Section 7

Dispositions relatives à l'épargne et à l'investissement

ARTICLE 25

Définition de l'appel public à l'épargne

Commentaire : le présent article propose, d'une part, de préciser la définition de l' " appel public à l'épargne " et, d'autre part, de délimiter le champ du placement privé, afin d'offrir un cadre plus souple pour les investisseurs qualifiés, et plus favorable pour la collecte de l'épargne de proximité.

D'un point de vue économique, l'appel public à l'épargne (APE) peut être défini, comme une " technique permettant, lors de la constitution des sociétés ou en vue d'augmenter leur capital, de solliciter des capitaux auprès d'une épargne plus ou moins anonyme " 17( * ) .

D'un point de vue juridique, cette notion sert à délimiter le contrôle, par les autorités publiques, des émetteurs de valeurs mobilières, lorsque ceux-ci " sollicitent " l'épargne publique. Cependant, cette notion souffre, depuis l'origine, d'une certaine imprécision, source d'insécurité juridique. Par ailleurs, son extension de plus en plus fréquente aux petites et moyennes sociétés, engendre pour ces entreprises des contraintes peu compatibles avec leurs besoins de financement.

C'est pourquoi, depuis plusieurs années, les entreprises émettrices 18( * ) , comme les intermédiaires demandent une modernisation de cette définition de nature à offrir plus de sécurité juridique et à laisser une place au " placement privé ", c'est à dire à un régime allégé d'obligations d'information, pour les investisseurs professionnels.

Dans ce contexte, plusieurs voix s'étaient élevées pour réclamer une réforme de la notion de l'appel public à l'épargne.

Dès juillet 1996, votre rapporteur avait préconisé, dans le cadre d'un rapport sur la modernisation du droit des sociétés remis au Premier ministre, de donner une définition plus précise de l'APE, qui " pourrait partir des éléments actuels de l'article 72 de la loi de 1966, mais en écartant les placements privés réalisés par les prestataires de services d'investissement dans la mesure où ils font appel à un nombre très restreint d'investisseurs, et faire référence au degré de diffusion des titres dans le public (évalué tant lors de leur émission qu'ultérieurement, à la suite des cessions intervenues), apprécié en fonction d'un seuil défini soit par la loi, soit par la COB sur habilitation législative . " 19( * ) .

Dans le même temps, la Commission des opérations de bourse (COB) a lancé, en juin 1996, une vaste consultation de place qui l'a conduite à proposer aux pouvoirs publics, conformément aux dispositions de l'ordonnance de 1967, une nouvelle définition de l'APE et, surtout, une définition du " placement privé ".

Ayant décidé de donner suite aux travaux de la COB, le Gouvernement invite le législateur à poursuivre dans cette voie.

I. LA SITUATION ACTUELLE

Notion clef, mais aux contours imprécis, l'APE est actuellement de plus en plus contestée par les opérateurs économiques.

A. UNE NOTION CLEF

A l'origine, l'appel public à l'épargne visait les seules sociétés commerciales. Il emportait, et emporte toujours, pour la société qui souhaite y recourir, l'obligation de respecter certaines conditions et surtout, il soumet cette personne au contrôle de la COB.

1. Les conditions à respecter pour faire appel public à l'épargne

On peut distinguer les obligations qui pèsent, de façon permanente, sur la société, et celles qui pèsent, de façon ponctuelle, sur les opérations.

a) Les obligations permanentes pesant sur les sociétés faisant appel public à l'épargne

La loi de 1966 édicte un ensemble de règles impératives qui, ensemble, constituent le statut que doivent respecter, en permanence, les sociétés faisant appel public à l'épargne.

Pour l'essentiel, ces obligations ont trait :

au capital social : il doit être de 1.500.000 francs au minimum (contre 250.000 francs sans APE) ;

à la constitution de la personne morale : établissement d'un projet de statut déposé au greffe, publication d'une notice au bulletin officiel des annonces légales (BALO) ; établissement et publication d'un prospectus destiné au public et soumis au visa préalable de la COB ; dépôt des fonds et de la liste des souscripteurs dans une banque, chez un notaire ou à la Caisse des dépôts et consignations ; convocation et tenue d'une assemblée générale constitutive selon des règles strictes... ;

à la publicité en cours de vie sociale : les sociétés qui font appel public à l'épargne sont tenues de respecter des mesures de publicité particulières, notamment au BALO, lors de la convocation des assemblées générales, des augmentations ou des réductions de capital, des opérations de fusion, scission, liquidation...

à la publicité des comptes et des informations financières : outre le dépôt de leurs comptes annuels au greffe du tribunal de commerce, les sociétés dont les actions sont cotées doivent publier au BALO des informations concernant leur situation financière. Doivent ainsi être portés annuellement à la connaissance du public, les comptes sociaux et consolidés ; semestriellement, un rapport d'activité et un tableau de résultats ; trimestriellement, le montant de leur chiffre d'affaires...

à une obligation d'information permanente : le règlement n° 92-02 de la COB impose notamment aux sociétés cotées de porter à la connaissance du public tout fait important susceptible d'avoir une incidence significative sur le cours du titre.

b) Les obligations ponctuelles en cas d'opérations d'appel public à l'épargne

L'article 6 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 dispose en effet :

" Toute société qui fait publiquement appel à l'épargne pour émettre des valeurs mobilières doit au préalable publier un document à l'information du public (...)

" Avant l'admission aux négociations sur un marché réglementé d'actions ou d'obligations, l'impression du même document est également obligatoire (...) "


Par ailleurs, l'article 7 dispose :

" le projet de document mentionné à l'article précédent est soumis au visa préalable de la COB (...) "

Aux termes des différents règlements élaborés par la COB en application de ces articles, ces obligations d'information sont les suivantes :

• la cession et l'émission de titres sans demande d'admission sur un marché réglementé en France sont subordonnées à l'établissement d'un " prospectus " simplifié devant faire l'objet d'un dépôt auprès de la COB ;

• la cession et l'émission de titres avec demande d'admission sur un marché réglementé en France supposent l'établissement d'un " prospectus " complet soumis au visa préalable de la COB.

