ARTICLE 15
Emission d'instruments financiers indexés
sur
le niveau général des prix
Commentaire : le présent article propose d'autoriser
l'Etat et les autres personnes morales à émettre des titres de
créance et des instruments financiers à terme indexés sur
le niveau général des prix. Il vise ainsi à instaurer une
dérogation à l'interdiction quasi générale qui
frappe, depuis 1959, l'introduction, dans toute disposition statutaire ou
conventionnelle, de clauses d'indexation fondées sur l'inflation.
I. LE DROIT EXISTANT
L'article 79 de l'ordonnance n° 58-1374 du
30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959 dispose, que
"sont abrogées toutes dispositions générales de nature
législative ou réglementaire tendant à l'indexation
automatique des prix de biens ou de services
", et surtout que
"dans les
nouvelles dispositions statutaires ou conventionnelles... sont interdites
toutes clauses prévoyant des indexations fondées sur... le niveau
général des prix...".
Cette interdiction générale des indexations était,
à l'époque, motivée par la volonté d'éviter
les effets inflationnistes des clauses dites "d'échelle mobile".
En revanche, les indexations fondées sur le prix des biens ou services
en relation directe avec l'activité de l'une des parties étaient
autorisées.
Toutefois, une telle prohibition a vu sa
portée réduite
en raison :
- d'une part, du champ d'application limité de
l'article 79 : celui-ci prévoit en effet que les dettes
d'aliments peuvent être indexées sur le salaire minimum
interprofessionnel ; en outre, des lois postérieures ont
élargi la portée de cette exception aux rentes viagères,
et à celles accordées dans le cadre de l'indemnisation des
rapatriés ;
- et, d'autre part, d'une interprétation libérale de la
jurisprudence : en effet, la Cour de cassation a considéré
que les dispositions de l'ordonnance de 1958 devaient être
interprétées de manière restrictive parce que
dérogatoires au principe de la liberté contractuelle ; de
même, l'exigence d'un lien entre l'indice choisi et l'objet du contrat a
fait l'objet d'une appréciation bienveillante.
II. LES DISPOSITIONS DU PRÉSENT ARTICLE
Le I du présent article a pour objet d'introduire une dérogation
au droit existant en autorisant l'indexation sur le niveau
général des prix, dans des conditions fixées par
décret, des titres de créance et des instruments financiers
à terme, mentionnés respectivement au 2° et au 4° de
l'article premier de la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 de
modernisation des activités financières.
Cette disposition entend couvrir essentiellement les obligtions qui seront
indexées sur le niveau général des prix, ainsi que les
contrats à terme dans le gisement desquels ces titres entreront.
Il convient d'observer que l'indexation ainsi autorisée ne
concerne que les instruments financiers, ce qui exclut, par exemple, son
application aux contrats d'assurance-vie.
Il convient également de relever que pour les instruments financiers
autres que ceux visés par le présent article (actions et titres
de capital, parts ou actions d'organismes de placement collectif), l'indexation
n'aurait pas de sens.
Toutefois, cela ne devrait pas faire obstacle à ce que les OPCVM
obligataires puissent détenir des obligations ou, plus
généralement, des instruments financiers indexés.
Par ailleurs, un décret simple est prévu afin de préciser
les modalités du recours à une indexation et, notamment, le ou
les indices susceptibles d'être utilisés.
L'indice des prix à la consommation publié par l'INSEE devrait
être utilisé à ce titre.
En effet, d'après les informations dont dispose votre rapporteur, un
débat aurait eu lieu sur la question de savoir s'il fallait se
référer à l'indice français ou à un indice
européen. Le premier terme de l'alternative l'a finalement
emporté, au regard de deux considérations :
- d'une part, l'indice français, publié par l'INSEE, est
connu des investisseurs ;
- d'autre part, l'indice européen, tel qu'il est
déterminé par Eurostat, comporte le défaut d'être
révisable, ce qui ne donne aucune sécurité aux
investisseurs.
Le II du présent article tend à ce que les instruments
financiers indexables ne soient plus exclus a priori du bénéfice
du prélèvement libératoire.
Actuellement, en effet, le régime fiscal des titres indexés
(selon les clauses d'indexation conformes aux dispositions de l'ordonnance de
1958 modifiée, c'est à dire, ayant un lien direct avec
l'activité des parties ou l'objet du contrat) est moins favorable que
celui des titres de créance à taux fixe.
Les revenus des placements dits "à revenu fixe" sont susceptibles
d'être soumis à un prélèvement forfaitaire, dont le
régime est défini par les articles 125 A, B et C du
code général des impôts. Lorsqu'il est appliqué, ce
prélèvement forfaitaire est libératoire de l'impôt
sur le revenu.
Le II du présent article prévoit de supprimer, dans les a et c
du IV de l'article 125 A du code général des
impôts, les conditions relatives à l'indexation du capital, pour
celles des indexations qui seraient autorisées en vertu des dispositions
de l'article 79 de l'ordonnance du 30 décembre 1958.
III. L'APPORT DU PRÉSENT ARTICLE
L'apport essentiel des dispositions soumises à notre examen consiste
à autoriser l'Etat à émettre des obligations
indexées sur le niveau général des prix.
Cette possibilité nouvelle présente des avantages certains aussi
bien pour l'Etat, que pour les épargnants. En outre, elle est de nature
à renforcer l'attractivité de la place financière de Paris.
L'Etat
pourra en effet, grâce à ce type d'instruments,
réduire le coût de sa dette.
En outre, le recours à des obligations indexées a pour vertu de
contraindre l'Etat à une autodiscipline en matière d'inflation
puisque, sauf à accepter une augmentation de la charge de la dette,
celui-ci trouvera son intérêt à maintenir l'inflation
à de faibles niveaux.
Quant aux
épargnants
, ils disposeront d'un instrument de
protection contre l'inflation, protection qui ne trouverait cependant à
s'exercer qu'en cas de reprise de l'inflation.
Enfin, l'émission d'obligations indexées donne aux
marchés financiers un signal sur la détermination de l'Etat
à poursuivre une politique de maîtrise de l'inflation. De telles
obligations permettent également d'accroître l'offre d'instruments
financiers disponibles sur la place financière de Paris, à un
moment où l'introduction de la monnaie unique intensifiera la
concurrence sur les marchés financiers.
Il faut toutefois être conscient que cette possibilité nouvelle
n'est pas exempte de risques.
Outre le risque pour les finances publiques que l'on vient de mentionner,
l'indexation peut être à l'origine d'une inflation "automatique"
ou "auto-entretenue". C'est la raison pour laquelle, comme a pu le constater
votre commission lors de la dernière audition du gouverneur de la Banque
de France, M. Jean-Claude Trichet, les banquiers centraux sont très
réservés sur la possibilité d'autoriser l'indexation des
instruments financiers.
Bien consciente de ces risques, votre commission vous demande néanmoins
d'accepter le présent article en raison, d'une part, du faible montant
des encours envisagés et, d'autre part, des faibles risques de reprise
de l'inflation du fait de la mise en place de la monnaie unique.
Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter
le présent article sans modification.