Section 7
Dispositions relatives à l'épargne et
à l'investissement
ARTICLE 25
Définition de l'appel public à
l'épargne
Commentaire : le présent article propose, d'une
part, de préciser la définition de l' "
appel public
à l'épargne
" et, d'autre part, de délimiter le champ
du placement privé, afin d'offrir un cadre plus souple pour les
investisseurs qualifiés, et plus favorable pour la collecte de
l'épargne de proximité.
D'un point de vue économique, l'appel public à l'épargne
(APE) peut être défini, comme une "
technique permettant,
lors de la constitution des sociétés ou en vue d'augmenter leur
capital, de solliciter des capitaux auprès d'une épargne plus ou
moins anonyme
"
17(
*
)
.
D'un point de vue juridique, cette notion sert à délimiter le
contrôle, par les autorités publiques, des émetteurs de
valeurs mobilières, lorsque ceux-ci "
sollicitent
"
l'épargne publique. Cependant, cette notion souffre, depuis l'origine,
d'une certaine imprécision, source d'insécurité juridique.
Par ailleurs, son extension de plus en plus fréquente aux petites et
moyennes sociétés, engendre pour ces entreprises des contraintes
peu compatibles avec leurs besoins de financement.
C'est pourquoi, depuis plusieurs années, les entreprises
émettrices
18(
*
)
, comme
les intermédiaires demandent une modernisation de cette
définition de nature à offrir plus de sécurité
juridique et à laisser une place au " placement
privé ", c'est à dire à un régime
allégé d'obligations d'information, pour les investisseurs
professionnels.
Dans ce contexte, plusieurs voix s'étaient élevées pour
réclamer une réforme de la notion de l'appel public à
l'épargne.
Dès juillet 1996, votre rapporteur avait préconisé, dans
le cadre d'un rapport sur la modernisation du droit des sociétés
remis au Premier ministre, de donner une définition plus précise
de l'APE, qui "
pourrait partir des éléments actuels de
l'article 72 de la loi de 1966, mais en écartant les placements
privés réalisés par les prestataires de services
d'investissement dans la mesure où ils font appel à un nombre
très restreint d'investisseurs, et faire référence au
degré de diffusion des titres dans le public (évalué tant
lors de leur émission qu'ultérieurement, à la suite des
cessions intervenues), apprécié en fonction d'un seuil
défini soit par la loi, soit par la COB sur habilitation
législative
. "
19(
*
)
.
Dans le même temps, la Commission des opérations de bourse (COB)
a lancé, en juin 1996, une vaste consultation de place qui l'a conduite
à proposer aux pouvoirs publics, conformément aux dispositions de
l'ordonnance de 1967, une nouvelle définition de l'APE et, surtout, une
définition du " placement privé ".
Ayant décidé de donner suite aux travaux de la COB, le
Gouvernement invite le législateur à poursuivre dans cette voie.
I. LA SITUATION ACTUELLE
Notion clef, mais aux contours imprécis, l'APE est actuellement de plus
en plus contestée par les opérateurs économiques.
A. UNE NOTION CLEF
A l'origine, l'appel public à l'épargne visait les seules
sociétés commerciales. Il emportait, et emporte toujours, pour la
société qui souhaite y recourir, l'obligation de respecter
certaines conditions et surtout, il soumet cette personne au contrôle de
la COB.
1. Les conditions à respecter pour faire appel public à
l'épargne
On peut distinguer les obligations qui pèsent, de façon
permanente, sur la société, et celles qui pèsent, de
façon ponctuelle, sur les opérations.
a) Les obligations permanentes pesant sur les sociétés faisant
appel public à l'épargne
La loi de 1966 édicte un ensemble de règles impératives
qui, ensemble, constituent le statut que doivent respecter, en permanence, les
sociétés faisant appel public à l'épargne.
Pour l'essentiel, ces obligations ont trait :
•
au capital social
: il doit être de 1.500.000 francs
au minimum (contre 250.000 francs sans APE) ;
•
à la constitution de la personne morale
:
établissement d'un projet de statut déposé au greffe,
publication d'une notice au bulletin officiel des annonces légales
(BALO) ; établissement et publication d'un prospectus
destiné au public et soumis au visa préalable de la COB ;
dépôt des fonds et de la liste des souscripteurs dans une banque,
chez un notaire ou à la Caisse des dépôts et
consignations ; convocation et tenue d'une assemblée
générale constitutive selon des règles strictes... ;
•
à la publicité en cours de vie sociale
: les
sociétés qui font appel public à l'épargne sont
tenues de respecter des mesures de publicité particulières,
notamment au BALO, lors de la convocation des assemblées
générales, des augmentations ou des réductions de capital,
des opérations de fusion, scission, liquidation...
•
à la publicité des comptes et des informations
financières
: outre le dépôt de leurs comptes
annuels au greffe du tribunal de commerce, les sociétés dont les
actions sont cotées doivent publier au BALO des informations concernant
leur situation financière. Doivent ainsi être portés
annuellement à la connaissance du public, les comptes sociaux et
consolidés ; semestriellement, un rapport d'activité et un
tableau de résultats ; trimestriellement, le montant de leur
chiffre d'affaires...
•
à une obligation d'information permanente
: le
règlement n° 92-02 de la COB impose notamment aux
sociétés cotées de porter à la connaissance du
public tout fait important susceptible d'avoir une incidence significative sur
le cours du titre.
b) Les obligations ponctuelles en cas d'opérations d'appel public
à l'épargne
L'article 6 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 dispose en effet :
"
Toute société qui fait publiquement appel à
l'épargne pour émettre des valeurs mobilières doit au
préalable publier un document à l'information du public (...)
" Avant l'admission aux négociations sur un marché
réglementé d'actions ou d'obligations, l'impression du même
document est également obligatoire (...) "
Par ailleurs, l'article 7 dispose :
"
le projet de document mentionné à l'article
précédent est soumis au visa préalable de la COB (...)
"
Aux termes des différents règlements élaborés par
la COB en application de ces articles, ces obligations d'information sont les
suivantes :
• la cession et l'émission de titres sans demande d'admission sur
un marché réglementé en France sont subordonnées
à l'établissement d'un "
prospectus "
simplifié
devant faire l'objet d'un
dépôt
auprès de la COB ;
• la cession et l'émission de titres avec demande d'admission sur
un marché réglementé en France supposent
l'établissement d'un "
prospectus " complet
soumis au
visa préalable
de la COB.
