N° 216
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 13 janvier 1998
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi organique, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, portant recrutement exceptionnel de magistrats de l'ordre judiciaire et modifiant les conditions de recrutement des conseillers de cour d'appel en service extraordinaire,
Par M. Pierre FAUCHON,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Jacques Larché,
président
;
René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, Charles
Jolibois, Robert Pagès, Georges Othily,
vice-présidents
;
Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson,
secrétaires
; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert
Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl,
Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel
Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli,
Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Jean Derian, Michel
Dreyfus-Schmidt, Michel Duffour, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault,
Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel
Millaud, Jean-Claude Peyronnet, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre
Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.
Voir les numéros
:
Assemblée nationale
(
11
ème législ.) :
501, 596
et T.A.
66.
Sénat
:
206
(1997-1998)
Justice.
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
Réunie le mardi 13 janvier, sous la présidence
de M. Jacques Larché, la commission a examiné, sur le rapport de
M. Pierre Fauchon, le projet de loi relatif au recrutement exceptionnel de
magistrats et aux conditions de recrutement des conseillers de cour d'appel en
service extraordinaire.
Réitérant le constat effectué en 1996 par la mission
d'information constituée en son sein sur les moyens de la justice, elle
a déploré l'asphyxie des juridictions, notamment des cours
d'appels, qui aboutissait, en raison des délais tout à fait
excessifs de procédure, à de véritables dénis de
justice.
Concernant les
recrutements exceptionnels
, elle a rappelé que les
voies d'accès normales à la magistrature demeuraient l'Ecole
nationale de la magistrature ainsi que les intégrations directes
-semble-t-il peu utilisées- prévues par l'ordonnance de 1958 et
qu'une meilleure planification de la gestion du corps devrait permettre
d'éviter le recours à ce type de solution.
Mais compte tenu de l'urgence de ces recrutements pour l'amélioration du
bon fonctionnement de la justice, elle a, par souci de réalisme et
compte tenu des garanties apportées concernant la compétence
juridique des candidats, souscrit aux mesures proposées.
Elle s'est de plus déclarée favorable aux dispositions
assouplissant les conditions de recrutement des
conseillers de cour d'appel
en service extraordinaire
, espérant qu'elles donneraient un nouveau
départ à ce type de fonctions qui n'avait pas, jusqu'à
présent, rencontré le succès escompté mais pourrait
contribuer efficacement à désengorger les cours d'appel.
Dans le même ordre d'idées, elle a souhaité que soit
également favorisé le recours aux
magistrats à titre
temporaire
, estimant qu'ils pourraient rendre de grands services aux
juridictions.
Sous réserve de l'adoption d'un article additionnel relatif aux
magistrats à titre temporaire, votre commission vous propose donc
d'adopter sans modification les dispositions du projet de loi organique
transmises par l'Assemblée nationale.
Mesdames, Messieurs,
Le présent projet de loi organique, adopté par l'Assemblée
nationale le 7 janvier 1998, tend à autoriser le recrutement
exceptionnel par concours de 200 magistrats en 1998 et 1999 et à
assouplir le recrutement des conseillers de cour d'appel en service
extraordinaire institués par la loi organique du 19 janvier 1995.
Il constitue le volet législatif d'un "
plan d'urgence pour la
justice
" qui prévoit également
d'accélérer le recrutement de 800 fonctionnaires. Le but
poursuivi est de réduire les délais de procédure et de
résorber le stock des affaires en instance pour pallier la
véritable asphyxie que connaissent de nombreuses juridictions.
Comme l'a en effet souligné la mission d'information de la commission
des lois sur les moyens de la justice, les délais de procédure,
déjà excessifs, tendent à s'accroître dans toutes
les juridictions
1(
*
)
. Mais c'est
dans certaines cours d'appel, et principalement les chambres commerciales et
sociales, que la situation est la plus critique. Les délais atteignent
en moyenne plus de trois ans à la cour d'appel d'Aix-en-Provence alors
que la loi de programme pour la justice de 1995 avait assigné un
objectif de 12 mois pour le traitement des affaires. Les cours d'appel de
Douai, Colmar, Montpellier, Paris et Versailles apparaissent aussi
particulièrement encombrées avec des délais
dépassant souvent les deux ans. Cette situation conduit à de
véritables dénis de justice, ainsi qu'en a jugé
récemment le tribunal de grande instance de Paris qui a condamné
l'État à verser des dommages et intérêts en raison
du trop long délai supporté par un justiciable devant la cour
d'appel d'Aix-en-Provence dans une affaire de licenciement abusif
2(
*
)
.
