B. PHARMACIE : LE PROJET DE LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE VEUT METTRE FIN À LA POLITIQUE CONVENTIONNELLE DU MÉDICAMENT
Votre commission affirme son attachement à la politique conventionnelle du médicament. Si, à l'évidence, elle méritait d'être enrichie et améliorée, notamment au regard des enjeux européens et nationaux immédiats, elle ne devrait pas être remise en cause. C'est pourtant à une telle remise en cause que se livre le présent projet de loi, aggravé par les amendements adoptés à l'Assemblée nationale.
1. La politique conventionnelle du médicament et les principaux enjeux de la politique du médicament
Le
Comité économique du médicament, placé
auprès des ministres compétents, a pour missions :
- de contribuer à l'élaboration de la politique
économique du médicament,
- de mettre en oeuvre les orientations -qu'il reçoit annuellement
des ministres- relatives à la maîtrise des dépenses de
médicaments,
- et de fixer les prix des médicaments par voie conventionnelle.
Depuis la signature de l'accord-cadre de 1994, le Comité
économique du médicament a ainsi signé 86 conventions
" normales " et 54 conventions dites simplifiées
(émanant de laboratoires dont le chiffre d'affaires est inférieur
à 60 millions de francs), couvrant environ 95 % du chiffre
d'affaires de l'industrie française en médicaments remboursables.
Parmi les signataires, on trouve désormais tous les grands laboratoires
français et étrangers.
Dès son entrée en fonctions, le Gouvernement n'a cependant que
peu soutenu son action. Ainsi, le décret relatif à cette
institution, attendu depuis la mi-1996, n'a été publié que
le 31 décembre 1997. Pourtant, la politique conventionnelle qu'il a mise
en oeuvre, dans le cadre d'un régime de prix administré, a permis
une régulation économique du secteur compatible avec le bon usage
du médicament.
En effet, les conventions qui ont été proposées par les
laboratoires pharmaceutiques visent à moderniser la structure des prix
des produits tout en permettant de maîtriser les volumes
commercialisés. Toutes les conventions comportent également des
engagements précis relatifs au bon usage du médicament (respect
des indications thérapeutiques, des posologies, respect des avis des
commissions scientifiques compétentes et de la commission de la
publicité, ...) et à la réduction significative des
dépenses de promotion des laboratoires. Les conventions ont enfin
permis, chaque fois que possible, d'encourager le développement de
spécialités génériques.
L'action du Comité économique doit se poursuivre, eu égard
notamment aux principaux enjeux du secteur.
On ne citera ici que quelques exemples : les prix (prix et TVA) du
médicament en Europe, le développement du marché des
médicaments génériques, la " révision des
services votés " et les sorties de médicaments de la
réserve hospitalière.
*
Les prix du médicament en Europe et la TVA sur les
médicaments remboursables.
Les prix des médicaments fixés dans un pays de l'Union
européenne servent de plus en plus de référence lors de la
fixation des prix des mêmes médicaments dans les autres pays de
l'Union. Le développement d'un marché unique du
médicament, et notamment le développement du commerce
parallèle des médicaments, conduit en effet les laboratoires
à mener une politique de convergence des prix dans l'ensemble des pays.
De fait, la référence aux prix européens est une
référence importante lors de la fixation des prix en France,
notamment lorsqu'il s'agit d'innovations majeures : cette
référence a été acceptée dans le cadre de
l'accord-cadre entre l'Etat et le SNIP.
L'ensemble des pays sont confrontés à la problématique des
" prix européens " et il est donc nécessaire de
favoriser les échanges entre les pays sur ce sujet. A ce titre, la
France a eu une participation active au sein du comité consultatif sur
la transparence du prix et du remboursement des médicaments, instance
créée pour suivre l'application de la directive européenne
n° 89/105 sur la transparence des décisions des Etats-membres en
matière de prix et de remboursement. Les représentants
français ont notamment soutenu le projet d'un réseau
européen d'échanges d'informations sur les prix et les conditions
de mise sur le marché des médicaments nouveaux.
La France a également participé activement aux conférences
de Francfort organisées par le commissaire Bangeman sur le marché
unique des médicaments. Ces conférences ont abouti, en 1998,
à l'initiative du Conseil invitant la commission à lui
présenter une communication sur l'évolution future du
marché unique des médicaments.
La question de la TVA sur les médicaments remboursables constitue
également un enjeu important. En effet, deux taux différents
coexistent : depuis la loi de finances pour 1990, un taux réduit de
2,10 % est applicable aux médicaments remboursables (art. 281
octies du code général des impôts), les médicaments
non remboursables demeurant soumis au taux de 5,5 % (art. 278 quater
du même code).
