2. L'organisation commune du marché de la banane
Les préparatifs et les négociations antérieurs à l'entrée en vigueur de l'organisation commune ont été relativement longs et difficiles 9 ( * ) . La mise en place de l'OCMB a montré très tôt que la grande complexité du nouveau système et la remise en cause d'avantages financiers longtemps incontestés allaient inévitablement entraîner des contestations.
a) La préparation de l'OCMB
Pendant plus de vingt-cinq ans, la Communauté a donc connu un régime « transitoire » durable dans le secteur de la banane. Ce n'est qu'à partir de 1989 que les travaux de réflexion menés par les institutions européennes se sont développés avec la création d'un groupe interservices des directions générales de la Commission. Cependant, jusqu'en 1992, l'avenir de la banane paraissait encore incertain 10 ( * ) . Les discussions n'ont réellement débuté qu'après la publication de la proposition de la commission le 7 août 1992. Par la suite, de nombreuses instances -nationales, communautaires ou internationales- ont apporté leur contribution à ces réflexions. Il devenait, en effet, urgent dans la perspective du marché unique au 1er janvier 1993 de prévoir la suppression des obstacles à la libre circulation de toutes les marchandises entre les Etats membres de la Communauté.
Plusieurs impératifs, parfois contradictoires, ont dû être conciliés : l'écoulement des bananes communautaires et ACP, le respect des règles du GATT et le maintien de prix équitables pour les consommateurs.
Trois options paraissaient envisageables :
- la création d'un marché intérieur libre, mais avec une application d'un tarif extérieur commun de 20 %, soit sur toutes les bananes, soit sur les « bananes dollars » uniquement ;
- la mise en place d'un mécanisme de soutien des prix, les producteurs communautaires et ACP percevant une aide financière en fonction de l'état du marché ;
- l'établissement de quotas à l'importation, chaque zone de production se voyant réserver une portion du marché communautaire.
Finalement, après la publication des dernières propositions pour l'établissement d'un marché commun de la banane par la Commission européenne en août 1992, le Conseil a adopté en février de l'année suivante le règlement portant organisation du marché commun de la banane 11 ( * ) , contre l'opinion de la République Fédérale d'Allemagne, de la Belgique et des Pays-Bas 12 ( * ) . Ce n'est que sous la menace de certains Etats membres, dont la France, de cesser tous travaux au Conseil, que l'organisation commune du marché a finalement été adoptée.
L'entrée en vigueur de ce règlement a été précédée par une phase d'adaptation des opérateurs multinationaux aux nouvelles conditions du marché mises en place par l'OCM . Ainsi, de 1991 à 1993, les importations de bananes dans l'Union européenne se sont accrues fortement, non en raison d'une augmentation de la demande des consommateurs européens, mais du fait de la stratégie des multinationales qui ont surapprovisionné le marché en « bananes dollars » afin de consolider leurs positions commerciales en Europe. Il s'agissait, pour les opérateurs américains, d'accroître leurs volumes d'importation qui devaient éventuellement servir de référence pour le calcul des attributions des futures licences d'importation prévues par le nouveau règlement. Ces augmentations ont entraîné une baisse brutale du prix de détail des bananes et une hausse concomitante de leur consommation. Dès lors, les différents opérateurs pouvaient attendre l'entrée en vigueur du nouveau règlement régissant le marché de la banane.
b) Le mécanisme de l'OCMB
Le règlement n° 404/93 portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane du 13 février 1993 13 ( * ) a mis en place un système de normes communes de qualité et de commercialisation de bananes (titre I), des règles régissant les organisations de producteurs et des mécanismes de concertation (titre II), un régime des aides à la production (titre III) et enfin un dispositif réglant des échanges avec les pays tiers (titre IV).
Sur le terrain strictement communautaire, le règlement 404/93 favorise une production plus efficace par la mise en place de garanties pour le consommateur, d'une part, et d'un soutien pour le producteur, d'autre part.
