2. D'importantes inconnues

Cette estimation est cependant tributaire de l'adoption de la réforme de la PAC et de la réalisation effective des hypothèses relatives aux principales variables d'évolution des dépenses de la PAC .

La réforme de la PAC proposée par la Commission tourne autour d'un approfondissement de la baisse des prix d'intervention compensé par une augmentation des aides directes versées aux producteurs.

Le prix d'intervention des céréales serait réduit de 20 % en une étape (1 er juillet 2000) tandis que les aides directes seraient accrues de la moitié de la baisse des prix. Les prix d'intervention de la viande bovine seraient abaissés en trois étapes de 30 %, ce qui serait compensé par une augmentation des primes et par l'octroi d'aides complémentaires gérées par les Etats dans le cadre toutefois de règles communes. S'agissant du secteur laitier, la Commission propose le maintien des quotas, la baisse progressive des prix de soutien compensée par un relèvement des aides directes rendant, selon elle, possible une augmentation elle-même progressive du volume des quotas.

La réforme de la PAC s'accompagne également de la promotion d'éléments de modulations avec en particulier la dégressivité des aides versées au-delà d'un montant total par agriculteur de 100.000 écus. La Commission propose de réduire de 20 % les aides excédant 100.000 écus jusqu'à 200.000 écus et de 25 % les aides qui excèdent ce dernier montant.

L'économie de la réforme proposée déboucherait sur une modification de la structure des dépenses du FEOGA.

FEOGA-Garantie : évolution des dépenses agricoles 1989-2005

(en % du total des dépenses du FEOGA)

Intitulé

1989

1993

1997

2001

2005

Cultures arables

25,6

30,7

43,1

44,4

41,5

Sucre

8,1

6,3

4,0

4,1

3,8

Huile d'olive

6,0

7,1

5,4

5,4

5,0

Fourrages séchés et légumes secs

0,9

1,5

0,9

0,9

0,8

Plantes textiles et vers à soie

2,5

2,5

2,2

2,0

1,8

Fruits et légumes

4,2

4,8

3,9

4,5

4,1

Produits du secteur viti-vinicole

4,7

4,4

2,5

1,9

1,7

Tabac

4,7

3,4

2,5

2,4

2,2

Autres produits végétaux

0,8

0,8

0,7

1,0

0,9

Total titre 1

57,4

61,5

65,2

66,4

61,9

Lait et produits laitiers

20,4

15,1

7,7

7,4

9,7

Viande bovine

10,0

11,5

16,3

13,3

17,0

Viande ovine et caprine

6,0

5,2

3,5

4,5

4,2

Viande porcine

1,1

0,6

1,2

0,1

0,1

OEufs et volailles

1,0

0,8

0,2

0,0

0,0

Autres produits animaux

0,0

0,4

0,2

0,3

0,2

Pêche

- 0,1

0,1

0,1

0,2

0,2

Total titre 2

38,4

33,7

29,2

25,7

31,4

Produits hors annexe II

2,3

2,1

1,4

0,8

0,6

MCA, MCM et aides agromonétaires

1,5

0,4

 
 
 

Aide alimentaire

0,5

0,5

0,0

0,8

0,6

Intérêts à verser aux Etats membres

0,2

0,3

0,0

 
 

Distribution aux défavorisés

0,5

0,4

0,5

 
 

Mesures de lutte contre la fraude

 

0,2

0,1

0,1

0,1

Apurement des comptes

- 0,8

- 1,1

- 2,1

 
 

Développement rural

 

0,0

0,0

 
 

Actions de promotion

 

1,3

0,1

0,2

0,2

Autres mesures

 

0,0

0,5

 
 

Total titre 3

4,2

4,1

0,5

1,9

0,6

Aide au revenu

 

0,1

0,0

 
 

Mesures d'accompagnement

 

0,6

5,1

6,5

6,0

Total FEOGA

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

Source 1989 : comptes de la commission ; 1993 et 1997 : Rapport financier concernant le FEOGA, section " garantie " -exercice 1997- COM (1998) 552 final ; 2001 et 2005 : Agenda 2000 ; % calculés par la Cour des comptes.

La part des dépenses consacrées aux productions végétales, après avoir beaucoup progressé, se réduirait de 4,5 points entre 2001 et 2005, tandis que celle des productions animales s'accroîtrait de 5,7 points.

