B. PRÉSERVER LA COHÉRENCE DU FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE ET CONTENIR LES PRÉLÈVEMENTS
Votre commission des Affaires sociales a approuvé l'an dernier les principes d'une réforme en profondeur du financement de la sécurité sociale à l'occasion du vote de la loi de financement de la sécurité sociale. Celle-ci reposait sur des règles simples visant à asseoir ces ressources sur une assiette plus diversifiée et dynamique que la masse salariale, clarifier les comptes et les relations financières avec l'Etat, mieux séparer ce qui relève de la solidarité ou de l'assurance. En revanche, le basculement massif et inconsidéré de cotisations d'assurance maladie vers la CSG n'est pas acceptable .
1. Le refus d'un basculement massif et inconsidéré des cotisations maladie vers la CSG
En 1996, le Gouvernement de M. Alain Juppé a décidé à la fois d'élargir l'assiette de la CSG et de procéder à un transfert progressif entre la cotisation maladie et la contribution sociale généralisée.
a) Le nouveau transfert ne respecte pas les principes posés en 1996
La mesure engagée dans le cadre de la loi de
financement de la sécurité sociale pour 1997 était donc
fondamentalement différente de celle qui est proposée dans le
projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 qui
propose de transférer la quasi-totalité des cotisations
salariales vers la CSG, à l'exception de 0,75 point ainsi maintenu au
titre des indemnités journalières :
- pour 1997, le relèvement d'un point de CSG était assorti
d'une diminution simultanée de 1,3 point de cotisation maladie. Or,
le présent projet de loi de financement propose de relever la CSG de
4,1 points contre une diminution de 4,75 points des cotisations
maladie. Autrement dit,
l'application du " taux de
change "
prévu en 1997 conduirait à majorer la CSG de 3,63 points et
non de 4,1 points en contrepartie d'une baisse des cotisations de
4,75 points.
- Le rapport annexé à la loi de financement pour 1997
précisait que cette opération constituait une première
étape et "
qu'au vu des résultats "
, la
substitution de la CSG à la cotisation maladie serait poursuivie. Or,
il n'a pas été établi de véritable bilan de
l'application de cette mesure
. L'exercice 1997 n'étant pas
achevé et les comptes correspondants n'étant pas
arrêtés, la Cour des Comptes n'a pas encore procédé
à l'analyse de celle-ci.
Les informations transmises au Parlement
sont encore partielles et transitoires
: l'annexe b comporte plus
d'éléments juridiques (élargissement de l'assiette,
arrêté de répartition...) que d'éléments
financiers sur les conséquences du transfert. Ainsi, s'agissant de
l'impact du transfert sur les revenus d'activité, il n'est pas fait le
décompte entre les revenus des salariés et ceux des
non-salariés et les revenus de remplacement sont traités
globalement sans distinguer la situation spécifique des
retraités. Aucune étude n'est disponible sur l'impact de la
déductibilité.
Sur tous ces points, votre rapporteur a
interrogé par écrit le ministre le 24 octobre dernier et n'a
obtenu, à ce jour, aucune réponse.
- Dans l'esprit de la loi de financement pour 1997, l'élargissement
de l'assiette sur laquelle reposent les ressources de l'assurance maladie
s'inscrit dans la perspective d'une assurance maladie universelle
. Le
Gouvernement actuel confirme ce lien en visant expressément cette
réforme à l'appui de ses orientations en matière de
financement présentées au paragraphe 3-2 du rapport
annexé à l'article premier du projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 1998. Or,
aucun calendrier
de mise
en place de l'assurance maladie universelle n'a été soumis au
Parlement et il semble même qu'aucun groupe de travail n'ait
été constitué sur ce sujet depuis la constitution du
présent gouvernement. Or, l'assurance maladie universelle a toujours
été considérée comme la contrepartie du financement
par la solidarité de la branche maladie.
- Enfin, le transfert proposé par le Gouvernement ne clarifie pas
la situation des cotisations patronales maladie
dont le taux actuel,
dans le régime général, est de 12,8 %. Cette
réforme figurait parmi les objectifs du plan annoncé le
15 novembre 1995. Un premier rapport d'orientation a été
remis en juin dernier par M. Jean-François Chadelat, inspecteur
général des affaires sociales à qui le Premier ministre,
M. Lionel Jospin, a demandé une note complémentaire pour la
fin de l'année. Le rapport annexé à l'article premier
mentionne seulement des réflexions sur les modifications d'assiette,
notamment en référence à la valeur ajoutée.
L'Assemblée nationale a adopté un article 3 bis qui
prévoit le dépôt d'un rapport sur le même sujet avant
le 1er août 1998. Mais, là encore,
aucune perspective
n'est tracée, ni aucun calendrier d'examen fixé
. Or, en
supprimant massivement les cotisations salariales, le présent projet de
loi entraîne une fiscalisation croissante du financement de l'assurance
maladie dont on peut se demander, par ailleurs, s'il est bien légitime
d'en exclure les cotisations patronales.
b) Des difficultés accrues de trésorerie
La mesure de basculement va générer des
flux
financiers considérables
, avoisinant 350 milliards de francs,
soit plus de 3 points du PIB.
