III. LES OBSERVATIONS ET LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS
A. LA QUESTION DE LA CODIFICATION DU DROIT PENAL SPECIAL
Le présent projet de loi contient seize articles
prévoyant de nouvelles infractions, auxquels il convient d'ajouter une
dizaine de dispositions complémentaires (pour prévoir la
responsabilité pénale des personnes morales, incriminer la
récidive, énoncer des peines complémentaires...). Au
total, et indépendamment même de tout article additionnel,
vingt-sept nouveaux articles répressifs sont appelés à
figurer dans une loi particulière et, partant, à aggraver la
dispersion des dispositions pénales.
Aussi votre commission des Lois juge-t-elle utile, sans proposer d'amendement
sur ce point, de rappeler, dans le cadre du présent avis, son
attachement à la codification du droit pénal spécial.
C'est d'ailleurs sur son initiative que la loi d'adaptation du nouveau code
pénal, en date du 16 décembre 1992, avait créé au
sein de celui-ci un livre V, intitulé "
Des autres crimes et
délits
" et destiné à regrouper les 11.000
infractions actuellement disséminées dans des codes
spécifiques ou des législations non codifiées (droits de
l'environnement, des sociétés, de l'urbanisme...).
Cette codification du droit pénal spécial avait été
annoncée par le Garde des Sceaux, alors M. Pierre Arpaillange,
dès la première lecture au Sénat du livre Ier du code
pénal, soit le 9 mai 1989 :
"
Avec l'adoption définitive, la publication et l'entrée
en vigueur des livres Ier à IV du code pénal et des lois qui
l'accompagneront, l'entreprise de réforme ne sera pas pour autant
achevée.
L'un des plus graves défauts du code actuel résulte de son
caractère gravement incomplet.
L'essentiel du droit pénal spécial -c'est-à-dire la
définition des infractions et la prévision des peines qui les
sanctionnent- n'est pas incorporé au code. On le trouve dans des codes
spécifiques ou des lois particulières qui régissent des
matières aussi diversifiées que la protection de l'environnement
et de la santé, l'hygiène et la sécurité du
travail, les sociétés commerciales, l'urbanisme, la consommation,
les eaux et forêts, les impôts... la liste est longue !
C'est un lieu commun, mais, hélas ! d'une évidente
réalité, que de souligner l'inflation des dispositions du droit
pénal " technique " depuis plusieurs décennies. Ce
phénomène, loin de se ralentir, n'a fait que s'aggraver au cours
des dernières années, malgré des efforts incessants pour
le contenir.
Une étude, riche d'enseignements, a permis d'analyser, de manière
systématique, les textes pénaux publiés en 1983 et 1985.
Seuls, six des quatre-vingt-neuf textes publiés concernaient le code
pénal ou ses annexes ! Sur les deux cent onze incriminations
créées, dix-sept seulement ont été incluses dans le
code pénal !
(...)
Il en résulte un droit pénal multiple, épars et souvent
difficilement lisible !
Cette situation ne peut s'éterniser.
Le code pénal que nous voulons promouvoir doit donner une vue globale du
droit pénal applicable et constituer un outil efficace pour la
maîtrise du développement des dispositions pénales
techniques.
(...)
Les livres V et suivants, en regroupant les dispositions pénales
techniques éparses dans les codes et les lois spécifiques,
offriront l'occasion inespérée de faire un tri dans les
infractions à réprimer et d'en dépénaliser un bon
nombre
".
Cet engagement devait être confirmé au Sénat par M. Michel
Vauzelle, tant lors de la discussion du livre IV, le 22 avril 1992
("
le contenu du nouveau code pénal ne sera pas limité
à celui de ses quatre premiers livres. Vous le savez, l'ambition du
Gouvernement est de faire figurer, dans une partie dite
" spéciale ", la totalité des infractions qui, en
raison de la matière traitée, n'ont pu trouver leur place dans
les livres déjà créés, pas plus d'ailleurs qu'elles
ne l'ont trouvée dans le code actuel
"), que lors de l'examen
de la loi d'adaptation, le 21 octobre 1992 ("
La création de ce
livre V montre que la révision du code pénal n'est pas encore
achevée et qu'il reste à codifier -tâche immense mais
indispensable- l'ensemble de notre droit pénal
spécial
").
