B. L'ÉGALITÉ DES CITOYENS
Le
principe d'égalité a été établi par la
Déclaration de 1789, puis confirmé et précisé par
les textes constitutionnels ultérieurs.
Ainsi l'article premier de la Déclaration de 1789 affirme que
"
les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Les
distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur
l'utilité commune
".
Son article VI est ainsi libellé : "
La loi est l'expression de
la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de
concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa
formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle
protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant
égaux à ses yeux, sont
également admissibles
à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur
capacité, et
sans autre distinction
que celle de leurs vertus et
de leurs talents
".
Le troisième alinéa du Préambule de la Constitution de
1946 ajoute que "
la loi garantit à la femme
, dans
tous les domaines,
des droits égaux
à ceux de
l'homme
".
L'article premier de la Constitution de 1958 stipule que la République
"
assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens
sans distinction d'origine, de race ou de religion
", sans
cependant considérer explicitement la distinction établie en
fonction du sexe.
Le Conseil constitutionnel a estimé que "
le principe
d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur
règle de façon différente des situations
différentes ni à ce qu'il déroge à
l'égalité pour des raisons d'intérêt
général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la
différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec
l'objet de la loi qui l'établit
"
19(
*
)
.
Il a également considéré que
" le principe
constitutionnel d'égalité entre les sexes s'impose au pouvoir
réglementaire sans qu'il soit besoin pour le législateur d'en
rappeler l'existence "
(décision n° 97-388 DC du
20 mars 1997, " Plans d'épargne retraite ").
Il apparaît donc clairement que, en dépit du silence sur ce point
de l'article premier de la Constitution, la valeur constitutionnelle du
principe d'égalité entre les sexes est reconnue par le Conseil
constitutionnel.
Le statut général de la fonction publique de 1946 ne permet
d'apporter de dérogation au principe de l'égalité des
sexes que
" dans les cas où la nature des fonctions
exercées ou les conditions d'exercice de ces fonctions exigent de telles
dérogations "
, et
" sous le contrôle du
juge "
.
Le statut de 1959 a prévu que le principe d'égalité des
sexes dans la fonction publique s'applique sous réserve de mesures
exceptionnelles prévues par les statuts particuliers (article 7 de
l'ordonnance du 7 février 1959) ou leurs conditions d'exercice
(même texte, complété par la loi du
10 juillet 1975).
Le droit français admet l'existence de mesures de discriminations
positives que M. Ferdinand Mélin-Soucramanien
20(
*
)
définit comme "
une
différenciation juridique de traitement, créée à
titre temporaire, dont l'autorité normative affirme expressément
qu'elle a pour but de favoriser une catégorie déterminée
de personnes physiques ou morales au détriment d'une autre afin de
compenser une inégalité de fait préexistante entre
elles
".
Le même auteur relève l'existence de discriminations positives
dans les domaines du sexe, de l'âge, du handicap ou de la localisation
géographique.
Ainsi, la loi n° 79-569 du 7 juillet 1979, modifiant la loi
n° 75-3 du 3 janvier 1975, dispense de la condition de limite
d'âge pour l'accès aux emplois publics, les mères d'au
moins trois enfants, les divorcées et les veuves non remariées,
les femmes séparées judiciairement et les femmes
célibataires ayant au moins un enfant à charge, qui se trouvent
dans l'obligation de travailler.
Il est vrai que de nombreuses lois contenant des discriminations positives,
comme celle du 7 juillet 1979, n'ont pas été soumises à
l'examen du Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel a validé les dispositions de la loi
instituant une troisième voie d'accès à l'Ecole nationale
d'Administration au bénéfice de personnes ayant exercé des
fonctions électives à la tête notamment, de
collectivités territoriales, d'organisations syndicales ou mutualistes
ou d'associations reconnues d'utilité publique, texte motivé,
selon M. Jean-Pierre Michel, rapporteur du projet de loi à
l'Assemblée nationale, par l'objectif "
d'employer des solutions
adaptées pour rétablir l'égalité
".
Le Conseil constitutionnel a estimé que "
si le principe de
l'égal accès aux emplois publics proclamé par
l'article 6 de la Déclaration de 1789, impose que, dans les
nominations de fonctionnaires, il ne soit tenu compte que de la
capacité, des vertus et des talents, il ne s'oppose pas à ce que
les règles de recrutement destinées à permettre
l'appréciation des aptitudes et des qualités des candidats
à l'entrée dans une école de formation ou dans un corps de
fonctionnaires soient différenciées pour tenir compte tant de la
variété des mérites à prendre en
considération que de celle des besoins du service public"
(décision n° 82-153 DC du 14 janvier 1983).
Aucune discrimination positive n'a, en revanche, jamais été
acceptée dans le domaine du suffrage
. En effet, si le
Préambule de la Constitution de 1946 donne à la loi la mission de
garantir "
à la femme, dans tous les domaines, des droits
égaux à ceux de l'homme " -
ce qui autorise, à
certaines conditions, des discriminations positives, dans le domaine social en
particulier-,
l'article 3 de la Constitution de 1958, concernant
spécifiquement la souveraineté nationale, interdit, selon la
jurisprudence du Conseil constitutionnel, toute distinction entre hommes et
femmes pour la représentation politique
.
