2. La contestation internationale du marché de la banane
Parallèlement au recours de l'Allemagne devant la Cour de Justice, le marché de la banane a été contesté au niveau du cercle des pays adhérant aux règles du commerce mondial (tout d'abord représentés au sein de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, puis par l'Organisation mondiale du Commerce) avant même l'entrée en vigueur de la nouvelle organisation commune de marché de la banane et de façon récurrente, jusqu'à l'avis rendu par le panel le 29 avril 1997. Ce « panel » est le premier à mettre en oeuvre les nouvelles règles sur le règlement des différends de l'OMC dans le contentieux international de la banane.
a) La condamnation des régimes d'importation selon les règles du GATT
Avant les rapports du panel d'avril 1997, le marché de la banane avait déjà donné lieu à deux séries de plaintes devant le GATT. La première portait sur l'ancien régime d'approvisionnement du marché communautaire, et la seconde sur le nouveau système mis en place à partir du 1er juillet 1993.
Ce sont d'abord les systèmes nationaux organisant le marché de la banane qui ont été condamnés par le rapport du 3 juin 1993 sur la requête de la Colombie, du Costa Rica, du Guatemala, du Nicaragua et du Venezuela. Le « panel » a, en effet, conclu à la condamnation de certains régimes nationaux en raison de l'existence de restrictions quantitatives à l'importation et de tarifs préférentiels en faveur des bananes ACP. D'autre part, le groupe spécial a conclu à l'incompatibilité des préférences tarifaires accordées par la CEE aux importations de bananes originaires des pays ACP avec les dispositions de l'article I du GATT. Ce rapport n'a cependant pas été entériné par le Conseil du GATT.
C'est ensuite l'OCMB qui a fait l'objet d'une condamnation par le rapport du 11 février 1994. Le « panel » a reconnu néanmoins certains des arguments de la CEE. En effet, il a admis que le contingent tarifaire à l'importation de bananes n'était pas incompatible avec les articles XI et XIII du GATT, et que les formalités liées à l'importation de bananes n'étaient pas incompatibles avec l'article VIII.
Par ailleurs, le groupe spécial a condamné le règlement 404/93 sur les points relatifs aux droits de douane, au système de préférences et aux certificats d'importation. Le « panel » a considéré, d'une part, que les droits spécifiques perçus à l'importation de bananes par la CEE étaient incompatibles avec l'article II du GATT. D'autre part, il a été jugé que les droits préférentiels accordés par la CEE pour les bananes en provenance des pays ACP étaient incompatibles avec l'article I et ne pouvaient pas être justifiés par l'article XXIV du GATT . Enfin l'attribution préférentielle du contingent tarifaire aux importateurs qui achètent des bananes ACP et communautaires a été considéré comme incompatible avec les articles I et III.
Finalement, un compromis a été trouvé entre la Commission et quatre pays latino-américains (la Colombie, le Costa Rica, le Nicaragua, le Venezuela) ainsi qu'un pays ACP (la République dominicaine). Ce compromis a abouti lors des négociations des accords de Marrakech à la conclusion d'un « accord-cadre », dont le texte est annexé au document final du GATT. Selon cet accord, et en échange de l'assurance pour la Commission que les Etats signataires n'attaqueront pas à nouveau l'OCMB devant le GATT jusqu'en 2003, le contingent tarifaire pour les bananes non traditionnelles ACP et pour les bananes pays tiers passe de 2 millions de tonnes à 2,1 millions en 1994 et 2,2 millions en 1995. En outre, les droits de douane sont réduits de 100 à 75 écus par tonne. Les Etats signataires sont ainsi en mesure de se partager 49,4 % du contingent global à taux réduit. De plus, l'Union européenne s'est vue accorder au mois de décembre de l'année 1994 une dérogation sur la base de l'article XXV.5 du GATT jusqu'en février 2000 pour les dispositions commerciales de la convention de Lomé.
Cependant, à la suite de la signature de l'accord-cadre, les Etats latino-américains non signataires et les Etats Unis non satisfaits par le partage établi, ont engagé un type de procédure jamais encore conduit à son terme, qui met en oeuvre le nouveau mécanisme de règlement des différends de l'OMC.
b) La condamnation de l'OCMB sur la base de l'OMC
La demande de constitution d'un panel devant l'OMC a émané de quatre pays d'Amérique latine : le Guatemala, le Honduras, le Panama et l'Equateur, avec le soutien des Etats-Unis. L'Organisme de règlement des différends (ORD) a donc établi à leur demande, le 8 mai 1996, un groupe spécial chargé d'examiner leurs plaintes et les parties ont été entendues à partir du mois de septembre 1996.
