II. LA RÉVISION À MI-PARCOURS : DES AMÉNAGEMENTS UTILES EN-DEÇÀ DES RÉFORMES NÉCESSAIRES
Les principales modifications apportées par les accords aujourd'hui soumis à l'examen du Sénat comportent un volet politique et commercial d'une part, financier d'autre part.
A. LE VOLET POLITIQUE ET COMMERCIAL : DES ADAPTATIONS NÉCESSAIRES
1. Une dimension politique renforcée
Le présent accord renforce la dimension politique du
partenariat UE-ACP. D'une part, il prévoit une clause de suspension de
l'accord avec l'Etat-membre où serait constatée une violation des
principes démocratiques ou des droits de l'homme. D'autre part, par
souci d'équilibre il vise à élargir le dialogue politique,
afin d'écarter le risque de décisions unilatérales.
S'agissant de la clause de suspension, l'accord procède en deux temps :
il fait d'abord du respect des droits un " élément essentiel
de l'accord " (art. 5) et institue ensuite une clause de suspension
partielle ou totale en cas de violation de l'un des principes fondamentaux
visés à l'article 5 (art. 366 bis).
a) Les bases du dialogue politique
Si la convention de Lomé reconnaissait
déjà " le respect des droits de l'homme comme un facteur
fondamental d'un véritable développement " et concevait la
coopération elle-même comme " une contribution à la
promotion de ces droits " (art. 5), la révision à
mi-parcours place " le respect des droits de l'homme, des principes
démocratiques et de l'Etat de droit " au rang d'
" élément essentiel de la présente convention ".
En outre, le présent accord ajoute la " bonne gestion des affaires
publiques " comme nouvel objectif de la coopération,
référence au principe de la " bonne gouvernance " que
la France, pour sa part, entend promouvoir dans le cadre de sa politique d'aide
au développement.
b) La clause de suspension : un cadre juridique clarifié
Un article additionnel à la cinquième partie de
Lomé (art. 366 bis) prévoit une suspension totale ou partielle de
la convention en cas de violation de " l'un des éléments
essentiels " visés à l'article 5 à la demande de
l'une des parties à la convention. il organise une procédure
consultative encadrée dans des délais rigoureux. Organisée
au plus tard quinze jours après qu'une partie aura invité l'autre
à examiner " de façon approfondie " la situation, la
consultation ne doit pas excéder trente jours.
Au terme de ces consultations -dont il est possible de se dispenser en cas
d'urgence-, une suspension totale ou partielle de la convention -même si
elle représente un " dernier recours "- peut être
décidée.
Certes, jusqu'alors, l'absence de base juridique n'avait pas
empêché l'UE de suspendre ou de geler l'aide au
développement mais les instances communautaires agissaient de
façon unilatérale sans procédure préalable et
donnaient prise, à ce titre, aux critiques des Etats ACP. En outre,
tandis que la suspension ne reposait sur aucune base assurée, la reprise
des relations restait également entourée d'un certain flou
juridique. Finalement une large place revenait aux initiatives de la
Commission, à l'exception des cas de suspension décidés
par le Conseil à la suite d'une position ou d'une action communes
adoptées par le Conseil des ministres dans le cadre de la politique
étrangère et de sécurité commune (PESC).
L'Etat de droit et la reconnaissance des droits de l'homme constituent un
élément fondateur de l'Union européenne. Il est donc
logique et souhaitable que l'Union cherche à promouvoir ces valeurs
fondamentales dans ses relations extérieures. Mais cette
" diplomatie des droits de l'homme ", si louables soient ses
intentions initiales, a parfois tenu lieu de politique étrangère
pour les Quinze et déguisait l'absence d'un véritable dessein
politique et d'une vision planifiée et concertée de l'aide au
développement.
A cet égard, il faut se réjouir de la volonté
affichée dans le préambule modifié de la convention de
Lomé de renforcer le dialogue politique et de l'ouvrir à des
" thèmes et problèmes de politique étrangère
et de sécurité ". L'expérience montre cependant que
le dialogue politique tend à s'enliser dans des procédures
excessivement lourdes. Gageons qu'il y a là un thème de
réflexion où la sagacité des négociateurs du
nouveau partenariat UE-Etats ACP pourra s'exercer pour favoriser,
au-delà des formules incantatoires, une efficacité plus grande.
De toute façon, pour l'heure, les Etats membres ne sont pas parvenus
à un accord sur les modalités internes de mise en oeuvre de
l'article 366 bis. Le débat porte sur le recours à la
majorité qualifiée pour les décisions de suspension ou de
reprise de l'application de Lomé. Aussi ce dispositif,
théoriquement entré en vigueur le 1er janvier 1996, n'a-t-il
été utilisé que
dans le cas du Niger (suspension du 1er
janvier au 1er juillet 1996).