Les décisions du Conseil constitutionnel précitées du
18 novembre 1982 et du 14 janvier 1999 ont confirmé
que le principe constitutionnel de l'égalité des droits civiques
concernait aussi bien l'éligibilité que l'électorat en
énonçant que
" la qualité de citoyen ouvre le
droit de vote et l'éligibilité dans des conditions identiques
à tous ceux qui n'en sont pas exclus pour une raison d'âge,
d'incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant
à préserver la liberté de l'électeur ou
l'indépendance de l'élu "
.
Le Conseil constitutionnel a donc considéré que l'égale
admissibilité des hommes et des femmes aux mandats et fonctions
était déjà acquise en droit
" sans autre
distinction que celle de leur vertu et de leur talent "
.
Un texte conditionnant la recevabilité de candidatures à la
présence d'une proportion déterminée de femmes et d'hommes
créerait donc une discrimination entre les sexes.
L'introduction d'une telle discrimination positive en matière
électorale pourrait donc paraître assez paradoxale au regard d'une
affirmation aussi claire du principe général
d'égalité, tel qu'il a été établi par la
Déclaration de 1789, confirmé par l'article premier de la
Constitution et précisé, pour ce qui a trait à la
souveraineté nationale, par l'article 3 de la Constitution.
Selon M. Olivier Duhamel, pour les droits économiques, sociaux
ou culturels, les différenciations sont nécessaires pour tenir
compte de la situation des différentes catégories sociales, mais,
dans le domaine politique, "
la démocratie ne reçoit les
êtres humains qu'en tant que tels
"
21(
*
)
.
Mme Elisabeth Badinter considère, pour sa part, que toute
discrimination, même positive, susciterait l'apparition de clivages
assimilables aux ordres supprimés par la Déclaration de 1789, et
constituerait une "
source d'exclusion, contraire à
l'intégration républicaine
"
22(
*
)
. Elle pourrait susciter en outre une
interrogation sur la compétence des femmes élues selon un
système électoral comportant des quotas.
Elle a par ailleurs souligné devant votre commission des Lois que les
demandes en matière d'égalité devaient toujours être
basées sur le droit à la ressemblance pour mettre en valeur ce
qui unit l'humanité et non ce qui la sépare.
La discrimination positive accordée aux femmes dans le domaine
électoral comporterait aussi le risque de revendication de quotas de la
part de diverses catégories de la société et donc celui de
communautarisation.
Une telle conception de l'égalité a pu paraître,
à plusieurs auteurs, comme abstraite et porteuse d'une
égalité plus formelle que réelle.
Ces auteurs soulignent que le troisième alinéa du
Préambule de la Constitution de 1946 proclame, comme
particulièrement nécessaire à notre temps le principe
suivant lequel il appartient à la loi de garantir
" à la
femme dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de
l'homme
".
Selon Mme Francine Demichel, "
la parité est une
technique juridique ne mettant pas en cause le principe
d'égalité, sauf à le concevoir de manière
abstraite
".
L'argumentation précédemment exposée selon laquelle la
femme ne constituerait pas une " catégorie " ne permettrait
pas, selon elle, d'étendre un raisonnement favorable à
l'établissement de quotas pour les femmes à d'autres composantes
de la population.
Enfin, M. Olivier Duhamel a estimé, devant l'Observatoire de
la parité en 1996, que l'instauration de la parité politique
obligatoire serait "
contraire aux principes fondateurs de la
démocratie constitutionnelle
", mais aussi que
"
renoncer encore et toujours à l'égalité dans les
faits pour respecter la citoyenneté est à peine
préférable à renoncer à la citoyenneté pour
assurer enfin l'égalité réelle
".
Il en a tiré une conclusion pragmatique tendant à prévoir
un délai pendant lequel les partis politiques devraient se conformer
à un objectif déterminé, sans adoption de dispositions
à caractère obligatoire.
A l'issue de ce délai, si le résultat attendu n'était pas
atteint, des mesures, qu'il conçoit comme dérogatoires au
principe constitutionnel d'égalité, pourraient être
établies, mais à titre transitoire, avant le retour, dans une
troisième phase, au droit commun, universel et
indifférencié
23(
*
)
.
Votre commission des Lois, pour sa part, a considéré que
l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats
électoraux et aux fonctions électives -unique objet du
présent projet de loi constitutionnelle- était en effet
déjà inscrit dans notre droit, mais que, malgré une
évolution positive récente, ce droit ne s'était pas
suffisamment traduit dans les faits.
Elle a constaté que cette évolution récente
résultait, pour l'essentiel, d'une volonté des acteurs
concernés (les femmes elles-mêmes et les partis politiques).
Votre commission des Lois estime que, quelle que soit l'évolution des
textes, il appartiendra toujours et en premier lieu à ces acteurs de
prendre leurs responsabilités.