Comme précédemment, les pays latino-américains ont fait valoir à l'appui de leur demande, l'incompatibilité, du régime communautaire introduit par le règlement 404/93 avec un certain nombre de dispositions de GATT.
Les pressions des multinationales américaines et du Gouvernement américain ont été particulièrement fortes dans le contexte général de ce panel. Ce Gouvernement a ainsi pu notifier à la Commission européenne, sur la requête de la firme Chiquita Brands International, des menaces de représailles unilatérales à l'encontre de l'Union européenne sur la base de la section 301 de la loi américaine générale de 1988 sur le commerce et la compétitivité. Les Etats Unis ont ouvert une procédure d'enquête concernant l'incidence de l'OCMB sur les intérêts commerciaux et économiques américains. Les règles de l'OMC n'autorisent pas néanmoins le recours à des mesures de rétorsion avant la fin des travaux de l'ORD.
La défense principale de l'Union européenne a consisté à souligner la situation des pays de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique et leur nécessaire stabilité. Elle a porté également sur des éléments plus juridiques tendant notamment à s'interroger sur la capacité des Etats-Unis à intervenir, étant donné que la production de bananes y est faible et que ce pays n'exporte pas directement de bananes. En outre, la Commission s'est interrogée sur la non-applicabilité de l'accord sur les procédures de licences d'importation aux contingents tarifaires et sur la supériorité des dispositions de l'accord sur l'agriculture par rapport aux règles générales du GATT.
Les pays ACP, admis à intervenir lors des consultations et des audiences, se sont fondés sur l'argument principal de la Communauté en rappelant l'importance de l'organisation actuelle du marché des bananes pour leur stabilité économique. Ils ont également justifié leur traitement privilégié, qui fait principalement l'objet de la contestation, par l'existence de la convention de Lomé, et par la dérogation aux règles du GATT obtenue en 1994.
Le groupe spécial a suivi les conclusions du rapport intérimaire du 18 mars 1997, en considérant, dans quatre rapports du 29 avril 1997, que l'OCMB était en contradiction avec certaines règles du commerce international.
C'est principalement l'allocation de licences d'importation aux opérateurs de la catégorie B, créant une incitation à acheter des bananes traditionnelles ACP, qui a été mise en cause par le groupe spécial. Comme le rapport de 1994 l'avait constaté, le panel de 1997 est d'avis que le fait d'attribuer 66,5 % du contingent tarifaire aux opérateurs qui ont commercialisé des bananes des pays tiers ou non traditionnelles ACP ne peut compenser ou justifier l'incompatibilité du régime des certificats avec les articles III.4 et I.1 du GATT. Le groupe spécial a, en outre, considéré que l'allocation de quotas préférentiels aux pays ACP et aux pays signataires de l'accord-cadre sur les bananes était contraire aux dispositions de l'article XIII.1 selon lequel aucune prohibition ou restriction ne sera appliquée par une partie contractante à l'importation d'un produit originaire du territoire d'une autre partie contractante. Néanmoins, cette contrariété était couverte, a estimé, le panel, par la dérogation accordée à l'Union européenne et aux Etats ACP en décembre 1994, pour autant que la part du contingent tarifaire applicable aux bananes ACP n'excède pas le meilleur chiffre des exportations de ces pays vers la CEE effectuées avant 1991.
Le groupe spécial a considéré surtout que l'OCMB était en contradiction avec les règles du GATS 19 ( * ) et spécialement avec l'article XVII et II, tant dans sa globalité qu'en ce qui concerne l'attribution de certificats « tempête ». Il n'a ainsi pas retenu l'objection soulevée par l'Union européenne selon laquelle le marché communautaire de la banane régissait des marchandises et non des services, et n'avait en toute hypothèse que des répercussions indirectes sur les activités des fournisseurs de services. Il a suivi les conclusions des plaignants qui faisaient valoir que l'allocation d'un bien pouvait avoir des répercussions sur l'ensemble des activités de service des opérateurs, aussi bien au niveau de la production, de la distribution, du marketing, de la vente ou de la livraison.
Si cette décision de l'OMC ne remet pas en cause l'équilibre général de l'OCMB, elle est néanmoins un précédent auquel il convient d'être particulièrement attentif, compte tenu des décisions des premiers panels du GATT qui étaient très négatifs pour l'OCMB.
* 19 Accord international sur les services.