B. LA POLYNÉSIE FRANÇAISE

1. Les évolutions institutionnelles et politiques

a) La mise en oeuvre du nouveau statut

L'année écoulée constitue la première année de mise en oeuvre du nouveau statut d'autonomie de la Polynésie française résultant de deux lois, l'une organique, l'autre simple, du 12 avril 1996. La notion d'autonomie constitue la clef de voûte de cette réforme statutaire. Si la Polynésie française reste une collectivité territoriale de la République, elle bénéficie désormais d'une autonomie institutionnelle renforcée :

- les compétences de l'État sont d'attribution et strictement limitées aux matières de souveraineté telles que les relations internationales - sous réserve des possibilités offertes au président du gouvernement de la Polynésie française -, la défense, la justice, le droit civil, les libertés publiques ...

- la légalité des délibérations de l'assemblée de la Polynésie française et de sa commission permanente sont désormais jugées par le tribunal administratif de Papeete après avis du Conseil d'État dès lors que l'exacte application de la répartition des compétences entre l'État et le territoire est en cause.

Le décret n° 97-30 du 13 janvier 1997 a précisé les conditions dans lesquelles le Conseil d'État se prononce : le jugement de transmission ainsi que le dossier sont communiqués au secrétariat du contentieux du Conseil d'État par le greffe du tribunal administratif et le dossier est examiné par le Conseil d'État conformément aux règles applicables en matière de procédure contentieuse ; les parties et le ministre de l'outre-mer disposent d'un mois à compter de la notification du jugement de renvoi pour produire des observations ; l'avis du Conseil d'État est notifié aux parties, au haut-commissaire de la République et au ministre de l'outre-mer ; cet avis est publié au journal officiel de la Polynésie française et peut l'être au journal officiel de la République française si le Conseil d'État le prévoit. Cette procédure de demande d'avis a déjà mise en oeuvre à trois reprises.

La possibilité de solliciter l'avis du Conseil d'État en dehors de toute procédure contentieuse lorsque l'appréciation de la répartition des compétences entre l'État et le territoire soulève une difficulté, a également été utilisée : quatre demandes d'avis ont ainsi émané du président du gouvernement de la Polynésie française. Dans ce cas, le décret précité prévoit que la demande est examinée conformément aux dispositions régissant la procédure devant les sections administratives du Conseil d'État.

- Afin de renforcer les possibilités données à la Polynésie française de réussir son insertion dans son environnement régional, les pouvoirs du président du gouvernement sont accrus.

Aux termes du statut de 1984, celui-ci disposait d'un pouvoir d'initiative pour proposer au Gouvernement de la République la négociation d'accords concernant la région du Pacifique et pouvait être désigné pour mener les négociations et représenter la France dans les institutions et organismes régionaux.

Avec le nouveau statut, il peut non seulement négocier mais aussi signer, au nom de l'État, des accords internationaux concernant la région du Pacifique s'il y a été préalablement habilité par les autorités de la République. Il est par ailleurs plus étroitement associé aux négociations internationales se déroulant dans cette région : cette association est de droit lorsque les négociations concernent des domaines de la compétence du territoire ; lorsque les négociations intéressent les domaines de compétence de l'État, cette association reste facultative. Investi par les autorités de la République, il peut également négocier et signer des arrangements administratifs destinés à préciser les conventions internationales dans des domaines de compétence territoriale. Dans ces mêmes matières, il peut négocier et signer au nom du territoire, dans le respect des engagements internationaux souscrits par la France, des conventions de coopération décentralisée avec des collectivités locales françaises ou étrangères. Il peut enfin être autorisé par les autorités de la République à représenter la France au sein des organismes régionaux du Pacifique dépendant d'institutions spécialisées des Nations-Unies.

- Avec la conviction que les élus polynésiens sont plus aptes à définir les mesures propres à favoriser le développement économique, social et culturel du territoire, les compétences de ce dernier ont été élargies.

