EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
"
La République participe aux Communautés
européennes et à l'Union européenne, constituées
d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont
instituées, d'exercer en commun certaines de leurs
compétences
".
L'article 88-1 de la Constitution, introduit dans notre Loi fondamentale
lors de la révision constitutionnelle préalable à la
ratification du traité sur l'Union européenne, définit
ainsi très clairement la nature de la construction entreprise il y a
maintenant plus de quarante ans. L'exercice en commun de
compétences à l'échelle de l'Europe est à
l'évidence de plus en plus nécessaire, l'action isolée
d'un État devenant difficile voire impossible dans nombre de domaines.
Cet exercice en commun de compétences ne saurait être confondu
avec un abandon de la souveraineté nationale. L'exercice en commun de
compétences est le fruit du constat qu'une souveraineté
partagée offre à ceux qui l'acceptent des possibilités
d'action plus grandes qu'une souveraineté solitaire aujourd'hui
largement fictive.
Le principe de subsidiarité, explicitement énoncé dans le
traité sur l'Union européenne, permet de préciser ce que
doivent être les champs d'action respectifs de l'Union et des
Communautés européennes d'une part, des États qui les
composent d'autre part. Ainsi, "
dans les domaines qui ne
relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté
n'intervient (...) que si et dans la mesure où les objectifs de l'action
envisagée ne peuvent pas être réalisés de
manière suffisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison des
dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux
réalisés au niveau communautaire
" (art. 3 B du
traité sur l'Union européenne
1(
*
)
).
Il est clair que ce principe
devrait animer constamment les institutions communautaires afin que les actions
qui peuvent être mieux conduites au niveau communautaire, toutes
celles-ci et seulement celles-ci, soient menées dans ce cadre.
Le traité d'Amsterdam invite aujourd'hui les Etats à franchir une
nouvelle étape dans la mise en commun de certaines compétences,
en particulier en ce qui concerne le franchissement des frontières
intérieures et extérieures de l'Union européenne. Le
Conseil constitutionnel a estimé que les transferts de
compétences prévus dans ces matières appelaient une
révision de notre Constitution, dans la mesure où les conditions
essentielles d'exercice de la souveraineté nationale pourraient se
trouver affectées.
Afin de permettre la ratification du traité, le Président de la
République, sur proposition du Premier ministre, a pris l'initiative
d'une révision constitutionnelle que le Sénat est aujourd'hui
invité à examiner.
*
Avant
d'aborder le contexte du projet de loi constitutionnelle et son contenu, votre
rapporteur souhaite formuler une observation préalable.
Il était possible de s'interroger sur la nature de la révision
constitutionnelle à accomplir à l'occasion de la ratification du
traité d'Amsterdam. La ratification du traité de Maastricht a
nécessité une révision constitutionnelle, la ratification
du traité d'Amsterdam en appelle aujourd'hui une nouvelle. Il est
à prévoir que les évolutions futures de l'Union
européenne imposeront à nouveau de faire appel au Constituant. La
Constitution de la Vème République, adoptée au moment
même de l'entrée en vigueur du traité de Rome, n'a pas
été conçue en prenant en considération la
création progressive d'une organisation permanente telle que l'Union
européenne. Il a fallu attendre 1992 pour que la participation de la
France aux Communautés européennes et à l'Union
européenne soit inscrite dans la Constitution.
Dans ces conditions, les avancées de la construction européenne
pourraient impliquer régulièrement des révisions de notre
Loi fondamentale. L'exercice en commun de compétences concerne en effet
désormais des matières traditionnellement
considérées comme étant au coeur des souverainetés
nationales : affaires judiciaires et policières, politique
extérieure, sécurité et défense...
La question pouvait être soulevée de l'introduction dans notre
Constitution d'une clause générale qui couvrirait les adaptations
rendues nécessaires par les futurs traités. Une telle clause
éviterait que chaque traité européen appelle une nouvelle
révision constitutionnelle. Notre collègue M.Patrice
Gélard a exprimé, lors de l'examen du présent rapport, des
préoccupations voisines.
Malgré l'attrait d'un système qui pourrait simplifier la
procédure de ratification des futurs traités, votre rapporteur
constate que le Président de la République et le Gouvernement
n'ont pas fait ce choix, optant pour une révision limitée.