Avec ce transfert, le produit total de la
CSG qui s'élèvera à près de 330 milliards de
francs sera supérieur à celui prévu pour l'impôt sur
le revenu par le projet de loi de financement pour 1998
(soit
296,6 milliards de francs). Il s'agit d'une mutation considérable
sur laquelle
aucune réflexion d'ensemble n'a été
menée
.
Parallèlement, ces flux financiers en sens inverse ne
généreront que peu de ressources supplémentaires pour le
régime général puisque le gain de recettes attendu est
relativement faible, soit 4,6 milliards de francs.
Or, ils sont source de difficultés car les
délais
d'encaissement de la CSG prélevée sur les revenus de placement et
de patrimoine ne sont pas les mêmes que ceux concernant les cotisations
maladie
. Ces dernières présentent un profil lissé tout
au long de l'année alors que le produit de la CSG sur les revenus de
placement et patrimoine n'est versé qu'en fin d'année. L'Agence
centrale des organismes de sécurité sociale devrait donc voir ses
difficultés de trésorerie
accrues par le transfert
CSG/cotisations maladie.
D'un point de vue général, le nouveau transfert accroît la
complexité du dispositif. Afin d'éviter les difficultés de
trésorerie des régimes bénéficiant de versements
compensatoires, ont été mis en place, en 1997, des
systèmes d'acomptes et de régularisations complexes. Or,
l'annexe b considère qu'ils sont
"
à terme,
peu lisibles
".
c) Une source d'iniquités
Contrairement à l'engagement pris par ses
prédécesseurs, le Gouvernement ne garantit pas
l'équité de cette mesure pour les catégories sociales
concernées. Si globalement au niveau des flux financiers, les
régimes de sécurité sociale devraient être
compensés sur les bases définies dans la précédente
loi de financement, au niveau individuel l'impact du transfert massif sera
très variable.
D'une part, selon le Gouvernement, les salariés sont assurés d'un
gain de pouvoir d'achat de 1,1 % alors qu'en général, pour
les autres catégories, n'est proposée
au mieux
que la
neutralité du dispositif.
Votre commission émet d'emblée quelques réserves sur le
montant annoncé de gain de pouvoir d'achat.
En effet, la composition actuelle des revenus des ménages est ainsi
ventilée : 62 % au titre des revenus d'activité, 27 % au titre
des revenus de remplacement et 11 % au titre des revenus de placement et du
patrimoine
8(
*
)
. Autrement dit, le
poids de ces derniers revenus est loin d'être négligeable et les
salariés sont souvent également des épargnants. Ainsi,
selon une enquête effectuée en juillet 1997 par le centre de
recherche sur l'épargne (CREP), une personne majeure sur trois
détient un plan ou un compte d'épargne logement, ou une assurance
vie (décès - retraite y compris), placements qui seront soumis
à l'augmentation de la CSG maladie (voir tableau annexé en fin de
rapport). Les sommes en jeu sont considérables puisque les PEL ont un
encours de 984 milliards (mars 1997).
Pour les retraités, les mêmes incertitudes pèsent quant
à leur épargne privée. S'agissant même des pensions,
le seul assujettissement des
suppléments familiaux
versés
par les régimes de retraites de base et complémentaires constitue
une pénalisation préoccupante de plusieurs millions de nos
concitoyens.
D'autre part, certaines catégories se voient mieux traitées que
d'autres.
Ainsi, pour les
fonctionnaires
, la neutralité de la mesure
devrait être garantie, selon le ministère de la Fonction publique,
par un double mécanisme -législatif et réglementaire-
permettant, d'une part, le relèvement du seuil d'assujettissement
à la contribution de solidarité créée par la loi
n° 82-939 du 4 novembre 1982 en faveur des travailleurs
privés d'emploi et d'autre part, le versement d'une indemnité
compensatrice qui devraient concerner tous ceux dont les
rémunérations accessoires représentent plus de 22 %
du revenu principal. Le coût de la compensation pour la seule fonction
publique est estimé à 800 millions de francs.
Pour la
fonction publique territoriale
, aucune évaluation n'a
été avancée quant à l'impact qu'aurait une telle
compensation sur les comptes des collectivités locales.
Le traitement des professions indépendantes apparaît en
revanche discriminatoire
. La baisse de leurs cotisations maladie n'a pas
encore été officiellement précisée. Elle ne saurait
en aucun cas être inférieure à 5,5 % sous le plafond
de la sécurité sociale.
Il faut souligner, par ailleurs, que pour un certain nombre de
retraités indépendants, l'impact réel de la
substitution dépendra du poids des retraites complémentaires dans
le total de leurs pensions
. Or, pour certaines professions
indépendantes, comme les agents généraux d'assurance, la
retraite complémentaire représente en moyenne les deux tiers de
la retraite totale. La substitution se traduit pour ces derniers par une perte
de 2 points de pouvoir d'achat (0,40 % x 1/3 + 2,80 % x 2/3
= 2 %).