Le territoire assure ainsi désormais l'exploration et l'exploitation des ressources de la mer dans les eaux intérieures, les eaux territoriales et la zone économique exclusive : il gère de ce fait les richesses naturelles d'un espace maritime d'une superficie de plus de cinq millions de kilomètres carrés. La totalité du domaine public maritime lui est transféré, à la seule exception des emprises affectées à l'exercice des compétences de l'État (sécurité maritime, police en mer). La Polynésie française reste tenue par les engagements internationaux de la France qui conserve ses responsabilités d'État côtier au regard des conventions internationales. Enfin, une loi devra fixer ultérieurement la date d'entrée en vigueur du transfert au territoire des lagons de Mururoa et de Fangataufa.

- les dessertes maritimes et aériennes internationales pour lesquelles la Polynésie française représente la seule escale sur le territoire national deviennent une compétence exclusive du territoire. Pour les dessertes reliant la Polynésie à un autre point du territoire national, l'État, qui demeure compétent, doit recueillir l'avis du conseil des ministres de la Polynésie française. Il s'agit de favoriser le développement de l'industrie touristique qui constitue un atout majeur de l'économie du territoire.

L'ambition de la réforme statutaire est de conférer aux responsables polynésiens les compétences et les moyens de s'engager sur la voie d'un véritable développement dans le cadre d'un statut de large autonomie au sein de la République. A cet égard, le nouveau dispositif institutionnel paraît fonctionner de façon satisfaisante.

L'élargissement des compétences territoriales se traduit au quotidien par de nombreuses initiatives des autorités locales. Ainsi, en matière de transport aérien international, le président du gouvernement de la Polynésie française a signé un accord avec l'Australie le 21 février 1997 qui doit permettre de développer les relations aériennes régionales. Dans un autre domaine, l'assemblée de la Polynésie française a adopté une délibération le 20 février 1997 sur l'exploitation des ressources de la mer territoriale et de la zone économique exclusive (Z.E.E.).

Enfin, l'article 91 de la loi organique du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, introduit à l'initiative du Sénat, a créé une commission paritaire de concertation entre l'État, le territoire et les communes, comprenant six représentants de l'État désignés par le haut-commissaire, six représentants du territoire désignés par l'assemblée de la Polynésie française à la représentation proportionnelle des groupes politiques la composant et six représentants des communes à raison d'un pour chacun des archipels, élu par les maires de ces archipels. Cette commission est présidée alternativement pour un an par un représentant de chaque collège et se réunit au moins une fois par an à l'initiative de son président. Elle a pour mission d'assurer aux communes la possibilité de participer au développement économique, social et culturel du territoire.

La constitution et l'installation de cette commission ont nécessité plusieurs mois. La désignation de ses membres est intervenue au printemps 1997. Concernant les représentants de l'État, le haut-commissaire qui préside la commission, a désigné : le secrétaire général de la Polynésie française, les chefs de subdivision administrative des îles du Vent, des îles Sous-le-Vent et des Marquises, le directeur de la mission d'aide financière et de coopération du haut-commissariat. La première réunion de la commission paritaire de concertation a été reportée plusieurs fois : elle s'est finalement tenue le 29 août 1997. Une deuxième réunion s'est tenue le 14 novembre et une troisième est programée pour le 26 novembre. Plusieurs thèmes ont été évoqués : l'éducation, l'adduction d'eau, le traitement des déchets, l'assainissement, la circulation routière et le développement des archipels.

b) Le paysage politique polynésien

Le renouvellement de l'assemblée de la Polynésie française , qui a eu lieu le 12 mai 1996, a confirmé une certaine bipolarisation du paysage politique polynésien.

Le Tahoeraa, parti de M. Gaston Flosse, président du gouvernement de la Polynésie française, a obtenu la majorité absolue avec 22 sièges sur les 41 composant l'assemblée (contre 18 précédemment). Le Tavini, parti indépendantiste présidé par M. Oscar Temaru, a plus que doublé le nombre de ses élus territoriaux en emportant 10 sièges (contre 4 auparavant). Le nombre de membres de l'assemblée de la Polynésie française favorables à l'indépendance s'élève cependant à 11 du fait du ralliement du représentant de la liste Alliance 2000. Les autres élus sont : 5 représentants du Aia Api, présidé par M. Émile Vernaudon, et respectivement 1 représentant du Fetia Api (opposition DVG), du Te Avei' a Mau (centriste) et du Te Henua Enata Kotoa (parti marquisien). M. Justin Arapari (Tahoeraa) a été élu président de l'assemblée de la Polynésie française le 23 mai 1996 et M. Henri Flohr (Aia Api) préside la commission permanente. Ils ont été reconduits le 10 avril 1997. M. Gaston Flosse a été réélu président du gouvernement de la Polynésie française le 28 mai 1996 et a désigné le 29 mai son gouvernement, composé de quatorze ministres.