Selon la Commission européenne, la coexistence de deux taux
différents selon que le médicament est ou non remboursable aurait
pour effet que deux médicaments identiques puissent être
taxés de deux taux différents ; or, l'application à des
produits identiques de deux taux différents est contraire aux directives
TVA du Conseil (1
ère
directive du 11 avril 1967 et
6
ème
directive du 17 mai 1977).
C'est pourquoi, depuis 1995, la Commission demande au Gouvernement
français de se conformer au droit européen. Celui-ci a toutefois
maintenu sa position initiale pour plusieurs raisons :
- il existe bien une distinction de nature entre un médicament
remboursable et un médicament non remboursable, en raison non seulement
de leur effet sur les patients, mais aussi de leur différence de statut
juridique au regard des prix et de la publicité, qui implique
l'existence de deux marchés séparés ;
- d'autres produits bénéficient, dans la directive TVA, de
la possibilité d'être taxés avec deux taux distincts en
fonction de leur destination finale ;
- l'alignement sur la position de la Commission correspondrait, en
application des objectifs de convergence des taux européens, au passage
du taux de TVA des médicaments remboursables de 2,1 % à
5,5 %. Le surcoût de cette augmentation de taux serait de 4
milliards de francs, à la charge des ménages (pour
1,3 milliard de francs) et de l'assurance maladie (pour 2,7 milliards
de francs). Or, le surcoût pour les ménages serait un obstacle
à la mise en oeuvre de la politique d'accès aux soins, surtout
pour les plus démunis. Quant au surcoût pour l'assurance maladie,
il devrait être financé par une augmentation des cotisations
sociales. Une telle mesure susciterait l'incompréhension de la
population à l'égard de la politique européenne, d'autant
plus qu'elle augmenterait le coût du travail, ce qui serait en
contradiction avec les recommandations faites par la Commission ;
- compte tenu de l'étanchéité des marchés des
médicaments remboursables et non remboursables, il n'existe pas d'enjeu
concurrentiel entre ces deux marchés ; aucune entreprise n'a jamais
contesté la dualité des taux de TVA ;
- d'autres pays européens appliquent deux taux de TVA distincts
selon le caractère remboursable ou non du médicament.
A ce stade, les procédures écrites de la phase
pré-contentieuse sont épuisées. Le collège des
commissaires européens s'est prononcé en faveur de la saisine de
la Cour de Justice des communautés européennes, sans suite pour
l'instant.
* Le développement du marché des médicaments
génériques
Le marché du médicament générique reste peu
développé en France, notamment en raison d'une politique des prix
du médicament, menée pendant longtemps, qui a favorisé des
prix moyens bas et n'a que faiblement différencié les prix en
fonction du contenu innovant des médicaments.
Ainsi, le chiffre d'affaires industriel du marché des
génériques se situe entre 1 et 3 milliards de francs selon les
définitions du générique retenues, soit un maximum de 4
à 5 % du marché des médicaments en ville, à
comparer à des parts de marché comprises entre 10 et 30 %
dans les autres pays développés.
Environ 50 % du marché du médicament remboursable est
aujourd'hui " génériquable ". Or, des
médicaments génériques ne sont actuellement disponibles
sur le marché que pour seulement 1/3 environ de ces produits. Si des
médicaments génériques remplaçaient en
totalité les médicaments de référence, à un
prix inférieur de 30 %, l'économie serait d'environ
4 milliards de francs pour la sécurité sociale. Il faut
toutefois tenir compte de l'augmentation des prix des médicaments
innovants qui serait, en contrepartie, légitimement demandée par
les laboratoires.
L'objectif poursuivi par le Gouvernement, dans la ligne de la politique
définie par le Gouvernement précédent, est de doubler la
place qu'occupent les médicaments génériques dans la
consommation pharmaceutique d'ici la fin de 1999.
Différentes mesures ont été prises, sont en cours de
réalisation ou en préparation, pour favoriser le
développement des médicaments génériques.
Ainsi, dans le but de clarifier l'identification des médicaments
génériques, (en application des articles 22 et 23 de l'ordonnance
n° 96-345 du 24 avril 1996 relative à la maîtrise
médicalisée des dépenses de soins et du décret
n° 97-221 du 13 mars 1997), la première inscription des
médicaments au répertoire des groupes génériques
réalisé par l'Agence du médicament a été
publiée au Journal officiel du 6 juin 1997.
Puis, le répertoire complet des médicaments
génériques a été publié le 7 juillet dernier
: il comprend 459 spécialités génériques. Par
ailleurs, un arrêté du 14 mars 1997 a précisé les
conditions de dénomination auxquelles ces spécialités sont
soumises en vue de leur prise en charge par les organismes d'assurance maladie.
Par ailleurs, le prix de l'ensemble des génériques a
été mis en conformité avec la règle de plafond de -
30 % des prix du princeps au 1
er
janvier 1996.
