B. L'ÉCHEC DE LA PREMIÈRE TENTATIVE DE TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE EN DROIT INTERNE
Alors que la directive aurait dû être
transposée en droit interne avant le 30 juillet 1988, la France a
dès l'origine pris un certain retard dans la procédure de
transposition.
En premier lieu, le projet de loi modifiant le code civil et relatif à
la responsabilité du fait du défaut de sécurité des
produits, qui assurait cette transposition, n'a été
déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale que le
23 mai 1990, après de longs travaux préparatoires,
menés notamment par un groupe de travail mis en place à la
Chancellerie, qui témoignent de la complexité des
problèmes juridiques posés.
En second lieu, le projet de loi n'a été examiné en
première lecture par l'Assemblée nationale que le 11 juin 1992 et
par le Sénat le 25 juin 1992.
Après une deuxième lecture dans chacune des deux
assemblées, une commission mixte paritaire s'est réunie le 15
décembre 1992 fin de proposer un texte sur les dispositions du projet de
loi restant en discussion.
Cependant, le Gouvernement n'a pas soumis aux assemblées le texte
élaboré par la commission mixte paritaire.
Il convient de rappeler que, lors de cette première tentative de
transposition de la directive en droit interne, la question de
l'exonération du producteur pour les risques dits de
" développement " fut longuement discutée.
Comme votre rapporteur l'a indiqué ci-dessus, la directive laisse aux
Etats membres la faculté de ne pas permettre au producteur de
s'exonérer de sa responsabilité en établissant que
"
l'état des connaissances scientifiques et techniques, au
moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de
déceler l'existence du défaut ".
Cette question revêt, en effet, une importance particulière pour
l'équilibre de notre droit de la responsabilité puisque, dans
l'état actuel du droit positif,
la jurisprudence ne reconnaît
pas une telle cause d'exonération
.
Or, l'adaptation en droit interne du nouveau régime de
responsabilité issu de la directive
ne saurait
-comme l'article
13 de cette dernière le spécifie expressément-
aboutir
à réduire les droits
dont peut se prévaloir la victime
d'un dommage.
De même a été posée, à l'occasion de l'examen
de ce projet de loi, la question du cumul ou du non cumul du nouveau
régime issu de la directive avec les régimes de
responsabilité existants.
En définitive, contrairement aux solutions initialement
envisagées par le projet de loi mais conformément à la
position exprimée par le Sénat en seconde lecture, le texte issu
des travaux de la commission mixte paritaire avait exclu l'exonération
du producteur pour les risques de " développement " et avait
prévu le cumul des régimes de responsabilité.
Quoi qu'il en soit, la décision du Gouvernement de l'époque de ne
pas soumettre le texte de la commission mixte paritaire à l'approbation
de l'Assemblée nationale et du Sénat a fait échouer la
procédure de transposition de la directive.
Dans ces conditions, la directive n'ayant pas été
intégrée dans le droit national, plus de quatre ans après
l'expiration du délai prévu, la France a été
condamnée le 13 janvier 1993 par la Cour de Justice des
Communautés européennes.
Cette dernière a rendu un arrêt en manquement à l'encontre
de la France, qui est le seul des Etats membres à ne pas avoir
satisfait, en l'espèce, à ses obligations communautaires.
Dans un avis en date du 28 novembre 1995, la Commission européenne a par
la suite constaté la non exécution de l'arrêt rendu par la
Cour.
En conséquence, conformément à
l'article 171
du
traité de Rome, tel que modifié par le traité sur l'Union
européenne, la Cour de Justice pourra -sur proposition de la Commission-
infliger à la France le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une
astreinte.
Dans une communication en date du 5 juin 1996, la Commission a
précisé les critères sur lesquels elle se
déterminerait avant de saisir la Cour de Justice : la gravité de
l'infraction qui est elle-même appréciée en fonction de
l'importance des règles communautaires visées et des
conséquences du manquement pour les intérêts
généraux et particuliers ; la durée de l'infraction et la
nécessité d'un effet dissuasif.
La Commission européenne a par ailleurs adopté, le 8 janvier
1997, une méthode de calcul des astreintes à partir d'une base
forfaitaire multipliée par des coefficients relatifs à la
gravité de l'infraction et à sa durée, à la
capacité financière de l'État évaluée sur la
base de son PIB et au nombre de voix dont il dispose lors des votes au Conseil
(ce qui permet d'apprécier son poids dans la définition des
règles qu'il n'a pas respectées).
Sur ces bases, la France pourrait encourir des astreintes quotidiennes
comprises entre 10.350 écus (environ 67.300 francs) et 631.771
écus (environ 4.107.000 francs).
Conscient de ces enjeux financiers, le précédent Gouvernement
avait transmis, au mois de juin 1996, à la Commission européenne
un
mémorandum
qui soulignait l'inadéquation des
règles de responsabilité édictées par la directive
pour ce qui est des produits issus du corps humain.
La Commission européenne, après avoir analysé ce
mémorandum
, n'a pas jugé que les réponses du
Gouvernement français pouvaient justifier une remise en cause de la
procédure contentieuse engagée. Celle-ci a néanmoins
été différée, compte tenu de l'engagement du
Gouvernement français de transposer la directive durant le premier
semestre 1997.