Pour l'heure, la codification du droit pénal spécial demeure
embryonnaire : un chapitre relatif aux infractions en matière
d'éthique biomédicale et un chapitre relatif aux actes de
cruauté envers les animaux. Il conviendrait d'aller plus loin pour
poursuivre un double objectif :
·
Premier objectif : une mise à jour technique
Il s'agit de mettre les textes relatifs au droit pénal spécial en
conformité avec les principes généraux du nouveau code
pénal, notamment :
- en supprimant les peines minimales ;
- en procédant à des allégements d'ordre
rédactionnel (par exemple en supprimant dans de nombreuses
incriminations la référence à l'intention coupable,
devenue inutile en raison du principe général de l'article 121-3
du nouveau code pénal selon lequel il n'y a pas de délit sans
intention de le commettre) ;
- en alignant les peines sur l'échelle du nouveau code pénal
(ainsi les peines d'emprisonnement inférieures à six mois
devraient être supprimées, conformément au principe
général de l'article 131-4 qui fixe à six mois le premier
niveau de l'échelle des peines d'emprisonnement).
·
Second objectif : une simplification du droit pénal
spécial
En regroupant au sein d'un même code l'ensemble des
11.000 infractions, la codification du droit pénal (comme toute
codification) présenterait l'avantage d'une meilleure lisibilité.
Mais elle pourrait également donner lieu :
- à la suppression de certaines infractions (est-il nécessaire de
conserver le délit de destruction d'oeufs prévu par l'article L.
228-12 du code rural ?). A cet égard, votre rapporteur pour
avis ne peut manquer de souligner que, dans une réponse à une
question écrite posée par notre collègue M. José
Balarello, le Garde des Sceaux a indiqué que
" la plupart des
textes pénaux (...) ne reçoivent pas d'application
pratique
" (même si l'on doit convenir qu'un texte
répressif qui ne donne pas lieu au prononcé de sanctions est
parfois utile) ;
- à la dépénalisation de certains comportements (sur le
modèle de la dépénalisation de l'émission de
chèque sans provision) ;
- à la contraventionnalisation de certains délits mineurs.
Ces exemples démontrent que, pour donner les meilleurs résultats,
la codification du droit pénal spécial ne devrait pas s'effectuer
à droit constant.
Votre commission des Lois est consciente des difficultés que
soulèverait l'intégration immédiate dans le code
pénal des dispositions relatives aux armes chimiques : il conviendrait
notamment de reprendre l'ensemble des notions définies dans la
Convention (telles les notions de "
produits chimiques inscrits au
tableau 1
" de "
fins de protection
" ...).
Il est par
ailleurs préférable d'attendre, avant de codifier, l'adoption
définitive de toute la législation relative aux armes nocives
(nucléaires, bactériologiques).
C'est pourquoi votre commission des Lois ne vous propose pas dès
à présent cette codification. Elle appelle en revanche de ses
voeux la codification du droit pénal spécial dans des
délais aussi proches que possible.
B. ASSURER LE RESPECT DES PRINCIPES FONDAMENTAUX DU DROIT PENAL
Les amendements que vous propose votre commission des Lois
ont
pour principal objet d'assurer le respect des principes fondamentaux du droit
pénal, notamment les principes de nécessité et de
proportionnalité des peines.
Le principe de nécessité est posé par l'article 8 de la
Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen : "
La loi ne
doit établir que des peines strictement et évidemment
nécessaires (...) ".
Le principe de proportionnalité des peines, qui découle de cette
exigence de nécessité, a déjà conduit le Conseil
constitutionnel à déclarer contraires à la Constitution
des dispositions édictant des sanctions disproportionnées
à la gravité des infractions commises. Indépendamment
même de cette considération d'ordre juridique, la
détermination des peines constitue un moyen essentiel pour le
législateur de fixer les lignes d'une politique pénale en
affichant une hiérarchie dans la gravité des comportements. En
d'autres termes, les dispositions pénales (au premier chef le code
pénal lui-même) n'ont pas uniquement pour objet de servir de
fondement à la répression des infractions ; elles ont
également une fonction d'expressivité.
Votre commission des Lois constate que, dans leur principe, et même
lorsqu'elles sont proches d'incriminations existantes, les infractions
prévues par le projet de loi respectent le principe de
nécessité.