En outre, pour accélérer la mise à disposition des
médicaments génériques, une simplification et une
accélération des procédures administratives
nécessaires à leur prise en charge par l'assurance maladie est en
cours. Dès à présent, dès lors que les prix sont
inférieurs au plafond des - 30 % par rapport au prix du
princeps, les inscriptions et les modifications de prix sont traitées
sans délai par le comité économique.
Enfin, pour garantir la qualité et la sécurité de ces
médicaments, l'Agence du médicament a engagé un programme
d'inspection et de contrôle concernant l'ensemble des
génériques du répertoire qui sera achevé d'ici la
fin de l'année.
En vue de favoriser le développement de leur marché, les
médicaments génériques bénéficient de
mesures dérogatoires au droit commun.
Ainsi, pour favoriser la promotion des génériques, la loi de
financement de la sécurité sociale pour 1998 a
procédé à un abattement égal à 30 % du
chiffre d'affaires réalisé en France au titre des
spécialités génériques sur l'assiette de la taxe
sur les dépenses promotionnelles qu'elle a parallèlement
très fortement relevées.
D'autre part, les médicaments génériques ont
été exonérés par la loi de financement de la
sécurité sociale précitée de la taxe sur les ventes
directes des médicaments remboursables.
Si l'article 23 du projet de loi de financement de la sécurité
sociale était adopté tel qu'amendé par l'Assemblée
nationale, un taux de remise maximum dérogatoire de 10,47% (au lieu du
taux de droit commun de 2,5%) serait accordé au bénéfice
des pharmaciens d'officine afin d'encourager des conditions favorables de
commercialisation des médicaments génériques.
Il appartient au Comité économique du médicament
d'apporter une contribution majeure à cette politique : il encourage en
effet contractuellement la mise en oeuvre d'une stratégie de production,
chaque fois que cela paraît possible. Plusieurs laboratoires importants
tels que Rhône-Poulenc Rorer, Roussel Uclaf, Synthelabo ou Lafon
Ratiopharm ont souscrit à cette orientation en proposant la mise sur le
marché de gammes de génériques.
*
La " révision des services votés "
La " révision des services votés " -c'est-à-dire
la révision des classes thérapeutiques- par le Comité
économique du médicament, avec l'aide de la commission de la
transparence, vise à harmoniser les conditions et les taux de prise en
charge ainsi que les prix des spécialités pharmaceutiques
à partir d'une estimation du service médical effectivement rendu.
Les premières études visant à préparer la
révision des classes thérapeutiques ont été
engagées à partir de 1995-1996 par le Comité
économique du médicament en liaison avec le secrétariat de
la commission de la transparence, qui a aidé à définir le
périmètre des spécialités concernées.
Cette politique de " révision " était envisagée
essentiellement sous l'angle traditionnel du déremboursement de
certaines classes thérapeutiques dont l'efficacité sociale et
financière peut être discutée. Le nouveau Gouvernement a
confirmé, dans la communication au conseil des ministres du 18
février 1998, l'importance d'une réévaluation des
conditions de prise en charge de l'ensemble des classes thérapeutiques
mais dans un cadre rénové, centré autour de la notion de
service médical rendu. Il a annoncé une réforme des
conditions d'admission au remboursement et de taux de remboursement, qui sera
entreprise dans ce but avant la fin de l'année.
* La sortie de médicaments de la réserve
hospitalière
Le terme " sortie de la réserve hospitalière "
correspond à plusieurs opérations distinctes :
- la révision par la commission d'autorisation de mise sur le
marché (AMM) des conditions de prescription et de délivrance
figurant à l'autorisation de mise sur le marché, classe
thérapeutique par classe thérapeutique, afin de les adapter au
régime des conditions de prescriptions prévu par le décret
du 2 décembre 1994 : la révision de ces conditions peut donner
lieu à reclassement dans l'une des trois catégories de
prescription restreinte (médicament réservé à
l'usage hospitalier, à prescription initiale hospitalière,
à prescription nécessitant une surveillance spéciale
pendant le traitement), ou à la suppression de toute prescription
restreinte ;
- l'exclusion de la dotation globale : il s'agit d'une modification du
champ de la prise en charge de certains médicaments qui, bien que
destinés à des patients en ville, restent, de manière
dérogatoire, financés par les budgets hospitaliers : en 1996, une
vingtaine de médicaments ne pouvaient être pris en charge que sur
la dotation globale, alors que le régime de droit commun de prise en
charge des médicaments prévoyait que lorsqu'ils sont
rétrocédés (dispensés à des patients non
hospitalisés), les médicaments hospitaliers peuvent être
facturés aux caisses d'assurance maladie. Il reste encore aujourd'hui 11
médicaments sous ce régime ;
- la réserve " de fait " : jusqu'à présent,
les médicaments qui n'étaient pas réservés à
l'usage hospitalier mais qui étaient commercialisés uniquement
à l'hôpital par les firmes pouvaient être traités
comme les médicaments réservés à l'usage
hospitalier (rétrocession et prise en charge par les caisses
autorisées). Un projet de décret sur la rétrocession des
médicaments par les hôpitaux, qui pourrait paraître fin
1998, va limiter la possibilité d'être
rétrocédés et pris en charge par les caisses aux seuls
médicaments réservés à l'usage hospitalier, ce qui
conduira les firmes à demander l'inscription au remboursement en ville
pour les médicaments en réserve " de fait ".