2. Le contrôle de la COB
Dans son rapport annuel de 1996 précité, la COB a rappelé
que la finalité du régime qui découle de l'APE est de
protéger les intérêts du public dont l'épargne est
ainsi sollicitée, en soulignant à cet égard que
l'ordonnance du 28 septembre 1967 lui a assigné cet objectif comme
principale mission.
En effet, l'article premier de l'ordonnance de 1967, confirmé par le
législateur lors du vote de la loi financière du 2 juillet 1996,
dispose que :
"
La Commission des opérations de bourse, autorité
administrative indépendante,
veille à la protection de
l'épargne investie dans les instruments financiers et tous autres
placements donnant lieu à appel public à l'épargne
,
à l'information des investisseurs et au bon fonctionnement des
marchés d'instruments financiers. "
Pour remplir cette mission, la COB est autorisée à prendre des
règlements concernant le fonctionnement des marchés placés
sous son contrôle, à prescrire des règles de pratique
professionnelle auxquelles les sociétés faisant appel public
à l'épargne doivent se soumettre, à délivrer des
injonctions aux auteurs de pratiques contraires à ses règlements,
à infliger des sanctions pécuniaires, à utiliser ses
pouvoirs d'enquête...
Pourtant, en dépit de son importance dans la vie économique et
financière du pays, l'APE ne fait l'objet d'aucune définition
juridique précise.
B. UNE NOTION IMPRÉCISE ET ÉVOLUTIVE
Le législateur de 1966 s'est en effet contenté de poser un
certain nombre de présomptions légales dans la loi sur les
sociétés commerciales, offrant ainsi l'opportunité aux
autorités de contrôle - en l'occurrence la COB - et au juge de
dégager le contenu de cette notion.
1. L'absence de définition légale
L'article 72 de la loi du 24 juillet 1966, tel que modifié par
l'article 96 de la loi financière dispose :
"
Sont réputées faire publiquement appel à
l'épargne les sociétés
dont les titres sont admis aux
négociations sur un marché réglementé, à
dater de cette inscription, ou qui, pour le placement des titres, quels qu'ils
soient, ont recours soit à des établissement de crédit,
soit à des établissements mentionnés à l'article 99
de la loi n° 84-16 relative à l'activité et au
contrôle des établissements de crédit (anciennes maisons de
titres), ou sociétés de bourse (entreprises d'investissement),
soit à des procédés de publicité quelconque, soit
au démarchage
".
Il s'agit donc, non pas d'une définition, mais d'un
ensemble de
présomptions légales
résultant soit d'un état
de fait - la cotation des titres émis par une société sur
un marché réglementé - soit du recours par cette
société à certaines techniques de placement consistant
dans la publicité, le démarchage ou le concours de certains
intermédiaires financiers.
On remarquera par ailleurs que cette disposition ne concerne que les
sociétés commerciales, même si le législateur a
étendu progressivement le champ des catégories de personnes
habilitées à recourir à ce mode de financement
20(
*
)
.
2. Une construction réglementaire et jurisprudentielle
Dès 1969, la COB a considéré que l'article 72 de la loi
de 1966 n'édictait que des présomptions légales et qu'il
lui appartenait, en vertu de la mission générale qu'elle tient du
législateur, de préciser cette définition.
Elle a ainsi considéré que l'APE devait également
être apprécié au regard de "
l'étendue de la
diffusion effective des titres dans le public
"
21(
*
)
et a complété une
à une les présomptions légales.
a. L'étendue de la diffusion dans le public
Ce critère supplémentaire de la diffusion des titres
"
au-delà d'un cercle restreint de personnes
" s'est
peu à peu imposé, mais est longtemps resté
imprécis, les tribunaux estimant qu'il s'agissait là d'une
question de fait dépendant des circonstances de chaque espèce.
Il a fallu attendre le règlement n° 88-04
22(
*
)
pour que cette notion soit
finalement intégrée dans la définition de l'APE et le
seuil fixé à 300 personnes, chiffre inspiré des
critères du
Securities and Exchange Committee (SEC),
organe de
régulation des marchés financiers américains.
Le règlement n° 92-02
23(
*
)
relatif à l'offre publique de
valeurs mobilières confirme cette analyse en considérant
que : "
le caractère public de l'offre résulte de la
diffusion des valeurs mobilières au-delà d'un cercle de 300
personnes ou du recours, pour leur placement, à des
intermédiaires financiers ou à tout procédé de
publicité ou de démarchage ".
La COB a donc ajouté aux termes de la loi, un seuil quantitatif,
fixé à 300 personnes, au-delà duquel le caractère
public de l'offre est présumé.
b. L'inscription sur un marché réglementé
La première présomption légale concernant les
sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur
un marché réglementé, il s'en suit que les
sociétés dont les titres figurent au relevé quotidien du
marché hors cote (en voie d'être remplacé par le
marché libre OTC), ne devraient pas, en principe, relever de cette
présomption. Or, la COB considère,
ultra legem
, que
l'inscription sur le relevé quotidien de ce marché suffit
à caractériser une situation d'appel public à
l'épargne, quitte à reconsidérer ensuite cette position si
le nombre d'actionnaires et l'importance des transactions se
révèlent réduits
24(
*
)
.
c. Le recours à des intermédiaires financiers
Les tribunaux ont eu tendance à donner une interprétation
extensive de la liste limitative énumérée par l'article 72
de la loi de 1966. Ils ont ainsi considéré que le recours
à des "
démarcheurs spécialisés
"
ou à des "
conseillers financiers
", notions qui ne
sont pas définies par la loi, caractérisait également
l'APE.
Ensuite, ils ont estimé que le recours à des
intermédiaires professionnels au sens large était en soi une
mesure de publicité, laquelle constitue la troisième
présomption légale de l'APE.
d. Le recours à la publicité
La troisième présomption légale consistant dans le
recours à des procédés publicitaires quels qu'ils soient,
la COB a considéré qu'il y avait publicité à chaque
fois que l'opération envisagée s'adressait à un
" cercle de personnes n'ayant pas de liens personnels entre elles ou avec
l'émetteur ", ce qui
de facto
lui confère un large
pouvoir de qualification juridique.
C'est en faisant varier ainsi les contours de l'APE que la COB a
été en mesure d'étendre progressivement son propre champ
de compétence. Si l'on admet que l'information financière
contribue à la protection des investisseurs, cette extension doit
être considérée comme une amélioration. Mais elle a
eu également pour conséquence d'accroître les contraintes
pesant sur les entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises,
ce qui explique, en partie au moins, les contestations actuelles.
C. UNE NOTION DE PLUS EN PLUS DISCUTÉE
L'extension progressive du champ de l'APE a soulevé deux sortes de
problèmes.