On note la faiblesse persistante des actions de promotion financées par le FEOGA.

Surtout la réforme accentuerait la réorganisation du soutien public à l'agriculture européenne en amplifiant la substitution entre les dépenses d'intervention et les aides directes . En moyenne annuelle, sur la période 2004-2006, les aides directes et les mesures structurelles représenteraient près de 82 % des dépenses contre environ 9 % de crédits consacrés aux interventions.

Les enjeux principaux de cette stratégie sont, dans le cadre d'une Europe à 15, les suivants : la baisse des prix d'intervention européens permettra-t-elle de rapprocher ces prix des prix du marché mondial ? l'évolution des aides directes telle qu'elle est proposée par la Commission est-elle admissible par les producteurs ?

Sur le premier point, les estimations de la Commission sont bâties sur des hypothèses de demande de produits agricoles, de parités dollar-euro et de croissance du PIB plutôt favorables et donc contestables.

Sur le second point, il est frappant d'observer la quasi-stagnation en valeur des dépenses agricoles à partir de 2003 synonyme de réduction en volume. Autrement dit, la stabilité en termes réels des dépenses agricoles de l'Europe à 15 sur la période résulterait d'une évolution très contrastée avec, dans un premier temps, une progression de la dépense agricole en volume, puis une diminution du volume de la dépense agricole.

La mesure dans laquelle une semblable évolution est tenable dépend pour beaucoup de l'évolution socio-économique de l'agriculture européenne dans les années à venir : prix de marché, nombre de producteurs...

Face à ces incertitudes la réforme est contestée. L'opportunité d'un transfert du soutien par les prix vers un soutien par le contribuable, de l'application de ce transfert à tous les secteurs quelle que soit leur vocation exportatrice est mise en doute.

La prise en compte par la Commission de la contrainte internationale avant même le déroulement des négociations de l'Organisation mondiale du commerce est critiquée.

La promotion sous-jacente d'un modèle d'agriculture productiviste et exportatrice est mise en cause.

D'un autre côté, l'approfondissement d'un système d'aides directes quelque peu asymétrique suscite des interrogations au regard de l'évolution du monde agricole depuis la réforme de 1992 marquée par la concentration. Des modulations sont évoquées dont les effets sont présentés avec une certaine imprécision.

Mais, la contestation vient surtout de quelques uns de nos partenaires, les mêmes qui ont dicté, dans le passé, les principes de la PAC dans le souci d'améliorer leurs " retours budgétaires ". Une renationalisation de la politique agricole commune est demandée. La prise en compte d'une telle exigence reviendrait à renier les principes fondamentaux de la politique communautaire la plus éminente : l'unicité du marché ne serait plus ; la solidarité financière serait démantelée ; la PAC disparaîtrait.

Une telle remise en cause ne pourrait que déboucher sur une remise en question de l'ensemble de l'acquis communautaire et des autres interventions budgétaires de l'Union.

Il faut donc évacuer une telle approche et se centrer sur l'essentiel, c'est-à-dire sur la définition d'un projet agricole européen. C'est d'autant plus nécessaire qu'un élément capital d'incertitude doit être souligné, qui tient à l'impact de l'élargissement sur la PAC . A cet égard, les baisses de prix d'intervention sont évidemment destinées à réduire l'écart entre ces prix et les prix agricoles des nouveaux membres. Il s'agit donc d'atténuer le conflit entre la PAC et l'élargissement. Mais, tout n'est pas réglé pour autant. Comme souligné dans l'avis de la Cour des comptes européenne du 29 octobre 1998, l'estimation de la Commission repose en la matière sur l'hypothèse que les agriculteurs des nouveaux membres ne bénéficieraient pas des aides directes. Cette hypothèse, qui n'est pas sans fondement compte tenu du caractère compensatoire de ces aides, est cependant fragile au regard du principe d'homogénéité des règles européennes. La Cour estime que sous l'hypothèse d'un versement intégral des aides directes aux producteurs des nouveaux membres, les dépenses budgétaires supplémentaires s'élèveraient en moyenne à 3,3 milliards d'écus chaque année.

Les tableaux ci-après illustrent les nombreuses incertitudes qui s'attachent aux prévisions de la Commission.

