2. Ouvrir l'éventail des possibles afin de préserver l'avenir
Essentiellement axée vers la recherche de
l'indépendance énergétique, la politique
énergétique menée jusqu'à présent a eu
paradoxalement pour effet de rendre la France dépendante d'une seule
source de production de l'électricité et d'encourager les usages
d'une électricité produite en abondance et accessible à
bas prix là où d'autres sources énergétiques
auraient dû garder la primeur (chauffage, notamment). La France a, en
effet, fait le choix d'une solution portée par un seul acteur
centralisé, EDF, pour exorciser le risque de pénurie
énergétique, alors que les autres pays ont une opinion
mobilisée en faveur de la recherche de solutions
décentralisées. Même la Suède qui a fait un choix
similaire à celui de la France, a limité à 50 % la
part de l'électricité produite par le nucléaire.
L'existence du programme nucléaire - qui est un beau succès
de la politique industrielle et énergétique
française - a aussi eu,
selon le Commissariat
Général du Plan dans son rapport d'évaluation de la
politique de maîtrise de l'énergie
conduite de 1973 à
1993
63(
*
)
, certains effets
négatifs :
-
un effet d'éviction : l'ampleur des investissements
consacrés au nucléaire a sans doute freiné les
décisions publiques d'investissements en faveur du développement
d'autres sources énergétiques (énergies renouvelables
notamment) et de la maîtrise de la consommation ;
- un effet de surcapacité de production d'électricité qui
a durablement réduit l'intérêt économique qu'il peut
y avoir à optimiser les modes de production électrique sur le
territoire et à économiser l'électricité ;
cette surcapacité a, en outre, encouragé les usages
" concurrentiels " de l'électricité (chauffage, eau
chaude) ;
- un effet démobilisateur de l'opinion publique qui a été
convaincue de ce que notre pays dispose ainsi d'une énergie
centralisée, propre et abondante : elle a été moins
sensibilisée à la maîtrise de l'énergie que dans les
pays qui n'ont pas voulu du nucléaire.
Selon le Commissariat Général du Plan, ces effets
, qui ont
contribué à réduire l'éventail des sources
énergétiques en France,
ont été accentués
par la politique de péréquation des tarifs progressivement mise
en place par EDF, sans intervention du législateur, dans les
années soixante en France métropolitaine, puis étendue en
1975 dans les départements d'outre-mer
. Une semblable
péréquation tarifaire, qui n'existe dans aucun pays dans lesquels
la commission d'enquête a eu l'occasion de se déplacer, a eu pour
résultat de faire disparaître des niches géographiques
où des énergies renouvelables auraient pu fournir de
l'énergie thermique moins coûteuse que l'électricité
(solaire thermique et bois, notamment) si elles ne subissaient pas la
concurrence d'une électricité subventionnée.
Selon M. Michel Colombier, membre de l'International Consulting on
Energy
64(
*
)
:" Il
apparaît ainsi qu'un client souscrivant un abonnement EDF de 12 kVA pour
une utilisation étendue au chauffage et à l'eau chaude
bénéficie par le biais de la péréquation tarifaire
d'une
subvention de 1 800 à 2 000 francs par an
.
Cette péréquation dissimule aux yeux des clients d'EDF, comme
à ceux des décideurs, les coûts effectifs de la desserte
électrique rurale et l'intérêt qu'il pourrait y avoir
à envisager une réorientation des politiques
énergétiques en milieu rural. Elle engendre la situation
paradoxale dans laquelle on constate une consommation basse tension de
l'électricité des habitants ruraux supérieure d'environ
30 % à celle des urbains, ce qui s'explique en partie par la
pénétration plus forte du chauffage électrique à la
campagne qu'à la ville. "
Or, les énergies concurrentes, notamment le bois ou le solaire,
devraient trouver en milieu rural un terrain naturel d'expression et des
conditions économiques favorables à leur développement. Le
développement du gaz pourrait aussi être encouragé :
GPL (gaz de propane liquéfié) dans les communes isolées,
et gaz naturel dans les communes rurales où le réseau
s'étend parfois aujourd'hui et où il est paradoxal de voir
s'affronter en concurrence l'électricité et le gaz quand le
réseau gazier doit être amorti, alors que le réseau
électrique nécessite d'être renforcé.