Pour remédier à cette situation, et en application de la loi de
programme sur la justice de 1995, 150 postes de magistrats ont
été créés depuis 1995. La loi de finances pour 1998
a prévu la création de
70 postes de magistrats
supplémentaires dont 30 (y compris 18 conseillers de cour d'appel en
service extraordinaire) devraient être localisés dans les cours
d'appel.
Mais dans le même temps, sur un effectif budgétaire de 6227
magistrats, la chancellerie dénombre
236 vacances de postes
au 31
décembre 1997, alors que le nombre des départs à la
retraite par limite d'âge est peu élevé depuis 1996. Seuls
55 départs ont été enregistrés en 1996 et 75 en
1997, cette situation favorable devant se poursuivre jusqu'en 2006.
Cette situation paradoxale provient principalement de ce que les magistrats
dont les postes ont été créés ces dernières
années se trouvent encore en formation. En effet, en raison de la
durée de scolarité à l'École nationale de la
magistrature, il s'écoule près de
quatre ans
entre une
décision de recrutement de magistrats par cette voie et leur
entrée en fonctions.
Ainsi, compte tenu des vacances et des créations nouvelles, 306 postes
seraient à pourvoir en 1998 alors que les modes de recrutements normaux
ne permettraient l'entrée en fonctions que de 200 magistrats au maximum,
à savoir 145 magistrats issus de l'École nationale de la
magistrature auxquels pourraient s'ajouter une trentaine de personnes provenant
du recrutement latéral et 26 conseillers de cour d'appel en service
extraordinaire. Un déficit d'une centaine de postes perdurerait donc en
1998.
C'est la raison pour laquelle, compte tenu de l'urgence, le Gouvernement a
souhaité, d'une part, accélérer l'entrée en
fonctions de magistrats en recourant, comme cela a déjà
été fait en 1980, 1982 et 1991, à des recrutements par
concours exceptionnels, et, d'autre part, faciliter le recours aux conseillers
de cour d'appel en service extraordinaire.
Avant d'examiner plus en détail les dispositions du projet de loi
organique, il semble nécessaire de faire le point sur les
différentes voies d'accès à la magistrature.
I. LES DIFFÉRENTES VOIES D'ACCÈS À LA MAGISTRATURE
Les possibilités d'accès à la
magistrature sont multiples. À côté de l'accès
normal, à la base, par les concours de l'École nationale de la
magistrature, il existe en effet des recrutements par intégration
directe à différents niveaux hiérarchiques. Ces
dernières années, sont intervenus en outre plusieurs recrutements
par concours exceptionnels et sont apparus des emplois de juges temporaires
recrutés de manière spécifique.
Concernant les niveaux hiérarchiques, il convient de rappeler, pour la
clarté de l'exposé, que les 6227 magistrats sont répartis
en plusieurs grades, le niveau le plus bas étant le 2ème grade.
Niveaux hiérarchiques de la magistrature
(décembre 1997)
Niveau des emplois |
Effectif budgétaire |
Hors hiérarchie (HH) |
341 |
1er grade 2ème groupe (I-2) |
985 |
1er grade 1er groupe (I-1) |
1198 |
2ème grade (II) |
3703 |
Total |
6227 |
Chacun de ces niveaux correspond à l'exercice de fonctions déterminées dans des juridictions déterminées. Par exemple, sur les 576 conseillers de cour d'appel, le plus grand nombre (346) sont classés au niveau I-1 mais, en fonction de l'importance de la cour où ils sont affectés, ce qui peut surprendre, 70 sont classés seulement au niveau II et, au contraire, 160 sont classés au niveau I-2.
A. L'ACCÈS PAR L'ÉCOLE NATIONALE DE LA MAGISTRATURE (ENM)
1. Les concours
Trois concours d'accès à l'ENM sont
organisés chaque année en septembre.
·
Le premier concours
(art. 17, 1° de l'ordonnance du 22
décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la
magistrature) est ouvert aux candidats âgés de
27 ans au
plus
au 1er janvier de l'année du concours et titulaires d'un
diplôme sanctionnant une formation d'une durée au moins
égale à
quatre années d'études
supérieures
, ou encore d'un diplôme d'un institut
d'études politiques ou du titre d'ancien élève d'une
école normale supérieure.
·
Le deuxième concours
(art. 17, 2° de la
même ordonnance), de même niveau, est réservé aux
fonctionnaires
et agents de l'État, des collectivités
territoriales et aux militaires justifiant, au 1er janvier de l'année du
concours, de
quatre années de service
en ces qualités et
âgés de
40 ans
au plus au 1er janvier de l'année du
concours.