Si les cotisations maladie actuelles de ces professions sont inférieures
à celles des salariés, c'est en raison de l'existence de
prestations plus faibles, voire inexistantes, comme le versement
d'indemnités journalières, et un niveau de consommation
médicale qui est en moyenne d'un quart inférieur à celle
des assurés salariés.
On pourrait ajouter à l'ensemble de ce constat l'alourdissement de la
fiscalité sur les revenus de l'épargne qui représentent
une part significative des ressources des retraités indépendants
: ceux-ci intègrent, en effet, dans leurs perspectives de ressources de
retraite, les revenus issus de la cession de leur fonds de commerce, de leur
portefeuille ou de leur clientèle.
Enfin, l'opération de substitution soulève le
problème
de la différence de nature entre les revenus des salariés et ceux
des non-salariés
. La CSG ne s'applique que sur 95 % du salaire,
alors que les travailleurs indépendants ne bénéficient pas
de cet abattement sur leurs revenus. Par ailleurs, la substitution revient
à remplacer une cotisation dégressive et plafonnée par une
cotisation uniforme et déplafonnée. Enfin, les
bénéfices non commerciaux sur lesquels est prélevée
la CSG sont également consacrés à l'investissement. Or,
s'ajoutant au déplafonnement des cotisations familiales, la substitution
risque de priver de nombreuses professions libérales des moyens de
développement dans un contexte concurrentiel de plus en plus ouvert
à l'étranger.
Mme Martine Aubry a annoncé le 28 octobre 1997 à
l'Assemblée nationale que la baisse de cotisations des travailleurs non
salariés serait de 5,5 % et que les cotisations maladie seraient
ainsi de 5,9 % jusqu'au plafond et de 5,35 % jusqu'à 5
plafonds. Une simulation préparée par les organismes
professionnels (UPA) montre que la perte du pouvoir d'achat est
inévitable. Pour un revenu situé au plafond de la
sécurité sociale (soit 13.720 francs par mois), elle est de 432
francs, à deux plafonds l'écart est de 3.910 francs ! Quant
à un revenu égal à 5 plafonds, la perte de revenus
s'établit à 14.345 francs.
Cette mesure entraînera, par ailleurs, des
situations aberrantes
.
Ainsi, par exemple, les
casinos
enregistreront un quasi doublement du
versement de la CSG passant d'environ 200 millions à 405 millions, alors
que la moitié du produit total des jeux est déjà
prélevée par les collectivités publiques (Etat, communes)
et la sécurité sociale (RDS, CSG). Ces prélèvements
peuvent avoir des conséquences sérieuses sur l'emploi local.
d) Au total, des objectifs hétérogènes
Si l'on peut partager le souci de doter la
sécurité sociale de ressources plus diversifiées et plus
dynamiques sur longue période, on observe en revanche que les objectifs
poursuivis par le présent projet de loi sont multiples et, en
définitive, non maîtrisés :
Selon le rapport annexé à l'article premier sur les orientations
de la politique de santé et de sécurité sociale et les
objectifs qui déterminent les conditions générales de
l'équilibre financier, la mesure proposée répond donc
simultanément à :
·
une préoccupation financière
: procurer des
recettes nouvelles à la CNAMTS,
·
une volonté de " justice "
qui conduit
à accroître massivement les prélèvements sur
l'épargne,
·
un choix " conjoncturel "
: celui de
relancer la
consommation par la distribution de pouvoir d'achat aux actifs salariés,
·
une ambition politique
: faciliter, ce faisant, les
négociations relatives à la réduction du temps de travail.
Le risque est grand dans ces conditions d'une grande confusion dans les effets.
L'accroissement de recettes attendu en 1998 pour la CNAMTS repose
essentiellement sur un prélèvement sur l'épargne dont le
produit est d'autant plus volatile que la majoration, sans contrepartie, des
taux est plus importante : l'effet d'un triplement des taux sur certains
produits n'a pas été mesuré sur le comportement des agents
économiques ; ces derniers auraient tort de ne pas se tourner
massivement vers le livret A, dont le taux exonéré de tout
prélèvement fiscal et social et la liquidité absolue, en
font désormais le meilleur placement aux dépens du financement
à long terme des entreprises et ... des comptes de la
sécurité sociale.
La relance de la consommation attendue de la distribution de pouvoir d'achat
aux actifs salariés néglige l'effet de la majoration de la CSG
sur les autres catégories, actifs non salariés et
retraités et l'impact d'une taxation accrue de l'épargne : cette
dernière est également une source de revenu
particulièrement vitale pour bon nombre de retraités ; pour les
actifs eux-mêmes, les comportements de précaution risquent fort de
freiner leur propension à consommer.
Quant à l'ambition de financer le
" passage aux
35 heures "
par un prélèvement sur
l'épargne, elle apparaît comme particulièrement
aléatoire dans ses fondements économiques et en tout état
de cause profondément étrangère à la question du
financement de la sécurité sociale.
*
Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission vous proposera de rejeter le basculement brutal des cotisations maladie des assurés vers la CSG.