II. LE TEXTE ISSU DES TRAVAUX DE L'ASSEMBLEE NATIONALE : UNE NOUVELLE PROCÉDURE COMPLEXE D'ADOPTION DES BUDGETS RÉGIONAUX ET UN RENFORCEMENT DU RÔLE DE LA COLLÉGIALITÉ
A. UNE NOUVELLE PROCÉDURE COMPLEXE D'ADOPTION DES BUDGETS RÉGIONAUX
La nouvelle procédure d'adoption des budgets
régionaux, qui ressort de
l'article 4
de la proposition de loi,
bien que conçue dans un contexte très différent et
aboutissant à des résultats divergents, semble avoir puisé
une inspiration dans la motion de défiance constructive prévue
par la Loi fondamentale de la République fédérale
d'Allemagne. Il s'agit bien, en effet, pour s'en tenir à l'objectif
recherché, de faire en sorte que la défiance ne soit pas
seulement
destructive
en aboutissant au rejet du projet de
l'exécutif mais qu'elle permette simultanément de construire un
nouvelle majorité
autour d'un
nouveau projet
.
Dans la conception initiale qui en avait été donnée par
les propositions de loi de M. Jean-Marc Ayrault d'une part et de MM. Pierre
Mazeaud et Robert Pandraud d'autre part, elle pouvait être
rapprochée de la procédure applicable à la
collectivité territoriale de Corse (
article L. 4422-20
du code
général des collectivités territoriales), procédure
à laquelle le Sénat n'avait d'ailleurs pas souscrit lors de
l'élaboration du nouveau statut de la Corse en 1991.
Rappelons, en effet, que la collectivité territoriale de Corse peut
mettre en cause la responsabilité du conseil exécutif par le vote
d'une motion de défiance. Outre l'exposé des motifs pour lesquels
elle est présentée, cette motion doit comporter la liste des noms
des candidats aux mandats de président et de conseillers
exécutifs de Corse appelés à exercer ces fonctions en cas
d'adoption de la motion.
Celle-ci doit être signée par le
tiers
des conseillers
à l'Assemblée. Un délai de
quarante-huit heures
est
requis avant que le vote ne puisse avoir lieu. Seuls sont recensés les
votes favorables à la motion, laquelle n'est considérée
comme adoptée que lorsqu'elle a recueilli le vote de la majorité
absolue des membres composant l'Assemblée. Dès l'adoption de la
motion, les candidats aux mandats de président et de conseillers
exécutifs entrent en fonction. Cette procédure n'a jusqu'à
présent
jamais joué
.
Les deux propositions de loi élaborées respectivement par M.
Jean-Marc Ayrault et par MM. Pierre Mazeaud et Robert Pandraud étaient
très proches de cette procédure. En effet, en cas de non adoption
du budget primitif de la région avant la date limite prévue par
le code général des collectivités territoriales, le
président du conseil régional devait présenter, dans un
délai de
dix jours
, un nouveau projet de budget, établi
sur la base du projet initial modifié, le cas échéant, par
des amendements présentés lors de la discussion.
Le nouveau projet devait être considéré comme
adopté, sans discussion, à moins qu'une motion de renvoi,
présentée par
un tiers
au moins des membres du conseil
régional, soit adoptée à la majorité absolue des
membres composant ce dernier.
Empruntant aux dispositions applicables à la collectivité de
Corse, les deux dispositifs précisaient que la motion de renvoi devait
comporter outre un projet de budget " alternatif ", le nom
du
candidat aux fonctions de président.
De même, un délai de
quarante-huit heures
était
exigé pour le déroulement du vote, la majorité absolue
étant requise pour l'adoption de la motion.
La proposition de MM. Pierre Mazeaud et Robert Pandraud prévoyait le
décompte des seuls votes favorables à la motion. La proposition
de M. Jean-Marc Ayrault fixait pour sa part une condition de quorum, la
présence des
deux tiers
des membres du conseil régional
étant exigée, la réunion étant à
défaut reportée de trois jours.
En revanche, les conséquences de l'adoption de la motion étaient
identiques dans les deux textes : d'une part, le projet de budget annexé
à la motion était considéré comme adopté ;
d'autre part, le candidat à la présidence du conseil
régional dont la motion mentionnait le nom devait entrer
immédiatement en fonction, la commission permanente étant ensuite
renouvelée.
Il s'agissait donc bien -à travers cette procédure d'adoption
du budget- de permettre la mise en oeuvre de la responsabilité de
l'exécutif régional.
La proposition de loi de M. Jacques Blanc n'optait pas pour cette mise en cause
de la responsabilité politique du président du conseil
régional mais -innovation majeure- prévoyait que ce dernier ne
serait plus élu par l'assemblée délibérante mais en
même temps que ses membres au suffrage universel direct.
La proposition de loi de Mme Marie-Hélène Aubert écartait
également l'idée d'une mise en cause de la responsabilité
politique de l'exécutif régional. Elle visait à promouvoir
une procédure qui aurait permis au conseil régional, réuni
en une seconde session budgétaire, de confronter au projet du
président seul susceptible d'être amendé, les propositions
budgétaires présentées par les différents groupes
politiques qui n'auraient pu être modifiés que par leurs auteurs.