Evolution de la ligne directrice et des dépenses agricoles entre 2000 et 2006

Hypothèse Agenda 2000 Commission 1

(Mio ECU)


Année


Ligne directrice

agricole (EU-21)

Nouvelles mesures vétérinaires et structurelles


Elargissement (*)


PAC " actuelle "


Total (EU-21)

2000

46.940

2.045

530

40.075

42.650

2001

48.750

2.090

540

43.100

45.730

2002

50.940

2.130

2.250

44.855

49.235

2003

52.990

2.170

2.760

46.330

51.260

2004

55.120

2.210

3.270

46.490

51.970

2005

57.350

2.250

3.890

46.440

52.580

2006

59.680

2.290

4.500

46.460

53.250

(*) Aide préadhésion, mesures de marché PAC et mesures de développement rural et d'accompagnement

Source : Agenda 2000, hypothèse réforme, COM (1998) 158 final

1. L'écart entre les chiffres du tableau et celui des perspectives financières provient outre du fait que le tableau ci-dessus est exprimé en euros courants de ce que les perspectives financières ont quelque peu réduit la base de départ de la ligne directrice agricole.

Hypothèse Agenda 2000 révisée par la Cour

(Mio ECU)


Année

Ligne directrice

agricole (1) (Eu-21)

Nouvelles mesures vétérinaires et structurelles (2)


Elargissement (3)


PAC " actuelle " (4)


Total (EU-21)

2000

46.681

2.045

530

40.655

43.230

2001

48.340

2.090

540

44.090

46.720

2002

50.370

2.130

5.550

45.975

53.655

2003

52.240

2.170

6.110

47.430

55.710

2004

54.190

2.210

6.640

47.750

56.600

2005

56.210

2.250

7.150

47.750

57.150

2006

58.310

2.290

7.670

47.770

57.730

Notes : (1) Hypothèses retenues par la Cour :

- croissance : 2,4 % l'an de 1998 à 2000 inclus, 2 % l'an en 2001 et 2,095 % de 2002 à 2006 pour tenir compte à partir de cette date de l'adhésion des six nouveaux Etats membres. Pour ces derniers, seul l'accroissement en volume de leur PNB estimé à 3,8 % l'an a été pris en considération en en pondérant le poids par leur participation à la formation du PNB communautaire.

- déflateur : 2,1 % l'an.

Les estimations de croissance et d'érosion inflationniste sont conformes aux hypothèses basses de l'OCDE qui vu la conjoncture ont de fortes probabilités de se réaliser. Pour sa part, le FMI prévoit également une croissance d'environ 2 % sur la période.

(2) Conforme aux chiffres de la Commission

(3) Concerne les aides préadhésion, les mesures de marché PAC et les mesures de développement rural et d'accompagnement. Les dépenses relatives aux mesures de marché PAC sont estimées sur la base des données figurant dans les avis de la Commission sur les demandes d'adhésion des six pays candidats (Com (93) 303, COM (97) 2001/2002/2006/2009/2010).

(4) La différence avec les chiffres de la Commission provient des éléments suivants :

- cultures arables : prix des céréales sur le marché mondial retenu plus faible, entraînant des dépenses plus élevées au titre des restitutions à l'exportation et/ou pour la dépréciation des stocks estimées entre 420 et 580 Mio ECU par an,

- lait et produits laitiers : accroissement de la demande moindre entraînant des coûts d'écoulement de ces produits estimés entre 40 et 230 Mio ECU par an,

- viande bovine : accroissement de la demande moindre entraînant des coûts de stockage supplémentaires estimés entre 120 et 310 Mio ECU par an,

- viande ovine et caprine : baisse du prix interne de ce produit entraînant le paiement d'aides directes supplémentaires estimées à 350 Mio ECU par an.

Source : Estimations de la Cour

Elles sont telles que, moyennant des hypothèses de croissance économique, d'alignement des prix européen et mondial et d'extension du régime de la PAC aux nouveaux Etats membres moins favorables que celles retenues par la Commission, l'on peut démontrer l'insuffisance sur la presque quasi-totalité de la période de la ligne directrice agricole.

En résulteraient la nécessité de la réviser, et partant, celle d'accroître les crédits de paiement consacrés à l'agriculture et donc l'appel à contribution des Etats-membres.

A moins que les crédits consacrés à soutenir les actions de développement rural, classés dans la catégorie des dépenses non obligatoires, soient appelés dans l'esprit de la Commission à faire office de volet d'ajustement... Eventualité qu'il faut fermement refuser compte tenu de l'importance de financer le monde rural.

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