Les élections législatives du mois de mai dernier ont conduit à la désignation de deux nouveaux députés de la Polynésie française, les députés sortants, MM. Gaston Flosse (RPR) et Jean Juventin (République et Liberté) ne se représentant pas. En application des dispositions de l'article 25 de la loi du 4 janvier 1993, elles se sont déroulées sur ce territoire une semaine avant le scrutin organisé dans le reste de la France, soit le 18 mai 1997.

Dans la première circonscription, M. Michel Buillard (RPR), maire de Papeete et ministre du gouvernement de la Polynésie française, a été élu dès le premier tour avec 51,58 % des suffrages exprimés. M. Oscar Temaru, chef de file des indépendantistes, son principal adversaire, a cependant obtenu 41,62 % des voix. Concerné par les dispositions relatives au cumul des mandats, M. Michel Buillard, conservant la mairie de Papeete, a démissionné de ses fonctions de ministre et de membre de l'assemblée territoriale. Dans la seconde circonscription, M. Émile Vernaudon (DVD), membre de l'assemblée de la Polynésie française et maire de Mahina, a été élu, lui aussi, dès le premier tour, avec 58,91 % des suffrages exprimés. Son principal adversaire, M. James Salmon (indépendantiste), a obtenu 23,64 % des voix.

2. Vers une reconversion de l'économie polynésienne

a) Le démantèlement du Centre d'expérimentation du Pacifique (C.E.P.)

Le programme d'essais nucléaires dans le Pacifique a constitué une source d'activités et de revenus très importante pour la Polynésie française (versements au budget du territoire correspondant aux taxes de nature douanière frappant les matériels introduits en Polynésie ; commandes passées à des entreprises locales ; emplois procurés à des personnels locaux bénéficiant souvent, de ce fait, d'une formation professionnelle ; retombées, pour l'économie locale, des rémunérations versées aux personnels d'origine métropolitaine résidant temporairement en Polynésie).

L'arrêt définitif des essais (le dernier date du 27 janvier 1996) et la décision de fermer le C.E.P. ont mis un terme à ces transferts. Aussi le principe d'une compensation financière devant permettre à l'économie polynésienne d'organiser sa reconversion a-t-il été décidé : en conséquence, une convention pour le renforcement de l'autonomie économique de la Polynésie française a été signée le 25 juillet 1996 entre le Premier ministre et le président du gouvernement de la Polynésie française. Elle prévoit le versement annuel au territoire, pendant dix ans, d'une somme de 990 millions de francs et distingue trois enveloppes :

- la première, d'un montant de 220 millions de francs par an, fait l'objet d'un versement global de l'État, et compense la perte de recettes douanières résultant de la fermeture du C.E.P. ;

- la deuxième tend à compenser la disparition de l'activité de formation que le centre dispensait aux personnels recrutés. Le service militaire adapté (SMA) doit être maintenu avec pour objectif de former 300 personnes par an ;

- le solde a vocation à alimenter un fonds de reconversion d'aide à la création et au développement d'activités pourvoyeuses d'emplois, en particulier dans les domaines du tourisme, de l'agriculture et du logement. Pendant une première période de trois ans, 110 millions de francs doivent être consacrés à la réalisation de programmes de logements sociaux utilisant la main d'oeuvre locale. Un comité de gestion du fonds de reconversion, co-présidé par le haut-commissaire et le président du gouvernement de la Polynésie française, a été mis en place le 15 juillet 1997. Un comité technique consultatif complète ce dispositif en associant les communes et les organisations socio-professionnelles à l'examen des projets : il s'est réuni pour la première fois le 11 septembre 1997.