1. Un accroissement de l'insécurité juridique lié
à l'imprécision de la notion
L'imprécision des critères, leur nombre et leur pertinence font
que des sociétés commerciales peuvent très bien être
dans le champ de l'APE sans le savoir ou sans le vouloir. Cette situation est
d'autant plus critiquable, qu'une fois soumis à ce régime
juridique, il leur est très difficile d'en sortir.
a) L'appel public passif
La progression " naturelle " (héritage, partage, actionnariat
salarié) du nombre d'actionnaires peut assez rapidement faire grimper
leur nombre au-delà de 300, alors même que la personne morale ne
se livre à aucune opération d'appel public à
l'épargne. Une société familiale non cotée, dont le
nombre d'actionnaires augmente, au fil des successions, au-delà de 300
doit ainsi se soumettre au régime de l'APE et fournir à tout
demandeur ses notes d'information financière.
b) L'appel public dissident
L'entrée dans le champ d'application de l'appel public à
l'épargne peut échapper au contrôle de la
société lorsqu'un actionnaire, souvent minoritaire, s'adresse, en
dehors de tout marché organisé, à un large public au sens
du règlement de la COB. Cet appel public " dissident " aura en
effet pour conséquence l'application d'un régime contraignant
pour la personne morale, en dehors de toute volonté expresse de sa part.
c) L'absence de sortie de l'appel public à l'épargne
Il n'y a pas véritablement de sortie du régime de l'APE, par
exemple, dans le cas où une société non cotée a
placé des titres dans le public à un moment donné, mais ne
s'est livrée depuis plusieurs années, à aucune autre
opération similaire. En effet, dès lors que ces titres, par
exemple des obligations, ne sont pas échus, ils demeurent
dispersés, au sens de la COB, et la société
émettrice doit continuer à respecter l'ensemble des prescriptions
liées à l'APE.
2. Des contraintes souvent mal comprises
Les obligations d'information et de procédure qui s'imposent à
une société dès lors qu'elle fait appel à
l'épargne publique constituent des contraintes, somme toute assez
légères, pour les sociétés cotées qui sont
généralement de grandes entreprises disposant de services
juridiques étoffés et rompus à ce genre de formalisme.
Il en va tout différemment pour les petites et moyennes entreprises,
pour lesquelles ces obligations peuvent constituer un véritable carcan,
d'autant plus mal supporté qu'il est subi plus que voulu, que son
utilité n'est pas immédiatement perceptible et qu'il est souvent
perçu, à tort ou à raison, comme pouvant avoir des
conséquences commerciales désastreuses en termes de concurrence.
C'est pourquoi, la présente réforme s'efforce d'apporter,
positivement ou négativement, une solution à ces
différents problèmes.
II. LES AMÉNAGEMENTS PROPOSÉS
Le présent article propose de définir le cadre de l'appel public
à l'épargne ainsi que celui du placement restreint, notion plus
large que le seul placement privé, et de modifier le régime
juridique concernant l'obligation de publication de la note d'information.
A. LA DÉFINITION DE L'APPEL PUBLIC À
L'ÉPARGNE
Les trois premiers alinéas du texte proposé pour le paragraphe I
de l'article 6 de l'ordonnance de 1967 par le
paragraphe I du présent
article
donnent une véritable définition de l'APE qui rompt
avec le régime de présomptions légales de l'article 72 de
la loi de 1966.
Sur la forme, on observera que cette définition de l'APE figure
désormais à l'article 6 de l'ordonnance du 28 septembre 1967
relative à la COB, qui ne contenait, jusqu'à présent, que
des dispositions concernant le document destiné à l'information
du public et que, parallèlement, l'article 72 de la loi de 1966 est
abrogé par le
paragraphe IV du présent article
.
Sur le fond, l'APE serait désormais constitué :
• par
l'admission aux négociations sur un marché
réglementé
25(
*
)
,
d'un instrument financier
mentionné à l'article premier de la
loi financière du 2 juillet 1996 (titres de capital, titres de
créances, parts ou actions d'organismes de placement collectif,
instruments financiers à terme) ;
• ou par
l'émission ou la cession d'instruments financiers dans
le public
en ayant recours soit à la
publicité
, soit
au
démarchage
, soit à des
établissements de
crédit ou à des prestataires de services d'investissement
.
Comme on peut le constater, cette définition ne diffère
guère du régime de présomptions légales
donné par l'article 72, à ceci près :
- qu'il s'agit d'une
définition légale
- "
l'appel
public à l'épargne est constitué par
" - et non
plus d'un régime de présomptions, caractérisé par
l'utilisation de la locution : " s
ont
réputées
". Cette définition est donc,
a
priori,
exclusive de toute intervention
ultra legem
de la part du
juge ou de l'autorité réglementaire ;
- que son
point d'application est désormais "
l'appel public
à l'épargne
"
et non plus "
les
sociétés qui font appel public à
l'épargne
" ;
- que
ne sont plus visés les titres d'une société
-
titres de créances ou de capital -
mais les instruments
financiers
, ce qui inclut également les titres d'organismes de
placement collectif et les instruments financiers à terme.
Le
rapporteur général de la commission des finances de
l'Assemblée, M. Didier Migaud, semble y voir une novation
importante dans la mesure où désormais :
" les
obligations d'information liées à l'appel public à
l'épargne s'imposeront clairement à l'ensemble des personnes
morales qui émettent des instruments financiers et non pas aux seules
sociétés commerciales
"
Rapport
Assemblée nationale précité p. 225
.
B. LA DÉFINITION DU PLACEMENT RESTREINT
Jusqu'à présent, le placement restreint n'apparaissait qu'en
creux de l'APE, par opposition au placement public : est placement restreint
tout ce qui n'est pas appel public à l'épargne, c'est à
dire lorsque la diffusion de titres s'effectue hors d'un marché
réglementé et dans un public d'investisseurs de moins de 300
personnes, autrement que par voie de démarchage, de publicité ou
de commercialisation par un intermédiaire.
Le texte proposé pour l'article 6 de l'ordonnance de 1967 donne une
définition positive du placement restreint, dont le contenu
diffère substantiellement de la définition actuelle.
En effet, le texte proposé par
le paragraphe I du présent
article
pour le dernier alinéa du paragraphe I de l'article 6 de
l'ordonnance de 1967 dispose que l'émission ou la cession d'instruments
financiers ne constituent pas une opération d'appel public à
l'épargne lorsqu'elles sont effectuées :
- soit "
auprès d'investisseurs
qualifiés
"
(c'est la notion actuelle de
placement privé) ;
- soit
"
dans un cercle restreint
d'investisseurs
" ;
étant entendu que ces investisseurs, qu'ils soient qualifiés ou
qu'ils fassent partie d'un cercle restreint,
doivent agir pour compte
propre.