*
Après avoir brièvement évoqué les principales stipulations du traité d'Amsterdam, votre rapporteur s'attardera plus longuement sur la décision du Conseil constitutionnel et les conséquences que le projet de loi constitutionnelle tend à en tirer.
I. LE TRAITÉ D'AMSTERDAM PRÉVOIT LA " COMMUNAUTARISATION " DE LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES ET DES MATIÈRES QUI LUI SONT LIÉES
Conformément à sa vocation
réglementaire,
votre commission des Lois ne souhaite porter aucune appréciation sur les
dispositions du traité d'Amsterdam qui n'ont pas été
déclarées contraires à la Constitution
, cette mission
relevant de notre commission des affaires étrangères qui sera
saisie du projet de loi autorisant la ratification du traité si le
présent projet de loi constitutionnelle est définitivement
adopté par le Constituant. D'ores et déjà, des
évaluations critiques ont été établies au sein de
notre assemblée, tant par la commission des affaires
étrangères
2(
*
)
que
par la délégation pour l'Union européenne
3(
*
)
.
Votre rapporteur se limitera donc à un bref rappel des principales
stipulations du traité, afin que le cadre de la révision
constitutionnelle soit clairement défini, et évoquera plus
longuement les aspects du traité relatifs aux visas, à l'asile,
à l'immigration et aux autres politiques liées à la libre
circulation des personnes.
A. LES PRINCIPALES STIPULATIONS DU TRAITÉ
- Les
stipulations institutionnelles
:
En matière institutionnelle, le traité prévoit en premier
lieu un accroissement des
prérogatives du Parlement
européen
. La procédure de codécision entre le
Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne est
étendue à de nouvelles matières. Elle couvre
désormais tous les domaines dans lesquels le Conseil statue à la
majorité qualifiée (à l'exception de la politique agricole
commune et de la politique commerciale commune) ainsi que quelques domaines
où le Conseil statue à l'unanimité (libre circulation des
citoyens de l'Union, accès aux professions non salariées,
sécurité sociale des travailleurs migrants). Cette
procédure, qui permettait déjà au Parlement
européen de rejeter définitivement un texte, est modifiée,
de sorte que le Conseil et le Parlement sont désormais placés
strictement à égalité.
La désignation du président de la Commission européenne
sera désormais soumise à l'approbation du Parlement
européen, appelé ensuite à investir la Commission en tant
que collège après audition de chacun des membres pressentis. Le
nombre de membres du Parlement européen est plafonné à 700.
Le
vote à la majorité qualifiée
au sein du Conseil
de l'Union européenne est étendu à de nouvelles
matières : les principales dispositions de la politique sociale , la
politique de l'emploi, la santé publique, la lutte anti-fraude, le
programme-cadre de recherche...
En ce qui concerne la
pondération des votes au sein du Conseil
lorsqu'il statue à la majorité qualifiée, un protocole
annexé au traité prévoit que, lorsque l'Union comptera de
seize à vingt membres, la pondération actuelle devra normalement
être modifiée par la mise en place, soit d'une nouvelle
pondération, soit d'un système de double majorité. Le
protocole fait de cette modification une condition du changement de la
composition de la Commission européenne qui, toujours dans
l'hypothèse d'une Union de seize à vingt membres, devrait alors
en principe comprendre un commissaire par État membre : en l'absence de
cette révision du système de pondération, les
" grands " Etats garderaient donc un second commissaire comme c'est
actuellement le cas.
La
compétence de la Cour de justice des Communautés
européennes
est étendue : elle est notamment
compétente pour vérifier que les actes communautaires respectent
les droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par la Convention
européenne des droits de l'homme et tels qu'ils résultent des
traditions constitutionnelles des Etats. La Cour est en outre
compétente, sous certaines réserves, pour les matières
transférées du troisième vers le premier pilier.
Le traité prévoit la possibilité de
coopérations
renforcées
entre les Etats membres. Une coopération
renforcée devra être lancée par au moins une
majorité d'Etats membres, ne devra être utilisée qu'en
dernier ressort et rester ouverte à tous les Etats membres.
- Les stipulations relatives aux principes des Communautés et de
l'Union européenne
Si un Etat membre viole de manière grave et persistante les principes
démocratiques ou les droits de l'homme, le Conseil européen peut
décider, à la majorité qualifiée, de suspendre
certains des droits de cet Etat, y compris son droit de vote au sein du Conseil.