Le démantèlement des installations du C.E.P. constituant un chantier important dont le coût total est estimé à plus de 130 millions de francs, les sommes versées au territoire au titre de la compensation n'atteindront qu'en 1999 les montants précités. Les opérations de démantèlement, commencées il y a plus d'un an, devraient être achevées à l'été 1998. Actuellement, 60 % des installations ont été démontées et les équipements scientifiques et techniques du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), ainsi que ceux considérés comme majeurs pour la défense ont été réexpédiés en métropole. Certains matériels doivent être transportés sur l'atoll de Hao pour servir aux légionnaires du 5ème régiment étranger. Un comité consultatif de répartition destiné à assurer la transparence de ces cessions a été chargé de veiller à une attribution équitable de ces matériels aux cinq archipels.

L'ensemble des mesures, arrêtées d'un commun accord entre l'État et le territoire, doivent permettre d'organiser la mutation économique de la Polynésie française. Un programme stratégique a ainsi été défini : il a reçu au mois d'avril 1997, après consultation des différents ministères concernés, l'approbation de l'État. Les premières actions envisagées pour favoriser le développement de archipels sont : la création de nouveaux aérodromes aux Tuamotu et aux Australes, la construction d'un aéroport international aux Marquises, l'installation aux Marquises d'équipements portuaires pour favoriser le développement de la pêche (quais, entrepôts frigorifiques), la mise en place de moyens de traitement des eaux usées et des déchets pour prévenir la pollution des lagons.

Un dispositif de suivi doit enfin être mis en place pour procéder à une évaluation périodique des projets engagés. M. Jean-Jack Queyranne, ministre de l'outre-mer, a en effet estimé, lors de son déplacement en Polynésie française au mois d'août dernier, que l'État devait assumer toute sa part dans le développement économique, social et culturel du territoire, mais que corrélativement, il avait aussi pour obligation de contrôler l'attribution des fonds publics et la transparence de leur utilisation .

b) Les concours financiers de l'État

La convention du 25 juillet 1996 pour le renforcement de l'autonomie économique de la Polynésie française est venue compléter un dispositif contractuel déjà en place constitué par le contrat de développement du 2 mai 1994, conclu entre l'État et le territoire pour cinq ans en application de l'article 8 de la loi du 5 février 1994 d'orientation pour le développement économique, social et culturel de la Polynésie française, et par le contrat de ville relatif à la zone urbaine de Papeete conclu pour la même période le 30 août 1994 et inclu dans le contrat de développement. La durée d'exécution de ces contrats a été portée à six ans en vertu de la décision d'étalement sur une année supplémentaire prise l'an dernier.

Le contrat de développement s'articule autour de trois programmes d'intervention d'un coût total sur la période de 2.902 millions de francs, dont 1.451 millions de francs à la charge de l'État :

- le développement économique, en particulier dans les domaines du tourisme, de l'agriculture et de la formation professionnelle ;

- l'équipement du territoire et le désenclavement des archipels ;

- l'insertion sociale.

Le contrat de ville prévoit une participation de l'État de 100 millions de francs, les communes et le territoire s'engageant respectivement à hauteur de 23,4 et de 0,8 millions de francs. Les actions qu'il finance concernent la prévention de la délinquance, l'insertion des jeunes, le logement social et les aménagements urbains.

La signature relativement tardive de ces contrats n'a pas permis le lancement d'opérations nombreuses dès 1994. Ce retard initial a été en grande partie comblé en 1995 et la mise en oeuvre des projets décidés s'est poursuivie à un rythme soutenu en 1996. Aussi le taux d'engagement des crédits au 31 décembre 1996 s'élève-t-il à près de 50 %.

Hormis cette politique contractuelle tout à fait essentielle pour le développement de l'économie polynésienne, il convient de souligner l'importance pour ce territoire des aides fiscales à l'investissement résultant de la loi du 11 juillet 1986, dite loi Pons. Selon l'Institut d'émission de l'outre-mer, les aides accordées en faveur de la Polynésie ont été, en 1996, les plus élevées de celles bénéficiant aux collectivités d'outre-mer : 68 dossiers ont ainsi été agréés pour un montant global de 165 millions de francs, essentiellement dans les domaines de l'hôtellerie et des transports. Le développement de ces domaines d'activité est crucial pour l'économie polynésienne en phase de reconversion. Si des abus ont pu être commis, justifiant une moralisation du dispositif, il convient de veiller à ce que les modifications qui seraient introduites par la loi de finances pour 1998 n'aient pas de répercussions négatives sur le développement économique du territoire et préservent les créations d'emplois.

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