2. Le contrôle de la COB

Dans son rapport annuel de 1996 précité, la COB a rappelé que la finalité du régime qui découle de l'APE est de protéger les intérêts du public dont l'épargne est ainsi sollicitée, en soulignant à cet égard que l'ordonnance du 28 septembre 1967 lui a assigné cet objectif comme principale mission.

En effet, l'article premier de l'ordonnance de 1967, confirmé par le législateur lors du vote de la loi financière du 2 juillet 1996, dispose que :

" La Commission des opérations de bourse, autorité administrative indépendante, veille à la protection de l'épargne investie dans les instruments financiers et tous autres placements donnant lieu à appel public à l'épargne , à l'information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés d'instruments financiers. "

Pour remplir cette mission, la COB est autorisée à prendre des règlements concernant le fonctionnement des marchés placés sous son contrôle, à prescrire des règles de pratique professionnelle auxquelles les sociétés faisant appel public à l'épargne doivent se soumettre, à délivrer des injonctions aux auteurs de pratiques contraires à ses règlements, à infliger des sanctions pécuniaires, à utiliser ses pouvoirs d'enquête...

Pourtant, en dépit de son importance dans la vie économique et financière du pays, l'APE ne fait l'objet d'aucune définition juridique précise.

B. UNE NOTION IMPRÉCISE ET ÉVOLUTIVE

Le législateur de 1966 s'est en effet contenté de poser un certain nombre de présomptions légales dans la loi sur les sociétés commerciales, offrant ainsi l'opportunité aux autorités de contrôle - en l'occurrence la COB - et au juge de dégager le contenu de cette notion.

1. L'absence de définition légale

L'article 72 de la loi du 24 juillet 1966, tel que modifié par l'article 96 de la loi financière dispose :

" Sont réputées faire publiquement appel à l'épargne les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, à dater de cette inscription, ou qui, pour le placement des titres, quels qu'ils soient, ont recours soit à des établissement de crédit, soit à des établissements mentionnés à l'article 99 de la loi n° 84-16 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit (anciennes maisons de titres), ou sociétés de bourse (entreprises d'investissement), soit à des procédés de publicité quelconque, soit au démarchage ".

Il s'agit donc, non pas d'une définition, mais d'un ensemble de présomptions légales résultant soit d'un état de fait - la cotation des titres émis par une société sur un marché réglementé - soit du recours par cette société à certaines techniques de placement consistant dans la publicité, le démarchage ou le concours de certains intermédiaires financiers.

On remarquera par ailleurs que cette disposition ne concerne que les sociétés commerciales, même si le législateur a étendu progressivement le champ des catégories de personnes habilitées à recourir à ce mode de financement 20( * ) .

2. Une construction réglementaire et jurisprudentielle

Dès 1969, la COB a considéré que l'article 72 de la loi de 1966 n'édictait que des présomptions légales et qu'il lui appartenait, en vertu de la mission générale qu'elle tient du législateur, de préciser cette définition.

Elle a ainsi considéré que l'APE devait également être apprécié au regard de " l'étendue de la diffusion effective des titres dans le public " 21( * ) et a complété une à une les présomptions légales.

a. L'étendue de la diffusion dans le public

Ce critère supplémentaire de la diffusion des titres " au-delà d'un cercle restreint de personnes " s'est peu à peu imposé, mais est longtemps resté imprécis, les tribunaux estimant qu'il s'agissait là d'une question de fait dépendant des circonstances de chaque espèce.

Il a fallu attendre le règlement n° 88-04 22( * ) pour que cette notion soit finalement intégrée dans la définition de l'APE et le seuil fixé à 300 personnes, chiffre inspiré des critères du Securities and Exchange Committee (SEC), organe de régulation des marchés financiers américains.

Le règlement n° 92-02 23( * ) relatif à l'offre publique de valeurs mobilières confirme cette analyse en considérant que : " le caractère public de l'offre résulte de la diffusion des valeurs mobilières au-delà d'un cercle de 300 personnes ou du recours, pour leur placement, à des intermédiaires financiers ou à tout procédé de publicité ou de démarchage ".

La COB a donc ajouté aux termes de la loi, un seuil quantitatif, fixé à 300 personnes, au-delà duquel le caractère public de l'offre est présumé.

b. L'inscription sur un marché réglementé

La première présomption légale concernant les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, il s'en suit que les sociétés dont les titres figurent au relevé quotidien du marché hors cote (en voie d'être remplacé par le marché libre OTC), ne devraient pas, en principe, relever de cette présomption. Or, la COB considère, ultra legem , que l'inscription sur le relevé quotidien de ce marché suffit à caractériser une situation d'appel public à l'épargne, quitte à reconsidérer ensuite cette position si le nombre d'actionnaires et l'importance des transactions se révèlent réduits 24( * ) .

c. Le recours à des intermédiaires financiers

Les tribunaux ont eu tendance à donner une interprétation extensive de la liste limitative énumérée par l'article 72 de la loi de 1966. Ils ont ainsi considéré que le recours à des " démarcheurs spécialisés " ou à des " conseillers financiers ", notions qui ne sont pas définies par la loi, caractérisait également l'APE.

Ensuite, ils ont estimé que le recours à des intermédiaires professionnels au sens large était en soi une mesure de publicité, laquelle constitue la troisième présomption légale de l'APE.

d. Le recours à la publicité

La troisième présomption légale consistant dans le recours à des procédés publicitaires quels qu'ils soient, la COB a considéré qu'il y avait publicité à chaque fois que l'opération envisagée s'adressait à un " cercle de personnes n'ayant pas de liens personnels entre elles ou avec l'émetteur ", ce qui de facto lui confère un large pouvoir de qualification juridique.

C'est en faisant varier ainsi les contours de l'APE que la COB a été en mesure d'étendre progressivement son propre champ de compétence. Si l'on admet que l'information financière contribue à la protection des investisseurs, cette extension doit être considérée comme une amélioration. Mais elle a eu également pour conséquence d'accroître les contraintes pesant sur les entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises, ce qui explique, en partie au moins, les contestations actuelles.

C. UNE NOTION DE PLUS EN PLUS DISCUTÉE


L'extension progressive du champ de l'APE a soulevé deux sortes de problèmes.