La notion
d'investisseurs qualifiés
est apparue comme
étant la principale innovation de la réforme proposée.
Elle ne doit cependant pas conduire à méconnaître
l'évolution également significative de la notion de cercle
restreint et le passage d'une conception quantitative à une conception
qualitative du placement restreint.
1. La notion d'investisseur qualifié
Cette notion a donné lieu à d'amples réflexions, que nous
présenterons rapidement, avant d'examiner de façon plus
détaillée le texte qui nous est proposé.
a) Les réflexions actuelles sur les notions d'investisseur
qualifié ou averti
Différents pays ont déjà introduit la notion
d'investisseur averti dans leur droit positif (Angleterre, Allemagne,
Etats-Unis). Aux Etats-Unis en particulier, le placement privé se
définit par rapport à la qualité de l'investisseur
approché. Les investisseurs dits "
avertis
" peuvent
alors prendre la forme de :
- "
qualified institutional investors "
(rule 144 A)
.
Aucun visa de la SEC n'est alors requis de la part de l'émetteur et
ces investisseurs ont la possibilité de revendre librement les valeurs
mobilières ainsi acquises
(" restricted securities ")
à d'autres acheteurs institutionnels avertis
(" qualified
institutionnal buyers ");
- "
accredited investors "
(regulation D). Ce cercle
d'investisseurs, plus vaste que le précédent, peut comprendre des
"
high networth individuals
" (patrimoine supérieur
à un million de dollars ou revenus annuels supérieurs à
200.000 dollars). La revente de ces titres est réglementée.
En France
, la notion d'investisseur averti existe déjà en
droit positif. Elle a été dégagée par la
jurisprudence récente, laquelle utilise indifféremment les termes
"
d'opérateur averti
", "
d'opérateur
avisé
" ou de "
client averti
", dans des
affaires de responsabilité des intermédiaires financiers
26(
*
)
.
Surtout, elle apparaît dans la la loi financière du 2 juillet
1996 qui, transposant la directive sur les services d'investissement (DSI)
27(
*
)
prévoit dans ses
articles 32 et 58 que les règles de bonne conduite concernant les
prestataires de services d'investissement, les entreprises de marché et
les chambres de compensation établies par le Conseil des marchés
financiers (CMF) doivent tenir compte de la "
compétence
professionnelle de la personne à laquelle le service d'investissement
est rendu
".
Par ailleurs, l'article 45 de la loi financière, qui établit la
règle de concentration des ordres sur un marché
réglementé, prévoit que, par dérogation à
cette règle, des instruments financiers cotés sur un
marché réglementé peuvent être
négociés en dehors d'un tel marché à condition que
la demande en soit faite par les investisseurs et que la transaction remplisse
des conditions fixées par le règlement général du
CMF concernant "
son volume,
le statut de l'investisseur
, la
nature de l'instrument financier négocié et l'information du
marché réglementé sur lequel cet instrument est
admis. "
A la suite du vote de cette loi, la COB, lors d'une consultation de place
lancée en juin 1996, avait proposé de définir le placement
privé uniquement par référence à un seuil
quantitatif, comme étant : "
une offre par
émission ou par cession de valeurs mobilières, limitée
à un public restreint, à l'exclusion de tout
procédé de publicité
".
Toutefois, tenant compte des observations faites par les principales
organisations professionnelles concernées, la COB s'était
orientée, au terme de la consultation, vers une définition du
placement privé fondée sur un critère plutôt
qualitatif, en raison du recours à la notion d'investisseur
professionnel ou averti.
Selon la COB
28(
*
)
, il devait
s'agir :
- des investisseurs professionnels, (prestataires de services d'investissement,
établissements de crédit...), sans limitation du nombre, agissant
pour compte propre ;
- un nombre limité d'investisseurs avertis agissant également
pour compte propre et pouvant être :
* soit 50 personnes morales au plus, ayant un portefeuille de titres d'une
valeur supérieure à 100 millions de francs ;
* soit 30 personnes physiques au plus, titulaires d'un portefeuille de titres
d'une valeur supérieure à 50 millions de francs.
b) Le texte proposé
Le texte proposé par le Gouvernement
est en
réalité assez différent de la définition
donnée par la COB, puisqu'il prévoit (texte prévu par le
paragraphe I du présent article
pour le II de l'article 6 de
l'ordonnance de 1967) de définir les investisseurs qualifiés
comme étant :
- des personnes morales ;
- agissant pour compte propre ;
- disposant des compétences et des moyens leur permettant de
réaliser des transactions sur instruments financiers sans
bénéficier de la protection conférée par les
obligations d'informations.
Il s'agit donc d'une interprétation restrictive de la notion, qui
prend en compte les seuls investisseurs "
institutionnels
",
personnes morales disposant de moyens et de compétence
avérés, à l'exclusion des "
investisseurs
avertis
" simples personnes physiques, accréditées en
raison de leurs compétences ou de leur fortune.
La "
liste des catégories d'investisseurs
qualifiés
" serait définie par un règlement de la
COB.
Par ailleurs, les organismes de placement collectif en valeurs
mobilières se verraient considérés comme des investisseurs
qualifiés. Cette précision est nécessaire si on souhaite
autoriser certains OPCVM à bénéficier du régime du
placement privé, puisque, d'une part, ils agissent toujours pour compte
de tiers, et d'autre part, certains d'entre eux (les FCP notamment) n'ont pas
la personnalité morale. C'est donc par dérogation à la
définition générale que la loi les considérerait
comme étant des investisseurs qualifiés.
2. La notion de cercle restreint d'investisseurs
Autant le dire tout de suite, la notion de cercle restreint d'investisseurs
est un
faux ami législatif
, car elle vise moins la prise en
compte d'un nombre restreint d'investisseurs que la qualité de ces
investisseurs. C'est en effet
l'épargne de proximité
, ou
"
love money
", qui est visée ici,
c'est à
dire les investisseurs membres de la famille ou du réseau amical des
dirigeants de l'entreprise. La notion de cercle restreint devrait même
être abandonnée, si toutefois elle ne renvoyait pas à la
notion de "
cercle restreint de personnes
"
visée par le droit européen
29(
*
)
.
Cette notion est donc distincte de la précédente même si,
en pratique, les investisseurs proches peuvent aussi être des
investisseurs qualifiés. Mais elle en s'en rapproche, car elle prend en
compte la nature des investisseurs, jugés, du fait de leur
proximité de l'entreprise, de ses dirigeants ou de ses actionnaires,
suffisamment informés pour ne pas avoir besoin des informations
normalement exigées des sociétés faisant appel public
à l'épargne.
