N° 168
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 11 décembre 1997.
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi de finances rectificative pour 1997 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
Par M. Alain LAMBERT,
Sénateur,
Rapporteur général.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Christian Poncelet,
président
; Jean Cluzel, Henri Collard,
Roland du Luart, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Philippe Marini,
René Régnault,
vice-présidents
; Emmanuel
Hamel, Gérard Miquel, Michel Sergent, François Trucy,
secrétaires
; Alain Lambert,
rapporteur
général
; Philippe Adnot, Bernard Angels, Denis Badré,
René Ballayer, Bernard Barbier, Jacques Baudot, Claude Belot,
Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël
Bourdin, Guy Cabanel, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Yvon
Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut,
Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Marc Massion, Michel
Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Maurice Schumann,
Henri Torre, René Trégouët.
Voir les numéros
:
Assemblée nationale
(
11
ème législ.) :
447
,
456
,
485
et T.A.
43
.
Sénat
:
156
(1997-1998).
Lois de finances rectificatives.
I. AVANT-PROPOS
Le projet de loi de finances rectificative -le
"collectif" de
fin d'année- doit être considéré davantage comme
un
texte de régularisation comptable et financière
que
comme un projet de loi ouvrant une marge de manoeuvre budgétaire
significative au Parlement. En effet, la ratification des décrets
d'avance, comme la prise en compte des arrêtés d'annulation dans
l'article d'équilibre, ne laissent -dans les faits- que peu de place au
droit d'amendement. S'agissant d'un texte examiné à la fin du
mois de décembre, les crédits ouverts au printemps ont
été consommés et les crédits annulés
à l'été ne sauraient -en toute hypothèse-
être utilement rétablis. De la même manière, les
ajustements de recettes et les ouvertures et annulations liées
directement au projet de loi ne se prêtent guère, sauf exception,
à des modifications d'origine parlementaire.
En revanche, le
présent projet de loi de finances rectificative
présente un intérêt politique certain
car il illustre
clairement une double orientation budgétaire : le
recours
à des prélèvements fiscaux supplémentaires et
l'absence d'une maîtrise volontariste de la dépense publique.
C'est ainsi que s'explique l'amélioration de près de
14 milliards de francs du solde budgétaire :
- par un prélèvement additionnel de 24 milliards de
francs sur les entreprises (loi du 10 novembre 1997 portant diverses
mesures d'urgence à caractère fiscal et financier) qui permet une
augmentation nette de près de 10 milliards de francs de ressources
de l'Etat, après prise en compte des autres moins-values fiscales ;
- par des moindres dépenses de près de 4 milliards de
francs, rendues possibles par des économies de constatation très
importantes au titre de la charge nette de la dette (7,1 milliards de
francs) et sur les crédits inemployés au titre de la politique de
l'emploi (5 milliards de francs), donc sans remise en cause des politiques
publiques.
Augmentation de la pression fiscale, absence de maîtrise de la
dépense : ces deux caractéristiques méritent
d'être mises en parallèle avec les conclusions de l'audit
présentées le 21 juillet dernier par MM. Jacques Bonnet et
Philippe Nasse :
"
Pourtant,
agir sur la dépense est le seul moyen de réduire
les déficits
, comme la France s'y est engagée,
sans
accroître des prélèvements obligatoires déjà
très lourds
. Ce résultat ne pourra donc être obtenu que
par des actions de fond. Il faudra tout à la fois rendre les services de
l'Etat plus productifs et leur activité plus efficace. Dans le premier
cas, c'est l'organisation des services, centraux et déconcentrés,
et leur fonctionnement qui est en cause. Dans le second, c'est
l'instabilité, la complexité et l'efficacité, souvent
inconnue et parfois contestable, des législations qui gouvernent les
diverses interventions de l'Etat.
Enfin, certaines questions très délicates telles que l'avenir des
régimes de retraites publiques ne pourront pas être
indéfiniment éludées, même si elles ne peuvent
être abordées qu'avec précaution.
La
compatibilité durable du maintien d'un certain rôle
régulateur et protecteur de l'Etat avec un niveau de
prélèvements obligatoires ne pénalisant pas notre
économie par rapport à celle de nos grands concurrents est
à ce prix
".
