa prise d'effet à l'égard des parties : date de signature, date de dépôt au greffe ou date de l'inscription sur le registre. Il a notamment relevé l'absence de toute précision relative au délai imposé aux greffes pour l'enregistrement, ainsi que de dispositions susceptibles d'assurer une publicité efficace.

M. Patrice Gélard, rapporteur, a alors fait observer que le PACS ne serait valable qu'une fois enregistré par le greffier.

M. Jacques Larché, président, a constaté que les propos des représentants des professions judiciaires et juridiques entendus au cours de l'après-midi avaient montré que le texte adopté par l'Assemblée nationale serait inapplicable.

Il a fait part de ses préoccupations sur ce point et a vivement regretté que le Conseil d'Etat n'ait pas pu faire son travail juridique sur ce texte.

M. Patrice Gélard, rapporteur, s'est associé aux propos tenus par le président Jacques Larché, ajoutant que les représentants des huissiers et des greffiers qu'il avait entendus avaient également estimé que l'application du texte poserait des problèmes.

M. Luc Dejoie a considéré que ce texte n'était pas nécessaire car la pratique juridique et professionnelle permettait déjà de régler les problèmes posés, sous réserve de l'adoption de dispositions fiscales relatives aux successions dans une loi de finances.

M. Robert Badinter a souhaité savoir si les gains d'un portefeuille de valeurs mobilières détenu par l'un des partenaires du PACS tombaient dans l'indivision.

Me Jacques Combret a alors précisé que les nouveaux titres feraient partie de l'indivision et que les plus-values profiteraient aux deux partenaires.

ANNEXE IV

Auditions du rapporteur


(22 décembre 1998, 20 et 27 janvier et 2, 3 et 4 février 1999)

Associations

Centre gay et lesbien

Contacts, parents, familles et amis de gays et lesbiennes

Observatoire du PACS

Avocats

Confédération nationale des avocats

Conférence des bâtonniers

Ordre des avocats du barreau de Paris

Greffiers

Syndicat national des greffiers de France

Union des syndicats autonomes de la justice

Huissiers

Chambre nationale des huissiers de justice

Magistrats

Association professionnelle des magistrats

Syndicat de la magistrature

Union syndicale des magistrats

Notaires

Conseil supérieur du notariat

Professeurs de droit

M. Bernard Beignier

M. Pierre Catala

M. François Gaudu

M. Laurent Leveneur

M. Philippe Malaurie

Administrations et cabinets ministériels

Chancellerie

Ministère de l'Intérieur

Direction de la législation fiscale

Autres

Sébastien, auteur de " Ne deviens pas gay, tu finiras triste "

M. Schmuel Trigano, maître de conférence en sociologie

ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF

Code civil

Art. 832. -- Dans la formation et la composition des lots, on doit éviter de morceler les héritages et de diviser les exploitations.

Dans la mesure où le morcellement des héritages et la division des exploitations peuvent être évités, chaque lot doit, autant que possible, être composé, soit en totalité, soit en partie, de meubles ou d'immeubles, de droits ou de créances de valeur équivalente.

Le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut demander l'attribution préférentielle par voie de partage, à charge de soulte s'il y a lieu, de toute exploitation agricole, ou partie d'exploitation agricole, constituant une unité économique, ou quote-part indivise d'exploitation agricole, même formée pour une part de biens dont il était déjà propriétaire ou copropriétaire avant le décès, à la mise en valeur de laquelle il participe ou a participé effectivement ; dans le cas de l'héritier, la condition de participation peut avoir été remplie par son conjoint. S'il y a lieu, la demande d'attribution préférentielle peut porter sur des parts sociales, sans préjudice de l'application des dispositions légales ou des clauses statutaires sur la continuation d'une société avec le conjoint survivant ou un ou plusieurs héritiers.

Les mêmes règles sont applicables en ce qui concerne toute entreprise commerciale, industrielle ou artisanale, dont l'importance n'exclut pas un caractère familial.

