N°
533
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 30
juin 1998
Enregistré à la Présidence du Sénat le
1
er
juillet 1998
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de loi de MM. Jean-Paul DELEVOYE et Louis SOUVET, tendant à mieux réglementer les pratiques du merchandisage afin d'éviter certaines pratiques abusives constatées dans le secteur de la grande distribution,
Par M.
Louis SOUVET,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jean-Pierre Fourcade, président ; Jacques Bimbenet, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Guy Fischer, Claude Huriet, Bernard Seillier, Louis Souvet, vice-présidents ; Jean Chérioux, Charles Descours, Roland Huguet, Jacques Machet, secrétaires ; François Autain, Henri Belcour, Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Nicole Borvo, MM. Louis Boyer, Jean-Pierre Cantegrit, Francis Cavalier-Benezet, Gilbert Chabroux, Jean-Patrick Courtois, Philippe Darniche, Mme Dinah Derycke, M. Jacques Dominati, Mme Joëlle Dusseau, MM. Alfred Foy, Serge Franchis, Alain Gournac, Louis Grillot, André Jourdain, Jean-Pierre Lafond, Dominique Larifla, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain , Jean Madelain, Michel Manet, René Marquès, Georges Mazars, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, M. André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Martial Taugourdeau, Basile Tui, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.
Voir le
numéro
:
Sénat
:
211
(1997-1998).
Commerce et artisanat. - Code du travail. |
TRAVAUX DE COMMISSION
Au
cours de sa réunion du mercredi 1er juillet 1998, sous la
présidence de M. Jean-Pierre Fourcade, président, la commission a
procédé à l'
examen de la proposition de loi n°
211
(1997-1998) de MM. Jean-Paul Delevoye et Louis Souvet, tendant à
mieux réglementer les
pratiques du merchandisage
afin
d'éviter certaines
pratiques abusives constatées dans le
secteur de la grande distribution
(rapporteur : M. Louis Souvet).
M. Louis Souvet, rapporteur,
a tout d'abord déclaré que
la présente proposition de loi avait été
déposée par M. Jean-Paul Delevoye et qu'il avait accepté
de la cosigner.
Il a précisé que son origine devait être recherchée
dans le développement constaté dans la région
Nord-Pas-de-Calais d'abus dans l'exercice du marchandisage dans le secteur de
la grande distribution.
Le rapporteur a indiqué que le salarié
" marchandiseur ", contrairement à ce que sous-entendait le
terme, n'était pas chargé de la démonstration de produits
vendus, qu'il n'avait aucune activité commerciale ou promotionnelle et
qu'il n'était pas en relation avec la clientèle. Il a
expliqué que son travail consistait à regarnir les rayons de
l'hypermarché de produits de certaines marques qu'il allait chercher
dans les rayons des magasins, ce travail correspondant
précisément à celui " d'employé de libre
service " défini par la Convention collective des magasins
d'alimentation et d'approvisionnement général applicable aux
hypermarchés.
M. Louis Souvet, rapporteur
, a observé que le salarié
" marchandiseur " n'était pas employé par le
distributeur mais soit par le fournisseur, soit par l'intermédiaire d'un
prestataire de services et qu'en l'état actuel de la législation,
la pratique du marchandisage telle que l'exercent les prestataires de service
était illégale au regard de l'article L. 125-1 du code du travail
qui définit le délit de marchandage.
Il a remarqué que ce délit était constitué
lorsqu'une sous-traitance ou une prestation de services dissimulait en
réalité une simple fourniture de main-d'oeuvre.
Le rapporteur a observé que cette " mise à
disposition " de personnel pouvait être considérée
sous bien des aspects comme une " externalisation " des emplois,
notamment lorsqu'elle n'était pas la conséquence
nécessaire de la transmission d'un savoir-faire ou de la mise en oeuvre
d'une technique de vente propre à l'entreprise.
Il a estimé que cette externalisation pouvait conduire à
poursuivre, outre le fournisseur ou le loueur de main-d'oeuvre, l'utilisateur
lui-même qui était alors considéré comme coauteur du
délit ou complice.
M. Louis Souvet, rapporteur
, s'est interrogé sur les
éléments qui pouvaient assimiler la pratique du marchandisage au
délit de marchandage.