Dans les départements d'outre-mer, en Corse et, plus marginalement, en
métropole, les technologies décentralisées de production
d'électricité (photovoltaïque, éolien, petits
générateurs) se révèlent également
très rapidement rentables, en alternative avec l'établissement de
nouveaux réseaux de distribution d'électricité dans les
zones les plus périphériques.
Pour l'instance d'évaluation de la politique de maîtrise de
l'énergie précitée, "
une telle conception d'un
service public égalitaire de l'électricité est peu
légitime pour les usages non spécifiques de
l'électricité
65(
*
)
et s'exerce au détriment des zones géographiques auxquelles elle
entend bénéficier : si au nom de la solidarité
nationale il est légitime de compenser le handicap que subissent
certaines zones dans leur approvisionnement énergétique, il est
indûment coûteux d'apporter cette compensation en
privilégiant une énergie (l'électricité) qui
comporte moins de valeur ajoutée locale que ses concurrentes dans le
domaine des énergies renouvelables
".
Au total, ouvrir l'éventail des possibles ne signifie pas uniquement,
comme le déclare le ministre de l'industrie,
garder toutes les
options ouvertes
(nucléaire, gaz utilisé en " cycle
combiné ", charbon)
afin de disposer du maximum de
possibilités quand les choix stratégiques seront à
formuler.
Cela implique également de
traiter les questions
liées à la distorsion tarifaire induite par la
péréquation et l'uniformité de la politique commerciale
d'EDF sur le territoire afinde
:
Développer des moyens de production électrique
décentralisés lorsque ceux-ci peuvent contribuer au bilan
énergétique dans de bonnes conditions économiques.
Votre commission d'enquête approuve l'initiative du Fonds d'amortissement
des charges d'électrification (FACE) consistant à réserver
sur son budget une enveloppe (100 MF en novembre 1994)
spécifiquement dédiée au financement d'opérations
de maîtrise de la demande d'électricité ou
d'électrification décentralisée à partir de sources
renouvelables, en alternative aux interventions classiques sur le
réseau. Il est ainsi proposé aux collectivités de
promouvoir et de financer des opérations innovantes dès lors que
celles-ci se révèlent moins coûteuses que la réponse
" classique " par le biais d'un développement du
réseau. Il convient toutefois que cette action soit relayée par
EDF.
De promouvoir les sources d'énergie thermique (géothermie,
gaz naturel, GPL, cogénération, photovoltaïque...) qui
peuvent être mis en oeuvre de manière décentralisée
On peut approuver à cet égard l'obligation faite à Gaz de
France de desservir, dans un délai de trois ans, les communes qui seront
inscrites au plan de desserte gazière institué par l'article 35
du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et
financier voté par le Sénat le 7 mai dernier.
De mettre en place une politique du logement qui préserve le
choix des Français en matière énergétique
(conduites de cheminées, disponibilité du gaz)
Il faut néanmoins être conscient
que les sources
d'énergie alternatives ne peuvent, à horizon visible, se
substituer en quantité à l'électricité d'origine
nucléaire
, les clients d'EDF ayant fait des choix
d'équipements consommateurs d'électricité
(électroménager, chauffage, eau chaude...) qui
génèrent une saturation des capacités sur le départ
basse tension qui les alimente et qu'il serait délicat et coûteux
de remettre en cause. Il semble dès lors nécessaire d'adopter une
démarche qui chercherait à accompagner les clients EDF au fur
et à mesure de leurs choix d'équipement
(construction neuve,
rénovation, achat d'appareils électriques...) et les inciterait
à opter pour des solutions individuellement et collectivement plus
satisfaisantes. Il appartient à EDF de valoriser les opportunités
offertes par le changement technique et de répondre aux besoins
diversifiés des territoires et des consommateurs, dans l'esprit d'un
service public attentif à la fois à la satisfaction des clients
et à la prise en compte des externalités négatives
attachées à l'exercice de son activité.