1. Un accroissement de l'insécurité juridique lié à l'imprécision de la notion

L'imprécision des critères, leur nombre et leur pertinence font que des sociétés commerciales peuvent très bien être dans le champ de l'APE sans le savoir ou sans le vouloir. Cette situation est d'autant plus critiquable, qu'une fois soumis à ce régime juridique, il leur est très difficile d'en sortir.

a) L'appel public passif

La progression " naturelle " (héritage, partage, actionnariat salarié) du nombre d'actionnaires peut assez rapidement faire grimper leur nombre au-delà de 300, alors même que la personne morale ne se livre à aucune opération d'appel public à l'épargne. Une société familiale non cotée, dont le nombre d'actionnaires augmente, au fil des successions, au-delà de 300 doit ainsi se soumettre au régime de l'APE et fournir à tout demandeur ses notes d'information financière.

b) L'appel public dissident

L'entrée dans le champ d'application de l'appel public à l'épargne peut échapper au contrôle de la société lorsqu'un actionnaire, souvent minoritaire, s'adresse, en dehors de tout marché organisé, à un large public au sens du règlement de la COB. Cet appel public " dissident " aura en effet pour conséquence l'application d'un régime contraignant pour la personne morale, en dehors de toute volonté expresse de sa part.

c) L'absence de sortie de l'appel public à l'épargne

Il n'y a pas véritablement de sortie du régime de l'APE, par exemple, dans le cas où une société non cotée a placé des titres dans le public à un moment donné, mais ne s'est livrée depuis plusieurs années, à aucune autre opération similaire. En effet, dès lors que ces titres, par exemple des obligations, ne sont pas échus, ils demeurent dispersés, au sens de la COB, et la société émettrice doit continuer à respecter l'ensemble des prescriptions liées à l'APE.

2. Des contraintes souvent mal comprises

Les obligations d'information et de procédure qui s'imposent à une société dès lors qu'elle fait appel à l'épargne publique constituent des contraintes, somme toute assez légères, pour les sociétés cotées qui sont généralement de grandes entreprises disposant de services juridiques étoffés et rompus à ce genre de formalisme.

Il en va tout différemment pour les petites et moyennes entreprises, pour lesquelles ces obligations peuvent constituer un véritable carcan, d'autant plus mal supporté qu'il est subi plus que voulu, que son utilité n'est pas immédiatement perceptible et qu'il est souvent perçu, à tort ou à raison, comme pouvant avoir des conséquences commerciales désastreuses en termes de concurrence.

C'est pourquoi, la présente réforme s'efforce d'apporter, positivement ou négativement, une solution à ces différents problèmes.

II. LES AMÉNAGEMENTS PROPOSÉS

Le présent article propose de définir le cadre de l'appel public à l'épargne ainsi que celui du placement restreint, notion plus large que le seul placement privé, et de modifier le régime juridique concernant l'obligation de publication de la note d'information.

A. LA DÉFINITION DE L'APPEL PUBLIC À L'ÉPARGNE

Les trois premiers alinéas du texte proposé pour le paragraphe I de l'article 6 de l'ordonnance de 1967 par le paragraphe I du présent article donnent une véritable définition de l'APE qui rompt avec le régime de présomptions légales de l'article 72 de la loi de 1966.

Sur la forme, on observera que cette définition de l'APE figure désormais à l'article 6 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 relative à la COB, qui ne contenait, jusqu'à présent, que des dispositions concernant le document destiné à l'information du public et que, parallèlement, l'article 72 de la loi de 1966 est abrogé par le paragraphe IV du présent article .

Sur le fond, l'APE serait désormais constitué :

• par l'admission aux négociations sur un marché réglementé 25( * ) , d'un instrument financier mentionné à l'article premier de la loi financière du 2 juillet 1996 (titres de capital, titres de créances, parts ou actions d'organismes de placement collectif, instruments financiers à terme) ;

• ou par l'émission ou la cession d'instruments financiers dans le public en ayant recours soit à la publicité , soit au démarchage , soit à des établissements de crédit ou à des prestataires de services d'investissement .

Comme on peut le constater, cette définition ne diffère guère du régime de présomptions légales donné par l'article 72, à ceci près :

- qu'il s'agit d'une définition légale - " l'appel public à l'épargne est constitué par " - et non plus d'un régime de présomptions, caractérisé par l'utilisation de la locution : " s ont réputées ". Cette définition est donc, a priori, exclusive de toute intervention ultra legem de la part du juge ou de l'autorité réglementaire ;

- que son point d'application est désormais " l'appel public à l'épargne " et non plus " les sociétés qui font appel public à l'épargne " ;

- que ne sont plus visés les titres d'une société - titres de créances ou de capital - mais les instruments financiers , ce qui inclut également les titres d'organismes de placement collectif et les instruments financiers à terme.
Le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée, M. Didier Migaud, semble y voir une novation importante dans la mesure où désormais : " les obligations d'information liées à l'appel public à l'épargne s'imposeront clairement à l'ensemble des personnes morales qui émettent des instruments financiers et non pas aux seules sociétés commerciales " Rapport Assemblée nationale précité p. 225 .

B. LA DÉFINITION DU PLACEMENT RESTREINT


Jusqu'à présent, le placement restreint n'apparaissait qu'en creux de l'APE, par opposition au placement public : est placement restreint tout ce qui n'est pas appel public à l'épargne, c'est à dire lorsque la diffusion de titres s'effectue hors d'un marché réglementé et dans un public d'investisseurs de moins de 300 personnes, autrement que par voie de démarchage, de publicité ou de commercialisation par un intermédiaire.

Le texte proposé pour l'article 6 de l'ordonnance de 1967 donne une définition positive du placement restreint, dont le contenu diffère substantiellement de la définition actuelle.

En effet, le texte proposé par le paragraphe I du présent article pour le dernier alinéa du paragraphe I de l'article 6 de l'ordonnance de 1967 dispose que l'émission ou la cession d'instruments financiers ne constituent pas une opération d'appel public à l'épargne lorsqu'elles sont effectuées :

- soit " auprès d'investisseurs qualifiés " (c'est la notion actuelle de placement privé) ;

- soit " dans un cercle restreint d'investisseurs " ;

étant entendu que ces investisseurs, qu'ils soient qualifiés ou qu'ils fassent partie d'un cercle restreint, doivent agir pour compte propre.