Les décisions dans ce domaine continuent dès lors de relever des
procédures antérieures : une décision formelle du Conseil
(Gambie, Zaïre, Nigeria), un gel décidé par la Commission
(Soudan, Guinée équatoriale, Rwanda, Salomon, Togo). Les
améliorations attendues de la révision de la convention n'ont
donc pas eu, dans ce domaine, d'effets. La Commission conserve une large marge
d'appréciation et d'action. La situation juridique reste confuse et
appelle de rapides éclaircissements.
La révision à mi-parcours de la convention de Lomé a
également permis de renforcer la coopération commerciale entre
les partenaires du Nord et du Sud.
2. Un régime commercial amélioré
Les résultats économiques des Etats ACP
demeurent décevants malgré des réussites
indéniables mais limitées : dans l'ensemble ces pays souffrent
d'une trop faible compétitivité et d'une dépendance
excessive à l'égard de quelques produits de base. Dans le
même temps, les préférences commerciales accordées
dans le cadre de Lomé se sont érodées.
Le présent accord prend acte de ces insuffisances et tente d'y
remédier par deux voies principales : une amélioration du
dispositif institutionnel et la mise en place de nouveaux avantages commerciaux
Ces modifications, il faut le souligner, s'inscrivent dans un contexte
marqué par la libéralisation économique. Ainsi à la
priorité accordée à la protection de l'environnement et
à la conservation des ressources naturelles, il est significatif que le
nouvel accord ajoute la " promotion, dans les Etats ACP, d'un
environnement favorable au développement de l'économie de
marché et du secteur privé " (art. 6).
a) Un cadre institutionnel renforcé
Au titre des adaptations apportées au dispositif
institutionnel, il convient de mentionner principalement d'une part, les
modifications relatives au Centre de développement industriel et d'autre
part, les nouvelles modalités applicables au Stabex.
Le Centre de développement industriel (CDI) s'emploie à favoriser
la création, l'expansion et la restructuration d'entreprises
industrielles -principalement dans le secteur manufacturier et agro-industriel-
dans les pays ACP. Il cherche notamment à promouvoir les partenariats
entre entreprises ACP et entreprises européennes dans les domaines
technique, commercial ou encore dans la sous-traitance. A cette fin, le CDI
installé à Bruxelles mais doté d'antennes dans les Etats
ACP, bénéficie d'un financement assuré par le FED -73
millions d'écus dans le cadre du 8e FED.
En 1996, le CDI a soutenu quelque quatre cents projets sous la forme d'aide
à la conception de projets par la mise à disposition d'experts ou
de subventions non remboursables.
Le présent accord cherche à améliorer l'efficacité
de l'action du CDI à travers trois modifications principales (art. 87 et
89) :
- concentration des activités du CDI dans les pays ACP dont le programme
indicatif national place le développement industriel au rang d'axe
stratégique ;
- coordination renforcée entre la Banque européenne
d'investissements, le CDI et la Commission européenne ;
- les modalités de fonctionnement du CDI relèvent
désormais de la compétence du Comité des ambassadeurs et
non plus du Conseil des ministres UE/ACP.
Par ailleurs les accords de Maurice aménagent les modalités de
fonctionnement du mécanisme de stabilisation des recettes d'exportation
de produits de base non agricoles : ils précisent notamment les
conditions préalables de consultations entre l'UE et les Etats ACP pour
définir " les bases de transfert " à partir desquelles
sont calculées les compensations de pertes de recettes à
l'exportation (art. 203). Dans l'hypothèse où les ressources
financières prévues par le Stabex se révèleraient
insuffisantes, au-delà d'un abattement de 10 % applicable à tous
les transferts, aucune réduction supplémentaire ne s'applique
désormais aux pays ACP les moins développés ou
enclavés, contrairement à la situation réservée aux
autres pays ACP (art. 194).
Au-delà de ces aménagements d'ordre essentiellement
institutionnel, la convention prévoit en faveur des Etats ACP de
nouveaux avantages commerciaux.
b) De nouvelles concessions commerciales
Ces nouveaux avantages tiennent principalement d'une part,
à l'amélioration des concessions pour certains produits agricoles
et d'autre part, à l'assouplissement des principes relatifs aux
règles d'origine.
Entre les aspirations initiales des Etats ACP -une liberté
d'accès de l'ensemble des produits agricoles sur le marché
communautaire- et le souci légitime exprimé par plusieurs
Etats-membres de l'UE de protéger certains pans de leur production
agricole, un compromis a pu être établi autour de trois formules.
En premier lieu l'accord retient pour les produits ne bénéficiant
jusqu'ici d'aucune préférence, une réduction de 16 % des
droits de douane et prélèvements à l'exception de certains
produits méditerranéens (olive, vin, citron). Les
céréales et la viande de porc font l'objet d'une baisse de 50 %
de l'équivalent tarifaire (dans les limites de 15 000 tonnes pour les
céréales et de 250 tonnes pour la viande de porc).
La révision à mi-parcours de Lomé III a permis en second
lieu de transformer des contingents en plafonds et de doubler le contingents
pour certains produits (lait, fromage, poire, viande ovine, viande de volaille
et préparation à base de viande). Certains contingents ont
été maintenus, même si les droits applicables ont pu
être réduits comme pour le riz (de 15 %). Par ailleurs, les
quantités de référence ont été
supprimées sauf pour les oranges et les mandarines.