I. EXPOSE GENERAL
I. LA REPRISE DE L'ÉCONOMIE FRANÇAISE EN 1997 ET L'ÉVOLUTION DES COMPTES DE L'ÉTAT
A. UNE CERTAINE REPRISE DE L'ACTIVITÉ
L'année en cours est marquée par une certaine reprise de l'activité économique. Le "consensus" 1( * ) des instituts de prévision tel qu'il est apparu lors de la dernière réunion de la Commission des comptes de la Nation du mois d'octobre situe à 2,2 % le taux de croissance en 1997, contre 1,2 % l'an dernier.
Principales prévisions pour 1997
|
BUD.ECO 1 |
BIPE |
CDC |
COE |
GAMA |
REXECODE |
OFCE |
AFEDE |
EXPANSION |
VOLUMES
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
PIB |
2,2 |
2,3 |
2,3 |
2,2 |
1,9 |
2,1 |
2,1 |
2,1 |
2,2 |
Importations |
4,3 |
6,0 |
6,3 |
5,7 |
4,6 |
5,7 |
4,2 |
6,0 |
6,6 |
Consommation des ménages |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
FBCF totale
|
1,3 |
0,7 |
0,2 |
0,1 |
0,0 |
- 0,2 |
- 0,1 |
0,0 |
0,0 |
SQS-EI |
1,8 |
1,0 |
0,7 |
1,0 |
0,8 |
0,6 |
0,4 |
0,7 |
0,5 |
Ménages hors EI |
- 0,1 |
0,2 |
- 1,3 |
- 1,3 |
|
- 1,3 |
- 0,6 |
- 1,0 |
- 1,0 |
Exportations |
6,9 |
8,9 |
10,5 |
9,7 |
8,1 |
10,1 |
9,1 |
9,5 |
10,0 |
Variations des stocks (contribution à la croissance du PIB) |
0,2 |
0,2 |
0,1 |
0,2 |
0,1 |
0,1 |
0,0 |
0,1 |
0,5 |
1. Budgets économiques
Source : Commission des comptes et des budgets économiques de la Nation.
Octobre 1997.
Mais, cette reprise s'accompagne de
signaux ambigus
qui traduisent les
pesanteurs de l'économie française ; pour saisir toutes ses
chances en effet, cette économie a besoin de stabilité et de
liberté.
1. La confirmation de la reprise économique en 1997...
En l'état des informations disponibles, le taux de croissance prévu, soit 2,3 %, devrait être atteint. Les tableaux ci-après récapitulent l'un, les prévisions de l'INSEE et, l'autre, les réalisations telles qu'elles sont recensées dans les comptes trimestriels de l'institut.
Prévisions concernant l'équilibre ressources-emplois des biens et services
(aux prix de 1980, en milliards de francs et en % de variation t/t-1)
|
1997 |
1996 |
1997 |
|||
|
T1 (1) |
T2 (2) |
T3 (3) |
T4 (4) |
|
|
Produit intérieur brut
|
958,5
|
968,1
|
977,1
|
985,9
|
3.800,8
|
3.889,5
|
Importations
|
284,6
|
293,4
|
302,2
|
308,5
|
1.117,3
|
1.188,7
|
Total des ressources
|
1.243,2
|
1.261,5
|
1.279,3
|
1.294,4
|
4.918,1
|
5.078,2
|
Consommation finale des
ménages
|
574,4
|
574,3
|
582,0
|
585,9
|
2.296,0
|
2.316,7
|
Consommation finale des adm.