Toutefois, cette interprétation ne transparaissait pas clairement dans
le projet initial du Gouvernement, lequel prévoyait de renvoyer la
définition de cette notion à un règlement de la COB. De
surcroît, l'exposé des motifs du projet pouvait prêter
à confusion puisqu'il indiquait que les rédacteurs du projet
avaient souhaité viser "
à la fois un nombre limité
d'investisseurs, même non qualifiés, ou un nombre plus important
d'investisseurs liés par des relations professionnelles, personnelles ou
familiales.
"
Mettant la lettre de la loi en accord avec l'exposé des motifs du
projet, l'Assemblée nationale a décidé de fixer dans la
loi la définition du cercle restreint d'investisseurs, comme
étant un ensemble de personnes morales ou physiques, dont le nombre est
inférieur à un seuil fixé par un règlement de la
COB, ou dont le nombre est plus important, mais qui sont liées à
l'émetteur par des relations professionnelles, personnelles ou
familiales.
On observera au passage que la commission des finances de l'Assemblée
nationale qui souhaitait fixer le seuil dans la loi, s'est opposée au
Gouvernement qui a préféré renvoyer la
détermination de ce seuil à la COB.
Quoiqu'il en soit, la combinaison astucieuse de la précision du seuil
et de la souplesse du standard juridique (les investisseurs proches) permet de
résoudre positivement le problème de l'APE passif.
En contrepartie, la discussion à l'Assemblée nationale a
clairement montré que l'intention du Gouvernement était de
ramener le seuil actuel de 300 personnes à 100 personnes. C'est en tout
cas ce qu'a déclaré M. Dominique Strauss Kahn, ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie pour qui : "
le
seuil de 100 paraît plutôt bien choisi , mais il se peut que
la COB soit amenée à le faire évoluer pour parer aux
risques qui peuvent se présenter. En fixant le seuil par la loi, et
sachant qu'un texte peut prendre plusieurs mois pour passer au Parlement, nous
serions incapables de suivre le rythme de la vie financière, d'où
le renvoi au décret. Mais cela ne change rien à l'ordre de
grandeur qui doit, me semble-t-il rester à peu près de cet ordre.
Il n'y a aucune ambiguïté sur ce point
"
30(
*
)
.
C. LA NOTE D'INFORMATION S'IMPOSANT À TOUTE PERSONNE FAISANT APPEL
À L'ÉPARGNE PUBLIQUE
Le texte proposé par
le paragraphe I du présent article
pour le III de l'article 6 de l'ordonnance de 1967 précise
l'obligation d'établir une note d'information pour les
sociétés faisant appel public à l'épargne.
Le nouveau régime juridique de cette note d'information se distingue du
précèdent sur trois points :
• Il n'y a plus de distinction entre le prospectus établi par les
sociétés faisant appel public à l'épargne et celui
des sociétés ayant décidé de faire coter leurs
titres sur un marché réglementé. Cette suppression est
bien venue, dans la mesure où toutes les sociétés faisant
coter leurs titres entrent, par définition, dans le champ de l'APE ;
• Les modalités d'établissement du prospectus ne seront
plus fixées par la loi mais par un règlement de la COB. L'actuel
article 6 de l'ordonnance de 1967 dispose en effet que le document
destiné à l'information du public doit être remis à
toute personne dont la souscription est sollicitée ; qu'il doit
être tenu à la disposition du public au siège social et
dans tous les établissements chargés de recueillir des
souscriptions et qu'en outre, en cas d'introduction sur un marché
réglementé, il est également tenu à la disposition
du public auprès de l'entreprise de marché qui en assure le
fonctionnement.
Dans le projet du Gouvernement, il était prévu que le contenu
même de ce document, qui porte sur "
l'organisation, la situation
financière et l'évolution de l'activité de la
société
", soit renvoyé au règlement de la
COB. L'Assemblée nationale a décidé, à juste titre,
de maintenir les grandes lignes de ce contenu dans la loi.
Cette délégalisation, ainsi opportunément limitée,
ne soulève pas de difficultés.
• Enfin, il est expressément prévu que le règlement
précité de la COB prévoie les conditions dans lesquelles
une personne morale cesse de faire appel public à l'épargne.
III. LES OBSERVATIONS DE VOTRE COMMISSION
Afin de pouvoir apprécier la réforme proposée, il semble
nécessaire de revenir un instant sur l'utilité et le sens que
revêt aujourd'hui la notion d'appel public à l'épargne.
A. L'UTILITÉ ET LE SENS DE LA NOTION D'APPEL PUBLIC
Cette notion ressortit à ce que l'on pourrait appeler la mission
primitive de la COB : le contrôle de l'information financière
délivrée aux investisseurs par les émetteurs de valeurs
mobilières.
En 1967, ce contrôle a été mis en place dans le but
d'apporter une
meilleure protection aux investisseurs français
(les " épargnants ")
dans le but de diminuer leur
méfiance traditionnelle à l'égard des placements en
bourse
. On peut y voir une sorte de consumérisme financier à
ceci près qu'il dépasse la simple protection des consommateurs et
participe à une politique d'orientation de l'épargne vers les
placements à long terme.
Ce contrôle semble reposer initialement sur l'idée qu'existent
deux sortes d'investisseurs. D'une part, le professionnel, (homme d'affaires,
intermédiaire financier...) réputé être parfaitement
averti du fonctionnement des sociétés et des marchés pour
lequel aucune protection particulière ne s'impose. D'autre part,
l'épargnant moyen, censé gérer ses économies en bon
père de famille et dont l'épargne mérite une protection
renforcée.
Cependant, cette distinction suppose de pouvoir donner une définition
à la fois précise et souple de l'investisseur qualifié. Et
c'est vraisemblablement pour contourner cette difficulté que les
rédacteurs de l'ordonnance de 1967 n'ont pas recouru à une
définition
erga omnes,
mais à un système de
présomptions légales, laissant au juge (la COB n'existait pas
encore) le soin de dégager une casuistique de l'appel public à
l'épargne.
Par la suite, l'adjonction par la COB d'un critère quantitatif s'est
avérée bienvenue afin de pouvoir laisser hors du champ des
contraintes réglementaires les sociétés se
finançant exclusivement par recours à l'épargne de
proximité.
Trente plus tard, force est de constater que les données du
problème ont considérablement évolué.