La notion d'investisseurs qualifiés est apparue comme étant la principale innovation de la réforme proposée. Elle ne doit cependant pas conduire à méconnaître l'évolution également significative de la notion de cercle restreint et le passage d'une conception quantitative à une conception qualitative du placement restreint.

1. La notion d'investisseur qualifié

Cette notion a donné lieu à d'amples réflexions, que nous présenterons rapidement, avant d'examiner de façon plus détaillée le texte qui nous est proposé.

a) Les réflexions actuelles sur les notions d'investisseur qualifié ou averti

Différents pays ont déjà introduit la notion d'investisseur averti dans leur droit positif (Angleterre, Allemagne, Etats-Unis). Aux Etats-Unis en particulier, le placement privé se définit par rapport à la qualité de l'investisseur approché. Les investisseurs dits " avertis " peuvent alors prendre la forme de :

- " qualified institutional investors " (rule 144 A) . Aucun visa de la SEC n'est alors requis de la part de l'émetteur et ces investisseurs ont la possibilité de revendre librement les valeurs mobilières ainsi acquises (" restricted securities ") à d'autres acheteurs institutionnels avertis (" qualified institutionnal buyers ");

- " accredited investors " (regulation D). Ce cercle d'investisseurs, plus vaste que le précédent, peut comprendre des " high networth individuals " (patrimoine supérieur à un million de dollars ou revenus annuels supérieurs à 200.000 dollars). La revente de ces titres est réglementée.

En France , la notion d'investisseur averti existe déjà en droit positif. Elle a été dégagée par la jurisprudence récente, laquelle utilise indifféremment les termes " d'opérateur averti ", " d'opérateur avisé " ou de " client averti ", dans des affaires de responsabilité des intermédiaires financiers 26( * ) .

Surtout, elle apparaît dans la la loi financière du 2 juillet 1996 qui, transposant la directive sur les services d'investissement (DSI) 27( * ) prévoit dans ses articles 32 et 58 que les règles de bonne conduite concernant les prestataires de services d'investissement, les entreprises de marché et les chambres de compensation établies par le Conseil des marchés financiers (CMF) doivent tenir compte de la " compétence professionnelle de la personne à laquelle le service d'investissement est rendu ".

Par ailleurs, l'article 45 de la loi financière, qui établit la règle de concentration des ordres sur un marché réglementé, prévoit que, par dérogation à cette règle, des instruments financiers cotés sur un marché réglementé peuvent être négociés en dehors d'un tel marché à condition que la demande en soit faite par les investisseurs et que la transaction remplisse des conditions fixées par le règlement général du CMF concernant " son volume, le statut de l'investisseur , la nature de l'instrument financier négocié et l'information du marché réglementé sur lequel cet instrument est admis. "

A la suite du vote de cette loi, la COB, lors d'une consultation de place lancée en juin 1996, avait proposé de définir le placement privé uniquement par référence à un seuil quantitatif, comme étant : " une offre par émission ou par cession de valeurs mobilières, limitée à un public restreint, à l'exclusion de tout procédé de publicité ".

Toutefois, tenant compte des observations faites par les principales organisations professionnelles concernées, la COB s'était orientée, au terme de la consultation, vers une définition du placement privé fondée sur un critère plutôt qualitatif, en raison du recours à la notion d'investisseur professionnel ou averti.

Selon la COB 28( * ) , il devait s'agir :

- des investisseurs professionnels, (prestataires de services d'investissement, établissements de crédit...), sans limitation du nombre, agissant pour compte propre ;

- un nombre limité d'investisseurs avertis agissant également pour compte propre et pouvant être :

* soit 50 personnes morales au plus, ayant un portefeuille de titres d'une valeur supérieure à 100 millions de francs ;

* soit 30 personnes physiques au plus, titulaires d'un portefeuille de titres d'une valeur supérieure à 50 millions de francs.

b) Le texte proposé

Le texte proposé par le Gouvernement est en réalité assez différent de la définition donnée par la COB, puisqu'il prévoit (texte prévu par le paragraphe I du présent article pour le II de l'article 6 de l'ordonnance de 1967) de définir les investisseurs qualifiés comme étant :

- des personnes morales ;

- agissant pour compte propre ;

- disposant des compétences et des moyens leur permettant de réaliser des transactions sur instruments financiers sans bénéficier de la protection conférée par les obligations d'informations.

Il s'agit donc d'une interprétation restrictive de la notion, qui prend en compte les seuls investisseurs " institutionnels ", personnes morales disposant de moyens et de compétence avérés, à l'exclusion des " investisseurs avertis " simples personnes physiques, accréditées en raison de leurs compétences ou de leur fortune.

La " liste des catégories d'investisseurs qualifiés " serait définie par un règlement de la COB.

Par ailleurs, les organismes de placement collectif en valeurs mobilières se verraient considérés comme des investisseurs qualifiés. Cette précision est nécessaire si on souhaite autoriser certains OPCVM à bénéficier du régime du placement privé, puisque, d'une part, ils agissent toujours pour compte de tiers, et d'autre part, certains d'entre eux (les FCP notamment) n'ont pas la personnalité morale. C'est donc par dérogation à la définition générale que la loi les considérerait comme étant des investisseurs qualifiés.

2. La notion de cercle restreint d'investisseurs

Autant le dire tout de suite, la notion de cercle restreint d'investisseurs est un faux ami législatif , car elle vise moins la prise en compte d'un nombre restreint d'investisseurs que la qualité de ces investisseurs. C'est en effet l'épargne de proximité , ou " love money ", qui est visée ici, c'est à dire les investisseurs membres de la famille ou du réseau amical des dirigeants de l'entreprise. La notion de cercle restreint devrait même être abandonnée, si toutefois elle ne renvoyait pas à la notion de " cercle restreint de personnes " visée par le droit européen 29( * ) .

Cette notion est donc distincte de la précédente même si, en pratique, les investisseurs proches peuvent aussi être des investisseurs qualifiés. Mais elle en s'en rapproche, car elle prend en compte la nature des investisseurs, jugés, du fait de leur proximité de l'entreprise, de ses dirigeants ou de ses actionnaires, suffisamment informés pour ne pas avoir besoin des informations normalement exigées des sociétés faisant appel public à l'épargne.