Elle estime en revanche trop large la portée de l'infraction d'aide ou
de provocation à commettre un crime relatif aux armes chimiques
(article 59) :
- sur le plan juridique tout d'abord, puisque le fait d'aider à
commettre une infraction tombe d'ores et déjà sous le coup de la
complicité telle qu'elle est définie par l'article 121-7 du code
pénal. Celui-ci dispose en effet : "
Est complice d'un crime ou
d'un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a
facilité la préparation ou la consommation
". Aussi
votre commission vous propose-t-elle un amendement limitant le champ de cette
infraction à la provocation, à l'encouragement et à
l'incitation à commettre un crime, à l'exclusion de l'aide ;
- pour des raisons pratiques ensuite, puisque l'auteur de la provocation serait
théoriquement punissable quand bien même, pris de remords, il
aurait empêché la réalisation du crime. C'est pourquoi
votre commission vous propose de préciser que la provocation ou
l'incitation non suivie d'effet ne sera punissable pénalement que dans
la mesure où l'absence d'effet tiendrait à des circonstances
indépendantes de la volonté de son auteur.
Votre commission des Lois considère que la gravité des peines
maximales prévues par le projet de loi respecte le principe de
proportionnalité.
Certes, le niveau des sanctions fixées pour certaines infractions peut
paraître à première vue démesuré, notamment
pour les comportements punis de la réclusion criminelle.
Néanmoins, dans certaines hypothèses, en particulier lorsqu'ils
sont commis à grande échelle et à des fins
délibérément destructrices, ces comportements peuvent
traduire une véritable entreprise de déstabilisation par la
recherche d'atteintes graves et répétées aux personnes et
à la sécurité publique. Ils doivent alors être
lourdement sanctionnés.
Par ailleurs, conformément à la fonction expressive du droit
pénal, l'édiction de peines élevées permettra
à la France d'afficher clairement son intention de lutter contre
l'emploi et la fabrication illégale d'armes chimiques.
Enfin, par sa gravité, le trafic ou l'emploi d'armes chimiques peut se
comparer au trafic de stupéfiants, pour lequel le législateur a
fixé des peines atteignant la réclusion criminelle à
perpétuité et 50 millions de francs d'amende.
C'est pourquoi votre commission des Lois ne vous propose point de
réduire les peines encourues par les personnes physiques. Votre
rapporteur pour avis tient en outre à rappeler que les sanctions
pénales édictées par le législateur ne constituent
que des maxima, la juridiction devant moduler la peine prononcée en
fonction "
des circonstances de l'infraction et de la personnalité de
son auteur
".
Votre commission des Lois croit toutefois souhaitable d'empêcher la
dissolution des personnes morales pour les infractions les moins graves. Aussi
vous propose-t-elle de la limiter aux crimes et au délit de provocation
à commettre un crime relatif aux armes ou aux produits chimiques.
C. RENFORCER LE CONTRÔLE DU JUGE JUDICIAIRE SUR L'EXÉCUTION DES VÉRIFICATIONS INTERNATIONALES
Le titre III du projet de loi est relatif aux
vérifications internationales. Il autorise en particulier dans son
chapitre III des inspecteurs habilités par l'Organisation pour
l'interdiction des armes chimiques (OIAC) à effectuer des inspections
par mise en demeure sur
" toute installation ou tout
emplacement
" (article 30 du projet de loi).
Lorsque cette inspection porte sur un lieu dont l'accès dépend
d'une personne privée, le projet de loi prévoit en son article 37
qu'elle ne peut commencer qu'avec l'autorisation du président du
tribunal de grande instance dans le ressort duquel s'effectue le premier
accès, ou du juge délégué par lui.
Cette autorisation donnée par le juge paraît tout à fait
indispensable au regard de l'article 66 de la Constitution, qui confie à
l'autorité judiciaire la sauvegarde de la liberté individuelle
sous tous ses aspects et notamment celui de l'inviolabilité du domicile.
L'article 38 du projet de loi donne pour mission au président du
tribunal de grande instance ou à son délégué de
s'assurer de l'existence du mandat d'inspection et de vérifier
l'habilitation des membres de l'équipe, des accompagnateurs et de toute
autre personne pour laquelle l'accès est demandé.