·
Le troisième concours
(art. 17, 3° de la
même ordonnance) s'adresse aux personnes, âgées de
quarante ans au plus
au 1er janvier de l'année du concours,
justifiant, durant
huit années
au total,
d'une ou plusieurs
activités professionnelles
, d'un ou de plusieurs mandats de membre
d'une assemblée élue d'une collectivité territoriale ou de
fonctions juridictionnelles à titre non professionnel. Institué
par la loi organique n° 92-189 du 25 février 1992, il a
été organisé pour la première fois en 1996.
Les candidats admis à l'un des trois concours ont le statut
d'auditeurs de justice
. Ils suivent
31 mois de formation
répartie entre un stage dit " d'ouverture " de trois mois
dans
des entreprises ou des administrations, une formation théorique à
l'ENM et des stages en juridiction. La formation débute au mois de
février de l'année suivant le concours, les magistrats entrant en
fonctions au mois de septembre, trois ans après le concours.
Le
nombre des auditeurs
ainsi recrutés a varié depuis 1959
entre un minimum de 32 en 1963 et un maximum de 320 en 1982. En 1995 et 1996,
il était de 145. Il en sera de même pour les concours ouverts en
1997 pour lesquels il est prévu de recruter
145 auditeurs
:
110 pour le premier concours, 27 pour le 2ème concours et 8 pour le
3ème concours. Le nombre de candidats présents aux
épreuves par rapport au nombre de places offertes a
considérablement augmenté ces dernières années. En
1964, un candidat présent aux épreuves avait une chance sur deux
d'être admis. Cette proportion est tombée à 6 % en 1996
où
2355 candidats
ont concouru pour 145 places.
Historique des concours à l'École nationale de
la magistrature
Année |
Candidats
|
Admis |
%
|
|
Année |
Candidats
|
Admis |
%
|
1959 |
214 |
38 |
18% |
|
1978 |
1036 |
174 |
17% |
1960 |
163 |
43 |
26% |
|
1979 |
899 |
153 |
17% |
1961 |
102 |
38 |
37% |
|
1980 |
1073 |
207 |
19% |
1962 |
122 |
36 |
30% |
|
1981 |
1173 |
210 |
18% |
1963 |
87 |
32 |
37% |
|
1982 |
1263 |
320 |
25% |
1964 |
73 |
37 |
51% |
|
1983 |
1092 |
230 |
21% |
1965 |
103 |
50 |
49% |
|
1984 |
1144 |
230 |
20% |
1966 |
151 |
39 |
26% |
|
1985 |
1268 |
215 |
17% |
1967 |
191 |
51 |
27% |
|
1986 |
1414 |
245 |
17% |
1968 |
232 |
104 |
45% |
|
1987 |
1401 |
221 |
16% |
1969 |
270 |
125 |
46% |
|
1988 |
1336 |
186 |
14% |
1970 |
435 |
160 |
37% |
|
1989 |
1223 |
170 |
14% |
1971 |
497 |
180 |
36% |
|
1990 |
1051 |
189 |
18% |
1972 |
651 |
180 |
28% |
|
1991 |
1134 |
168 |
15% |
1973 |
699 |
180 |
26% |
|
1992 |
1270 |
150 |
12% |
1974 |
767 |
255 |
33% |
|
1993 |
1389 |
100 |
7% |
1975 |
958 |
255 |
27% |
|
1994 |
1696 |
110 |
6% |
1976 |
1065 |
255 |
24% |
|
1995 |
2012 |
145 |
7% |
1977 |
1069 |
208 |
19% |
|
1996 |
2355 |
145 |
6% |
2. Le recrutement sur titres
Chaque année, des auditeurs de justice sont
recrutés sur titres à l'ENM en application de l'article 18-1 de
l'ordonnance du 22 décembre 1958 qui dispose que peuvent être
nommés directement les personnes
âgées de 27 à 40
ans,
titulaires d'une maîtrise en droit
et que
quatre
années d'activité
dans le domaine juridique,
économique ou social qualifient pour l'exercice des fonctions
judiciaires.
Peuvent également être nommés dans les mêmes
conditions les
docteurs en droit
possédant un autre diplôme
d'études supérieures ainsi que les
allocataires
d'enseignement
et de recherche en droit ayant exercé cette fonction
pendant trois ans et possédant un diplôme d'études
supérieures dans une discipline juridique.
Ces auditeurs suivent la même formation que ceux recrutés par
concours, à l'exception du stage d'ouverture de trois mois. Leur nombre
ne peut excéder le cinquième des auditeurs intégrés
par les trois concours à la promotion à laquelle il sont
rattachés. En fait, le nombre d'auditeurs recrutés sur titre se
situe en général entre
5 et 10 par an
.