Toutefois, cette interprétation ne transparaissait pas clairement dans le projet initial du Gouvernement, lequel prévoyait de renvoyer la définition de cette notion à un règlement de la COB. De surcroît, l'exposé des motifs du projet pouvait prêter à confusion puisqu'il indiquait que les rédacteurs du projet avaient souhaité viser " à la fois un nombre limité d'investisseurs, même non qualifiés, ou un nombre plus important d'investisseurs liés par des relations professionnelles, personnelles ou familiales. "

Mettant la lettre de la loi en accord avec l'exposé des motifs du projet, l'Assemblée nationale a décidé de fixer dans la loi la définition du cercle restreint d'investisseurs, comme étant un ensemble de personnes morales ou physiques, dont le nombre est inférieur à un seuil fixé par un règlement de la COB, ou dont le nombre est plus important, mais qui sont liées à l'émetteur par des relations professionnelles, personnelles ou familiales.

On observera au passage que la commission des finances de l'Assemblée nationale qui souhaitait fixer le seuil dans la loi, s'est opposée au Gouvernement qui a préféré renvoyer la détermination de ce seuil à la COB.

Quoiqu'il en soit, la combinaison astucieuse de la précision du seuil et de la souplesse du standard juridique (les investisseurs proches) permet de résoudre positivement le problème de l'APE passif.

En contrepartie, la discussion à l'Assemblée nationale a clairement montré que l'intention du Gouvernement était de ramener le seuil actuel de 300 personnes à 100 personnes. C'est en tout cas ce qu'a déclaré M. Dominique Strauss Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie pour qui : " le seuil de 100 paraît plutôt bien choisi , mais il se peut que la COB soit amenée à le faire évoluer pour parer aux risques qui peuvent se présenter. En fixant le seuil par la loi, et sachant qu'un texte peut prendre plusieurs mois pour passer au Parlement, nous serions incapables de suivre le rythme de la vie financière, d'où le renvoi au décret. Mais cela ne change rien à l'ordre de grandeur qui doit, me semble-t-il rester à peu près de cet ordre. Il n'y a aucune ambiguïté sur ce point " 30( * ) .

C. LA NOTE D'INFORMATION S'IMPOSANT À TOUTE PERSONNE FAISANT APPEL À L'ÉPARGNE PUBLIQUE

Le texte proposé par le paragraphe I du présent article pour le III de l'article 6 de l'ordonnance de 1967 précise l'obligation d'établir une note d'information pour les sociétés faisant appel public à l'épargne.

Le nouveau régime juridique de cette note d'information se distingue du précèdent sur trois points :

• Il n'y a plus de distinction entre le prospectus établi par les sociétés faisant appel public à l'épargne et celui des sociétés ayant décidé de faire coter leurs titres sur un marché réglementé. Cette suppression est bien venue, dans la mesure où toutes les sociétés faisant coter leurs titres entrent, par définition, dans le champ de l'APE ;

• Les modalités d'établissement du prospectus ne seront plus fixées par la loi mais par un règlement de la COB. L'actuel article 6 de l'ordonnance de 1967 dispose en effet que le document destiné à l'information du public doit être remis à toute personne dont la souscription est sollicitée ; qu'il doit être tenu à la disposition du public au siège social et dans tous les établissements chargés de recueillir des souscriptions et qu'en outre, en cas d'introduction sur un marché réglementé, il est également tenu à la disposition du public auprès de l'entreprise de marché qui en assure le fonctionnement.

Dans le projet du Gouvernement, il était prévu que le contenu même de ce document, qui porte sur " l'organisation, la situation financière et l'évolution de l'activité de la société ", soit renvoyé au règlement de la COB. L'Assemblée nationale a décidé, à juste titre, de maintenir les grandes lignes de ce contenu dans la loi.

Cette délégalisation, ainsi opportunément limitée, ne soulève pas de difficultés.

• Enfin, il est expressément prévu que le règlement précité de la COB prévoie les conditions dans lesquelles une personne morale cesse de faire appel public à l'épargne.

III. LES OBSERVATIONS DE VOTRE COMMISSION

Afin de pouvoir apprécier la réforme proposée, il semble nécessaire de revenir un instant sur l'utilité et le sens que revêt aujourd'hui la notion d'appel public à l'épargne.

A. L'UTILITÉ ET LE SENS DE LA NOTION D'APPEL PUBLIC

Cette notion ressortit à ce que l'on pourrait appeler la mission primitive de la COB : le contrôle de l'information financière délivrée aux investisseurs par les émetteurs de valeurs mobilières.

En 1967, ce contrôle a été mis en place dans le but d'apporter une meilleure protection aux investisseurs français (les " épargnants ") dans le but de diminuer leur méfiance traditionnelle à l'égard des placements en bourse . On peut y voir une sorte de consumérisme financier à ceci près qu'il dépasse la simple protection des consommateurs et participe à une politique d'orientation de l'épargne vers les placements à long terme.

Ce contrôle semble reposer initialement sur l'idée qu'existent deux sortes d'investisseurs. D'une part, le professionnel, (homme d'affaires, intermédiaire financier...) réputé être parfaitement averti du fonctionnement des sociétés et des marchés pour lequel aucune protection particulière ne s'impose. D'autre part, l'épargnant moyen, censé gérer ses économies en bon père de famille et dont l'épargne mérite une protection renforcée.

Cependant, cette distinction suppose de pouvoir donner une définition à la fois précise et souple de l'investisseur qualifié. Et c'est vraisemblablement pour contourner cette difficulté que les rédacteurs de l'ordonnance de 1967 n'ont pas recouru à une définition erga omnes, mais à un système de présomptions légales, laissant au juge (la COB n'existait pas encore) le soin de dégager une casuistique de l'appel public à l'épargne.

Par la suite, l'adjonction par la COB d'un critère quantitatif s'est avérée bienvenue afin de pouvoir laisser hors du champ des contraintes réglementaires les sociétés se finançant exclusivement par recours à l'épargne de proximité.

Trente plus tard, force est de constater que les données du problème ont considérablement évolué.

