I. L'AZERBAÏDJAN APRÈS SIX ANNÉES D'INDÉPENDANCE
République soviétique relativement disciplinée, où la dissidence avait été plus discrète que dans d'autres régions de l'URSS, l'Azerbaïdjan a considéré avec une certaine crainte les changements impulsés de Moscou à l'époque de la perestroïka. C'est le conflit du Nagorny-Karabakh qui contribua à la radicalisation de l'opposition puis, en août 1991, à la déclaration d'indépendance rétablissant la souveraineté de l'Azerbaïdjan après quelque sept décennies de pouvoir soviétique.
A. LE CONFLIT DU NAGORNY-KARABAKH ET LA FIN DE LA PÉRIODE SOVIÉTIQUE
Région autonome de l'Azerbaïdjan
soviétique, le Nagorny-Karabakh était, à la fin de la
période soviétique, majoritairement peuplé
d'Arméniens (75 % de la population) qui, dès 1986, avaient
revendiqué le rattachement à la "mère patrie".
Au lendemain d'une importante manifestation organisée, en février
1988, à Erevan sur le thème du rattachement du Haut-Karabakh
à l'Arménie, un véritable
pogrom
fit, à
Soumgaït
(centre industriel proche de Bakou), de très
nombreuses victimes arméniennes. Notons que la haine alors vouée
aux Arméniens par certains Azéris se nourrissait du souvenir de
la prospérité de la bourgeoisie arménienne qui, au
début du XXe siècle, à l'époque de la fièvre
de l'or noir, dominait l'économie de l'Azerbaïdjan.
L'Arménien put alors être considéré comme le
"ferment des frustrations azéries"
1(
*
)
.
Après le massacre de Soumgaït, le conflit du Karabakh s'enlisa dans
une logique de "purification ethnique" qui, entre 1987 et 1990, entraîna
le départ de 200 000 Azéris d'Arménie et de 300 000
Arméniens d'Azerbaïdjan.
Le pouvoir en place à Bakou se discrédita par son
incapacité à apporter une solution au conflit. Celui-ci servit de
catalyseur, non seulement à
l'émergence d'un sentiment
national émoussé par soixante-dix années de pouvoir
soviétique,
mais aussi à la
radicalisation de
l'opposition
.
Un Front populaire d'Azerbaïdjan
se constitua
alors, à l'imitation des fronts populaires baltes -et du Front populaire
arménien, issu du Comité Karabakh- et réclama une
révision de la Constitution en vue de la construction d'un Etat
"laïc de droit". Le Front populaire d'Azerbaïdjan revendiquait
notamment la souveraineté sur les ressources de la République,
afin de mettre un terme à l'exploitation dont, selon les opposants,
celle-ci avait été victime du fait des tutelles successivement
exercées par la Russie impériale, puis par l'URSS.
Le parti communiste parvint toutefois à se maintenir au pouvoir, alors
que, en Arménie et en Géorgie, les élections de 1990
avaient donné la majorité aux mouvements d'opposition. En effet,
les forces d'opposition azerbaïdjanaises avaient été
considérablement affaiblies par la répression qui avait
frappé la population azérie de Bakou après le nouveau
pogrom antiarménien de janvier 1990, perpétré par des
Azéris réfugiés d'Arménie. Les représailles
de l'Armée rouge se soldèrent par un bilan
particulièrement lourd (170 morts, 370 blessés, 321 disparus) :
il n'est pas étonnant que ce
"janvier noir"
ait laissé un
souvenir durable à une population traumatisée par la violence des
troupes soviétiques.
L'échec de la tentative de coup d'Etat en Russie, le 19 août 1991,
ébranla le pouvoir du président du Soviet suprême
azerbaïdjanais, Ayaz Moutalibov, compromis par son attitude jugée
pro-putschiste par l'opposition, et contribua à radicaliser celle-ci.
En août 1991, le Soviet Suprême vota une
"déclaration
rétablissant l'indépendance de l'Azerbaïdjan"
(l'Azerbaïdjan avait connu deux années d'indépendance, entre
1918 et 1920), et décida de doter le pays de forces armées
autonomes.
Le conflit du Haut-Karabakh se radicalisa à la fin de 1991, quand les
autorités azéries mirent fin au statut d'autonomie dont
bénéficiait le Nagorny-Karabakh depuis 1923. Un véritable
état de guerre
s'instaura alors entre l'Azerbaïdjan et
l'Arménie. Bakou imposa un
blocus total à Erevan
, tandis
que les troupes azéries subissaient des revers sur tous les fronts.
Ces défaites, jointes au massacre de dizaines d'Azéris par des
combattants arméniens à Khodjaly, en février 1992,
causèrent un véritable traumatisme dans le pays, et
accélérèrent la décomposition du régime. Les
élections présidentielles de juin 1992
portèrent
ainsi au pouvoir le leader du Front populaire, Abdoulfaz Eltchibey, l'un des
rares responsables politiques azéris au passé de dissident
soviétique.
Selon certains observateurs, la victoire du président Eltchibey a pu
symboliser, aux yeux du peuple azéri, la fin des humiliations subies
par l'Azerbaïdjan dans le conflit du Nagorny-Karabakh. En
réalité, les défis de l'indépendance
-défaites subies par les troupes azéries au Karabakh,
difficultés économiques liées à la
désorganisation de l'espace soviétique, troubles sociaux dus au
sous-emploi et à l'afflux des réfugiés du Karabakh- se
traduisirent, après une
courte guerre civile,
par la destitution
du président Eltchibey. Elu en octobre 1993,
Gueïdar Aliev
,
encore aujourd'hui Chef de l'Etat azerbaïdjanais, fut alors
considéré comme l'ultime recours. Cet
"homme
providentiel",
ancien cadre supérieur du KGB, avait
été à la tête du Parti communiste d'Azerbaïdjan
de 1969 à 1982, puis membre du Bureau politique du Parti communiste de
l'URSS.