Par ailleurs, le Conseil de l'Union européenne peut prendre des mesures
pour
" combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la
race ou l'origine ethnique, la religion ou les croyances, un handicap,
l'âge ou l'orientation sexuelle "
.
La promotion de
l'égalité entre hommes et femmes
fait
désormais partie des missions de la Communauté au même
titre par exemple que le développement harmonieux,
équilibré et durable des activités économiques ou
la promotion d'un niveau d'emploi et de protection sociale élevé.
Un nouvel article 7D concerne les
services publics
et précise que
la Communauté et les Etats membres veillent à ce que les services
d'intérêt économique général
" fonctionnent sur la base de principes et dans les conditions qui leur
permettent d'accomplir leurs missions "
.
- Les stipulations modifiant le premier pilier (Communauté
européenne
4(
*
)
)
Un nouveau
titre sur l'emploi
est inséré dans le
traité, qui prévoit notamment que les Etats membres
considèrent la promotion de l'emploi comme une question
d'intérêt commun et qu'ils coordonnent au sein du conseil leur
action dans ce domaine. Le conseil définit chaque année des
" lignes directrices " ; il peut adresser des recommandations
aux Etats membres, il peut également adopter des " actions
d'encouragement " destinées à développer les
échanges d'information et à favoriser des expériences
pilotes.
Le
protocole social
annexé au Traité de Maastricht,
désormais accepté par la Grande-Bretagne, est
intégré au Traité instituant la Communauté
européenne
-
Les stipulations relatives au deuxième pilier (Politique
étrangère et de sécurité commune)
La
politique étrangère et de sécurité
est
dotée d'un nouvel instrument, les " stratégies
communes ", qui précisent les objectifs de l'Union et les moyens
pour les atteindre. Les stratégies communes sont arrêtées
par le Conseil européen (composé des chefs d'Etat et de
Gouvernement) sur recommandation du Conseil de l'Union européenne
(composé des ministres compétents). Lorsqu'une stratégie
commune a été décidée, le Conseil de l'Union
européenne peut adopter à la majorité qualifiée les
actions communes et les positions communes nécessaires à sa mise
en oeuvre.
En l'absence d'une stratégie commune, des actions communes et des
positions communes ne peuvent être adoptées par le Conseil
qu'à l'unanimité. Lorsqu'une décision doit être
prise à l'unanimité, l'abstention d'un ou plusieurs Etats
n'empêche pas l'adoption de cette décision.
Une déclaration prévoit la création d'une unité de
planification de la politique étrangère et de
sécurité commune (PESC) et d'alerte rapide. Elle est
placée sous la responsabilité du secrétaire
général du Conseil qui reçoit la fonction de
Haut
représentant pour la PESC
.
Pour l'élaboration et la mise en oeuvre des actes de l'Union ayant des
implications dans le domaine de la défense, le principe reste le
" recours à l'UEO " avec laquelle sont recommandées
" des relations institutionnelles plus étroites " en vue d'une
" intégration éventuelle de l'UEO dans l'Union, si le
Conseil européen en décide ainsi ".
-
La réforme du troisième pilier maintenu (coopération
policière et judiciaire en matière pénale)
Si les questions concernant la libre circulation, l'asile et l'immigration,
ainsi que la coopération en matière civile, sont
transférées du troisième pilier au premier, en revanche
les objectifs du troisième pilier sont définis en termes plus
larges, comprenant désormais en tant qu'objectifs à part
entière la lutte contre le racisme et la xénophobie, le
terrorisme, la traite d'êtres humains et les crimes contre les enfants,
le trafic de drogue, le trafic d'armes, la corruption et la fraude.
Les missions d'Europol sont renforcées. Il peut notamment appuyer la
préparation et la mise en oeuvre d'actions opérationnelles
menées par des équipes conjointes et coordonner des
enquêtes.
Parmi les objectifs de la coopération en matière pénale
figure l'adoption de mesures "
instaurant des règles minimales
relatives aux éléments constitutifs des infractions
pénales et aux sanctions applicables dans les domaines de la
criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de
drogue
".