Tout d'abord, la protection des investisseurs passe désormais moins par le contrôle des émetteurs que par celui des intermédiaires (établissements de crédit, entreprises d'investissement, organismes de placement collectif) qui s'exerce aussi bien sur les marchés réglementés que sur les marchés de gré à gré. L'information financière, autrefois distribuée avec parcimonie par des sociétés soucieuses avant tout de confidentialité, est aujourd'hui devenue surabondante et, dans une certaine mesure inutile, du fait de l'essor des organismes de placement collectif dont l'utilité est, précisément, de permettre de gérer la surabondance d'informations.

Par ailleurs, la DSI a considérablement clarifié et harmonisé les catégories juridiques du droit financier, notamment, en introduisant la distinction fondamentale entre les marchés réglementés et ceux qui ne le sont pas.

Dès lors, la question pourrait se poser d'une disparition pure et simple de la notion d'APE, ne laissant plus subsister que la référence à la notion de marché réglementé. Sur ces marchés, les obligations d'information financière seraient renforcées et le contrôle de la COB maximum, alors que sur les autres marchés, obligations et contrôle pourraient être allégés.

Une telle évolution constituerait une simplification a priori séduisante. Mais elle introduirait un hiatus entre sociétés cotées et sociétés non cotées, alors qu'il semble au contraire important 31( * ) d'organiser un continuum juridique entre ces deux catégories de sociétés. En effet, si les contraintes imposées aux sociétés cotées étaient par trop importantes par rapport à celles pesant sur les sociétés non cotées, ces dernières n'auraient plus d'incitation à se faire coter. Les possibilités qu'ont les émetteurs d'arbitrer entre les différentes techniques de financement s'en trouveraient réduites et l'évolution naturelle des entreprises les plus dynamiques vers les marchés financiers serait entravée.

Or, précisément, la notion d'APE permet de répondre à cette préoccupation. En effet, elle permet de graduer la protection des investisseurs en introduisant un échelon intermédiaire entre le pur gré à gré et les marchés réglementés, surprotégés, mais auxquels n'ont accès que les grandes sociétés. Cette notion est donc toujours d'actualité.

Cependant, si la réforme proposée par le Gouvernement contient incontestablement des éléments positifs, elle recouvre également des zones d'ombre qu'il convient d'éclairer afin de se prononcer en connaissance des causes et des effets.

B. UNE RÉFORME IMPORTANTE MAIS COMPLEXE

La réforme proposée contient plusieurs améliorations, parmi lesquelles on relèvera la définition positive donnée de l'APE et celle du placement restreint.

Elle règle, pour l'avenir, le problème de l'APE passif, en attendant que le règlement de la COB apporte une solution à celui de la sortie de l'APE.

Par ailleurs, l'unification des prospectus d'information va incontestablement dans le bon sens et la délégalisation de certaines dispositions les concernant ne soulève plus de difficultés après que l'Assemblée nationale en a limité le champ.

Enfin, la question de l'appel public dissident est en partie résolue, dans un sens favorable aux actionnaires minoritaires, puisqu'il sera toujours possible à l'un d'entre eux d'obtenir que la société dont il est actionnaire passe sous le régime de l'APE, en organisant une plus grande diffusion des titres.

Néanmoins, plusieurs points appellent des observations plus détaillées.

1. Sur la définition de l'appel public à l'épargne

La nouvelle définition donnée par le présent article de l'APE réalise plusieurs changements de perspectives sur lesquels il semble nécessaire d'apporter quelques précisions.

a) L'utilité de dissocier le statut de l'opération d'APE de celui du statut de l'émetteur

Pour bien comprendre la portée du changement du point d'application de la définition, c'est à dire le passage d'une définition des " sociétés faisant appel public à l'épargne " à une définition de l' " appel public à l'épargne ", un bref retour en arrière s'impose.

Initialement, la loi de 1966 sur les sociétés commerciales, dont les dispositions doivent être lues avec l'article 1841 du code civil, ne prenait en compte que le statut des sociétés pouvant faire appel public à l'épargne :

- seules les sociétés commerciales peuvent faire appel public à l'épargne ;

- toutes les sociétés commerciales ne peuvent pas faire appel public à l'épargne 32( * ) ;

- celles d'entre elles qui le font, sont soumises à un certain nombre d'obligations permanentes, dont la plus significative est l'exigence renforcée en fonds propres.

Cette conception était sous-tendue par l'idée que la protection de l'épargne publique reposait avant tout sur la qualité des émetteurs habilités à solliciter cette épargne.

Cependant, dès 1967, l'ordonnance portant création de la COB prit en compte la notion d'opérations d'appel public à l'épargne, auxquelles elle attacha des obligations spécifiques, dont la plus importante est la note d'information soumise au visa de la COB. Il s'agit là d'une conception de la protection de l'épargne publique sensiblement différente de la précédente et selon laquelle les investisseurs peuvent prendre les risques, mais à condition d'en être informés.

Ainsi se trouvait établie une dissociation entre le statut de l'émetteur (les obligations permanentes) et celui de l'opération (les obligations ponctuelles).

Cette dissociation s'est trouvée renforcée, d'une part, par les directives européennes 33( * ) , qui ne prennent en compte que les " opérations " d'offre publique et, d'autre part, par le fait que le législateur a autorisé toute une série d'intervenants, autres que les sociétés commerciales, à faire appel public à l'épargne (OPCVM, SCPI, collectivités territoriales...).

Ce changement de perspective, resté sans traduction dans notre droit positif, avait engendré les insatisfactions que l'on sait (voir supra ) puisque, bien que toujours lié à la notion de sociétés commerciales, l'APE pouvait s'appliquer à des opérations que ces sociétés n'avaient pas l'intention de placer sous ce régime (APE dissident, APE passif).

La réforme proposée opère donc une clarification justifiée des notions en distinguant bien :

- le statut des opérations dont la définition est donnée, fort logiquement, dans l'ordonnance de 1967 ;

- et le statut des émetteurs, qui reste régi par les dispositions spécifiques les concernant (loi de 1966 sur les sociétés commerciales, loi de 1988 sur les OPCVM...).

Toutefois, d'un point de vue pratique, elle laisse inchangé le champ d'application de l'APE et tout au plus, peut-on considérer qu'elle ouvre la porte à un allégement des obligations permanentes pesant sur les émetteurs.