Tout d'abord, la protection des investisseurs passe désormais moins par
le contrôle des émetteurs que par celui des intermédiaires
(établissements de crédit, entreprises d'investissement,
organismes de placement collectif) qui s'exerce aussi bien sur les
marchés réglementés que sur les marchés de
gré à gré. L'information financière, autrefois
distribuée avec parcimonie par des sociétés soucieuses
avant tout de confidentialité, est aujourd'hui devenue surabondante et,
dans une certaine mesure inutile, du fait de l'essor des organismes de
placement collectif dont l'utilité est, précisément, de
permettre de gérer la surabondance d'informations.
Par ailleurs, la DSI a considérablement clarifié et
harmonisé les catégories juridiques du droit financier,
notamment, en introduisant la distinction fondamentale entre les marchés
réglementés et ceux qui ne le sont pas.
Dès lors, la question pourrait se poser d'une disparition pure et
simple de la notion d'APE, ne laissant plus subsister que la
référence à la notion de marché
réglementé. Sur ces marchés, les obligations d'information
financière seraient renforcées et le contrôle de la COB
maximum, alors que sur les autres marchés, obligations et contrôle
pourraient être allégés.
Une telle évolution constituerait une simplification
a priori
séduisante. Mais elle introduirait un
hiatus
entre
sociétés cotées et sociétés non
cotées, alors qu'il semble au contraire important
31(
*
)
d'organiser un
continuum
juridique entre ces deux catégories de sociétés. En
effet, si les contraintes imposées aux sociétés
cotées étaient par trop importantes par rapport à celles
pesant sur les sociétés non cotées, ces dernières
n'auraient plus d'incitation à se faire coter. Les possibilités
qu'ont les émetteurs d'arbitrer entre les différentes techniques
de financement s'en trouveraient réduites et l'évolution
naturelle des entreprises les plus dynamiques vers les marchés
financiers serait entravée.
Or, précisément, la notion d'APE permet de répondre
à cette préoccupation. En effet, elle permet de graduer la
protection des investisseurs en introduisant un échelon
intermédiaire entre le pur gré à gré et les
marchés réglementés, surprotégés, mais
auxquels n'ont accès que les grandes sociétés. Cette
notion est donc toujours d'actualité.
Cependant, si la réforme proposée par le
Gouvernement contient incontestablement des éléments positifs,
elle recouvre également des zones d'ombre qu'il convient
d'éclairer afin de se prononcer en connaissance des causes et des
effets.
B. UNE RÉFORME IMPORTANTE MAIS COMPLEXE
La réforme proposée contient plusieurs améliorations,
parmi lesquelles on relèvera la définition positive donnée
de l'APE et celle du placement restreint.
Elle règle, pour l'avenir, le problème de l'APE passif, en
attendant que le règlement de la COB apporte une solution à celui
de la sortie de l'APE.
Par ailleurs, l'unification des prospectus d'information va incontestablement
dans le bon sens et la délégalisation de certaines dispositions
les concernant ne soulève plus de difficultés après que
l'Assemblée nationale en a limité le champ.
Enfin, la question de l'appel public dissident est en partie résolue,
dans un sens favorable aux actionnaires minoritaires, puisqu'il sera toujours
possible à l'un d'entre eux d'obtenir que la société dont
il est actionnaire passe sous le régime de l'APE, en organisant une plus
grande diffusion des titres.
Néanmoins, plusieurs points appellent des observations plus
détaillées.
1. Sur la définition de l'appel public à l'épargne
La nouvelle définition donnée par le présent article de
l'APE réalise plusieurs changements de perspectives sur lesquels il
semble nécessaire d'apporter quelques précisions.
a) L'utilité de dissocier le statut de l'opération d'APE de
celui du statut de l'émetteur
Pour bien comprendre la portée du changement du point d'application de
la définition, c'est à dire le passage d'une définition
des "
sociétés faisant appel public à
l'épargne
" à une définition de l' "
appel
public à l'épargne
", un bref retour en arrière
s'impose.
Initialement, la loi de 1966 sur les sociétés commerciales, dont
les dispositions doivent être lues avec l'article 1841 du code civil, ne
prenait en compte que le statut des sociétés pouvant faire appel
public à l'épargne :
- seules les sociétés commerciales peuvent faire appel public
à l'épargne ;
- toutes les sociétés commerciales ne peuvent pas faire appel
public à l'épargne
32(
*
)
;
- celles d'entre elles qui le font, sont soumises à un certain nombre
d'obligations permanentes, dont la plus significative est l'exigence
renforcée en fonds propres.
Cette conception était sous-tendue par l'idée que la protection
de l'épargne publique reposait avant tout sur la qualité des
émetteurs habilités à solliciter cette épargne.
Cependant, dès 1967, l'ordonnance portant création de la COB
prit en compte la notion d'opérations d'appel public à
l'épargne, auxquelles elle attacha des obligations spécifiques,
dont la plus importante est la note d'information soumise au visa de la COB. Il
s'agit là d'une conception de la protection de l'épargne publique
sensiblement différente de la précédente et selon laquelle
les investisseurs peuvent prendre les risques, mais à condition d'en
être informés.
Ainsi se trouvait établie une dissociation entre le statut de
l'émetteur (les obligations permanentes) et celui de l'opération
(les obligations ponctuelles).
Cette dissociation s'est trouvée renforcée, d'une part, par les
directives européennes
33(
*
)
, qui ne prennent en compte que les
"
opérations
" d'offre publique et, d'autre part, par
le fait que le législateur a autorisé toute une série
d'intervenants, autres que les sociétés commerciales, à
faire appel public à l'épargne (OPCVM, SCPI, collectivités
territoriales...).
Ce changement de perspective, resté sans traduction dans notre droit
positif, avait engendré les insatisfactions que l'on sait (voir
supra
) puisque, bien que toujours lié à la notion de
sociétés commerciales, l'APE pouvait s'appliquer à des
opérations que ces sociétés n'avaient pas l'intention de
placer sous ce régime (APE dissident, APE passif).
La réforme proposée opère donc une clarification
justifiée des notions en distinguant bien :
- le statut des opérations dont la définition est donnée,
fort logiquement, dans l'ordonnance de 1967 ;
- et le statut des émetteurs, qui reste régi par les dispositions
spécifiques les concernant (loi de 1966 sur les sociétés
commerciales, loi de 1988 sur les OPCVM...).
Toutefois, d'un point de vue pratique, elle laisse inchangé le champ
d'application de l'APE et tout au plus, peut-on considérer qu'elle ouvre
la porte à un allégement des obligations permanentes pesant sur
les émetteurs.