|
184,7
|
185,3
|
186,4
|
186,6
|
730,2
|
742,9
|
FCBF totale
|
187,7
|
187,8
|
189,1
|
190,7
|
756,2
|
755,4
|
Exportations
|
298,2
|
312,5
|
317,8
|
324,5
|
1.138,6
|
1.253,0
|
Variations de stocks |
- 1,8 |
1,8 |
3,9 |
6,6 |
- 2,9 |
10,3 |
Total des
emplois
|
1.243,2
|
1.261,5
|
1.279,3
|
1.294,4
|
4.918,1
|
5.078,2
|
(2) Deuxième trimestre
(3) Troisième trimestre. Prévisions
(4) Quatrième trimestre. Prévisions
Les trois premiers trimestres de l'année 1997
Ressources et emplois de biens et services aux prix de 1980
(en pourcentage de variation t/t-1)
|
1996 |
1997 |
Acquis (1) |
Acquis |
|||||||
|
Tri.1 |
Tri.2 |
Tri.3 |
Tri.4 |
Tri.1 |
Tri.2 |
Tri.3 |
1996 |
1997 |
1997 (2) |
|
Produit intérieur brut |
1,3 |
- 0,1 |
0,8 |
0,3 |
0,3 |
1,1 |
0,9 |
1,5 |
2,3 |
1,6 |
|
Importations |
2,9 |
- 1,3 |
2,7 |
1,2 |
- 0,1 |
3,4 |
3,7 |
2,8 |
6,4 |
4,3 |
|
Total des ressources |
1,6 |
- 0,4 |
1,3 |
0,5 |
0,2 |
1,6 |
1,5 |
1,8 |
3,2 |
2,2 |
|
Consommation finale des ménages |
2,4 |
- 0,9 |
0,9 |
- 0,5 |
0,2 |
0,1 |
1,1 |
2,1 |
0,7 |
0,1 |
|
Consommation finale des administrations |
0,7 |
0,4 |
0,5 |
0,5 |
0,4 |
0,3 |
0,3 |
1,7 |
1,5 |
1,4 |
|
FCBF totale
|
- 1,1
|
- 0,2
|
1,5
|
0,2
|
- 1,3
|
0,5
|
1,7
|
- 0,5
|
0,7
|
- 0,7 |
|
Exportations |
4,8 |
- 1,9 |
3,3 |
2,0 |
2,2 |
5,3 |
2,4 |
4,8 |
10,4 |
8,5 |
|
Emplois hors stocks |
2,1 |
- 0,8 |
1,5 |
0,3 |
0,5 |
1,4 |
1,4 |
2,2 |
3,1 |
|
|
Variations de stocks en milliards de francs 1980 |
- 4,9 |
0,6 |
- 1,9 |
0,6 |
- 2,4 |
0,2 |
1,8 |
- 5,5 |
|
|
|
Demande intérieure* |
0,7 |
0,1 |
0,7 |
0,1 |
- 0,4 |
0,5 |
1,2 |
1,0 |
1,0 |
2,2 |
* La demande intérieure est définie comme le
total des ressources moins les exportations
(1) L'acquis est le taux de croissance annuel qui serait observé si la
variable concernée restait au niveau atteint au dernier trimestre connu.
Il ne s'agit pas d'une prévision mais d'une indication de l'impact des
évolutions passées
(2) A la fin du premier semestre
Au terme du troisième trimestre de l'année,
l'acquis de
croissance s'élève à 2,3 %,
si bien qu'en
l'absence de toute croissance au quatrième trimestre, la
prévision initiale serait vérifiée à la fin de
l'année.
Toutefois, une déformation de la croissance paraît se
produire
. Alors que jusqu'à présent,
l'accélération de l'activité économique provenait
d'un accroissement de notre solde extérieur, une modification des
facteurs contribuant à la croissance peut être observée.
Contributions à la croissance aux deuxième et troisième trimestres de 1997
(en points de PIB)
|
2ème trimestre 1 |
3ème trimestre |
Ecarts |
Consommation des ménages |
|
|
|
FBCF |
0 |
0,3 |
+ 0,3 |
Variation des stocks |
0,4 |
0,2 |
- 0,2 |
Solde extérieur |
0,6 |
- 0,3 |
- 0,9 |
Total |
1 |
0,9 |
- 0,1 |
1. Aux arrondis près.
2. ... s'accompagne de signaux ambigus...
La croissance au troisième trimestre permet de
prolonger et d'amplifier la reprise qui s'était dessinée
dès le second semestre 1996. Mais, la progression de l'activité
du troisième trimestre ne traduit pas d'accélération de la
croissance.
Le PIB augmente comme il avait augmenté au trimestre
précédent, si l'on tient compte des effets des jours ouvrables et
sa croissance n'est pas sensiblement différente de celle observée
au troisième trimestre de 1996.
Il serait évidemment hâtif d'interpréter les
évolutions conjoncturelles récentes comme des signes d'une
inflexion de tendance de l'économie nationale.
La volatilité des comportements économiques est trop forte pour
qu'on ne retienne pas avant tout cette dernière donnée lorsqu'il
s'agit de poser un diagnostic sur des résultats de court terme.
L'évolution de la consommation des ménages offre une illustration
exemplaire de la variabilité des comportements des agents.