Il en va de même s'agissant de l'introduction de la notion d'instruments financiers dans la définition de l'APE.

b) L'utilité de la prise en compte des instruments financiers

Le passage d'une définition prenant en compte uniquement les titres émis par les sociétés, qu'il s'agisse des titres de créance ou de capital, à une définition portant sur les instruments financiers, fait entrer dans le champ de l'APE :

- les actions ou parts d'organismes de placement collectif (SICAV et FCP) ;

- les instruments financiers à terme ;

- les titres de créances négociables, émis par des personnes autres que les sociétés commerciales (bons du trésor et effets publics à court terme).

Ce changement de perspective est lui aussi, sans grande réelle portée pratique.

En effet, les OPCVM sont déjà soumis à la réglementation de l'APE du fait du critère quantitatif - et obéissent de surcroît à une réglementation spécifique, plus contraignante que pour les sociétés commerciales.

Concernant les instruments financiers à terme, la notion d'appel public n'a à vrai dire pas de sens (ceux d'entre eux qui sont cotés ne sont en général pas émis par des sociétés commerciales et les autres, par exemple les swaps de devises, ne concernent que des opérations entre professionnels) ; de surcroît ils font l'objet d'une réglementation spécifique (loi financière et loi de 1885 sur les marchés à terme).

Enfin, les titres de créance négociables font déjà l'objet d'une réglementation spécifique.

Il s'agit donc là encore d'une clarification conceptuelle, sans grande portée pratique. Tout au plus, ce changement de perspective aura une importance dans la perspective de la cotation des parts ou actions d'OPCVM, à l'instar de ce qui existe déjà en matière de fonds communs de créance.

c) Le passage d'une conception quantitative à une conception qualitative de l'APE et les relations entre l'APE et le placement restreint

La prise en compte par la COB d'un seuil permettant de distinguer les opérations d'appel public à l'épargne, des autres opérations, avait sans aucun doute le mérite de la simplicité. Mais il était de nature à introduire une confusion sur les justifications du contrôle, confusion dont le présent article garde encore la trace.

En effet, ce n'est pas parce que les investisseurs sont en nombre " restreint " qu'ils ne justifient pas d'une protection particulière ; mais parce que ce nombre " restreint " est considéré comme étant un bon indicateur de leur proximité avec l'émetteur et donc de leur connaissance des risques qui entourent l'opération à laquelle ils participent.

Dès lors, il apparaît beaucoup plus satisfaisant de prendre directement en compte, comme critère de l'APE, la qualité de ces investisseurs soit qu'ils aient une compétence professionnelle avérée (placement privé), soit qu'ils connaissent personnellement l'émetteur (cercle restreint).

Dans cette optique, le placement restreint ne s'oppose pas à la notion de placement public, mais en constitue une sorte d'exception, comme le montre le schéma ci-dessous.



L'articulation de ces notions serait donc la suivante :

- le principe est celui de la liberté pour les opérations de pur gré à gré ;

- les opérations d'APE sont soumises à une réglementation spécifique en termes d'information financière ;

- toutefois, lorsqu'elles s'adressent à des investisseurs qui ont la compétence nécessaire pour juger des risques inhérents à l'opération ou qui sont suffisamment proches des actionnaires ou des dirigeants de la société émettrice pour disposer d'une information suffisante, les règles spécifiques de l'APE ne s'appliquent pas.

d) L'absence de réforme du démarchage

Enfin, il convient de souligner que la nouvelle définition de l'APE continuera toujours de souffrir d'imprécision tant que la notion de démarchage financier , qui est un de ses éléments constitutifs, ne sera pas mieux définie 34( * ) .

Comme le souligne, à juste titre, le rapporteur général de l'Assemblée nationale, M. Didier Migaud, : " le présent article est l'occasion d'affirmer, une fois de plus, la nécessité de réformer le cadre du démarchage financier, qui est régi par des textes anciens, et qui impose des règles différentes selon les secteurs d'activité, le statut des intervenants, et les techniques de commercialisation dont les plus modernes ne sont pas prises en compte. La réforme du démarchage financier, véritable " serpent de mer " depuis plusieurs années, reste d'actualité. "

A cet égard, il convient de rappeler que la Commission des finances du Sénat, dans son rapport n° 340 du 28 juin 1995 sur la proposition de loi n° 225 du 19 janvier 1995 relative à l'activité et au contrôle des entreprises d'investissement et portant transposition de la DSI, avait proposé un ensemble de dispositions législatives (onze articles) portant réforme du démarchage financier, mais que ces dispositions n'avaient pas finalement été retenue dans la loi financière, le Gouvernement préférant approfondir la concertation de place sur ce sujet, approfondissement visiblement toujours en cours nonobstant l'empilement des rapports sur la question.

Cette réforme n'est pas dirimante pour ce qui concerne la frontière entre les opérations de placement restreint et celles d'appel public à l'épargne, mais elle semble nécessaire pour établir avec suffisamment de précision la frontière entre ces dernières et les opérations de pur gré à gré.

2. Sur la notion de placement restreint

Même si l'on doit saluer l'apparition de la notion " d'investisseurs qualifiés ", à côté de celle de " cercle restreint d'investisseurs ", qui constitue effectivement une nouvelle zone de liberté, force est de constater que la définition de ces deux nouveaux concepts juridiques peut être améliorée.

a) La notion d'investisseurs qualifiés

On observera tout d'abord que la définition donnée est, en partie, tautologique, ou plus exactement téléologique. En effet, définir les investisseurs qualifiés comme étant ceux qui disposent " des compétences et des moyens (leur) permettant de réaliser des transactions sur instruments financiers sans bénéficier de la protection conférée (par la loi) " revient à confondre la cause et les effets. C'est précisément pour ne pas faire bénéficier certains investisseurs de la protection accordée par la loi, que le législateur a recours à la notion d'investisseurs qualifiés.