Il en va de même s'agissant de l'introduction de la notion d'instruments
financiers dans la définition de l'APE.
b) L'utilité de la prise en compte des instruments financiers
Le passage d'une définition prenant en compte uniquement les titres
émis par les sociétés, qu'il s'agisse des titres de
créance ou de capital, à une définition portant sur les
instruments financiers, fait entrer dans le champ de l'APE :
- les actions ou parts d'organismes de placement collectif (SICAV et
FCP) ;
- les instruments financiers à terme ;
- les titres de créances négociables, émis par des
personnes autres que les sociétés commerciales (bons du
trésor et effets publics à court terme).
Ce changement de perspective est lui aussi, sans grande réelle
portée pratique.
En effet, les OPCVM sont déjà soumis à la
réglementation de l'APE du fait du critère quantitatif - et
obéissent de surcroît à une réglementation
spécifique, plus contraignante que pour les sociétés
commerciales.
Concernant les instruments financiers à terme, la notion d'appel public
n'a à vrai dire pas de sens (ceux d'entre eux qui sont cotés ne
sont en général pas émis par des sociétés
commerciales et les autres, par exemple les swaps de devises, ne concernent que
des opérations entre professionnels) ; de surcroît ils font
l'objet d'une réglementation spécifique (loi
financière et loi de 1885 sur les marchés à terme).
Enfin, les titres de créance négociables font déjà
l'objet d'une réglementation spécifique.
Il s'agit donc là encore d'une clarification conceptuelle, sans grande
portée pratique. Tout au plus, ce changement de perspective aura une
importance dans la perspective de la cotation des parts ou actions d'OPCVM,
à l'instar de ce qui existe déjà en matière de
fonds communs de créance.
c) Le passage d'une conception quantitative à une conception
qualitative de l'APE et les relations entre l'APE et le placement restreint
La prise en compte par la COB d'un seuil permettant de distinguer les
opérations d'appel public à l'épargne, des autres
opérations, avait sans aucun doute le mérite de la
simplicité. Mais il était de nature à introduire une
confusion sur les justifications du contrôle, confusion dont le
présent article garde encore la trace.
En effet, ce n'est pas parce que les investisseurs sont en nombre
"
restreint
" qu'ils ne justifient pas d'une protection
particulière ; mais parce que ce nombre
"
restreint
" est considéré comme étant
un bon indicateur de leur proximité avec l'émetteur et donc de
leur connaissance des risques qui entourent l'opération à
laquelle ils participent.
Dès lors, il apparaît beaucoup plus satisfaisant de prendre
directement en compte, comme critère de l'APE, la qualité de ces
investisseurs soit qu'ils aient une compétence professionnelle
avérée (placement privé), soit qu'ils connaissent
personnellement l'émetteur (cercle restreint).
Dans cette optique, le placement restreint ne s'oppose pas à la notion
de placement public, mais en constitue une sorte d'exception, comme le montre
le schéma ci-dessous.
L'articulation de ces notions serait donc la suivante :
- le principe est celui de la liberté pour les opérations de pur
gré à gré ;
- les opérations d'APE sont soumises à une réglementation
spécifique en termes d'information financière ;
- toutefois, lorsqu'elles s'adressent à des investisseurs qui ont la
compétence nécessaire pour juger des risques inhérents
à l'opération ou qui sont suffisamment proches des actionnaires
ou des dirigeants de la société émettrice pour disposer
d'une information suffisante, les règles spécifiques de l'APE ne
s'appliquent pas.
d) L'absence de réforme du démarchage
Enfin, il convient de souligner que la nouvelle définition de l'APE
continuera toujours de souffrir d'imprécision tant que la notion de
démarchage financier
, qui est un de ses éléments
constitutifs, ne sera pas mieux définie
34(
*
)
.
Comme le souligne, à juste titre, le rapporteur général
de l'Assemblée nationale, M. Didier Migaud, : "
le
présent article est l'occasion d'affirmer, une fois de plus, la
nécessité de réformer le cadre du démarchage
financier, qui est régi par des textes anciens, et qui impose des
règles différentes selon les secteurs d'activité, le
statut des intervenants, et les techniques de commercialisation dont les plus
modernes ne sont pas prises en compte. La réforme du démarchage
financier, véritable " serpent de mer " depuis plusieurs
années, reste d'actualité. "
A cet égard, il convient de rappeler que la Commission des finances
du Sénat, dans son rapport n° 340 du 28 juin 1995 sur la
proposition de loi n° 225 du 19 janvier 1995 relative à
l'activité et au contrôle des entreprises d'investissement et
portant transposition de la DSI, avait proposé un ensemble de
dispositions législatives (onze articles) portant réforme du
démarchage financier, mais que ces dispositions n'avaient pas finalement
été retenue dans la loi financière, le Gouvernement
préférant approfondir la concertation de place sur ce sujet,
approfondissement visiblement toujours en cours nonobstant l'empilement des
rapports sur la question.
Cette réforme n'est pas dirimante pour ce qui concerne la
frontière entre les opérations de placement restreint et celles
d'appel public à l'épargne, mais elle semble nécessaire
pour établir avec suffisamment de précision la frontière
entre ces dernières et les opérations de pur gré à
gré.
2. Sur la notion de placement restreint
Même si l'on doit saluer l'apparition de la notion
"
d'investisseurs qualifiés
", à
côté de celle de "
cercle
restreint d'investisseurs
", qui constitue effectivement une
nouvelle zone de liberté, force est de constater que la
définition de ces deux nouveaux concepts juridiques peut être
améliorée.
a) La notion d'investisseurs qualifiés
On observera tout d'abord que la définition donnée est, en
partie, tautologique, ou plus exactement téléologique. En effet,
définir les investisseurs qualifiés comme étant ceux qui
disposent "
des compétences et des moyens (leur)
permettant
de réaliser des transactions sur instruments financiers sans
bénéficier de la protection conférée (par la
loi)
" revient à confondre la cause et les effets.
C'est précisément pour ne pas faire bénéficier
certains investisseurs de la protection accordée par la loi, que le
législateur a recours à la notion d'investisseurs
qualifiés.