B. LES DISPOSITIONS RELATIVES AUX VISAS, À L'ASILE, À L'IMMIGRATION ET AUX AUTRES POLITIQUES LIÉES À LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES
L'un des
volets les plus importants du traité d'Amsterdam concerne la circulation
des personnes et les domaines qui lui sont liés. Cet aspect du
traité à lui seul justifie le projet de loi constitutionnelle qui
nous est soumis. En effet,
plusieurs matières qui relevaient
jusqu'à présent du troisième pilier de l'Union
européenne font l'objet d'une " communautarisation "
,
c'est-à-dire qu'elles sont intégrées dans le traité
instituant la Communauté européenne. Un programme d'action dans
les domaines concernés est explicitement prévu par le
traité.
Ainsi, en matière de
libre circulation des personnes
, dans un
délai de cinq ans à compter de l'entrée en vigueur du
traité, le Conseil de l'Union européenne devra décider la
suppression de tout contrôle aux frontières intérieures de
l'Union, définir les conditions de franchissement des frontières
extérieures de l'Union, enfin fixer les conditions dans lesquelles les
ressortissants des pays tiers pourront circuler librement dans l'Union pendant
une durée maximale de trois mois.
Des
dérogations
sont prévues pour plusieurs Etats membres.
Les mesures concernant les matières transférées du
troisième vers le premier pilier ne sont normalement pas applicables au
Royaume-Uni et à l'Irlande qui ont toutefois la possibilité de
participer à l'adoption et à l'application de certaines d'entre
elles. Le Danemark bénéficie également d'une
dérogation, mais est dans une situation différente, dans la
mesure où il est désormais partie aux accords de Schengen. Aussi
le traité prévoit-il que lorsque le Conseil de l'Union prend des
mesures qui constituent un développement de l' " acquis de
Schengen ", le Danemark décide s'il incorpore ces mesures dans sa
législation nationale.
L'un des aspects importants du traité d'Amsterdam est effectivement
l'incorporation de l' " acquis de Schengen " dans le cadre de
l'Union européenne
. L' " acquis de Schengen "
regroupe non seulement l'accord de Schengen du 14 juin 1985, la convention
d'application de cet accord du 12 juin 1990 et les accords
d'adhésion, mais également l'ensemble des décisions
adoptées par le Comité exécutif, instance de
décision des accords de Schengen. Dès l'entrée en vigueur
du traité, le Conseil se substituera au Comité exécutif.
L'intégration de l' " acquis de Schengen " mettra un terme
à la dualité des structures contribuant à la mise en place
d'un espace de libre circulation par les citoyens.
Le Conseil de l'Union européenne devra déterminer à
l'unanimité la base juridique applicable à chacune des
dispositions qui constituent l'acquis de Schengen. Certaines décisions
prendront ainsi leur place au sein du pilier communautaire, d'autres au sein du
troisième pilier. Le travail de répartition est actuellement en
cours.
En matière d'
asile et d'immigration
, le Conseil de l'Union
européenne est invité à adopter dans les cinq ans des
mesures relatives à l'asile (critères de détermination de
l'Etat membre chargé de l'examen de la demande, normes minimales
d'accueil...), des mesures concernant les personnes déplacées,
enfin des mesures relatives à l'immigration (conditions d'entrée
et de séjour, immigration clandestine).
Enfin, dans la mesure nécessaire au fonctionnement du marché
intérieur, le Conseil de l'Union est invité à prendre des
mesures concernant la
coopération judiciaire en matière
civile
. Il s'agit notamment d'améliorer la signification
transfrontière des actes, la coopération en matière
d'obtention de preuves...
En ce qui concerne la
procédure de décision applicable aux
matières transférées dans le premier pilier
, durant
les cinq années suivant l'entrée en vigueur du traité, le
Conseil statue à l'unanimité sur proposition de la Commission ou
à l'initiative d'un État membre. Le Parlement européen est
consulté. Toutefois, certaines mesures concernant les visas sont,
dès l'entrée en vigueur du traité, prises à la
majorité qualifiée sur proposition de la Commission. A l'issue de
cette période de cinq ans, seule la Commission a l'initiative des
textes : le Conseil, statuant à l'unanimité, peut
décider d'appliquer la procédure de codécision et le vote
à la majorité qualifiée à la totalité ou
à une partie des questions transférées du troisième
vers le premier pilier. Toutefois, quelques mesures concernant les visas sont
d'office régies par la procédure de codécision et la
majorité qualifiée à l'issue du délai de
cinq ans.
Votre rapporteur évoquera plus largement ces modalités de mise en
oeuvre de ces compétences, qui ont, pour certaines d'entre elles,
été considérées comme contraires à la
Constitution.