Ainsi, selon la réglementation en vigueur, des normes communes de qualités sont requises « afin de permettre l'approvisionnement du marché en produits de qualité homogène et satisfaisante dans le respect des particularités et des différentes variétés produites et d'assurer l'écoulement des produits communautaires à des prix rémunérateurs garantissant une recette adéquate ».
En outre, des organisations de producteurs 14 ( * ) et des associations de producteurs, dont la création est favorisée notamment par l'octroi d'aides au démarrage de la part des Etats membres, sont constituées en vue de réaliser des actions d'intérêt commun, d'assurer une meilleure connaissance du marché, de réduire la dispersion de l'offre et de promouvoir l'amélioration qualitative de la banane. Les organisations de producteurs doivent respecter en contrepartie un certain nombre de règles et de principes pour fonctionner et, le cas échéant, bénéficier de la croissance des Etats membres.
De plus, au-delà de la protection accordée dans le cadre des programmes opérationnels (établis en conformité avec la gestion des fonds structurels), un soutien est garanti aux producteurs . En effet, le régime des aides prévoit une aide compensatoire à la perte de recettes aux producteurs communautaires, dans la limite d'un quota global de 854.000 tonnes (réparti par régions productrices), calculée sur la base de la différence entre la « recette forfaitaire de référence » et « la recette à la production moyenne » , c'est-à-dire entre le prix de vente moyen et le prix de vente effectif. Le régime des aides prévoit, enfin, une prime à la cession de la culture de la banane pour les exploitants renonçant à effectuer toute plantation de bananiers pendant vingt ans à partir de l'année d'arrachage.
Sur le plan des échanges avec les pays tiers, le règlement 404/93 prévoit un code des relations entre producteurs, ou plutôt entre zones de production.
S'agissant des contingents d'importation , le règlement a fixé en annexe les seuils pour chaque catégorie de bananes importées.
Pour la catégorie dite des bananes traditionnelles ACP, c'est-à-dire les bananes exportées par les fournisseurs ACP traditionnels de la Communauté, la quantité est fixée à 857.700 tonnes par an.
Pour les bananes non traditionnelles ACP, c'est-à-dire les bananes exportées par les fournisseurs ACP au-delà de la quantité de 857.700 tonnes, et les bananes pays-tiers, c'est-à-dire les bananes exportées par les autres pays tiers, dites aussi « bananes dollars », le contingent tarifaire était initialement fixé à 2 millions de tonnes par an 15 ( * ) .
Dans le cadre de ce contingent, le droit de douane est nul pour les bananes ACP non traditionnelles, alors qu'il est fixé à 100 écus par tonne pour les « bananes dollars » 16 ( * ) . En cas de dépassement du contingent, les importations non traditionnelles ACP doivent acquitter un droit de 750 écus par tonne et celles des pays tiers un droit de 850 écus par tonne.
Ce contingent est encore réparti entre trois catégories d'opérateurs et trois types de sources d'approvisionnement.
D'une part, la Commission délivre des licences d'importation à trois catégories d'opérateurs sur la base des quantités de bananes commercialisées durant trois années de référence :
- 66,5 % du contingent sont attribués aux opérateurs qui ont commercialisé des bananes des pays tiers et/ou non traditionnelles ACP (dits « opérateurs de la catégorie A) ;
- 30 % aux opérateurs qui ont commercialisé des bananes communautaires et/ou traditionnelles ACP (dits « opérateurs de la catégorie B ») ;
- 3,5 % aux nouveaux opérateurs sur le marché de la banane, autre que communautaire et traditionnelle ACP (dits « opérateurs de la catégorie C »).
D'autre part, la réglementation communautaire a instauré en 1994 une répartition du contingent tarifaire par origine à la suite de la conclusion de l'accord-cadre sur les bananes annexé aux accords de Marrakech du 15 avril 1994. Désormais, un peu moins de 50 % du contingent tarifaire sont alloués aux quatre pays latino-américains signataires de l'accord -cadre sur les bananes ; un peu plus de 50 % reviennent aux bananes des pays-tiers non signataires du compromis ; enfin les 90.000 tonnes du contingent restant sont réservées aux ACP, qui sont donc très défavorisés par l'accord 17 ( * ) .
