C. LE DÉRAPAGE DES DÉPENSES EN DÉBUT D'ANNÉE ET LES SANCTIONS FINANCIÈRES PRISES PAR LE GOUVERNEMENT

La dérive des dépenses de soins de ville, au premier trimestre, a servi de base aux premières décisions importantes du Gouvernement en matière d'assurance maladie depuis sa nomination. Elles se sont traduites par des sanctions financières ainsi, à la suite de l'annulation des conventions nationales des médecins, que par un règlement conventionnel minimal.

1. La forte augmentation des dépenses de soins de ville durant les quatre premiers mois de l'année

Les chiffres fournis par la Direction des Statistiques et des Etudes de l'assurance maladie au 15 juin 1998, ont montré une très forte évolution des dépenses, incompatible en tendance avec le respect de l'ONDAM 1998.

Pour l'ensemble des médecins libéraux, le total des dépenses remboursables a en effet évolué de 3,7%.

Les dépenses remboursables des médecins généralistes, en leur sein, ont progressé de 2,3 %, avec une progression identique des honoraires et des prescriptions. L'analyse de cette progression inférieure à la moyenne, doit cependant tenir compte du fait que la revalorisation de 5 francs du C n'est intervenue qu'au 1 er avril 1998 et produira ses effets tout au long de l'année.

Ce sont les dépenses des médecins spécialistes qui ont le plus fortement progressé : + 6,9 % au total, soit + 4,8 % de progression des honoraires et + 10,1 % de progression des prescriptions.

La hausse a été particulièrement élevée dans certaines régions. Ainsi, le volume des prescriptions des spécialistes a augmenté de 23 % dans les Pays de Loire et de 20 % en Basse-Normandie, contre 2,7 % en Ile-de-France et 3,2 % en Languedoc Roussillon.

2. Des sanctions décidées unilatéralement par le Gouvernement

La publication de ces chiffres a donné lieu à des mesures concernant les chirurgiens-dentistes ainsi, le 6 juillet 1998, qu'à la présentation d'un plan d'économies d'environ 3 milliards de francs, l'essentiel (1,8 milliard de francs) étant à la charge des laboratoires pharmaceutiques.

a) Les chirurgiens-dentistes

Dès le 26 juin 1998, le Gouvernement a reporté, par arrêté, une mesure de revalorisation de la nomenclature de chirurgie dentaire, pourtant prévue par l'arrêté interministériel du 30 mai 1997.

En effet, la convention nationale des chirurgiens-dentistes, conclue le 18 avril 1997, et approuvée par cet arrêté, avait décidé, outre la mise en oeuvre d'une politique de promotion du dépistage et des soins précoces et la fixation d'honoraires de référence pour les traitements prothétiques et orthodontiques, une programmation de révision de la nomenclature.

Compte tenu du coût de cette révision, il a été décidé que sa mise en oeuvre interviendrait en plusieurs phases.

Au mépris des engagements conventionnels, la date d'entrée en vigueur d'une de ces phases a été reportée par le Gouvernement

b) Les radiologues

Une seconde mesure a concerné les radiologues. Le 11 août 1998, un arrêté a ainsi baissé de 13,5 % la valeur de la lette-clé Z1 (électroradio, gastro-entéro, onco-radio). Le Gouvernement a annoncé qu'il entendait " récupérer " 450 millions de francs et a donc consenti à caractériser cette baisse de " temporaire ". Pour autant, les modalités de suivi des effets de cette mesure n'ont pas été définies : les radiologues n'ont donc aucune garantie que, lorsque les 450 millions de francs auront été récupérés, la lettre-clé Z1 sera à nouveau évaluée à la hausse.

Cette mesure se caractérise par un profond arbitraire. En effet, s'il est vrai que les dépenses en Z ont fortement progressé, elle fait peser sur les seuls radiologues la charge du respect de l'objectif de l'ensemble des médecins spécialistes. En outre, si l'objectif pour 1998 était dépassé, les radiologues seraient appelés, comme les autres médecins spécialistes, à acquitter une sanction financière supplémentaire. Ils auraient donc été sanctionnés deux fois, une fois pour ce qui les concerne, et une seconde fois au titre du dépassement de l'ensemble des médecins spécialistes.

c) L'industrie pharmaceutique

L'essentiel des économies annoncées par le Gouvernement (1,8 milliard de francs) concerne l'industrie pharmaceutique. Il convient à cet égard, d'observer que cette industrie, qui représente environ 15 % des dépenses de l'assurance maladie, sera ainsi appelée à financer à hauteur des 2/3 le plan d'économies gouvernemental.

Les 1,8 milliards de francs attendus se répartissaient ainsi :


- application des engagements conventionnels prix/volume : 450 millions de francs

- baisses de prix ou ristournes dans les classes à faible service médical rendu : 250 millions de francs

- ristournes sur les antibiotiques et les antidépresseurs ainsi que dans d'autres classes à forte évolution : 1 milliard de francs

- autres mesures (déremboursement du MAXEPA, modification du taux de remboursement de certains vasodilatateurs, baisse du prix des médicaments nouvellement inscrits au répertoire des génériques : 100 millions de francs

Après le déremboursement du médicament MAXEPA (Laboratoires Pierre Fabre), le Gouvernement a pris un arrêté du 3 août 1998 diminuant de 65 % à 35 % le taux de remboursement de 28 présentations de médicaments vasodilatateurs.

Devant les réactions des professionnels s'indignant que de telles mesures soient prises sans qu'ils aient été entendus par la commission administrative compétente, un arrêté du 21 août 1998 a retiré l'arrêté précédent.