Au cas où ni le conjoint survivant, ni aucun héritier copropriétaire ne demande l'application des dispositions prévues au troisième alinéa ci-dessus ou celles des articles 832-1 ou 832-2, l'attribution préférentielle peut être accordée à tout copartageant sous la condition qu'il s'oblige à donner à bail dans un délai de six mois le bien considéré dans les conditions fixées au chapitre VII du titre I er du livre VI du code rural à un ou plusieurs des cohéritiers remplissant les conditions personnelles prévues au troisième alinéa ci-dessus ou à un ou plusieurs descendants de ces cohéritiers remplissant ces mêmes conditions.

Le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut également demander l'attribution préférentielle :

De la propriété ou du droit au bail du local qui lui sert effectivement d'habitation, s'il y avait sa résidence à l'époque du décès ;

De la propriété ou du droit au bail du local à usage professionnel servant effectivement à l'exercice de sa profession et des objets mobiliers à usage professionnel garnissant ce local ;

De l'ensemble des éléments mobiliers nécessaires à l'exploitation d'un bien rural cultivé par le défunt à titre de fermier ou de métayer lorsque le bail continue au profit du demandeur, ou lorsqu'un nouveau bail est consenti à ce dernier ;

L'attribution préférentielle peut être demandée conjointement par plusieurs successibles.

A défaut d'accord amiable, la demande d'attribution préférentielle est portée devant le tribunal, qui se prononce en fonction des intérêts en présence. En cas de pluralité de demandes concernant une exploitation ou une entreprise, le tribunal tient compte de l'aptitude des différents postulants à gérer cette exploitation ou cette entreprise et à s'y maintenir et en particulier de la durée de leur participation personnelle à l'activité de l'exploitation ou de l'entreprise.

Les biens faisant l'objet de l'attribution sont estimés à leur valeur au jour du partage.

Sauf accord amiable entre les copartageants, la soulte éventuellement due est payable comptant.

Art. 832-1. -- Par dérogation aux dispositions des alinéas onzième et treizième de l'article 832 et à moins que le maintien de l'indivision ne soit demandé en application des articles 815 (deuxième alinéa) et 815-1, l'attribution préférentielle visée au troisième alinéa de l'article 832 est de droit pour toute exploitation agricole qui ne dépasse pas les limites de superficies fixées par décret en Conseil d'Etat. En cas de pluralité de demandes, le tribunal désigne l'attributaire ou les attributaires conjoints en fonction des intérêts en présence et de l'aptitude des différents postulants à gérer l'exploitation et à s'y maintenir.

Dans l'hypothèse prévue à l'alinéa précédent, même si l'attribution préférentielle a été accordée judiciairement, l'attributaire peut exiger de ses copartageants pour le paiement d'une fraction de la soulte, égale au plus à la moitié, des délais ne pouvant excéder dix ans. Sauf convention contraire, les sommes restant dues portent intérêt au taux légal.

En cas de vente de la totalité du bien attribué, la fraction de soulte restant due devient immédiatement exigible, en cas de ventes partielles, le produit de ces ventes est versé aux copartageants et imputé sur la fraction de soulte encore due.

Art. 832-2. -- Si le maintien dans l'indivision n'a pas été ordonné en application des articles 815, deuxième alinéa, et 815-1, et à défaut d'attribution préférentielle en propriété, prévue aux articles 832, troisième alinéa, ou 832-1, le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut demander l'attribution préférentielle de tout ou partie des biens et droits immobiliers à destination agricole dépendant de la succession en vue de constituer, avec un ou plusieurs cohéritiers et, le cas échéant, un ou plusieurs tiers, un groupement foncier agricole.

Cette attribution est de droit si le conjoint survivant ou un ou plusieurs des cohéritiers remplissant les conditions personnelles prévues à l'article 832, troisième alinéa, exigent que leur soit donné à bail, dans les conditions fixées au chapitre VII du titre I er du livre VI du code rural , tout ou partie des biens du groupement.