Les missions du juge définies à cet article semblent à
votre commission des Lois quelque peu insuffisantes au regard des exigences
fixées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Dans une
décision de 1983 (n° 83-164), le Conseil a en effet
déclaré contraires à la Constitution des dispositions qui
n'assignaient pas "
de façon explicite au juge ayant le pouvoir
d'autoriser les investigations des agents de l'administration la mission de
vérifier, de façon concrète, le bien-fondé de la
demande qui lui est soumise
".
Il paraît donc nécessaire de renforcer les prérogatives
du juge judiciaire gardien des libertés individuelles en cas
d'inspection par mise en demeure, afin de lui permettre d'examiner la
conformité de la demande d'inspection avec les stipulations de la
Convention.
Un tel renforcement est parfaitement compatible avec les
stipulations de la Convention.
D. RENFORCER L'EFFICACITÉ DU DISPOSITIF PÉNAL APPLICABLE AUX PRODUITS CHIMIQUES
Le dispositif pénal prévu par le projet de loi
paraît équilibré. Votre rapporteur pour avis s'est
interrogé sur l'opportunité de certaines dispositions figurant
dans le projet de loi, en particulier à son article 68. Ce dernier
prévoit en effet que l'importation, en provenance d'Etats non parties
à la Convention, de produits inscrits au tableau 2 annexé
à la Convention est libre jusqu'au 28 avril 2000 et interdite
à partir de cette date. Il est certes nécessaire de
prévoir un délai d'adaptation pour tous les acteurs
concernés par la mise en oeuvre de la Convention, mais il paraît
cependant choquant d'inscrire explicitement dans la loi la liberté
d'importation des produits du tableau 2 jusqu'en 2000, alors que
cette importation a vocation à être interdite. Votre rapporteur
pour avis a toutefois renoncé à proposer des modifications au
projet de loi sur ce point. En effet, l'interdiction immédiate de
l'importation des produits du tableau 2 en provenance d'un Etat non partie
à la Convention risque d'être sans effet si elle n'est pas
imposée par l'ensemble des Etats membres de la Communauté
européenne, compte tenu des règles de libre circulation des
marchandises applicables au sein de l'espace communautaire.
En revanche, votre rapporteur pour avis a souhaité proposer des
modifications sur deux dispositions du projet, respectivement relatives
à l'incrimination de l'opposition à la saisie de produits
chimiques et à la divulgation sans autorisation de documents provenant
d'une vérification.
1. L'incrimination de l'opposition à la saisie de produits chimiques
L'article 5 du projet de loi prévoit la saisie par
l'autorité administrative des armes chimiques, mais aussi des produits
chimiques du tableau 1 fabriqués après l'entrée en vigueur
de la loi à des fins autres que médicales, pharmaceutiques, de
recherche et de protection. La saisie de ces produits, dont la détention
sera d'ailleurs interdite, en application de l'annexe sur la
vérification, sera en effet nécessaire à leur destruction.
Encore convient-il de prévoir une sanction en cas d'opposition à
cette saisie. Certes, en cas de résistance violente, les dispositions
générales du code pénal devraient trouver application.
Néanmoins, ces dispositions ne sont pas applicables en cas de
résistance non violente. En outre, les sanctions prévues pour la
rébellion simple (six mois d'emprisonnement et 50.000 F d'amende)
pourraient se révéler manifestement insuffisantes pour
réprimer les comportements les plus graves.
Aussi votre commission des Lois vous propose-t-elle de compléter
l'article 62 afin de rendre passible de cinq ans d'emprisonnement et de 500.000
F d'amende le fait de s'opposer à la saisie d'un produit chimique
lorsque cette saisie est prévue par le projet de loi.
2. Renforcer les sanctions applicables à la divulgation de documents provenant d'une vérification
L'article 77 tend à punir de deux ans
d'emprisonnement et de 200 000 F d'amende la communication ou la
divulgation sans autorisation de documents provenant d'une vérification.
Votre commission estime souhaitable de renforcer ces peines, dans la mesure
où les risques d'espionnage industriel sont importants dans un secteur
où sont utilisées des technologies de pointe. Il convient de
protéger efficacement le potentiel scientifique et économique de
nos entreprises.
*
* *
Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu'elle vous soumet, votre commission des Lois a émis un avis favorable à l'adoption du présent projet de loi dont la commission des Affaires économiques et du plan est saisie au fond.