Il a observé que les salariés marchandiseurs étaient
souvent employés dans des conditions extrêmes de
précarité, souvent sous contrat de travail à temps partiel
de quelques heures par semaine pour le compte de plusieurs employeurs. Il a
cité des exemples de contrats garantissant huit heures de travail dans
l'année ou encore des salariés qui avaient jusqu'à huit
employeurs différents.
Le rapporteur a rappelé que ces salariés étaient le plus
souvent rémunérés au niveau du salaire minimum
interprofessionnel de croissance (SMIC) et ne bénéficiaient pas
de la convention collective applicable au magasin voire des dispositifs de
participation et d'intéressement aux résultats. Il a fait
état d'irrégularités observées quant à la
rémunération des heures supplémentaires. Plus grave encore
au regard de la législation du travail, il a déclaré que
ces salariés étaient souvent placés sous l'autorité
de fait des chefs de rayon et que leur véritable employeur étant
souvent une société discrète, avec laquelle il pouvait
leur être difficile de régler les questions relatives à la
relation de travail (paye, accidents du travail et de la route, maladies
professionnelles, congés...).
M. Louis Souvet, rapporteur
, a déclaré que bien que les
éléments du délit de marchandage étaient souvent
réunis, l'inspection du travail éprouvait d'importantes
difficultés pour obtenir sa reconnaissance juridique, la relation
quadrangulaire -salarié, société de marchandisage,
fournisseur, utilisateur/client (l'hypermarché)- étant le plus
souvent trop complexe pour que les infractions commises soient aisément
démontrables. C'est pourquoi il était proposé d'interdire
explicitement la pratique du marchandisage et de prévoir une
modalité de requalification des contrats du même type que celle
prévue en cas de recours abusif aux contrats à durée
déterminée.
Le rapporteur a estimé que les trois articles de la présente
proposition de loi reprenaient ces suggestions.
En supprimant les mots " à but lucratif " de l'article L.
125-1, le rapporteur a considéré que l'article premier donnait
une portée plus générale au délit de marchandage et
que sa reconnaissance en sortirait facilitée.
En instituant une présomption simple de marchandage lorsque la vente
d'un bien est accompagnée d'une fourniture de personnel effectuant une
prestation dans des locaux exploités par l'acheteur, notamment par la
mise en rayon, la gestion du stock, la prise de commande, le rapporteur a
constaté que l'article 2 interdisait purement et simplement la pratique
du marchandisage.
En prévoyant la possibilité pour les conseils des prud'hommes de
requalifier les contrats de travail au nom de l'utilisateur, le rapporteur a
précisé que l'article 3 organisait la préservation des
emplois menacés par le marchandisage.
M. Louis Souvet, rapporteur
, a estimé que cette proposition de
loi telle qu'elle était rédigée permettait
assurément de supprimer l'essentiel des abus constatés dans
l'exercice du marchandisage, puisque la pratique en elle-même deviendrait
illégale et aisément reconnaissable comme telle.
Il a reconnu toutefois s'être interrogé pour savoir quelles
seraient les conséquences de l'interdiction du marchandisage sur
l'emploi et si toutes les formes de marchandisage étaient
également condamnables.
Il a déclaré s'être entretenu de tous ces points avec
l'auteur de la proposition de loi, M. Jean-Paul Delevoye, et que celui-ci avait
souhaité s'en remettre à la commission pour modifier un texte qui
ne devait constituer qu'une base pour la discussion.
M. Louis Souvet, rapporteur
, a souligné qu'aussitôt
nommé rapporteur, il avait procédé à un nombre
important d'auditions. Il a déclaré avoir entendu les
distributeurs : Carrefour, Promodès, Casino, Auchan ; puis des
industriels comme Coca-Cola, Nestlé ou encore des petites et moyennes
entreprises comme une entreprise de brosserie et coiffure.
Le rapporteur a indiqué qu'il avait également entendu
l'Association des inspecteurs du travail, ainsi que les représentants
des prestataires de services.
Le rapporteur a observé qu'il lui avait été
confirmé par tous ses interlocuteurs que le nouveau contexte
économique s'était accompagné d'abus
répétés dans la pratique du marchandisage. Le rapporteur a
souligné que, lorsque des produits présentent une faible marge
bénéficiaire et que le volume des ventes est primordial, il
devenait tentant de faire reposer sur des salariés en situation de
précarité une partie de la charge de l'accord commercial.
