C. LA CONTESTATION DU MARCHÉ DE LA BANANE ET LA CONDAMNATION DE L'UNION EUROPÉENNE PAR L'OMC
La contestation de l'OCMB a été initiée par les plaintes de puissantes compagnies américaines, au premier rang desquelles la société Chiquita Brands. Avant même l'entrée en vigueur du règlement 404/93, des recours ont été intentés simultanément devant les juridictions nationales et communautaires, ainsi que devant les instances juridictionnelles du GATT puis de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) contre le régime de préférences tarifaires accordé par la Communauté européenne aux pays signataires de la Convention ACP.
1. La contestation de la réglementation du marché de la banane au sein de la Communauté
a) La contestation devant la CJCE
Suite à l'entrée en vigueur de l'OCMB, l'Allemagne a donc été contrainte de payer plus cher les bananes importées. Par requête déposée, le 14 mai 1993, elle a demandé l'annulation du titre IV du règlement (CEE) n° 404/93 fixant le régime des échanges avec les pays tiers et l'article 21, paragraphe 2 de ce règlement supprimant le contingent tarifaire relatif aux importations de bananes prévu par un protocole annexé à la convention d'application relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté (art. 136 du traité CE). Puis, par acte séparé, déposé le 19 mai 1993, elle a demandé à la Cour de Justice des Communautés européennes de l'autoriser, en attendant que celle- ait statué au principal, à importer en franchise de droits de douane des bananes originaires de pays tiers (au sens de l'article 15, point 3 du règlement) dans les mêmes quantités annuelles qu'en 1992 18 ( * ) .
La Cour a rejeté le recours par un arrêt du 5 octobre 1994 en affirmant pour la première fois la légalité de l'OCMB, la primauté de la PAC sur la politique de la concurrence, la légitimité des objectifs d'intérêt général communautaire et l'inapplication directe des dispositions de l'Accord du GATT.
A plusieurs reprises (arrêts Atlanta du 9 novembre 1995, T. Port du 26 novembre 1996, Comafrica SpA et Dole Fresh Fruit Ltd du 11 décembre 1996), la Cour de Justice a confirmé la validité des règlements communautaires pris dans le cadre du marché communautaire de la banane . La cour s'est également prononcée dans le même sens face à un recours du Gouvernement des Pays-Bas contre la Commission (7 octobre 1996).
Par la suite, l'Allemagne a demandé à la Cour de justice de se prononcer sur la compatibilité au droit communautaire de l'accord-cadre conclu à l'issue du cycle de l'Uruguay-round par la Communauté avec la Colombie, le Costa-Rica, le Nicaragua et le Venezuela. La CJCE, dans un avis du 13 décembre 1995, a débouté à nouveau le requérant.
b) La contestation devant les juridictions nationales
Non satisfaits de la sentence communautaire, des importateurs allemands se sont tournés vers leurs tribunaux pour faire reconnaître la violation du droit à la protection de la propriété privée par le droit communautaire en raison des risques économiques que leur fait courir l'OCM, et ont insisté à nouveau sur la violation des règles du GATT, selon eux supérieures aux normes communautaires.
Après avoir été déboutés à de nombreuses reprises, un tournant s'est opéré dans la jurisprudence à partir de l'ordonnance du 25 janvier 1995, rendue par la Cour constitutionnelle de Kalsruhe . Celle-ci a jugé que les tribunaux allemands devaient protéger les droits fondamentaux des importateurs dont la situation financière serait menacée par la législation communautaire. Dans un second jugement du 26 avril 1996, faisant lui-même suite à un arrêt de la Cour fédérale des finances du 9 janvier 1996 et précédant un autre jugement du tribunal administratif de Francfort du 24 octobre 1996, l'Allemagne s'est en définitive partiellement exonérée elle-même de certaines des obligations de l'OCMB.
Un certain nombre de commentateurs ont souligné que, au-delà de l'organisation du marché de la banane en Europe, ces jugements allaient permettre aux juridictions allemandes d'examiner la validité d'actes juridiques communautaires dans des conditions pouvant conduire à atténuer la primauté du droit communautaire. Dans le cas particulier de l'OCMB, cette possibilité a déjà conduit les cours administratives allemandes à prendre des mesures de référé enjoignant aux autorités allemandes de délivrer des certificats d'importation supplémentaires pour préserver les droits des importateurs de bananes.
La contestation de l'organisation commune du marché de la banane s'est finalement cristallisée sur la préférence commerciale accordée à quelques pays sur la base du système de la licence B. La majorité des critiques s'est focalisée sur les profits supposés par des opérateurs européens, sans jamais prendre en compte le fait que le système instauré visait à compenser la différence importante des coûts de production et de commercialisation entre les différentes zones de production. L'on va alors retrouver devant les instances commerciales internationales de règlement des conflits, les mêmes arguments, mais développés par de nouveaux requérants.
* 18 Revue de droit rural - n° 254, juin-juillet 1997. Article de M. Joël Boudant, p. 339