En cas de pluralité de demandes, les biens du groupement peuvent, si leur consistance le permet, faire l'objet de plusieurs baux bénéficiant à des cohéritiers différents ; dans le cas contraire, et à défaut d'accord amiable, le tribunal désigne le preneur en tenant compte de l'aptitude des différents postulants à gérer les biens concernés et à s'y maintenir. Si les clauses et conditions de ce bail ou de ces baux n'ont pas fait l'objet d'un accord, elles sont fixées par le tribunal.

Les biens et droits immobiliers que les demandeurs n'envisagent pas d'apporter au groupement foncier agricole, ainsi que les autres biens de la succession, sont attribués par priorité, dans les limites de leurs droits successoraux respectifs, aux indivisaires qui n'ont pas consenti à la formation du groupement. Si ces indivisaires ne sont pas remplis de leurs droits par l'attribution ainsi faite, une soulte doit leur être versée. Sauf accord amiable entre les copartageants, la soulte éventuellement due est payable dans l'année suivant le partage. Elle peut faire l'objet d'une dation en paiement sous la forme de parts du groupement foncier agricole, à moins que les intéressés, dans le mois suivant la proposition qui leur en est faite, n'aient fait connaître leur opposition à ce mode de règlement.

Le partage n'est parfait qu'après la signature de l'acte constitutif du groupement foncier agricole et, s'il y a lieu, du ou des baux à long terme.

Art. 832-3. - Si une exploitation agricole constituant une unité économique et non exploitée sous forme sociale n'est pas maintenue dans l'indivision en application des articles 815, 2 e alinéa et 815-1, et n'a pas fait l'objet d'une attribution préférentielle dans les conditions prévues aux articles 832, 832-1 ou 832-2, le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire qui désire poursuivre l'exploitation à laquelle il participe ou a participé effectivement peut exiger, nonobstant toute demande de licitation, que le partage soit conclu sous la condition que ces copartageants lui consentent un bail à long terme dans les conditions fixées au chapitre VII du titre I er du livre VI du code rural sur les terres de l'exploitation qui leur échoient. Sauf accord amiable entre les parties, celui qui demande à bénéficier de ces dispositions reçoit par priorité dans sa part les bâtiments d'exploitation et d'habitation.

Les dispositions qui précèdent sont applicables à une partie de l'exploitation agricole pouvant constituer une unité économique.

Il est tenu compte, s'il y a lieu, de la dépréciation due à l'existence du bail dans l'évaluation des terres incluses dans les différents lots.

Les articles 807 et 808 du code rural déterminent les règles spécifiques au bail visé au premier alinéa du présent article.

S'il y a pluralité de demandes, le tribunal de grande instance désigne le ou les bénéficiaires en fonction des intérêts en présence et de l'aptitude des différents postulants à gérer tout ou partie de l'exploitation ou à s'y maintenir.

Si, en raison de l'inaptitude manifeste du ou des demandeurs à gérer tout ou partie de l'exploitation, les intérêts des cohéritiers risquent d'être compromis, le tribunal peut décider qu'il n'y a pas lieu d'appliquer les trois premiers alinéas du présent article.

L'unité économique prévue au premier alinéa peut être formée, pour une part, de biens dont le conjoint survivant ou l'héritier était déjà propriétaire ou copropriétaire avant le décès. Dans le cas de l'héritier, la condition de participation peut avoir été remplie par son conjoint.

Art. 832-4. -- Les dispositions des articles 832, 832-1, 832-2 et 832-3 profitent au conjoint ou à tout héritier, qu'il soit copropriétaire en pleine propriété ou en nue-propriété.

Les dispositions des articles 832, 832-2 et 832-3 profitent aussi au gratifié ayant vocation universelle ou à titre universel à la succession en vertu d'un testament ou d'une institution contractuelle.

Code général des impôts

Art. 575 - Les tabacs manufacturés vendus dans les départements de la France continentale sont soumis à un droit de consommation.