M. Louis Souvet, rapporteur
, a déclaré que, dans ces
conditions, l'intervention du législateur prenait tout son sens, qu'elle
permettrait de préciser les pratiques licites et d'assurer la
sécurité juridique des rapports entre distributeurs et
industriels. Il a estimé que la mise en place des règles
constituait le fondement d'une concurrence équitable et transparente et
garantissait une création de richesse profitable à tous, y
compris, sinon surtout, aux salariés.
Toutefois,
M. Louis Souvet, rapporteur
, a estimé qu'il
n'était pas pour autant nécessaire d'interdire toutes les formes
de marchandisage. Il a jugé que cette pratique pouvait être
indispensable à certaines entreprises. Il a cité l'exemple d'une
importante entreprise de brosserie nommée " La Brosse et
Dupont " et dont il avait entendu le directeur. Etant donné le
nombre très important de références, plusieurs milliers,
et la gestion très fine de chacune d'elles, le rapporteur a
déclaré que cette entreprise considérait être la
seule à même de mettre en rayon ses produits, cette
activité constituant même un de ses savoir-faire les plus
importants.
Pour d'autres entreprises, comme celles spécialisées dans les
boissons non alcoolisées, le rapporteur a estimé que
l'arrêt du marchandisage pouvait être synonyme d'une baisse du
chiffre d'affaires d'environ 30 %. Il a observé que, même
pour un produit de grande consommation, le marchandisage, lorsqu'il
était pratiqué par de véritables professionnels
employés par l'industriel, constituait une technique de vente
indispensable.
Par ailleurs, le rapporteur a rappelé que le marchandisage tel qu'il
était pratiqué par les industriels n'était pas celui qui
donnait lieu aux abus constatés.
M. Louis Souvet, rapporteur
, a estimé que l'intervention du
législateur pouvait être l'occasion de distinguer ce qui
était permis de ce qui ne l'était pas au regard du savoir-faire
et des techniques employées ainsi que des conditions de travail des
salariés.
Le rapporteur a jugé que, sur le plan qualitatif, le progrès
serait indéniable que ce soit en termes de conditions de travail, de
salaire ou même de sécurité juridique.
Il a par ailleurs déclaré avoir observé une volonté
très forte de la part des grandes entreprises ou de certaines petites et
moyennes entreprises (PME) spécialisées de poursuivre une
politique de développement de leurs forces de promotion de vente et
noté que les distributeurs comme les industriels appelaient de leur voeu
l'intervention du législateur pour préciser le cadre juridique de
l'exercice du marchandisage.
M. Louis Souvet, rapporteur
, a considéré que cette
intervention ne pouvait prendre que la forme d'une interdiction de pratiques
jugées abusives. Si l'idée de définir un statut du
personnel marchandiseur pouvait paraître séduisante, il lui
était apparu que cela était difficilement envisageable du point
de vue technique. Le rapporteur a estimé que le législateur ne
pouvait se substituer aux partenaires sociaux, qu'il ne pouvait que prendre
acte de l'absence de garanties sociales à travers, par exemple, une
convention collective, et relever des manquements au respect de la
législation rendus possibles par des imprécisions.
M. Louis Souvet, rapporteur
, a indiqué qu'en l'absence d'une
réaction positive et constructive des professionnels du secteur,
l'intervention du législateur était souhaitable, mais qu'elle
devait se limiter à interdire les seules pratiques qui donnaient lieu
à des abus. A cet égard, il a estimé que l'objet de la
proposition de loi, telle qu'elle était rédigée,
était trop large.
Il a rappelé que le marchandisage tel qu'il était pratiqué
par les industriels ne posait pas de problème particulier et donc que
seuls les prestataires de services devaient être concernés par une
éventuelle interdiction.
Dans ces conditions,
M. Louis Souvet, rapporteur
, a proposé de
modifier l'article 2 dans deux directions : un recentrage sur la distribution
pour que les autres formes de prestations de service, comme l'assistance
technique sur site, ne soient pas indirectement remises en cause et une
distinction opérée entre les deux formes de marchandisage, afin
de limiter l'interdiction aux seuls prestataires de service.
Pour des raisons de clarté, il a proposé également
d'introduire cet article dans le code du travail sous la forme d'un article
nouveau à la suite de l'article L. 125-1, au lieu d'un
alinéa supplémentaire à ce même article du code.