Ceci étant, et selon les informations fournies à votre rapporteur, cette catégorie des investisseurs qualifiés est susceptible de recouvrir deux sous-catégories :

- les investisseurs professionnels , qui exercent un métier en relation directe avec les services d'investissement et qui disposent pour ce faire d'un agrément délivré par les pouvoirs publics. Il s'agit essentiellement des établissements de crédit, des entreprises d'investissement et des entreprises d'assurance. Entrent également dans cette catégorie, les institutions sui generis comme la Banque de France, le Trésor public, les Services financiers de La Poste ou la Caisse des dépôts et consignations ;

- les investisseurs quasi professionnels , qui tout en n'étant pas titulaires d'un agrément en relation avec les services d'investissement, disposent néanmoins de la compétence et des moyens nécessaires pour appréhender les risques inhérents aux opérations financières. Sont susceptibles d'entrer dans cette catégorie les grandes entreprises, cotées ou non cotées, qui disposent de services financiers et juridiques étoffés, mais aussi les caisses autonomes de Sécurité sociale et les mutuelles du code de la mutualité.

b) La notion de cercles restreints d'investisseurs

La rédaction proposée par l'Assemblée nationale est sans aucun doute plus précise que celle du Gouvernement et permet de régler le problème de l'APE passif. Néanmoins, elle est de nature à introduire la confusion, en laissant penser que coexistent une notion quantitative - le cercle restreint - et une notion qualitative - l'investisseur proche - alors qu'en réalité, il s'agit toujours d'appréhender la même réalité : les investisseurs proches de l'entreprise et que le seuil ne sert qu'à présumer de la proximité afin de rendre la loi plus facilement applicable.

En outre, la rédaction proposée par l'Assemblée nationale, après avoir défini la notion de cercle restreint, renvoie à un règlement de la COB le soin de " définir (...) le cercle restreint d'investisseurs ". Cette redondance des définitions est révélatrice d'une confusion des techniques normatives :

- soit il est possible de donner une définition opératoire de l'investisseur proche, et auquel cas il convient de l'inscrire dans la loi, sauf à donner à la COB, la maîtrise de sa compétence ;

- soit au contraire, une telle définition est trop difficile à donner et dans ce cas, il convient de se contenter de poser le standard dans la loi et de laisser au juge (ou à la COB, mais en renvoyant à son pouvoir de décision et non pas à son pouvoir de réglementation) le soin de la préciser au cas par cas.

Assigner à la COB la responsabilité de définir la notion d'investisseur proche revient donc soit à lui confier une mission impossible, soit à dessaisir le législateur de façon injustifiée.

c) Les relations entre les deux notions

Deux questions se posent de ce point de vue :

- faut-il intégrer les investisseurs qualifiés dans le décompte du cercle restreint ?

- la définition d'un seuil pour le cercle restreint ne rend-elle pas inutile le recours à la notion d'investisseurs qualifiés ?

S'il est possible de répondre par la négative à la seconde question (on peut en effet imaginer des marchés réglementés réservés aux seuls investisseurs qualifiés), en revanche, il est impossible d'apporter une réponse à la première question. Il serait donc souhaitable de rendre la loi plus claire sur ce point.

Ces diverses observations conduisent votre commission à vous présenter plusieurs modifications du texte proposé, afin de préciser les notions d'investisseurs qualifiés et de cercle restreint.

Par ailleurs, il semblerait souhaitable, en tout état de cause, d'écarter du démarchage l'application aux opérations réalisées entre investisseurs qualifiés.

Décision de votre commission : votre commission vous propose de modifier le présent article.

ARTICLE 26

Passage à l'euro de la comptabilité des organismes de placement collectif en valeurs mobilières

Commentaire : le présent article tend à faciliter l'adaptation de la comptabilité des organismes de placement collectif en valeurs mobilières, et notamment celle des fonds communs de placement, à la monnaie unique.

L'ensemble des marchés financiers français basculeront à l'euro dès le début de la troisième phase de l'Union économique et monétaire, soit, en pratique, le 4 janvier 1999.

Ce passage rapide à l'euro, souhaité par les professionnels, aura des répercussions importantes sur les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), puisque ceux-ci sont eux-mêmes composés d'un ensemble d'instruments financiers (actions, obligations, titres de créances...).

Ainsi, l'essentiel des titres détenus par les OPCVM seront libellés en euros à partir du 4 janvier 1999.

Dès lors, la question se pose de savoir si les parts ou actions d'OPCVM seront elles-mêmes libellées en euros.

A vrai dire, la question ne se pose pas pour les OPCVM dont la comptabilité est actuellement tenue en francs. Pour ceux-là, conserver une comptabilité en francs alors que les actifs sous-jacents sont libellés en euros imposerait un nombre considérable de conversions, entraînerait des coûts de gestion considérables et se heurterait de fait à de grandes difficultés.

En revanche, cette question se pose pour les OPCVM qui, conformément à l'article 32 de la loi n° 88-1201 du 23 décembre 1988 35( * ) ont établi leur comptabilité dans une monnaie autre que le franc et qui devront modifier leurs statuts (pour les SICAV) ou leur règlement (pour les FCP) s'ils souhaitent changer d'unité monétaire.

S'agissant des SICAV , ces modifications ne soulèvent guère de difficulté. Ce sont, en effet, des sociétés commerciales régies par la loi de 1966, et le changement d'unité monétaire relèvera de la volonté des seuls actionnaires, réunis en assemblée générale.

En revanche, s'agissant des fonds communs de placement , la modification du règlement peut se heurter à des difficultés plus sérieuses.

Selon l'article 11 de la loi du 23 décembre 1988, ils sont constitués à l'initiative conjointe d'une société de gestion ou de gestion de portefeuille, et d'une personne morale, dépositaire des actifs du fonds. Le règlement du fonds est ensuite soumis à l'approbation de la Commission des opérations de bourse (COB).

C'est pourquoi, afin de rendre le choix de l'unité monétaire plus facile dans le cas des FCP, le présent article prévoit, par dérogation au droit commun, de donner aux sociétés de gestion de tels fonds, et à elles seules, le pouvoir de modifier unilatéralement le règlement afin de décider si les documents comptables seront ou non établis en euros.

L'Assemblée nationale a adopté un amendement étendant aux fonds communs de créances les dispositions proposées par le présent article.

On remarquera que la rédaction proposée ouvre deux possibilités aux sociétés de gestion. Soit le nouveau règlement mentionnera expressément l'euro comme l'unité utilisée pour la comptabilité du fonds, soit aucune référence ne sera faite à une unité monétaire donnée, ce qui permettra bien évidemment d'utiliser l'euro à la suite d'une simple décision de gestion.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter le présent article sans modification.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page