|
1996 |
1997 |
1998 |
prév. 1999 |
sortie de la réserve hospitalière - AMM |
ARV(*) |
|
certains anticancéreux, certains antibiotiques |
|
exclusion de la dotation globale |
janvier
: interférons
|
1er janvier : ARV |
|
1er
janvier :
|
inscription en ville |
janvier : interférons alpha (hép. C) |
30 octobre : ARV |
|
|
(u)
ARV = antirétroviraux
Les médicaments récemment sortis de la réserve
hospitalière sont les interférons alpha dans le traitement de
l'hépatite C et les antirétroviraux.
1 - Interférons alpha - sortis en 1996
|
CAHT ville (source Gers)* |
CAHT
hôpital
|
1996 |
70,8 MF |
204,6 MF |
1997 |
98,5 MF |
187,4 MF |
1998 (6 mois) |
99,0 MF |
- |
* CA
uniquement pour l'indication hépatite C
** CA pour l'ensemble des indications thérapeutiques
prévisions* |
ville |
hôpital |
1999 |
325 MF |
36 MF |
*
uniquement dans l'indication hépatite C, en cas de mise en oeuvre du
plan national de lutte contre l'hépatite C (source ministère
emploi et solidarité)
2 - Antirétroviraux - sortis en 1997
|
CAHT
ville
|
CAHT hôpital (source taxe) |
||
1997 |
67,7 MF |
1.437,8 MF |
||
1998 (6 mois) |
337,5 MF |
|
||
prévisions DH |
Ville + hôpital |
|||
1998 |
1.920 MF |
|||
1999 |
2.092 MF |
3 -
Anticancéreux, antibiotiques
Votre commission n'a pas pu obtenir d'estimation concernant ces
médicaments, la liste des médicaments exclus de la réserve
hospitalière étant en cours d'établissement.
2. Au lieu d'améliorer la politique conventionnelle du médicament et de la rendre attractive pour les entreprises, le Gouvernement, avec le concours de l'Assemblée nationale, semble pour l'instant vouloir lui ôter toute crédibilité
Le
projet de loi de financement de la sécurité sociale comporte
plusieurs articles relatifs à la politique de régulation des prix
et des dépenses pharmaceutiques.
Ses articles 24 et 25 procèdent en effet à la modification du
régime de la politique conventionnelle et à l'institution d'une
taxe de régulation des dépenses pharmaceutiques.
Le texte initial de ces articles, déjà, pouvait être
critiqué en ce qu'il traduisait l'absence de confiance du Gouvernement
dans la politique conventionnelle pour assurer dans de bonnes conditions, non
seulement la fixation des prix des médicaments, mais aussi la promotion
de leur bon usage et la maîtrise de l'évolution de leurs
dépenses.
Mais la version des articles 24 et 25 qui résulte de l'examen du projet
de loi en première lecture par l'Assemblée nationale ne peut,
assurément, être acceptée.
En effet, elle est de nature à décourager les entreprises
à conclure toute convention avec le Comité économique, ces
entreprises pouvant être soumises à une taxation importante de
l'évolution de leur chiffre d'affaires alors même qu'elles ont
respecté à la lettre tous leurs engagements conventionnels ou, si
elles ne les ont pas respectés, qu'elles se sont acquitté des
sanctions prévues par la convention.
L'Assemblée nationale n'a, à l'évidence, pas tiré
les leçons des événements qui ont entraîné le
retrait par le Gouvernement de l'article 26 du projet de loi : devant la
menace de la taxe qu'il instituait, les entreprises ont en effet accepté
de conclure un accord avec le Gouvernement qui est ainsi assuré de
" récupérer ", par la voie conventionnelle plutôt
que par une taxation, le montant des économies qu'il voulait obtenir de
l'industrie.
Pourquoi donc s'obstiner à définir de belles usines à gaz
comptables (la description de la taxe de l'article 25 nécessite...5
pages du projet de loi) alors que le Gouvernement pourrait parvenir au
résultat escompté en confiant au Comité économique
du médicament le soin de négocier de bonnes conventions avec les
laboratoires ? Votre commission ne le comprend pas et espère que
l'Assemblée nationale acceptera, en commission mixte paritaire, de
modifier sa position.