Ainsi modifié, le rapporteur a jugé que cet article n'interdirait
pas une pratique qui pouvait, sous certains aspects, constituer une
amélioration en termes de technique de vente, mais qu'il mettrait un
terme aux dérives qui portaient atteinte à un secteur, la grande
distribution, essentiel pour l'économie française.
Pour ce qui est de l'article premier de la proposition de loi qui
prévoyait de supprimer le caractère lucratif de la fourniture de
main d'oeuvre pour définir la pratique du marchandisage, le rapporteur a
estimé qu'une telle disposition reviendrait à compliquer,
peut-être inutilement, le fonctionnement du secteur non marchand. En
l'état actuel, il a proposé de ne pas reprendre cet article qui
n'était aucunement indispensable pour que la présente proposition
de loi atteigne son objectif.
Le rapporteur a considéré que l'article 3 qui prévoyait la
possibilité, pour les conseils de prud'hommes, de requalifier les
contrats au nom de l'utilisateur, était tout à fait utile. Il a
rappelé que ce dispositif existait déjà pour les contrats
à durée déterminée (CDD) et les missions
d'intérim. Il a proposé de reprendre cet article
accompagné de simples modifications rédactionnelles.
Enfin, le rapporteur a proposé de remplacer le terme
" merchandisage " par celui de " marchandisage " dans le
titre de la proposition de loi.
M. Louis Souvet, rapporteur
, a déclaré que cette
proposition de loi, ainsi modifiée, permettrait, en l'absence de
propositions décisives de la part des prestataires de services, de
mettre un terme aux abus constatés.
C'est pourquoi il a demandé à la commission de bien vouloir
adopter les conclusions qu'il avait proposées et qui reprenaient, en les
modifiant, les termes de la proposition de loi.
Au cours du débat,
MM. Jean Chérioux et Jean Madelain
ont
souhaité obtenir plus de précisions sur la fonction exacte des
salariés marchandiseurs.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard
a souligné que cette proposition
de loi était tout à fait actuelle, les abus continuant à
être constatés et la pratique semblant se développer dans
de très nombreux magasins.
M. Guy Fischer
a remarqué que cette proposition de loi concernait
un secteur d'activité dans lequel se développait la
précarité, il a mentionné la dénonciation de la
convention collective du commerce de centre-ville qui devrait selon lui
renforcer cette tendance. Il a insisté sur la nécessité de
requalifier les contrats des salariés marchandiseurs en contrats
à durée indéterminée au nom de l'utilisateur.
En réponse aux intervenants,
M. Louis Souvet, rapporteur,
a
rappelé que les marchandiseurs intervenaient dans les rayons pour
assurer leur approvisionnement, la meilleure présentation possible des
produits, la mise en place des " têtes de gondole ". Le
rapporteur a distingué à nouveau, d'une part, les marchandiseurs
qui mettaient en oeuvre un savoir-faire ou une technique de vente
particulière et qui sont le plus souvent employés par un
fabricant ou un fournisseur et, d'autre part, les salariés
employés par un prestataire de services qui exercent la même
fonction que les employés de libre service du magasin.
Il a souligné que la proposition de loi telle qu'il l'avait
modifiée visait à interdire seulement cette dernière
pratique. Il a distingué le marchandisage des promotions exceptionnelles
et saisonnières qui relèvent plus du régime de la
publicité.
M. Jean-Pierre Fourcade, président,
a souligné qu'une
référence explicite à un savoir-faire ou à une
technique de vente particulière pourrait soulever des difficultés
d'interprétation jurisprudentielle. Il a souhaité que la
proposition de loi ne porte pas atteinte à la liberté de choix
des entreprises, qu'elles soient productrices ou distributrices, pour telle ou
telle forme d'organisation commerciale, mais s'attache à protéger
les salariés contre les abus constatés de la part de certains
prestataires de services.
Considérant que la spécificité de la technique de vente
était inséparable de l'activité des marchandiseurs
employés par un fabricant ou un fournisseur,
M. Louis Souvet,
rapporteur,
a estimé que cette référence n'avait pas
besoin d'être mentionnée de manière explicite.
La commission a
adopté les conclusions du rapporteur
qui
reprenaient les termes de la proposition de loi en la modifiant.