Le droit de consommation sur les cigarettes comporte une part spécifique par unité de produit et une part proportionnelle au prix de détail. Toutefois, pour les cigarettes de la classe de prix la plus demandée, le montant du droit de consommation est déterminé globalement en appliquant le taux normal de ce droit, prévu à l'article 575 A, à leur prix de vente au détail.

La part spécifique est égale à 5 % de la charge fiscale totale afférente aux cigarettes de la classe de prix la plus demandée et comprenant le droit de consommation, la taxe sur la valeur ajoutée et la taxe sur les tabacs manufacturés.

Pour les cigarettes de la classe de prix la plus demandée, la part proportionnelle est réputée égale à la différence entre le montant total du droit de consommation et la part spécifique définie ci-dessus. Le rapport entre cette part proportionnelle et le prix de vente au détail de ces cigarettes constitue le taux de base.

Pour les autres cigarettes, la part proportionnelle est déterminée en appliquant le taux de base à leur prix de vente au détail.

Le montant du droit de consommation ne peut être inférieur à un minimum de perception fixé par 1000 unités.

Les tabacs manufacturés autres que les cigarettes sont soumis à un taux normal applicable à leur prix de vente au détail, sous réserve d'un minimum de perception fixé par mille unités ou par mille grammes.

Pour l'année 1998, le montant du droit de consommation, applicable à un produit, ne peut être inférieur au montant du droit de consommation calculé sur la base du prix de vente au détail résultant de la première homologation postérieure au 1er décembre 1997.

Art. 575 A. - Pour les différents groupes de produits définis à l'article 575, le taux normal est fixé conformément au tableau ci-après :

Groupe de produits : Cigarettes

Taux normal à compter du 1er août 1995 : 58,30

Groupe de produits : Cigares

Taux normal à compter du 1er août 1995 : 28,86

Groupe de produits : Tabacs fine coupe destinés à rouler les cigarettes

Taux normal à compter du 1er août 1995 : 51

Groupe de produits : Autres tabacs à fumer

Taux normal à compter du 1er août 1995 : 46,74

Groupe de produits : Tabacs à priser

Taux normal à compter du 1er août 1995 : 40,20

Groupe de produits : Tabacs à mâcher

Taux normal à compter du 1er août 1995 : 27,47

Le minimum de perception mentionné à l'article 575 est fixé à 515 F pour les cigarettes. Toutefois, pour les cigarettes brunes, ce minimum de perception est fixé à 435 F.

Il est fixé à 240 F pour les tabacs fine coupe destinés à rouler les cigarettes.

Sont considérées comme cigarettes brunes les cigarettes dont la composition en tabac naturel comprend un minimum de 60 % de tabacs relevant des codes NC 24011041, 24011070, 24012041 ou 24012070 du tarif des douanes.



1 Voir en annexe le compte-rendu intégral des auditions publiques du 27 janvier et le compte-rendu des auditions du 9 mars, ainsi que la liste des auditions complémentaires du rapporteur.

2 Se reporter au tableau placé à la fin de l'exposé général comparant les différents types d'unions

3 Se reporter au tableau récapitulatif figurant en annexe présentant le concubinage à travers diverses législations

4 Se reporter au tableau récapitulatif figurant en annexe présentant le concubinage à travers diverses législations ainsi qu'au tableau placé à la fin de l'exposé général comparant les diverses formes d'unions (mariage, concubinage, pacs).

5 Se reporter au document de travail du Sénat, série législation comparée, n° LC 48, Le pacte civil de solidarité.

6 Revue population - mars 1992 - Conclusion juridique pour un colloque de démographie sur la nuptialité.

7 Cf. annexe au présent rapport.

8 Note de la fondation Saint-Simon - octobre 1997 - Le contrat d'union sociale en question.

9 Droit de la famille.- Ne pas se tromper de réforme, rapport n° 481 1997-1998

10 Se reporter au tableau comparant les différents types d'union, placé à la fin de l'exposé général.



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