Le règlement prévoit, de plus, en cas de perturbations graves ou de menace de perturbations dues à des importations ou des exportations, que « des mesures appropriées peuvent être appliquées dans les échanges avec les pays-tiers ». Ces mesures dites de sauvegarde, à l'initiative de la Commission ou d'un Etat membre, qui peuvent aller de la suspension des importations ou des exportations à l'instauration d'un prélèvement à l'exportation, sont immédiatement applicables une fois adoptées.
Un bilan du fonctionnement de l'OCM depuis quatre ans paraît difficile à réaliser, tant il est controversé. Il semble néanmoins incontestable que l'OCM ait permis l'émergence d'un marché unique au sein de l'Union européenne, à travers une augmentation des flux d'importation, un décloisonnement progressif des marchés nationaux, une convergence des prix à l'importation, ainsi que l'amorce d'un mouvement de concentration des entreprises du secteur bananier.
Sur un plan plus théorique, il est indéniable que la philosophie générale de la nouvelle réglementation européenne portant organisation du marché de la banane va dans le sens d'une préférence communautaire non dissimulée, justifiée par la précarité de la production communautaire et par les engagements pérennes de la Communauté à l'égard des pays signataires de la convention de Lomé. C'est probablement cette préférence communautaire qui explique l'importante pression à laquelle est soumise l'OCMB depuis son existence et les concessions auxquelles la Communauté européenne a dû consentir pour y faire face.
En modifiant profondément l'état du droit antérieur, l'OCMB a inévitablement engendré une forte contestation qui a suscité une des plus importantes batailles juridique, économique et politique de l'histoire des Communautés dans ses relations avec des Etats tiers.
* 9 L'Europe était avant l'organisation commune, le deuxième importateur mondial de bananes, après les Etats-Unis. Ce marché européen de la banane représentait environ 1,5 milliard de dollars, dont 60 % étaient assujettis à des taxes.
* 10 En effet, certains commissaires européens ont suggéré en mars 1992 que le GATT « fasse exception » pour les bananes comme il l'a fait pour le riz japonais » et donc de ne pas l'inclure dans la négociation de l'Uruguay Round.
* 11 Règlement n° 404/93 du Conseil du 13 février 1993 portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane.
* 12 Ces trois pays se sont opposés sans succès, lors du Conseil des ministres de l'agriculture de 1993, au vote du nouveau système d'importation des bananes.
* 13 Cette organisation commune ne s'intéresse qu'aux bananes fruits ; les bananes légumes ou plantains sont régies depuis le 1er janvier 1993 par le règlement n° 638/93 du Conseil du 17 mars 1993 portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes.
* 14 Selon le règlement l'organisation de producteurs est toute organisation de producteurs de bananes établie dans la Communauté qui est constituée à l'initiative des producteurs eux-mêmes afin de «promouvoir la concentration de l'offre et la régularisation des prix au stade de la production » et de mettre à la disposition des producteurs associés des « moyens techniques adéquats pour le conditionnement et la commercialisation » des bananes (article 5). Lors de l'entrée en vigueur de l'OCM, existaient la SICABAM (Société coopérative d'intérêt collectif agricole bananière de la Martinique) et le GIPAM (groupement des importateurs de produits agricoles pour la Martinique).
* 15 Article 18 du règlement 404/93. Ce contingent a progressivement été augmenté par la suite. Il a été fixé en dernier lieu à 2,553 millions de tonnes.
* 16 Ce droit a, par la suite, été réduit à 75 écus par tonne.
* 17 Cet accord donne à l'Union européenne et aux pays d'Amérique latine « l'assurance que les fournisseurs ACP ne viendront pas en plus de leur propre quota traditionnel (de 857.700 tonnes), exporter sur le contingent tarifaire réservé en quasi-totalité aux origines-dollar ».