II. L'ALLÉGEMENT DES CHARGES SUR LES BAS SALAIRES : UN INTÉRÊT CONFIRMÉ PAR L'ANALYSE ÉCONOMIQUE
A. LES ÉLÉMENTS D'INTERPRÉTATION THÉORIQUE
1. Le lien entre baisse des charges sociales et créations d'emplois
Les
économistes rencontrent de nombreuses difficultés lorsqu'il leur
est demandé d'évaluer les effets sur l'emploi d'une baisse des
cotisations sociales employeurs sur les bas salaires.
Les effets sont en effet nombreux et contradictoires, ils s'inscrivent mal dans
le cadre des modèles économétriques ; par ailleurs
l'idée même d'un allégement des charges sociales constitue
un sujet controversé qui fait régulièrement l'objet de
polémiques.
Un consensus existe pour considérer qu'une réduction du
coût moyen du travail se traduit par une baisse du coût de
production et donc une hausse du revenu disponible de l'entreprise
,
toutefois de nombreuses incertitudes demeurent sur l'utilisation de ce revenu.
Ce " surplus " peut en effet être utilisé de trois
manières : une baisse des prix des produits fabriqués par
l'entreprise, une augmentation des profits ou une hausse des salaires nets. Il
est probable que l'entreprise réagira en fonction de plusieurs
critères tels que la nature de sa production, la conjoncture
économique, sa situation financière...
• Premier cas, l'entreprise profite de la baisse du coût du
travail induite par l'allégement des charges pour baisser ses prix. Elle
vendra plus de biens et devra augmenter sa production et donc son recours aux
facteurs travail et capital.
La baisse des prix de l'entreprise peut donc
entraîner une augmentation de l'emploi
. Tout va dépendre de la
sensibilité de la demande adressée à l'entreprise par
rapport aux prix des produits : plus elle est forte, plus l'effet sur l'emploi
sera important.
• Lorsque l'entreprise utilise le " surplus " de revenu
pour augmenter les profits, ceci peut conduire à une hausse de
l'investissement et donc de l'emploi lorsque l'économie rencontre des
problèmes d'offre. C'est le cas lorsque les capacités de
production sont insuffisantes ou non compétitives par exemple. Ce ne
sera pas le cas en régime keynésien d'insuffisance de la demande,
dans ce cas l'entreprise est peu incitée à investir puisque la
demande qui lui est adressée est déjà insuffisante au
regard de ses capacités de production.
• Lorsque l'entreprise affecte le " surplus " à une
augmentation des salaires nets, il peut en résulter une relance de
l'économie favorable à l'emploi lorsque l'économie est en
situation d'insuffisance de demande mais ces augmentations peuvent
également se traduire par un choc inflationniste si l'offre est
contrainte.
•
L'impact sur l'emploi d'une baisse des charges sociales est
donc positif mais son étendue reste déterminée par le
comportement des entreprises et l'état de l'économie
. Le lien
entre le coût du travail et la demande de travail a toutefois fait
l'objet de suffisamment d'études pour que des remarques plus
précises puissent être formulées.
Il semble bien en effet que les décisions des entreprises ne se
limitent pas à choisir simplement entre investir et embaucher, leurs
décisions portent également sur la qualité du travail et
sur le niveau de qualification des salariés recrutés. Les
analyses les plus récentes du marché du travail ont en effet
démontré qu'il existait une multiplicité de marchés
du travail et que tous les travailleurs ne faisaient pas face au même
risque devant le chômage. Il apparaît notamment que le
marché du travail est divisé en segments délimités
par des niveaux de qualification.
Un consensus existe entre les économistes pour considérer que
l'élasticité du coût du travail décroît
lorsque le niveau de qualification augmente
. Autrement dit, plus un
salarié sera qualifié, moins l'entreprise sera sensible à
son coût. Ce résultat vient confirmer l'idée plus ancienne
selon laquelle " l'élasticité-prix de la demande de travail
décroît avec le capital humain accumulé par
l'individu ".
Le travail ne peut donc être considéré comme un facteur
homogène, il se divise
grosso modo
en deux catégories :
- le premier groupe est composé des salariés peu
qualifiés et d'emplois précaires, il subit fortement les
fluctuations conjoncturelles de l'économie.
La demande de travail, et
donc l'emploi de ces salariés, est sensible à une modification du
coût relatif des facteurs et donc à un allégement des
charges sociales ;
- le deuxième groupe se caractérise par un ensemble de
travailleurs fortement différenciés et par une faible
sensibilité de la demande de travail au coût du travail car c'est
davantage la qualification spécifique de l'agent qui détermine
son embauche. Dans ce cas, un allégement des charges sociales pourrait
donner lieu à un effet d'aubaine pour l'entreprise.
L'allégement des charges sociales pour cette dernière
catégorie d'emplois apparaît comme moins nécessaire que
pour la première.
On peut donc considérer que des mesures de réduction des
cotisations sociales concernant le travail peu qualifié doivent avoir
des conséquences assez marquées sur la structure de l'emploi et
des effets bénéfiques d'autant plus forts que le ciblage est
marqué.
Il convient de nuancer cette conclusion à l'aune des travaux les plus
récents réalisés dans le domaine de l'économie du
travail. Si, comme plusieurs études tendent à le
démontrer, les salariés considèrent les cotisations
sociales comme une forme de salaire différé, leur baisse pourrait
conduire à une hausse du salaire net qui amoindrirait d'autant l'effet
sur l'emploi d'une baisse des cotisations sociales. Le dernier effet semble
toutefois concerner plus les cotisations " salariés " que les
cotisations " employeurs ".