Plusieurs autres arrêtés sont venus mettre en oeuvre une faible partie des mesures annoncées :

- deux arrêtés du 23 juillet et du 7 août 1998 ont tiré les conséquences des engagements prix/volumes ;

- deux arrêtés du 7 août et du 30 septembre 1998 sont venus abaisser le prix de médicaments inscrits sur la liste des groupes génériques.

L'essentiel des recettes attendues restant à récupérer, le Gouvernement a inséré dans le projet de loi de financement, un article 26 menaçant les industriels d'une taxe sur le chiffre d'affaires au titre de l'année 1998.

Les laboratoires ayant accepté de signer des accords conventionnels, cet article 26 a été retiré par le Gouvernement lors de l'examen du projet de loi en première lecture à l'Assemblée nationale.

3. L'assurance maladie placée devant le fait accompli

Conformément à la légitime répartition des rôles entre l'Etat et l'assurance maladie résultant des ordonnances dites " Juppé ", il appartient au Gouvernement de définir les orientations générales de la politique de santé et d'assurance maladie, l'assurance maladie assurant la gestion quotidienne du système.

Alors que ces orientations étaient attendues depuis son entrée en fonctions, le Gouvernement est venu, avec le plan d'économies du mois de juillet, intervenir dans la simple gestion de l'assurance maladie, la plaçant ainsi dans une situation délicate vis-à-vis des professionnels avec lesquels elle est appelée à négocier des engagements conventionnels de maîtrise des dépenses.

Les décisions gouvernementales concernant les chirurgiens-dentistes ont ainsi donné lieu à une vive réaction des caisses d'assurance maladie, exprimée par une lettre des trois présidents (CNAMTS, MSA, CANAM) à madame la ministre de l'emploi et de la solidarité (8 octobre 1998).

Madame la Ministre,

Par un arrêté du 26 juin 1998, le Gouvernement a reporté la mesure de revalorisation de la Nomenclature de chirurgie dentaire qui devait entrer en vigueur le 1 er juillet. Cette revalorisation, prévue par l'arrêté interministériel du 30 mai 1997, figurait pourtant au nombre des engagements de la Convention Nationale qui lie la profession à l'assurance maladie, convention approuvée elle aussi par arrêté interministériel du même jour.

Les caisses nationales avaient, à l'époque, regretté cette décision, qui aboutissait à rompre unilatéralement un accord conventionnel important, et surtout fragilisait ce très important changement d'attitude de la profession, laquelle s'engageait enfin dans la voie -vertueuse- d'une revalorisation des soins dentaires conservateurs, et d'une maîtrise concomitante des dépassements tarifaires sur les actes prothétiques.

Au mois de juin dernier, vous avez présenté cette mesure comme conservatoire, et résultant de l'évolution de 5,5 % des dépenses de chirurgie dentaire sur les cinq premiers mois de 1998, que vous jugiez préoccupante.

A la vérité, cette tendance du début 1998 ne dépassait que d'assez peu le taux de croissance de 4,2 % qui avait été anticipé et souhaité par les caisses, au cours des négociations conventionnelles de l'annexe tarifaire pour 1998 (délibération du Conseil d'Administration de la CNAMTS du 28 avril 1998 implicitement approuvée par les autorités de tutelle). Le taux d'évolution global des dépenses ambulatoires (2,1 %) ne saurait en effet servir de référence pour des secteurs dans lesquels l'assurance maladie doit massivement se réinvestir pour combler un retard préjudiciable aux assurés.

Au surplus, cette première tendance ne paraît pas se confirmer au vu des chiffres disponibles à la fin du mois de juillet. La hausse des dépenses remboursables de chirurgie dentaire se situe en effet à un niveau de 4,1 %, c'est-à-dire non seulement en net retrait par rapport aux premiers chiffres de 1998, mais surtout dans la cible que visait le projet d'annexe conventionnelle.

Ce contexte explique le très lourd mécontentement des chirurgiens-dentistes. Le conflit qui s'installe met aujourd'hui en péril non seulement une campagne de prévention bucco-dentaire destinée aux adolescents de 15 à 18 ans (cible extrêmement importante sur le plan de la santé dentaire), mais aussi -et surtout- un début d'évolution de la profession vers une plus grande discipline tarifaire, dans l'intérêt évident des assurés sociaux.

Cette situation préoccupante nous conduit, Madame la Ministre, à souhaiter que le Gouvernement réexamine la position provisoire qui fut la sienne au mois de juin dernier, et donne un signal très clair aux chirurgiens-dentistes en confirmant que la mesure de suspension de la nouvelle nomenclature sera rapportée avant la fin de l'année.

Compte tenu des échéances propres aux instances syndicales signataires de la convention (à la mi-octobre, la CNSD tient une assemblée générale et l'UJCD un conseil d'administration), il paraît très important que la teneur de votre réponse soit connue dans les jours qui viennent.

Nous vous prions d'agréer, Madame la Ministre, l'expression de notre respectueuse considération.

Jean-Marie SPAETH, Jeannette GROS, Marcel RAVOUX

4. La publication du règlement conventionnel minimal

A la suite de l'annulation, par le Conseil d'Etat, des conventions nationales des médecins, le Gouvernement a pris, le 10 juillet 1998, un règlement conventionnel minimal dont la publication, intervenue le 12 juillet 1998, était depuis longtemps légitimement attendue par les caisses d'assurance maladie.

Ce règlement a repris les objectifs de dépenses fixés par les conventions, ainsi que les références médicales opposables aux médecins et les sanctions applicables, la participation des caisses d'assurance maladie au financement des cotisations sociales des médecins.

En revanche, il n'a pas prévu de mécanisme de reversement en cas de non-respect des objectifs de dépenses.

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