Cette confrontation se serait conclue par un vote public, avec le cas
échéant deux tours de scrutin.
Quelles qu'aient pu être les solutions proposées, ces
différentes propositions de loi avaient en revanche un point commun
manifeste : la complexité des procédures, ce qui incite à
penser que la question n'est guère susceptible d'être
réglée par une formule simple.
La proposition en définitive adoptée par l'Assemblée
nationale- tout en s'inspirant de ces différentes suggestions- aboutit
ainsi à un dispositif certes original mais marqué par une
réelle complexité
.
Tel qu'il ressort de
l'article 4
de la proposition de loi, il
prévoit -à défaut d'adoption du budget dans le
délai légal, c'est-à-dire soit le
31 mars
dans le
cas général, soit le
15 avril
l'année de
renouvellement des conseils régionaux- la présentation par le
président du conseil régional d'un nouveau projet dans un
délai de
cinq jours.
Ce nouveau projet est établi sur la
base du projet initial modifié, le cas échéant, par un ou
plusieurs amendements présentés lors de la discussion.
Le nouveau projet est soumis dans un délai de
cinq jours
pour
approbation
au bureau du conseil régional, lequel peut demander que
des amendements soient retirés ou que d'autres y soient ajoutés.
Le bureau dispose de
cinq jours
pour rendre sa décision.
S'il est approuvé par le bureau, il est communiqué par le
président aux membres du conseil et il est considéré comme
adopté à l'expiration d'un délai de
douze jours
.
Néanmoins, au cours de ce délai de douze jours, une
motion de
défiance
-comportant un projet de budget et une déclaration
politique- peut être présentée par la majorité
absolue des membres du conseil régional. En cas d'adoption - laquelle
implique la majorité absolue des membres du conseil régional- le
projet de budget qu'elle comporte en annexe est considéré comme
adopté.
En revanche, si la motion n'est pas adoptée, le projet de budget
présenté par le président du conseil régional et
approuvé par le bureau est considéré comme adopté.
Mais dans le cas où le bureau n'a pas approuvé le projet de
budget du président, le budget sera réglé par le
représentant de l'Etat sur la base des propositions de la chambre
régionale des comptes.
Ce dispositif ne sera pas applicable à la collectivité
territoriale de Corse qui -ainsi qu'on l'a dit- dispose déjà d'un
mécanisme de mise en cause de la responsabilité de
l'exécutif.
Ainsi conçu, il apparaît
particulièrement
compliqué et peu cohérent quant aux conséquences qu'il
tire du vote d'une motion de " défiance " par une
majorité absolue des membres du conseil régional
.
D'une part, il contribue à
allonger
sensiblement la
procédure d'adoption du budget régional. Celle-ci pourra, en
effet, se prolonger jusqu'à
un peu moins d'un mois et demi
après la date légale
en cas de motion de
défiance présentée juste avant l'expiration du
délai de
douze jours
dont disposent les membres du conseil
régional à compter de la communication du nouveau projet de
budget présenté par le président (lequel dispose
lui-même de
cinq jours
pour établir ce nouveau projet et
cinq jours
pour le transmettre au bureau, qui a lui-même
cinq
jours
pour se prononcer, soit un total de
quinze jours
).
En pareil cas, en effet, le vote ne peut avoir lieu moins de
quarante-huit
heures
après le dépôt de la motion mais pas
au-delà du
quinzième jour
qui suit la communication du
projet approuvé par le bureau.
La
multiplication des délais
-qui répond certes au souci
compréhensible de mieux encadrer la procédure- n'est pas non plus
de nature à simplifier celle-ci. Au total, le texte ne prévoit
pas moins de
sept
références à des délais
depuis la communication
sans délai
du nouveau projet
approuvé par le bureau aux membres du conseil régional jusqu'au
délai de
quinze jours
suivant cette communication en
deçà duquel le vote sur la motion de défiance devra avoir
lieu.
En outre, l'initiative de la motion de défiance est conçue de
manière
très restrictive
puisqu'une majorité
absolue des membres du conseil régional est requise dès cette
phase de proposition.
Le dispositif
donne à l'organe collégial une fonction
inédite
ajoutant à la complexité du schéma
envisagé mais qui participe d'une volonté clairement
affirmée de renforcer le rôle de la collégialité
dans l'exercice de la fonction exécutive.
D'autre part, contrairement à ce qu'avait envisagé les
propositions de loi initiales de M. Jean-Marc Ayrault et de MM. Pierre Mazeaud
et Robert Pandraud, l'adoption de la motion pourtant dite de défiance
n'aura pas pour conséquence juridique
le remplacement du
président du conseil régional.
Aussi, un président qui se sera vu opposer un budget alternatif à
son propre projet sera -en théorie du moins- chargé de le mettre
en oeuvre. Si le président en fonctions conserve bien sûr toujours
la faculté de démissionner, la situation qui serait ainsi
créée par la volonté du législateur
peut
néanmoins susciter la perplexité.