Ceci étant, et selon les informations fournies à votre
rapporteur, cette catégorie des investisseurs qualifiés est
susceptible de recouvrir deux sous-catégories :
- les investisseurs professionnels
, qui exercent un métier en
relation directe avec les services d'investissement et qui disposent pour ce
faire d'un agrément délivré par les pouvoirs publics. Il
s'agit essentiellement des établissements de crédit, des
entreprises d'investissement et des entreprises d'assurance. Entrent
également dans cette catégorie, les institutions
sui generis
comme la Banque de France, le Trésor public, les Services financiers
de La Poste ou la Caisse des dépôts et consignations ;
- les investisseurs quasi professionnels
, qui tout en n'étant pas
titulaires d'un agrément en relation avec les services d'investissement,
disposent néanmoins de la compétence et des moyens
nécessaires pour appréhender les risques inhérents aux
opérations financières. Sont susceptibles d'entrer dans cette
catégorie les grandes entreprises, cotées ou non cotées,
qui disposent de services financiers et juridiques étoffés, mais
aussi les caisses autonomes de Sécurité sociale et les mutuelles
du code de la mutualité.
b) La notion de cercles restreints d'investisseurs
La rédaction proposée par l'Assemblée nationale est sans
aucun doute plus précise que celle du Gouvernement et permet de
régler le problème de l'APE passif. Néanmoins, elle est de
nature à introduire la confusion, en laissant penser que coexistent une
notion quantitative - le cercle restreint - et une notion qualitative -
l'investisseur proche - alors qu'en réalité, il s'agit toujours
d'appréhender la même réalité : les
investisseurs proches de l'entreprise et que le seuil ne sert qu'à
présumer de la proximité afin de rendre la loi plus facilement
applicable.
En outre, la rédaction proposée par l'Assemblée
nationale, après avoir défini la notion de cercle restreint,
renvoie à un règlement de la COB le soin
de
"
définir
(...) le cercle restreint
d'investisseurs
". Cette redondance des définitions est
révélatrice d'une confusion des techniques normatives :
- soit il est possible de donner une définition opératoire de
l'investisseur proche, et auquel cas il convient de l'inscrire dans la loi,
sauf à donner à la COB, la maîtrise de sa
compétence ;
- soit au contraire, une telle définition est trop difficile à
donner et dans ce cas, il convient de se contenter de poser le standard dans la
loi et de laisser au juge (ou à la COB, mais en renvoyant à son
pouvoir de décision et non pas à son pouvoir de
réglementation) le soin de la préciser au cas par cas.
Assigner à la COB la responsabilité de définir la notion
d'investisseur proche revient donc soit à lui confier une mission
impossible, soit à dessaisir le législateur de façon
injustifiée.
c) Les relations entre les deux notions
Deux questions se posent de ce point de vue :
- faut-il intégrer les investisseurs qualifiés dans le
décompte du cercle restreint ?
- la définition d'un seuil pour le cercle restreint ne rend-elle pas
inutile le recours à la notion d'investisseurs qualifiés ?
S'il est possible de répondre par la négative à la
seconde question (on peut en effet imaginer des marchés
réglementés réservés aux seuls investisseurs
qualifiés), en revanche, il est impossible d'apporter une réponse
à la première question. Il serait donc souhaitable de rendre la
loi plus claire sur ce point.
Ces diverses observations conduisent votre commission à vous
présenter plusieurs modifications du texte proposé, afin de
préciser les notions d'investisseurs qualifiés et de cercle
restreint.
Par ailleurs, il semblerait souhaitable, en tout état de cause,
d'écarter du démarchage l'application aux opérations
réalisées entre investisseurs qualifiés.
Décision de votre commission : votre commission vous propose de
modifier le présent article.
ARTICLE 26
Passage à l'euro de la
comptabilité des organismes de placement collectif en valeurs
mobilières
Commentaire : le présent article tend à
faciliter l'adaptation de la comptabilité des organismes de placement
collectif en valeurs mobilières, et notamment celle des fonds communs de
placement, à la monnaie unique.
L'ensemble des marchés financiers français basculeront à
l'euro dès le début de la troisième phase de l'Union
économique et monétaire, soit, en pratique, le 4 janvier
1999.
Ce passage rapide à l'euro, souhaité par les professionnels,
aura des répercussions importantes sur les organismes de placement
collectif en valeurs mobilières (OPCVM), puisque ceux-ci sont
eux-mêmes composés d'un ensemble d'instruments financiers
(actions, obligations, titres de créances...).
Ainsi, l'essentiel des titres détenus par les OPCVM seront
libellés en euros à partir du 4 janvier 1999.
Dès lors, la question se pose de savoir si les parts ou actions d'OPCVM
seront elles-mêmes libellées en euros.
A vrai dire, la question ne se pose pas pour les OPCVM dont la
comptabilité est actuellement tenue en francs. Pour ceux-là,
conserver une comptabilité en francs alors que les actifs sous-jacents
sont libellés en euros imposerait un nombre considérable de
conversions, entraînerait des coûts de gestion considérables
et se heurterait de fait à de grandes difficultés.
En revanche, cette question se pose pour les OPCVM qui, conformément
à l'article 32 de la loi n° 88-1201 du
23 décembre 1988
35(
*
)
ont établi leur
comptabilité dans une monnaie autre que le franc et qui devront modifier
leurs statuts (pour les SICAV) ou leur règlement (pour les FCP) s'ils
souhaitent changer d'unité monétaire.
S'agissant des
SICAV
, ces modifications ne soulèvent
guère de difficulté. Ce sont, en effet, des
sociétés commerciales régies par la loi de 1966, et le
changement d'unité monétaire relèvera de la volonté
des seuls actionnaires, réunis en assemblée
générale.
En revanche, s'agissant des
fonds communs de placement
, la modification
du règlement peut se heurter à des difficultés plus
sérieuses.
Selon l'article 11 de la loi du 23 décembre 1988, ils sont
constitués à l'initiative conjointe d'une société
de gestion ou de gestion de portefeuille, et d'une personne morale,
dépositaire des actifs du fonds. Le règlement du fonds est
ensuite soumis à l'approbation de la Commission des opérations de
bourse (COB).
C'est pourquoi, afin de rendre le choix de l'unité monétaire
plus facile dans le cas des FCP, le présent article prévoit, par
dérogation au droit commun, de donner aux sociétés de
gestion de tels fonds, et à elles seules, le pouvoir de modifier
unilatéralement le règlement afin de décider si les
documents comptables seront ou non établis en euros.
L'Assemblée nationale a adopté un amendement étendant aux
fonds communs de créances les dispositions proposées par le
présent article.
On remarquera que la rédaction proposée ouvre deux
possibilités aux sociétés de gestion. Soit le nouveau
règlement mentionnera expressément l'euro comme l'unité
utilisée pour la comptabilité du fonds, soit aucune
référence ne sera faite à une unité
monétaire donnée, ce qui permettra bien évidemment
d'utiliser l'euro à la suite d'une simple décision de gestion.
Décision de la commission : votre commission vous propose
d'adopter le présent article sans modification.