Section 3
Dispositions relatives aux dettes publiques et
privées
ARTICLE 14
Conversion en euros des dettes publiques et
privées
Commentaire : le présent article propose d'autoriser
les personnes publiques et privées à convertir en euros les
titres de créance qu'elles ont émis, pendant la période
transitoire durant laquelle coexisteront l'unité euro et les
unités monétaires nationales, subdivisions non décimales
de l'euro. Il précise également le cadre juridique de la
conversion et sa méthode.
Prenant en compte la volonté des professionnels de voir l'ensemble des
marchés financiers basculer en euros dès le 1er janvier
1999, le présent article utilise la possibilité offerte aux Etats
membres par le quatrième alinéa de l'article 8 du projet de
règlement communautaire approuvé le 7 juillet 1997, de
"relibeller" en unité euro, les dettes publiques et privées.
Son objectif est plus politique que technique : il s'agit de favoriser
l'adoption la plus rapide et la plus efficace possible de l'euro par les
marchés financiers, en offrant aux émetteurs qui le souhaitent la
possibilité d'utiliser une méthode de conversion
dérogatoire, sur certains points, au droit commun.
Le présent article autorise l'Etat et les autres émetteurs
publics ou privés à convertir en euros leur dette
négociable. Il prévoit que les émetteurs qui
décideront de s'engager dans cette voie devront utiliser une
méthode de conversion précise et leur offre la possibilité
d'utiliser une procédure exorbitante du droit commun.
I. LA MÉTHODE DE CONVERSION
La contre-valeur de l'euro dans l'unité nationale
considérée, qui servira à déterminer le taux de
conversion de l'euro, ne sera connue qu'après la clôture des
marchés, le 31 décembre 1998.
L'application de ce taux de conversion posera le problème de la
gestion des décimales apparues lors du calcul.
Afin de résoudre ce problème, le
paragraphe III
du
présent article propose de retenir la
méthode
dite du
"un euro plus soulte"
qui permet d'aboutir à une dette
composée de coupures de un euro, le versement de la soulte permettant
d'indemniser les écarts à gommer. Cette méthode est
également ouverte aux émetteurs privés.
Il s'agit, en effet, de compenser, par un versement en espèces
correspondant au montant rompu, la diminution de la créance
détenue par les titulaires du titre, en valeur nominale,
résultant de la décision d'une conversion avec arrondi à
l'euro.
L'opération, qui consiste à réduire à un euro les
valeurs nominales des instruments de dette présentés sous forme
de coupures, est appelée
"redénomination
de la dette".
Ce procédé a, en grande partie, été choisi pour
des raisons techniques, informatiques notamment : en effet, il aurait
été très complexe et trop long de passer, sur le plan
informatique, de la comptabilité en capital entier (ou en nombre de
titres) à la comptabilité en capital décimalisé.
L'Assemblée nationale a adopté un amendement introduisant un
quatrième alinéa au II du présent article, qui dispose
que
"lorsque l'émission est constituée de titres de même
valeur nominale unitaire, ces titres sont convertis en titres au nominal d'un
euro".
Il s'agit d'éviter d'avoir à effectuer, pour chaque
émission obligataire convertie, des versements en espèces
supérieurs à un euro.
Votre commission vous présentera également un
amendement
tendant à prendre en considération le cas des obligations
matérialisées et des obligations convertibles.
II. LA PROCÉDURE DÉROGATOIRE
Sous quelque forme qu'ils se présentent, les titres de créance,
chacun en ce qui le concerne, sont régis par un contrat
d'émission, qui lie l'émetteur et le souscripteur puis les
détenteurs de ces titres.
Chaque modification étant donc soumise à la volonté des
parties, le nombre et la diversité des émetteurs et des
investisseurs est susceptible de conduire à des situations
extrêmement variées peu compatibles avec la nécessaire
fongibilité des titres exigée sur tout marché financier.
En définitive, c'est tout le processus d'introduction de l'euro qui
pourrait s'en trouver ainsi fragilisé.
C'est pourquoi, afin de faciliter le passage à l'euro, le Gouvernement
a prévu de fixer, par dérogation exorbitante au droit commun,
certaines limites à la volonté des parties.
Pour l'Etat, seuls certains instruments constitutifs de la dette sont
concernés : le paragraphe I ne vise en effet que les obligations du
Trésor et les bons du Trésor en francs ou en écus. Cela
exclut donc la dette négociable qui sera, elle, soumise à
conversion.
En revanche, pour les autres personnes morales publiques ou privées,
sont concernés les titres de créances visés au 2° de
l'article 1
er
de la loi financière du 2 juillet 1996,
c'est-à-dire, en réalité, l'ensemble des titres de
créances, qu'il s'agisse des obligations ou des titres de
créances négociables.
Le présent article prévoit deux dérogations importantes
au droit commun.
En premier lieu, la décision de convertir la dette en euros pourra se
faire sans convoquer la masse des créanciers.
En second lieu, s'agissant uniquement des émetteurs de droit
privé, le pouvoir de décision est transféré par la
loi de l'Assemblée générale au conseil d'administration ou
au directoire.
La décision de convertir doit toutefois être publiée dans
des conditions et selon des modalités qui seront précisées
par décret.
III. LE RÉGIME FISCAL DE LA CONVERSION
Le paragraphe IV du présent article fixe le régime fiscal
de la conversion, dont la méthode est proposée par les trois
paragraphes précédents.
Cette question est importante car elle précise le régime fiscal
qui s'appliquera tant aux rompus versés en numéraire qu'aux
titres remis à l'échange.
Le IV du présent article propose que
"les versements en
espèces mentionnés au III sont reçus en franchise
d'impôt sur le revenu".
Toutefois, le présent article pose
deux réserves
:
la première vise les particuliers : elle est relative aux
dispositions du 5 de l'article 94 A du code général des
impôts : il s'agit de calculer les plus-values sur cession
ultérieure des titres issus de la conversion par référence
au prix ou à la valeur d'acquisition des titres "échangés"
;
la seconde vise les entreprises : elle concerne les dispositions de
l'article 238 septies A du code général des impôts : la
soulte versée est intégrée dans le régime
d'imposition des primes de remboursement tel que prévu à cet
article, avec application, le cas échéant, de la
répartition actuarielle par annuités de l'imposition de la prime
de remboursement.
Lors de la discussion à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a
insisté sur la neutralité fiscale de l'opération de
conversion.
Toutefois, l'argumentation développée à cette occasion
n'emporte pas la conviction.
En effet, tant pour les particuliers que pour les entreprises si la soulte
reçue est bien versée en franchise d'impôt sur le revenu,
cette franchise s'analyse comme un
sursis d'imposition
, la soulte ayant
vocation à être imposée ultérieurement au moment de
la cession des titres (c'est le cas général) ou, le cas
échéant, par répartition actuarielle sur la durée
restante de l'emprunt au moment de l'acquisition des titres (c'est le cas pour
les entreprises).
Ce régime du sursis d'imposition soulèvera immanquablement des
difficultés importantes aussi bien pour les contribuables que pour les
établissements teneurs de livres, et même pour l'administration de
l'impôt. C'est pourquoi, votre rapporteur vous présentera un
amendement
tendant à ce que soient abandonnés le sursis
d'imposition pour les personnes physiques et l'imposition immédiate pour
les entreprises.
Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter
le présent article ainsi amendé.