Enfin l'accord prévoit, s'agissant des produits
bénéficiant de préférences dans le cadre de
calendriers, de procéder à une baisse de 15 % des droits de
douane à l'extérieur de ces calendriers (sauf pour les produits
pour lesquels existe déjà une préférence à
l'extérieur de ces calendriers, ainsi que pour les fraises, les cerises
et les tomates notamment).
Deux types de production font l'objet d'une attention particulière : la
viande bovine et la banane.
S'agissant de la viande bovine, les contingents d'exportation sont
augmentés pour certains pays ACP tandis que les droits à
l'importation sont réduits de deux points supplémentaires -de 90
% à 92 %- afin de préserver l'avantage comparatif des pays
concernés après la signature des accords de Marrakech (protocole
n° 7).
Par ailleurs, la déclaration commune sur les bananes (annexe LXXXVIII)
témoigne du souci de prendre au compte les besoins liés à
la restructuration de ce secteur quand des " circonstances
extérieures " indépendantes de la volonté des pays
producteurs le justifient.
Cette déclaration ne satisfait toutefois qu'en partie les pays ACP
désireux que le système d'assistance spéciale mis en place
pour favoriser l'adaptation à la nouvelle organisation commune de
marché instaurée en juillet 1993 soit prolongée
au-delà de 1996.
La question paraît toutefois secondaire au regard des remises en cause
dont le régime commercial de la banane fait aujourd'hui l'objet. L'OMC a
en effet jugé incompatible avec les règles de droit international
le système de gestion des contingents tarifaires (répartition du
quota entre différents types d'opérateurs) et l'accord-cadre avec
quatre pays fournisseurs d'Amérique latine. Cette décision
souligne les difficultés que ne manquera pas de soulever le maintien
d'éléments préférentiels dans le nouvel accord
UE-ACP prévu pour l'an 2000.
Si les avantages commerciaux accordés aux Etats ACP sont ainsi
renforcés, l'UE maintient les clauses de sauvegarde que Lomé IV
lui avait reconnues. la Communauté peut ainsi prendre les mesures
nécessaires pour faire face aux " perturbations graves dans un
secteur d'activité économique de la Communauté ou d'un ou
de plusieurs Etats-membres ". Dans cette hypothèse elle notifie ces
mesures au Conseil des ministres UE/ACP sans toutefois être tenue d'en
préciser la durée et les modalités d'application comme le
supposait la rédaction initiale de l'article avant sa révision en
1995.
.
Les règles d'origine
La possibilité déjà admise de Lomé IV pour les pays
ACP d'inclure des éléments non originaires des ACP dans leurs
exportations vers la Communauté, tout en continuant à
bénéficier du régime préférentiel,
reçoit dans la présente convention, deux assouplissements
notables.
En premier lieu, la valeur autorisée d'éléments
extérieurs dans les exportations ACP passe de 10 % à 15 %
(protocole n° 1, titre 1, art. 5).
Ensuite, le cumul de l'origine est accordé à la demande des Etats
ACP aux pays en développement voisins, " apppartenant à une
entité géographique cohérente " (Algérie,
Egype, Libye, Maroc, Tunisie, Colombie, Costa-Rica, Cuba, El Salvador,
Guatemala, Honduras, Nicaragua, Panama, Vénézuela, Nauru). Cette
disposition, destinée à encourager le commerce régional
-élément décisif de l'intégration
économique- demeure toutefois strictement encadrée. Elle
apparaît soumise à des règles spécifiques en
particulier pour un secteur aussi sensible que le textile. En outre sa mise en
oeuvre reste conditionnée à la conclusion d'un " accord
définissant des procédures administratives adaptées,
propres à garantir une application correcte " du nouveau dispositif.
En dernier lieu, la Communauté augmente le contingent annuel
d'exportations de produits transformés à base de thon (longes et
conserves) -de 2 500 tonnes à 4 500 tonnes (dont 500 tonnes de longes)
bénéficiaires d'une dérogation automatique aux
règles d'origine (protocole n° 1, titre 1, art. 6).
En contrepartie de ces aménagements favorables aux Etats ACP, la
Communauté a obtenu de ses partenaires la reconnaissance des produits
des pays et territoires d'outre-mer (PTOM) comme produits originaires de la
Communauté afin de permettre aux PTOM d'accéder aux
marchés ouverts par les financements du FED dans les pays ACP. L'accord
rétablit l'équilibre avec les entreprises ACP habilitées
à participer aux marchés financés par le FED dans les PTOM
(déclaration commune ad art. 294).
Malgré leur importance, les aspects commerciaux connaissent dans un
contexte de libéralisation des échanges un impact limité.
Dès lors la coopération financière apparaît un
instrument déterminant de l'aide publique au développement. A cet
égard, l'accord revêt naturellement une importance
déterminante non seulement parce qu'il fixe l'enveloppe
financière du FED mais aussi parce qu'il aménage les
procédures d'intervention dans ce domaine.