Ses variations d'un trimestre à l'autre sont d'une très forte
ampleur, le taux d'épargne des ménages jouant dans des limites,
qui restent partiellement à préciser, un rôle de variable
d'ajustement.
Evolutions infra-annuelles du taux d'épargne des
ménages
1995 |
1996 |
1997 |
|||||||||
1er trimestre |
2ème trimestre |
3ème trimestre |
4ème trimestre |
1er trimestre |
2ème trimestre |
3ème trimestre |
4ème trimestre |
1er trimestre |
2ème trimestre |
||
14,5 |
14,1 |
14,8 |
14,6 |
12,6 |
12,8 |
12,7 |
13,2 |
13,3 |
13,8 |
Aussi, si la croissance de la consommation des ménages
au troisième trimestre a, mécaniquement, entraîné
une baisse du taux d'épargne par rapport au trimestre
précédent, on ne peut établir que cette diminution
correspond à une tendance de fond.
D'ailleurs, les données infra-trimestrielles laissent penser que la
correction sur le taux d'épargne des ménages a été
acquise au mois de juillet quand la consommation des ménages en produits
manufacturés s'était accrue de 6,7 % sous l'effet d'un
rattrapage portant sur les achats d'automobiles qui avaient été
inhabituellement faibles en juin. Depuis, la consommation des ménages a
repris ses évolutions sur un rythme heurté mais modeste se
repliant de 1,9 et 1,5 % en août et septembre et
accélérant de 2,2 % en octobre.
Mais l'ambiguïté des informations conjoncturelles ne provient
pas seulement de la volatilité des comportements. Elle s'attache aussi
au sens à donner à certains résultats. C'est en
particulier le cas pour les résultats observés sur le commerce
extérieur.
Jusqu'à présent, la croissance économique avait beaucoup
reposé sur les résultats du commerce extérieur qui avaient
expliqué par exemple la moitié de la croissance du
deuxième trimestre. Or, le dernier trimestre connu indique que les
échanges extérieurs ont contribué négativement
à l'activité économique au cours de cette période.
Les importations se sont accrues de 3,7 % confirmant ainsi la reprise
observée au deuxième trimestre (+ 3,4 %) alors que les
exportations qui avaient alors beaucoup progressé (+ 5,3 %) ont
augmenté au troisième trimestre sur un rythme moins rapide (+
2,2 %).
La hausse de la croissance des importations peut traduire une augmentation de
leur volume ou (et) une appréciation des prix des importations. C'est
probablement ce second facteur qui a expliqué l'essentiel du
supplément d'importations observé au deuxième trimestre
tandis que l'accroissement de la demande intérieure pourrait avoir
joué davantage au cours du dernier trimestre.
Cependant, il est à observer que la progression des importations en
provenance des pays du "reste du monde hors Union européenne" est
beaucoup plus importante que celle des importations venant du territoire des
Etats de l'Union européenne. Il est probable que ce différentiel
de croissance s'explique majoritairement par des effets-prix liés
à l'évolution des cours de change ou de certaines matières
premières.
Dans ces conditions, il peut paraître prématuré
d'associer reprise des importations et reprise de la demande intérieure.
Cette dernière réserve est d'autant plus justifiée que
les résultats du commerce extérieur du mois de septembre ne
confirment pas ceux du mois d'août qui expliquent en fait les
résultats du troisième trimestre. C'est ainsi qu'en septembre,
les exportations ont repris un rythme de croissance plus rapide
(+ 3,6 %) que celui des importations qui ont subi un recul de
2,6 % au cours de ce mois.
Quant aux variations notées en matière d'exportations, il est
frappant d'observer que les flux à destination des pays de l'Union
européenne ont enregistré une très forte contraction alors
que les exportations vers le reste du monde ont, elles-mêmes,
progressé sur un rythme moins élevé.
Ces
résultats ne sont pas le signe d'une activité économique
globalement soutenue non plus d'ailleurs qu'ils n'indiquent une reprise
économique en Europe.
Mais d'autres indications conjoncturelles délivrent un message analogue
laissant apparaître une reprise économique encore suspendue
à l'incertitude.
Il s'agit des enquêtes mensuelles auprès des ménages et des
entreprises. Leurs résultats démontrent certes une
amélioration des opinions des agents. Mais celle-ci reste tout d'abord
limitée et paraît ensuite moins soutenue par les perspectives
d'avenir que par l'observation du passé récent.